Feu et flammes, de Maurice Raphaël, Finitude, 192 pages, 17 €.
Sa vie est nimbée de mystères, parasitée par les rumeurs atroces. Il est né Victor Maurice Le Page en 1918 à Brest, d’un père officier de marine, a vécu son enfance et son adolescence à Toulon.
Inscrit en faculté de droit, mobilisé en 1939, il retourne à la vie civile en 1942, devient bonimenteur de baraque foraine et disparaît des radars.
On le retrouve en 1948 sous le nom de Maurice Raphaël sous lequel il publie aux éditions du Scorpion son premier roman, Ainsi soit-il, condamné dans la foulée pour outrages aux bonnes mœurs.
Trois ans auparavant il avait écrit une lettre à Raymond Guérin, qui avait accepté de préfacer le roman mais voulait en savoir plus sur le bonhomme. Une lettre datée de Fresnes-les-Rungis qui a été publié en 2005 dans un dossier établi par Alfred Eibel à l’occasion de la réédition de La Croque au sel à L’esprit des Péninsules.
Que faisait notre écrivain à Fresnes en 1947 ? C’est là que les choses se gâtent. Dans ses mémoires, Endetté comme une mule, paru en 1979, Eric Losfeld, qui avait réédité certains de ses livres chez Arcanes, raconte qu’un journaliste du Monde l’avait appelé un jour pour le mettre en garde sur le profil de son auteur, « responsable aux questions juives pour les départements de l’Eure et de l’Eure-et-Loire » pendant l’occupation. L’éditeur rompit immédiatement avec son auteur.
L’accusation est vraisemblablement fausse… mais la réalité est peut-être pire encore. Selon le grand connaisseur de littérature populaire qu’était Franck Evrard, disparu en 2013, après avoir milité à gauche, Le Page suivit Doriot, devint « chef des jeunesses PPF », collabora à L’Emancipation nationale, l’organe du parti, avant d’adhérer aux chantiers de jeunesse en 1940.
Eibel affirme de son côté qu’il porta ensuite l’uniforme de la LVF et participa à la Carlingue, la gestapo française de la rue Lauriston. Pour compliquer le tout, d’autres connaisseurs de Maurice Raphaël qualifient de « fantasmes » de telles allégations, estimant que c’est pour une escroquerie que l’écrivain se retrouva en prison. Et il est vrai que si le pedigree qu’on lui fait prête était réel, on voit mal comment il aurait pu s’en tirer avec quelques mois de prison. Espérons qu’un historien débroussaillera tout ça un jour.
De 1948 à 1954, Maurice Raphaël signe onze romans chez Denoël ou au Scorpion où il donne la parole à des personnages modestes, humiliés par l’existence, des laissés-pour-compte vomissant leur misère, voire à des ratés des bas-fonds qui laissent libre-court à leurs instincts sordides et à leurs sentiments inavouables.
Méfiant vis-à-vis du « beau style » qui est pour lui l’expression de la tartufferie, l’écrivain se forge une langue virulente, violente, révoltée, parfois scatologique, et pourtant magnifique, et se donne pour but d’en finir avec « l’illusion » littéraire en puisant sa matière dans le quotidien et le fait-divers.
Sa vie est nimbée de mystères, parasitée par les rumeurs atroces. Il est né Victor Maurice Le Page en 1918 à Brest, d’un père officier de marine, a vécu son enfance et son adolescence à Toulon.
Inscrit en faculté de droit, mobilisé en 1939, il retourne à la vie civile en 1942, devient bonimenteur de baraque foraine et disparaît des radars.
On le retrouve en 1948 sous le nom de Maurice Raphaël sous lequel il publie aux éditions du Scorpion son premier roman, Ainsi soit-il, condamné dans la foulée pour outrages aux bonnes mœurs.
Trois ans auparavant il avait écrit une lettre à Raymond Guérin, qui avait accepté de préfacer le roman mais voulait en savoir plus sur le bonhomme. Une lettre datée de Fresnes-les-Rungis qui a été publié en 2005 dans un dossier établi par Alfred Eibel à l’occasion de la réédition de La Croque au sel à L’esprit des Péninsules.
Que faisait notre écrivain à Fresnes en 1947 ? C’est là que les choses se gâtent. Dans ses mémoires, Endetté comme une mule, paru en 1979, Eric Losfeld, qui avait réédité certains de ses livres chez Arcanes, raconte qu’un journaliste du Monde l’avait appelé un jour pour le mettre en garde sur le profil de son auteur, « responsable aux questions juives pour les départements de l’Eure et de l’Eure-et-Loire » pendant l’occupation. L’éditeur rompit immédiatement avec son auteur.
L’accusation est vraisemblablement fausse… mais la réalité est peut-être pire encore. Selon le grand connaisseur de littérature populaire qu’était Franck Evrard, disparu en 2013, après avoir milité à gauche, Le Page suivit Doriot, devint « chef des jeunesses PPF », collabora à L’Emancipation nationale, l’organe du parti, avant d’adhérer aux chantiers de jeunesse en 1940.
Eibel affirme de son côté qu’il porta ensuite l’uniforme de la LVF et participa à la Carlingue, la gestapo française de la rue Lauriston. Pour compliquer le tout, d’autres connaisseurs de Maurice Raphaël qualifient de « fantasmes » de telles allégations, estimant que c’est pour une escroquerie que l’écrivain se retrouva en prison. Et il est vrai que si le pedigree qu’on lui fait prête était réel, on voit mal comment il aurait pu s’en tirer avec quelques mois de prison. Espérons qu’un historien débroussaillera tout ça un jour.
De 1948 à 1954, Maurice Raphaël signe onze romans chez Denoël ou au Scorpion où il donne la parole à des personnages modestes, humiliés par l’existence, des laissés-pour-compte vomissant leur misère, voire à des ratés des bas-fonds qui laissent libre-court à leurs instincts sordides et à leurs sentiments inavouables.
Méfiant vis-à-vis du « beau style » qui est pour lui l’expression de la tartufferie, l’écrivain se forge une langue virulente, violente, révoltée, parfois scatologique, et pourtant magnifique, et se donne pour but d’en finir avec « l’illusion » littéraire en puisant sa matière dans le quotidien et le fait-divers.
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00:23 Sa vie est nimbée de mystères, parasité par les rumeurs atroces.
00:28 Il est né Victor Maurice Lepage en 1918 à Brest, d'un père officier de marine,
00:34 a vécu son enfance et son adolescence à Toulon.
00:38 Inscrit en faculté de droit, mobilisé en 1939, il retourne à la vie civile en 1942,
00:44 devient bonimenteur de Barrac Foren et disparaît des radars.
00:49 On le retrouve en 1948 sous le nom de Maurice Raphael,
00:52 sous lequel il publie aux éditions du Scorpion son premier roman,
00:56 "Ainsi soit-il, condamné dans la foulée pour outrage aux bonnes mœurs".
01:01 Trois ans auparavant, il avait écrit une lettre à Raymond Guérin,
01:04 qui avait accepté de préfacer le roman mais voulait en savoir plus sur le bonhomme.
01:08 Une lettre datée de Freyn Léringis,
01:11 qui a été publiée en 2005 dans un dossier établi par Alfred Hebel
01:15 à l'occasion de la réédition de "La Crococèle à l'esprit des péninsules".
01:19 Que faisait notre écrivain à Freyn en 1947 ?
01:23 C'est là que les choses se gâtent.
01:25 Dans ses mémoires, "Endetté comme une mule", paru en 1979,
01:30 Eric Lossfeld, qui avait réédité certains de ses livres chez Arcan,
01:34 raconte qu'un journaliste du Monde l'avait appelé un jour
01:37 pour le mettre en garde sur le profil de son auteur,
01:40 responsable aux questions juives pour les départements de l'Heure et de l'Heure et Loire,
01:45 pendant l'occupation.
01:47 L'éditeur rompit immédiatement avec son auteur.
01:51 L'accusation est vraisemblablement fausse,
01:54 mais la réalité est peut-être pire encore.
01:56 Selon le grand connaisseur de littérature populaire qui était Franck Evrard,
02:00 après avoir milité à gauche,
02:02 Lepage, suivi d'Oriot, devint chef des jeunesses PPF,
02:06 collabora à l'émancipation nationale, l'organe du parti,
02:09 avant d'adhérer au chantier de jeunesse en 1940.
02:14 Alfred Hebel affirme de son côté qu'il porta ensuite l'uniforme de la LVF
02:18 et participa à la Carlingue, la gestapo française de la rue Le Riston.
02:23 Pour compliquer le tout, d'autres connaisseurs de Maurice Raphael
02:27 qualifient de fantasmes de telles allégations,
02:29 estimant que c'est pour une banale escroquerie que l'écrivain se retrouva en prison.
02:35 Et il est vrai que si le pédigré qu'on lui prête est réel,
02:38 on voit mal comment il aurait pu s'en tirer avec quelques mois de prison.
02:42 Espérons qu'un historien débroussaillera tout ça un jour.
02:46 De 1948 à 1954, Maurice Raphael signe 11 romans chez De Noël ou au Scorpion,
02:52 où il donne la parole à des personnages modestes, humiliés par l'existence,
02:57 des laissés-pour-compte vomissant leur misère,
02:59 voire à des ratés des baffons qui laissent libre cours à leurs instincts sordides
03:03 et à leurs sentiments inavouables.
03:07 Méfiant vis-à-vis du beau style, qui est pour lui l'expression de la tartufferie,
03:11 l'écrivain se forge une langue virulente, violente, révoltée,
03:15 parfois scatologique et pourtant magnifique,
03:18 et se donne pour but d'en finir avec l'illusion littéraire,
03:21 en puisant sa matière dans le quotidien et le fait divers.
03:26 Maurice Raphael est un écrivain des marges et de l'obscurité,
03:29 un alchimiste effrayant dont l'œuvre de grimace et d'épouvante
03:32 a révélé la part de désespoir et de néant tapis dans le cœur des hommes.
03:38 Homme à femme, séducteur, drôle, bagarreur, un brin manipulateur,
03:44 il s'exprimait dans un langage châtié, à l'inverse de ses livres.
03:48 Il était également susceptible.
03:51 Alain Page, qu'il a connu, raconte qu'un soir,
03:54 refusé d'accès par le portier du club Saint-Germain,
03:57 il rentra chez lui chercher des grenades et menaça de tout faire sauter.
04:02 Le patron du Flore, appelé à la rescousse, calma le jeu.
04:06 Ses livres étaient admirés d'André Breton, de Raymond Queneau ou de Benjamin Perret,
04:11 mais le succès commercial n'était pas au rendez-vous et Raphael voulait vendre.
04:17 En 1954, il change son braquet d'épaule et entame une carrière d'écrivain populaire
04:22 pour la série Noire et les presses de la cité,
04:25 publiant une cinquantaine de livres, principalement signés Ange-Bastiani.
04:30 L'écrivain méprisait le roman noir, mais il excelle dans le genre
04:34 en évitant le piège du jargon du milieu à la Simonin
04:38 et en forgeant sa propre langue qui puise où elle veut.
04:41 Panique au paradis, les souris valseuses, le pain des Jules
04:45 ou Arrête ton char, Bénure sont de grandes réussites dans le genre.
04:49 Elles n'ont pourtant rien à voir avec Feu et Flamme,
04:52 rééditées il y a quelques années par les éditions Finitude,
04:55 un livre qu'en pesant ses mots, on peut aisément qualifier de grandiose.
05:01 C'est l'histoire de Suzanne, une vendeuse aux prises uniques,
05:04 et de Louis, un employé aux écritures qui pique-nique un dimanche
05:08 dans une forêt de pin du sud de la France
05:11 lorsqu'un mégot mal éteint déclenche un feu de forêt.
05:15 Les vélos sur l'épaule, ils s'en vont à travers la broussaille
05:18 à la recherche de la route, soucieux de ne pas abandonner
05:21 les bicyclettes achetées à crédit.
05:24 Mais le mistral se lève bientôt et le feu les poursuit.
05:29 La tension monte avec la peur et l'angoisse
05:32 et le roman bascule dans l'horreur morale.
05:36 Car le feu agit comme un révélateur, mettant à nu l'âme des jeunes mariés
05:40 qui vont se déchirer, se reprocher leur vie de misère,
05:44 mais aussi se raccrocher l'un à l'autre dans une panique sentimentale
05:48 d'une vérité inouïe.
05:50 À travers le feu, c'est l'épouvante de leur vie minable et sans issue
05:54 qui leur saute au visage.
05:56 Ce serait un crime de dévoiler la fin.
05:58 Notons simplement qu'elle est d'une beauté renversante
06:02 et qu'elle a l'ampleur d'une tragédie grecque.
06:06 Sous-titrage Société Radio-Canada
06:10 [Musique]