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Anne Fulda reçoit Diana Filippova pour son livre «De l’inconvénient d’être russe» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 Bienvenue alors des livres, Diana Philippovale.
00:03 Vous êtes écrivaine, vous êtes essayiste,
00:05 vous êtes engagée en politique
00:07 et vous venez de publier "De l'inconvénient d'être russe",
00:10 un titre qui claque, un livre qui est paru chez Albin Michel.
00:13 C'est un peu un livre qui est à la fois un récit littéraire,
00:16 personnel, politique,
00:19 un peu celui d'une identité malheureuse,
00:21 parce que, comme vous l'expliquez,
00:23 vous êtes arrivée en France en 1993
00:26 et à partir de ce moment-là, vous avez tout fait
00:29 pour effacer votre partie russe,
00:32 comme un bouc émissaire, dites-vous.
00:34 Alors pourquoi ce rejet ?
00:36 Je pense que c'est à la fois lié au fait
00:39 que quand on se retrouve dans une situation d'exil,
00:43 on essaye de s'adapter par tous les moyens.
00:45 Et à ce moment-là, dans cette ville-là, dans ce pays-là,
00:49 j'ai trouvé que la solution la plus efficace
00:51 était de cesser d'incarner certaines identités russes
00:56 qu'on me renvoyait sans cesse.
00:58 J'ai donc choisi de devenir une femme française
01:00 dans une démarche à moitié volontaire, à moitié non.
01:04 Et c'est vrai que c'est à ce moment-là
01:08 qu'a commencé une sorte de dédoublement, de dissociation,
01:12 puisque je continuais profondément à être russe
01:15 par la langue de mes lectures,
01:17 par la littérature russe que je continuais de fréquenter,
01:20 mais en même temps, dans la personne publique que j'incarnais,
01:23 j'essayais de l'être le moins possible.
01:24 Paradoxalement, c'est l'attaque de l'Ukraine
01:27 et de la Russie qui vous a permis de rejoindre ces deux parties,
01:32 celle en révolte et celle plus apaisée.
01:36 Absolument. Je crois que je ne suis pas la seule dans cette situation.
01:38 J'ai lu des témoignages de personnes d'exilés, d'immigrés
01:41 qui se sont retrouvées devant cet impératif qui était le mien.
01:46 C'est vrai qu'à ce moment-là,
01:48 on est renvoyés à une certaine responsabilité collective,
01:51 et cette responsabilité collective m'a amenée à reconstruire
01:55 une pensée que j'avais pendant trop longtemps omise.
01:58 Donc j'ai dû revenir à la fois à la généalogie
02:01 de mon rapport à la Russie,
02:03 et également à mon rapport à sa littérature,
02:06 au rapport de la Russie à la littérature et à la politique,
02:08 pour comprendre ce qui définissait ce moment,
02:11 qui était le moment de la Russie,
02:13 mais aussi ce qui définissait le rapport
02:15 que j'avais si longtemps occulté, laissé de côté.
02:18 Oui, parce que quelle que soit la volonté,
02:20 cet événement vous ramenait à votre part russe,
02:24 à votre identité russe,
02:25 ne serait-ce que par le regard des autres,
02:27 par votre ville de naissance, par votre langue maternelle,
02:31 par votre nom tout court.
02:34 Donc en fait, ça revient à dire
02:37 qu'on ne peut pas se défaire de son identité, finalement.
02:40 Non, je crois qu'on ne peut pas se défaire de son identité,
02:43 on ne peut pas choisir qui on est.
02:45 Et je relis, en fait, j'essaie de trouver des liens
02:48 entre cette réaction que j'ai eue,
02:50 presque ce réflexe,
02:52 et le refus de l'héritage, le refus de la mémoire
02:55 qu'on trouve très souvent aujourd'hui en Russie,
02:58 qui a peut-être mené le pays dans la situation
03:00 dans laquelle il se trouve aujourd'hui.
03:02 Ce refus de reconnaître ce qui est sombre,
03:04 ce qu'on ne choisit pas.
03:07 Donc finalement, je redoue avec quelque chose
03:08 qui a toujours été très présent dans mes livres,
03:11 la reconnaissance de ce qu'on est,
03:13 l'acceptation de ce qu'on n'a pas choisi,
03:15 et c'est aussi un livre qui porte sur cette reconstruction,
03:19 cette reconnaissance, cette réconciliation.
03:22 - Alors, vous écriviez en 1991,
03:24 "Toute une population s'est retrouvée en exil, mais chez elle."
03:27 Vous, vos parents, votre famille,
03:29 a choisi le véritable exil,
03:31 en quittant la Russie,
03:34 puisque c'était la fin de l'URSS.
03:37 Est-ce que ce n'est pas douloureux ?
03:38 Il y a tout un chapitre où vous parlez de cette honte
03:40 qui vous a souvent tenaillée, enfant.
03:44 - Oui, c'est une honte,
03:45 c'est une honte qui est la continuité
03:48 de cet exil chez soi, finalement,
03:51 puisque ce que s'est passé en 1991,
03:53 c'est que le pays qui remplace la Russie,
03:56 l'URSS, est absolument méconnaissable.
03:58 Et cela a été parfaitement bien décrit
04:00 dans "La fin de l'homme rouge" par Svetlana Alexievich.
04:03 Je crois que cette honte d'être ce qu'on est
04:05 et en même temps de ne plus incarner la grandeur,
04:08 on l'a emportée un tout petit peu partout.
04:10 On retrouve ce motif dans tous les écrits d'immigrés et d'exilés,
04:14 mais très particulièrement chez les Russes,
04:16 qui ont eu une espèce de décalage soudain
04:19 entre ce qu'ils incarnaient pour le passé,
04:21 qui était un empire, une puissance,
04:23 enfin, l'un des deux, quoi,
04:25 et soudain, ce petit homme malade
04:27 qui se retrouve un peu nu devant le regard des autres.
04:30 - Vous y faites souvent allusion.
04:32 Les écrivains russes ont eu un rôle important,
04:36 notamment certains qui ont construit
04:38 une sorte de Russie imaginaire, en fait,
04:41 qui ne correspond pas à la réalité.
04:44 - La véritable patrie.
04:46 Une Russie qui n'existe pas ailleurs
04:49 que dans une certaine imagination,
04:51 mais je ne pense pas que ce soit une Russie purement imaginaire,
04:55 puisqu'elle continue à exister,
04:56 elle est transmise de génération en génération.
04:58 Elle ne correspond pas à la Russie territoriale,
05:01 elle n'a jamais pu s'exprimer par un régime démocratique,
05:04 par des idées, par une pensée.
05:06 Et cela, je crois, est peut-être un des objectifs
05:10 et des souhaits, des rêves que nous portons,
05:13 alors écrivains ou non, cela n'a rien à voir,
05:16 mais de voir cette Russie fantasmée,
05:19 qui s'est construite dans les exils,
05:21 dans d'autres pays,
05:22 qui a été incarnée dans les livres, dans la littérature,
05:25 se réaliser un jour sur le territoire effectif,
05:28 géographique.
05:30 - On n'a pas le temps, hélas, de parler de l'avenir de la Russie,
05:33 comme il se profile aujourd'hui.
05:36 Je vous conseille de lire ce livre,
05:38 "De l'inconvénient d'être russe",
05:39 c'est très joliment écrit.
05:41 C'est par Ruchi Albain-Michel.
05:42 Merci beaucoup, Diana Philippov.
05:44 - Merci beaucoup, Anne.
05:46 (Générique)
05:49 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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