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Transcription
00:00 * Extrait de « La France est une ville » de Yannick Ravel *
00:17 C'est quasiment une exception française.
00:19 Dans les années 1950, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, en pleine période des Trams glorieuses,
00:24 la France fait un choix, le choix des bars et des tours, car les besoins de logement sont considérables.
00:31 C'est ce qu'on va appeler ensuite les « grands ensembles ».
00:33 Ils vont d'abord apporter confort et sérénité aux courantes, WC individuels, loyers modérés.
00:40 Et puis rapidement, ces constructions sont critiquées, les conditions de vie vont se dégrader.
00:45 Voilà pour se résumer les grandes lignes sur ces « grands ensembles ».
00:49 Mais peut-on voir ces cités autrement ?
00:51 Qu'en pensent ceux et celles qui ont vécu ou qui vivent encore dans ces bars ?
00:55 Qui leur donne la parole justement ?
00:57 Et l'apprennent-ils quand on leur propose de parler, de se raconter, de raconter ce lieu ?
01:03 Nous poserons ces questions à nos invités qui publient deux ouvrages, textes et photos sur la cité
01:07 jusqu'à 13h30 dans le Book Club, direction Bagneux et Sarcelles.
01:12 * Extrait de « Les grands ensembles » de Yannick Ravel *
01:18 * Extrait de « Les grands ensembles » de Yannick Ravel *
01:30 * Extrait de « Les grands ensembles » de Yannick Ravel *
01:40 * Extrait de « Les grands ensembles » de Yannick Ravel *
01:54 * Extrait de « Les grands ensembles » de Yannick Ravel *
02:16 France Culture, le Book Club, Nicolas Herbeau
02:21 On va aller à Sarcelles dans quelques instants mais d'abord direction Bagneux. Bonjour Charles Ackay.
02:26 Vous êtes rédacteur en chef du service étranger du journal L'Express, professeur à l'École nationale supérieure des arts décoratifs
02:32 et l'auteur d'une dizaine de romans et d'essais. Vous publiez aux éditions Jean-Claude Lattès ce récit,
02:38 « La cité silencieuse » où vous nous racontez la cité de la pierre plate à Bagneux dans les Hauts-de-Seine.
02:44 D'abord pourquoi la cité silencieuse ?
02:47 En fait c'est Jean-François Fourmont, mon co-auteur qui est professeur de photographie.
02:54 Écoutez, tous les deux, quand on est arrivés dans cet endroit, sur nos petits vélos, comme ça on avait un projet ensemble
03:02 d'explorer un lieu où personne ne s'arrête sauf ceux qui y vivent. On trouvait ça intéressant, on trouvait ça fascinant.
03:09 On a commencé à arpenter cette cité et on a été mais vraiment totalement surpris par le silence qui régnait.
03:15 Un silence qui était écrasant, qui était presque marmoré, qui était vraiment presque pesant.
03:21 On sentait qu'il y avait de la vie, on sentait qu'il se passait des choses, mais il y avait ce silence qui nous a étreints.
03:27 Et c'est pour ça qu'on a tout de suite, dans ce projet qui a pris forme, qui s'est ébauché petit à petit, décidé de garder ce titre de cité silencieuse.
03:37 C'est une cité qui selon vous a toujours été silencieuse ou c'est le constat que vous avez fait là il y a quelques années en y passant trois ans ?
03:44 Non, ce n'est pas une cité qui a toujours été silencieuse, vous avez totalement raison.
03:48 C'est une cité qui a résonné et bruit de beaucoup de cris d'enfants, de pleurs, de cris de joie.
03:55 Il s'est passé beaucoup de choses dans cette cité. Il y a eu aussi des coups de feu, énormément.
04:00 Donc c'est un endroit qui a beaucoup vécu et qui en lui-même retrace finalement toute l'histoire de la France depuis les années 60.
04:08 On retrace les Trente Glorieuses, on retrace la décolonisation, on retrace aussi les années Sida, la drogue.
04:15 Et puis finalement on retrace aussi l'apathie qui s'est abattue sur ces cités.
04:20 Aujourd'hui, le silence est tombé. Il est triste et il est pesant. Il incarne aussi beaucoup ce que l'on a remarqué.
04:27 C'est-à-dire que plus personne investi ne va dans ces cités, ou en tout cas pas beaucoup de monde, pour y améliorer la vie des habitants.
04:35 Il y a un petit peu un oubli. Ces gens sont un petit peu oubliés.
04:38 Les oubliés, évidemment. Cette cité silencieuse, ça se tranche aussi avec l'autre nom de la Pierre-Plate,
04:43 Cité des Musiciens, avec ses cinq immeubles à l'origine qui portent le nom d'artistes, de Bussy, Rossini, Mozart.
04:49 Des bâtiments qui ont été depuis rayés de la carte, Chopin ou Procopief, qui ont été rénovés il y a quelques années.
04:55 Vous avez cité Jean-François Fourmont, bien sûr, votre co-auteur, qui a fait des photographies.
05:00 Et ces photographies, elles vous ont permis de faire quoi ? Quel était l'objectif ? De documenter ?
05:06 Vous parliez d'oublier, il y a quelques instants, de constituer une mémoire aussi visuelle ?
05:11 Tout à fait. Alors, il faut dire qu'on est arrivé dans ce grand ensemble à un moment particulier.
05:17 Le métro était en construction et cette cité qui était au cœur de Bagneux, finalement les édiles,
05:23 Marie l'Innémirable, la mère et d'autres personnes se sont demandées quoi en faire.
05:27 Est-ce qu'on va la laisser fermée sur elle-même ? Parce que c'est un peu une cité que Vauban aurait pu construire.
05:33 C'est une forteresse, en fait, qui est fermée sur elle-même, enclavée.
05:36 Et est-ce qu'il fallait la laisser comme ça ? Ou au contraire, est-ce qu'il fallait l'ouvrir ?
05:40 L'ouvrir à la modernité ? L'ouvrir à la vie ? Est-ce qu'on va laisser la cité dans la cité ou est-ce qu'on va l'ouvrir à la cité ?
05:45 Et finalement, la décision a été prise d'ouvrir la cité.
05:50 Donc, sur les cinq barres qui la composent, deux ont été détruites ou sont en cours de destruction.
05:55 Une autre va être coupée en deux, comme une mode de beurre.
05:58 Et finalement, on va construire des nouveaux bâtiments.
06:01 Mais cette cité qui aujourd'hui s'ouvre à cette modernité, évidemment, ça introduit beaucoup de changements pour la population.
06:09 Et nous, on s'est dit, c'est intéressant de voir la cité à ce moment-là, d'essayer de comprendre comment on y a vécu.
06:16 C'était quoi, finalement, cette cité ? La vie dans cette cité ? Et qu'est-ce qui va changer ?
06:20 Donc, c'était vraiment une sorte de travail, je n'oserais pas dire sociologique parce que nous ne sommes pas sociologues,
06:26 mais vraiment un instantané, une sorte de photographie sur trois, quatre ans pour raconter la mémoire de cette cité,
06:33 ce qui va disparaître, les bribes qu'on peut en capter encore et surtout ce que ça va devenir.
06:38 Alors, c'est ce travail sur l'image et sur la photographie qui nous a convaincus de vous faire dialoguer avec Camille Lyolet-Hornquay-Ranaud.
06:43 Bonjour.
06:44 Bonjour.
06:45 Merci d'être dans le Book Club.
06:46 Vous êtes anthropologue, mais donc aussi photographe et vous publiez ce livre intitulé "La cité, une anthropologie photographique"
06:53 aux éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, où l'on voit donc que le travail de photographe est au cœur de celui de l'anthropologue.
07:03 On était à Bagneux il y a quelques instants avec Charles Ackay.
07:06 Bagneux, c'est quasiment aux portes de Paris.
07:08 Là, on va à Sarcelles.
07:09 C'est un peu plus loin, ville moyenne située à une quinzaine de kilomètres au nord de Paris, où on a construit un symbole presque, une ville rêvée,
07:20 qui est ensuite devenue une banlieue dortoir, qui représente en fait ce que j'ai appelé les grands ensembles.
07:27 C'est-à-dire qu'à l'époque, on imagine que ce sera l'endroit où tout le monde voudra vivre.
07:31 Tout à fait.
07:32 D'ailleurs, il y a une expression qui naît dans les années 60, c'est la "sarcellite", qui peut-être est le symbole majeur de cette représentation qui est faite des grands ensembles,
07:45 un prénom qu'on pointe de part "Sarcelles".
07:48 Et donc, effectivement, le travail photographique que je réalise dans cette ville part de cette envie de questionner les formes de représentation qui existent sur cette ville.
07:59 Donc en partant d'un travail de recherche, donc c'était au départ, c'est un travail purement de recherche.
08:04 Et ensuite, je me rends compte de l'importance des images, de la photographie, pour décrire, pour comprendre et pour essayer de peut-être de questionner aussi le silence dont Charles parlait tout à l'heure.
08:16 La photographie me permet de questionner ces silences, de questionner les bruits, de questionner la façon dont les personnes voient et aussi se voient dans la ville.
08:25 Donc c'est tout l'intérêt de cette démarche qui s'appelle la photoethnographie.
08:31 C'est à partir des photographies, pouvoir questionner des phénomènes du réel, des expériences du quotidien.
08:37 L'un des phénomènes, c'est qu'on a construit ces grands ensembles à la fin des années 50 et dès le début quasiment des années 60, on parle de cette "sarcellite".
08:47 C'est une maladie sociale. Les gens qui vivent là souffriraient de cette maladie.
08:52 Effectivement, c'est tout l'intérêt de questionner cette notion qui est évidemment une construction sociale qui naît dans les années 60 pour décrire une certaine nœuvreuse dont souffriraient les femmes qui habitent dans ces grands ensembles
09:06 quand leur mari parte travailler et qu'elle reste toute seule dans ces immeubles gigantesques perdus au milieu de nulle part.
09:12 L'idée, c'est de questionner cette notion et plus largement les formes de représentation qui existent sur ce type de ville.
09:20 En partant d'un travail de recherche qui fait dialoguer les habitants avec les images, je faisais des ateliers photo avec des habitants.
09:32 Ensuite, j'ai produit moi-même des photographies qui m'ont permis de questionner ces formes de représentation et de voir comment cette sarcellite aujourd'hui est vécue.
09:41 Est-ce que comment il y a une sorte aussi de réappropriation de cette notion pour véhiculer aussi des souhaits citoyens et des souhaits des habitants pour reprendre en main leur propre représentation ?
09:54 - Charles Ackay ? - Oui, sur la... Alors il n'y a pas eu la bagnolite, on aurait pu l'imaginer aussi, mais c'est vrai que notre démarche a été évidemment de faire beaucoup de photographies, on pourra peut-être en parler un peu plus tout à l'heure,
10:06 mais d'interviewer, d'interroger, de converser avec beaucoup d'habitants. On a mis du temps avant de réussir à entrer dans ce lieu fermé, mais ce qu'on a remarqué...
10:18 - Parce que vous étiez journaliste ?
10:20 - Parce que j'étais journaliste, que Jean-François était photographe, qu'il y a eu un fait divers dans cette cité de la Pierre-Plate que tous les Français connaissent,
10:30 qui était le gang des barbares et le drame d'Ilan Halimi, et qu'être journaliste dans ce contexte était compliqué parce qu'on nous associait un petit peu à ce qui s'est passé à l'époque,
10:41 qui a été traumatisant pour les habitants, mais vraiment traumatisant, on s'en est bien rendu compte après, la cicatrice n'est toujours pas refermée, et on les a accusés de tout savoir, ce qui n'était pas le cas,
10:51 et évidemment, il a fallu qu'on explique que notre démarche n'avait rien à voir avec ça, qu'on ne travaillait pas sur ce sujet, mais qu'on faisait un travail personnel autour de la mémoire de la cité.
11:02 Et c'est vrai qu'il y a sans doute ce phénomène qui vient d'être décrit très bien, moi j'ajouterais une chose, peut-être une petite goutte d'optimisme ou de couleur sur cet aspect,
11:15 c'est qu'on a rencontré des personnages, des militants qui avaient créé une association, "Vie avec nous", et ces personnes, pour résumer leur action en une phrase, c'est l'horreur ici.
11:28 Ça pourrait être l'horreur, mais au moins, puisqu'on est obligé d'y vivre, faisons en fait que ça devienne humain.
11:33 Et c'est un peu ça qui s'est passé, et c'est en ça que, sans vouloir esthétiser ce lieu bien sûr, on peut quand même, au bout de plus de 70 interviews très longues qu'on a pu faire, dire une chose,
11:47 c'est qu'il y avait vraiment cette notion de vivre ensemble qui a été beaucoup usitée et galvaudée depuis, cette notion de vivre ensemble a existé vraiment.
11:57 On a vraiment des témoignages de gens qui nous racontaient, elle s'étiole évidemment, mais qui nous racontaient comment, moi je donne des cours de maths à ton fils à l'étage en dessous,
12:08 et toi tu vas me faire un couscous en échange, il y a une espèce d'économie un peu solidaire, de troc, de partage.
12:14 Quand les enfants étaient dehors dans la cour et jouaient ensemble, il y avait un des parents qui surveillait tout le monde,
12:22 et si jamais l'un faisait une bêtise, il se prenait une torniole, et comme nous disait très justement l'une de ses habitantes, aujourd'hui il finirait à la barre du tribunal.
12:30 Donc voilà, il y avait quand même quelque chose d'un petit peu joyeux quand même dans cette vie.
12:37 Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? Alors vous avez parlé de ce vivre ensemble, bien sûr, avec des populations mélangées, d'origines sociales diverses, d'origines ethniques aussi,
12:47 et puis à un moment donné, les populations peut-être les plus favorisées sont allées vivre ailleurs,
12:55 et c'est à ce moment là qu'on a cette image très stigmatisante de ces endroits.
13:03 Et du coup, vous en tant qu'anthropologue, vous en tant que journaliste, comment est-ce que vous acceptez, vous nouez ce dialogue ?
13:09 On n'a pas envie de se faire photographier si on est considéré comme des personnes en marge de la société en quelque sorte.
13:16 Tout à fait, et je pense que là je dois parler en tant qu'anthropologue, du coup en partant d'un point de vue assez réflexif, c'est ma position aussi en tant qu'anthropologue et photographe colombien.
13:28 Et je pense que ça a été une porte d'entrée importante sur le terrain, puisque, enfin je vais vous raconter vraiment très rapidement,
13:35 mais j'ai commencé en faisant des ateliers photo dans une association de femmes, donc c'était dans le cadre d'une université populaire audiovisuelle,
13:41 et du coup je faisais des formations photo. Je faisais ça pendant un an et je rencontre des habitants, pas en faisant des photographies,
13:48 mais en faisant faire des photographies à d'autres personnes, des habitants du quartier, des habitantes du quartier.
13:53 Et donc cette entrée sur le terrain fait que j'ai une position aussi un peu différente vis-à-vis d'autres personnes qui faisaient par exemple des reportages sur le sarcelle
14:03 ou des sujets qui souvent prenaient moins de temps. Donc j'ai cet accès privilégié et ma position de Colombien crée une certaine fascination aussi
14:10 puisqu'il y a même un petit article qui est produit, qui dit "un photographe Colombien sur sarcelle, qu'est-ce qu'il vient faire ici ?"
14:17 Donc ça crée aussi une sorte d'exotisme inversé envers moi, ce qui m'ouvre pas mal de portes, et du coup me fait tourner aussi vers des sujets qui ne sont pas très abordés
14:28 dans la littérature sur les banlieues, ou même dans des sujets médiatiques sur les banlieues. Donc vraiment me tourner vers des aspects du quotidien,
14:38 des aspects ordinaires auxquels il y a un petit peu moins d'attention à ces niveaux-là. Donc disons que cette entrée en tant que Colombien m'a ouvert des portes
14:47 que peut-être un Français n'aurait pas eu forcément ouvertes.
14:52 - C'était aussi un temps long pour vous, Camilo León Quirano, mais pour vous aussi, Charles Lacaise, ce temps long c'est important aussi pour nouer des liens
15:00 et avoir la confiance des gens qui vont se confier à vous. Ce sont exactement les mots que j'allais prononcer, vous m'y retirez de la bouche.
15:06 - Oui c'est le temps long, c'est le temps long qu'on a beaucoup travaillé, Jean-François et moi. J'ai fait plus de 15 ans de reportages avec des photographes
15:15 et j'ai toujours admiré la façon dont les photographes arrivaient à nouer les contacts, à mettre en confiance, à trouver les mots.
15:20 Jean-François a fait ce travail admirable pendant des mois et pendant plusieurs années, parce qu'on a mis 4 ans quand même à faire ce projet.
15:27 Un peu entre les gouttes, mais on a mis 4 ans. Et c'est vrai qu'on s'est installés, c'est exactement ce que vous disiez, c'est que "mais pourquoi ? Mais qu'est-ce que vous venez faire ici ?
15:37 Mais pourquoi vous voulez nous parler ? On n'a rien à dire, on n'a rien à raconter." Et en fait, quand on commence à les écouter, quand on commence à leur poser des questions,
15:44 à s'intéresser à eux, et parce que c'est intéressant, on a eu des moments d'échange passionnants, très émouvants, mais vraiment très très émouvants,
15:53 parfois dramatiques, mais il s'est toujours passé quelque chose. Et petit à petit, on a réussi à briser cette méfiance et à nouer un lien qui ne s'est jamais distendu depuis.
16:06 Et c'est vrai que tout ce travail a été affiné par tisser cette toile, cette photographie un peu impressionniste, ou par petites touches, on a constitué notre livre et notre exposition.
16:21 Camillo, Léon, Kihrano, vous dites que votre démarche, elle est poétique, que vous différenciez du terme poétique, est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
16:30 Oui, tout à fait. En fait, le terme poétique vient de... c'est référé à la création, en fait, de l'importance de la création dans le cadre d'une recherche anthropologique,
16:39 puisque la photographie a souvent été prise et adoptée dans le cadre d'enquêtes ethnographiques comme une forme de description, d'illustration du réel.
16:49 Ça permet de compléter les carnets de terrain, ça permet parfois de donner plus d'informations dans un article scientifique.
16:55 Moi, ce que j'ai dit, c'est qu'en faisant attention à la manière dont on photographie, en faisant attention à la dimension plastique, à la dimension iconique,
17:03 à la manière dont on va mettre en récit ces images, dans un livre par exemple, dans une exposition, on peut saisir des éléments et on peut comprendre les phénomènes qu'on est en train d'étudier
17:15 de manière différente et parfois ça nous donne plus d'informations qu'on n'aurait pas eues en prenant la photographie de manière très classique, comme un support de description.
17:24 Donc, la dimension poétique renvoie vers toute cette dimension sensible, cette dimension créative, qui pourrait aussi permettre de penser ce qu'ont fait les anthropologues
17:34 de manière un peu plus publique, permet de questionner le rapport au public, à qui on se réfère et du coup, permet aussi de sortir un petit peu de l'académie et des cadres très universitaires.
17:45 - Charles Alkev, vous parliez tout à l'heure de ce "Vivre ensemble" que vous avez décrit, qu'on a beaucoup décrit dans ces grands ensembles, ça faisait partie de cette utopie aussi.
17:54 Mais vous y allez franco avec les architectes qui, effectivement, ont été pointés du doigt assez rapidement d'ailleurs. On parlait de la Sarcellite qui est arrivée très vite,
18:04 mais les architectes très rapidement aussi ont été pointés du doigt et ne se sont pas vraiment remis en question sur cette construction-là.
18:11 - Oui, alors c'est peut-être un petit peu sévère comme constat. On est de grâce, messieurs les architectes, la prochaine fois que vous aurez une utopie, essayez de penser qu'elle risque de mal vieillir.
18:20 C'est vrai qu'effectivement, 2% des logements seulement avaient le chauffage central à l'époque.
18:28 Voilà, ces cités ont été construites à la va-vite pour des raisons aussi liées à l'après-guerre, des cloisons très fines avec des problèmes d'humidité, des nuisances sonores qui sont aujourd'hui les mêmes.
18:40 On parle de réhabilitation. Il faut aussi parler des bailleurs sociaux qui remettent une sorte de couche cosmétique sur ces grands ensembles.
18:50 Mais là, en l'occurrence, dans celui qu'on connaît maintenant assez bien, certes, l'extérieur des façades est bien plus joli, mais les problèmes de cafards, les problèmes de nuisances sont toujours là.
19:01 Donc en fait, oui, ça a été conçu très vite, un peu trop vite. Et puis ça a été conçu aussi comme un endroit fermé où il y avait tout.
19:10 Mais il se trouve qu'au fur et à mesure, on a un peu abandonné ces endroits, plus ou moins en tout cas selon les villes, mais que les commerces ont fermé, que l'entretien, les espaces verts ont été moins entretenus.
19:21 Les services publics aussi sont partis.
19:22 Les services publics également aussi sont partis. Donc à la fin, on a un peu le sentiment d'avoir une zone en déshérence.
19:28 Et c'est vrai que, d'où le silence dont on parlait au début de l'émission.
19:32 Camillo León Quijano, sur Sarcelles, on passe d'une commune rurale de 8000 habitants à cette vieille ville nouvelle, en quelque sorte, de 57000 habitants. C'est incroyable.
19:44 Oui, tout à fait. Ça a créé tout un bouleversement qui, je pense, est très bien décrit par pas mal d'urbanistes, d'architectes, de sociologues dans les années 60-70.
19:55 Et ce qui est intéressant au niveau démographique, c'est une population qui plus ou moins se maintient depuis, disons, une trentaine, quarantaine d'années.
20:03 Et ce n'est pas vraiment le sujet central de ma thèse, de mon travail doctoral, mais cette question des différentes populations qui habitent Sarcelles est, je pense, fondamentale.
20:15 Et si on veut comprendre cette ville, il faut s'attaquer justement à cette ville des 90 nationalités.
20:20 Donc c'est aussi la particularité de cette ville, c'est que c'est un espace multiculturel.
20:25 Et moi, j'ai voulu peut-être pas forcément m'attaquer à ces sujets-là. Il y a des personnes qui l'ont fait très bien.
20:32 Sarcelles au poli, c'est un web documentaire qui a été fait, qui est excellent sur Sarcelles.
20:36 Mais à comprendre plus des expériences ordinaires des certains de ces habitants. Donc vraiment me centrer sur l'expérience individuelle.
20:43 Évidemment, même constat du côté de Bagneux avec une surpopulation, un surpeuplement aussi au sein même des appartements charlaqués.
20:51 Oui, tout à fait. Effectivement, avec des habitations qui sont surpeuplées. Mais on a effectivement voulu faire le même travail.
20:59 Ce qui est intéressant, c'est qu'on ne se connaissait pas avant l'émission. Je pense qu'on restera en contact.
21:03 C'est que on a essayé de finalement dans ces grands ensembles qui sont monolithiques, qui sont très, très froids.
21:12 On avait un côté un peu militant. On a voulu donner un visage à ces cités. On a voulu les incarner un petit peu, trouver des personnages.
21:21 On les a écoutés parce que j'ai oublié de préciser qu'on a été rejoint très vite par une troisième personne, Xavier Joli, qui est réalisateur en podcast.
21:28 Et on a tout enregistré. Et à la fin, on a eu vraiment une... Dans notre fresque, on a eu vraiment des histoires incroyables.
21:34 Il y en a certaines dans le livre. D'autres ont été aussi... On les a tous photographiés.
21:38 Ça a créé un lien avec tous ces habitants qui étaient vraiment formidables.
21:43 Si je peux me permettre de raconter juste une chose, c'est que nous venons de finir l'exposition que l'on avait préparée et faite à l'orangerie du Sénat,
21:52 qui a duré 12 jours, et dans laquelle on a présenté des éléments d'une barre qui était en destruction.
22:01 Et le parti pris a été de photographier des rideaux, des détails, des intérieurs abandonnés.
22:11 Et ce qui donne, au fil de l'exposition, une sensation incroyable de vie quelque part.
22:17 Parce qu'on sent cette mémoire qui est en suspension, qui est encore là. Ces fragments de vie qui sont toujours là.
22:24 Et ça crée vraiment... Même le hors-champ de ces photos crée vraiment des moments assez inspirants.
22:29 Ce que je voulais juste raconter, c'est qu'à la fin de cette exposition, on a organisé une petite fête et on a fait venir les habitants.
22:36 Ils sont venus se voir. Ils sont venus. Ils ont été incroyablement émus en s'entendant, en écoutant les podcasts qui ont été faits.
22:43 Et voilà, nous c'était un peu aussi notre côté militant, c'est-à-dire la République vient difficilement dans ces lieux.
22:49 Peut-être pas forcément grand-chose à leur apporter non plus. Mais nous on a fait venir ces habitants dans les lieux de la République, le Sénat.
22:56 Depuis 45 ans, il n'avait pas remis les pieds dans la cité. Dinesty, le père du rap en France, y a pourtant passé son enfance.
23:02 Mes parents sont arrivés dans la Bar Mozart en 1960, quelques mois après sa construction. Nous habitions au 7ème étage.
23:08 C'était incroyable cette modernité. Il y avait donc une cuisine et des toilettes à 13 ans. J'ai entendu siffler ma première abeille, ma première balle.
23:16 Il y avait des guerres de territoire entre la pierre et les blagys, à la limite de Sceau.
23:21 Un peu plus tard, certains grands frères de la cité sont passés au barraquage. Déjà à l'époque, la cité avait une réputation.
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24:35 Le temps qui passe, Dinesty, le temps a passé aussi pour lui. Vous dites que c'est un témoignage rugueux, écorché, froid.
24:43 C'était aussi une sorte d'expérience sociale, d'expérience de vie, de vivre dans ce grand ensemble.
24:49 Oui, c'est ce qu'il nous a raconté avec des mots assez durs. Il était sans arrêt dans cette tension.
24:58 Il racontait que dans sa classe, il était blond et que c'était un gaulois, comme on les appelle là-bas.
25:06 Et effectivement, il est devenu assez vite le souffre-douleur de toute la classe.
25:12 Mais il s'est défendu, il s'est battu, il a gagné le respect. C'est cette vie en tension qu'il raconte.
25:19 Effectivement, le mot rugueux, ça plique bien.
25:21 On a parlé aussi, Camilo, Léon Quircano, de la communauté. Et vous, vous dites qu'il y a une communauté imagée.
25:28 Alors, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça renvoie à des pratiques, à des discours aussi, qui forment en quelque sorte une identité collective ?
25:37 Tout à fait. C'est-à-dire, c'est une notion que j'ai utilisée pour nommer toutes ces formes de pratiques, d'actions, d'objets, des discours,
25:45 qui permettent de construire à partir d'images particulièrement. Je me suis intéressé à un ensemble d'images, des archives,
25:51 des images produites par les habitants, des images que moi-même, je produisais et je partageais.
25:58 Et je me suis intéressé à comment, en faisant cette activité, je pourrais comprendre ces racines de l'identité locale.
26:04 Et à un moment, Charles parlait de ce froid parfois qu'il ressentait, et de sa position et des différents sujets qu'il voyait, qu'il rencontrait.
26:14 Et je pense que, pour moi, c'était intéressant de faire aussi comprendre que ces habitants-là, ces habitantes-là, ont une forme de représentation
26:24 qu'ils veulent aussi faire émerger. Et c'était tout l'intérêt de mon travail d'anthropologue. C'était de comprendre comment ils se voient,
26:30 comment ils veulent se faire représenter et comprendre aussi les gaffes que, par exemple, moi, je faisais. Il m'est arrivé une fois,
26:36 j'ai fait une gaffe, j'ai photographié au moment de la Coupe du monde 2018, quand la France avait gagné. C'était la folie partout,
26:43 pas à Sarcelles uniquement, c'était en France, c'était à Paris, c'était partout. Et à ce moment-là, il y a une microagression que j'ai subie,
26:50 mais c'était rien de grave, mais qui m'a montré à quel point ils se suscitent de leur représentation. Et il faut vraiment avoir une démarche
26:57 très sensible, très centrée, très attentive à la manière dont on va représenter cette communauté, du coup, cette communauté imagée, pour ne pas
27:06 faire des gaffes. Donc voilà, c'est une petite expérience qui montre l'importance qu'accordent ces citadins à l'image de leur ville.
27:15 On parlait tout à l'heure à Bagneux de l'arrivée du métro, par exemple, de cette barre aussi qui va être coupée, de cette ouverture du quartier.
27:21 Vous vous dites, Camilo León Quijano, que les habitants ont une lecture critique aussi de la transformation de leur quartier. J'aimerais qu'on commente
27:29 cette photo. Est-ce que vous pouvez nous raconter qui elle représente et à quel endroit elle a été prise ? Quel est ce lieu ?
27:36 Tout à fait. Cette photo, c'est une photographie faite avec des membres du collectif Made in Sarcelles sur le toit du Forum des Cholettes.
27:43 Le Forum des Cholettes, c'était un grand lieu culturel situé en plein cœur du Grand Ensemble. Et on a réalisé cette photographie avant la destruction
27:52 et la démolition de cet espace pour symboliser un peu quelque chose qui m'était raconté par ces citadins, par ces habitants. C'était l'importance de ce lieu,
28:02 la représentation qu'ils avaient de cet espace et aussi la tristesse de voir un lieu culturel qui auparavant accueillait les grands artistes dans les années 80-90,
28:11 un lieu comme ça disparaître et voir émerger des nouveaux bâtiments, des nouveaux logements. Donc ce qui s'est passé en 2018, ils ont démoli,
28:18 ils ont construit des nouveaux bâtiments dans cet espace pour créer des nouveaux logements et du coup faire disparaître cet espace culturel qui était si important.
28:27 Et donc cette photographie, on l'a d'une certaine manière performée, co-réalisée avec ces habitants pour montrer ces sentiments et cette volonté aussi de transmettre
28:39 ces sentiments d'abandon vis-à-vis des espaces culturels dans la ville.
28:43 - Une question n'est pas importante, évidemment, photo que vous pouvez retrouver sur la page du book club sur franceculture.fr, comme ça vous verrez bien de quoi il s'agit.
28:50 Cette idée par exemple de retirer un espace culturel qui était au cœur, au centre de ce quartier, qui apportait évidemment aussi de l'estime, d'une forme de légitimité.
29:04 On a dit que dans les années 60, les architectes s'étaient trompés, on continue de se tromper aujourd'hui, Charles Acker ?
29:10 - En tout cas, pour parler d'un endroit qu'on connaît un peu qui est la cité de la Pierre-Plate, il y a deux lieux qui sont vraiment au cœur de la cité,
29:21 qui étaient le cœur de la cité au sens où le pouls battait vraiment dans ces endroits-là.
29:26 Il y avait un centre culturel et un chalet associatif. Et ces deux endroits vont être détruits.
29:34 Et c'est vrai que tous les habitants, qui aujourd'hui sont évidemment plus âgés, parce qu'ils ont 20 ou 30 ans de plus, regrettent et disent tous qu'ils vont pleurer lorsque ces endroits seront détruits.
29:45 Alors, ils vont être reconstruits dans un bâtiment qui sera au pied du métro, il y aura un étage qui leur sera dédié.
29:51 Peut-être que ça marchera, mais il faut rentrer dans un bâtiment nouveau. Il n'y a plus cette mémoire du lieu qui est un peu transmise d'une génération à l'autre, d'une génération d'enfants à l'autre.
30:02 Il n'y a plus cette habitude, cette façon finalement d'entre-soi, de partager avec ses parents ces lieux qui étaient des lieux un peu utérins quelque part.
30:13 - C'est étonnant la façon avec laquelle on modèle cette ville qu'on a construite au milieu de nulle part. En quelque sorte, encore aujourd'hui, on efface très facilement la mémoire.
30:27 C'est ce que vous racontez il y a un instant. Même chose avec ce forum, ce lieu culturel.
30:33 On a l'impression qu'on ne demande pas l'avis des gens qui sont là, mais qu'on fait pour eux et qu'on oublie de leur poser la question et surtout de conserver cette mémoire.
30:43 - Tout à fait. Je pense que c'est un des vrais problèmes. C'est d'une part le manque d'attention à la voix des habitants, des citoyens.
30:54 Ça c'est un vrai problème puisqu'il y a une vraie distance entre ce qui se pense de manière informelle dans des collectifs, dans des associations,
31:01 et même entre des habitants de manière plus informelle, et ce qui peut être fait, et ce qui peut être mis en place par des pouvoirs publics.
31:08 Et je pense qu'il y a un vrai travail qui a déjà été nommé par énormément de sociologues sur cette thématique de la dimension participative de la démocratie qui doit se mettre en place dans ces espaces.
31:23 Et pour pouvoir justement entendre la voix des habitants de ces lieux.
31:29 - Allez-y Charles Ainquet.
31:31 - Non, parce que cette mémoire qui est en train de disparaître, quelque part, il la revendique quand même.
31:36 Parce que c'est leur histoire, c'est leur terreau, c'est leur racine.
31:40 Et ça pose de vraies questions. Par exemple à Bagneux, de nouveaux bâtiments vont être construits.
31:45 Donc il va y avoir une sorte de gentrification, puisque les nouveaux habitants ne seront plus les anciens.
31:50 Les anciens n'ont pas les moyens d'habiter dans ces endroits-là, qui seront des appartements ou des logements haute qualité environnementale.
31:58 Enfin, ce ne sera vraiment pas les mêmes bâtiments.
32:00 Donc les deux populations vont cohabiter. Il y a beaucoup d'études sociologiques qui ont été faites.
32:05 Est-ce que ça marchera ? Est-ce que ça ne marchera pas ?
32:07 C'est intéressant, l'un des jeunes qu'on avait interrogé qui disait "mais c'est comme un match de foot, nous on joue à domicile".
32:14 C'est eux qui viennent, donc c'est à eux de faire des efforts.
32:17 Et puis d'un autre côté, on se dit "mais si jamais les nouveaux habitants, les gens à chapeau comme ils appellent les bobos parisiens,
32:23 mettent les enfants dans le privé, ne jouent pas le jeu de ce mix, ça ne marchera pas, ça ne prendra pas. Et là le Paris sera perdu.
32:31 Alors vous parlez de football, vous Camilo León Quijano, vous allez à la rencontre de joueuses de rugby, les rugby women.
32:37 C'est évidemment à découvrir dans ce livre.
32:39 Pour terminer, on a envie de vous demander, on a parlé de l'échec en quelque sorte de ces grands ensembles,
32:47 dès le début quasiment de leur mise en service, si je puis dire.
32:51 Mais ce n'est pas un échec pour tout le monde dans les habitants.
32:54 Il y a aussi ces collectifs, ces actions citoyennes qui sont très importantes.
32:57 Oui, je pense que c'est important de le souligner, puisqu'il y a des vraies initiatives citoyennes habitantes.
33:05 Alors moi, je parlerais par exemple des médias citadins qui se mettent en place dans ces quartiers.
33:13 Dans la ville voisine de Gare, il y a Urban Street, c'est un petit média citoyen qui crée justement des sujets,
33:19 qui produit leur propre voix, leur propre image.
33:21 Et en fait, par exemple, sur les rugby women, c'était s'intéresser à une question très ordinaire des joueuses de rugby d'un collège
33:30 et comprendre comment cet engagement dans un sport peut être en relation avec une vie quotidienne dans la cité.
33:37 Et quel est le rapport aussi, plus largement, dans des questions de genre
33:41 et comment un sport peut aussi mieux positionner ses habitants dans la cité.
33:46 Et la photographie et le son, et le diaporama sonore, permettent de comprendre ces formes d'engagement différents.
33:52 Alors on va évidemment terminer cette émission, on va renvoyer vers vos deux livres.
33:57 D'abord, je voulais signaler, puisqu'on a demandé à la communauté du Book Club des conseils sur la cité.
34:03 On nous a cité ce roman sur la banlieue, deux secondaires qui brûlent de diati et diallo.
34:09 C'est Vanessa qui nous en parle.
34:11 Ses impressions de lecture seront à retrouver sur la page du Book Club sur franceculture.fr.
34:17 Je vais y arriver.
34:18 On arrive au terme de cette émission.
34:19 Merci beaucoup Charles Hacquay, vous publiez aux éditions Jean-Claude Lattès "La cité silencieuse".
34:24 Résultat de quatre ans de travail avec le photographe Jean-François Fourmont.
34:29 Et puis merci à vous Camille Lolléan-Chirano, votre livre est intitulé "La cité, une anthropologie photographique"
34:35 disponible aux éditions de l'EHESS.
34:38 Je précise d'ailleurs que vous serez jeudi 29 juin à 22h15 reçu par Marie Richelieu sur France Culture d'en parler.
34:43 Tant qu'il court l'occasion de poursuivre évidemment cette discussion.
34:46 Merci à tous les deux.
34:47 Merci.
34:51 Et il est l'heure sur France Culture de retrouver les cadres itéme de Charles Danzig.
34:55 "Il y a des femmes à qui il suffit d'avoir un mari écrivain pour qu'elles se mettent à écrire.
35:00 Le talent, la pensée, ah allons, cela n'est rien face au désir.
35:04 Le désir détruit toute raison.
35:06 Je parle ici de femmes parce qu'il s'agit de Fitzgerald.
35:09 Mais il ne manque pas d'hommes qui se prennent pour des écrivains parce que leur père l'était.
35:13 Le fils Dumas, les fils Daudet, le fils Moriac, le fils Kefelec.
35:17 Tout ça n'est pas bien méchant.
35:19 Les parents savent se défendre.
35:21 Le soir de la première de la première pièce d'Alexandre Dumas Fils triomphe.
35:26 Le public applaudit.
35:27 L'auteur, l'auteur.
35:29 Et qui écarte le rideau pour saluer ?
35:31 Alexandre Dumas, père, qui dit c'est moi qui l'ai fait.
35:35 François Moriac, avec sa suavité de serpent, disait de son fils Claude.
35:40 Et voici mon fils qui adore lancer des revues.
35:43 Aucune n'a dépassé le premier numéro.
35:45 Il est plus difficile de percifler son conjoint.
35:48 Le mariage a été inventé pour empêcher la vengeance de s'exprimer.
35:52 Si on est poli, on se tait.
35:54 Si on ne l'est pas, on maltraite sa femme en public, faisant supporter aux autres ses querelles de couple.
36:00 Si on reste poli, le dernier moyen pour s'en sortir est l'assassinat.
36:04 Scott Fitzgerald aimait sa femme.
36:06 Elle ne lui a valu que des ennuis.
36:08 Son premier drame est qu'elle lui était socialement supérieure.
36:12 Dans une lettre, Fitzgerald écrit.
36:14 La moitié black-eye riche de ma famille avait de l'argent et regardait d'en haut la moitié du Maryland.
36:20 J'ai développé un complexe d'infériorité à double cylindrée et si demain j'étais élu roi d'Ecosse
36:27 après être sorti d'Eaton, de Maudlin et des Gants avec une histoire embryonnaire me reliant au Plantagenet,
36:34 je resterai un parvenu.
36:36 Maudit soit le jour où il a rencontré Zelda Sayre, fille d'un juge à la Cour suprême de l'Alabama.
36:41 Fitzgerald se lovait dans les bras de pieuvre des embêtements.
36:46 Son snobisme était contenté mais pas sa tranquillité.
36:49 Zelda Fitzgerald n'a cessé de le tromper et lui, toujours gentille et honnête, n'a pas pris de maîtresse.
36:55 Le plus embêtant c'est que Zelda a écrit et publié deux mauvais livres où, en plus,
37:01 elle démarque son mari et loge des flappers, notre reine du cinéma.
37:05 Le reste n'est même pas aussi bon que ses faibles titres.
37:08 Et puis un roman, un embarrassant roman, accordez-moi cette valse.
37:12 Zelda l'a envoyé à son agent sans le faire lire à Scott alors que c'était très autobiographique.
37:18 La goujaterie n'est pas le privilège des mâles.
37:21 Dans une première version, elle avait même utilisé des éléments de Tendre et la nuit,
37:25 que Scott était en train d'écrire, et donné au personnage principal le nom d'Amory Blaine,
37:31 celui du héros de l'Envers du Paradis.
37:33 Accordez-moi cette valse publiée, Fitzgerald écrit à son agent.
37:38 Je vous en prie, empêchez les gens de lire le livre de Zelda parce que c'est un mauvais livre.
37:42 Zelda était malade, elle souffrait de dépression et, comme souvent les dépressifs,
37:47 elle voulait entraîner l'autre dans son état.
37:50 Comme souvent les dépressifs, elle était méchante.
37:53 Elle a un jour suggéré à son mari de nommer How It Was, comment c'était, ses boîtes de médicaments.
37:59 Et tout cela a miné Fitzgerald, son temps, sa réputation, son cœur.
38:05 Comme il était chevaleresque, il n'a jamais dit un mot contre elle.
38:08 NICOLAS : Les 4 items à réécouter sur franceculture.fr
38:11 Chaque jour le boucle est préparé par Auriane Delacroix, Zora Vignier, Jeanne Agrappard,
38:15 Didier Pinault et Alexandra Rybegovitch.
38:17 Merci à toute l'équipe ainsi qu'à Thomas Beaud à la réalisation et la prise de son ce midi.
38:21 Olivier Arnet, on se retrouve demain.

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