• l’année dernière
Avec Max-Erwann Gastineau, essayiste, chroniqueur politique et auteur de “L’ère de l’affirmation - Répondre au défi de la désoccidentalisation” publié aux éditions du Cerf.

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##LE_FACE_A_FACE-2023-11-01##

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Transcription
00:00 Sud Radio Berkhoff dans tous ses états
00:02 Le face à face.
00:04 Le face à face aujourd'hui dans Berkhoff dans tous ses états. Jean-Marie Bordry, vous recevez Max Erwann-Gastineau
00:09 essayiste, chroniqueur politique et surtout auteur de ce nouveau livre "L'ère de l'affirmation"
00:14 "Répondre au défi de la désoxy... des...
00:17 - Vous allez y arriver ? - J'ai y arriver !
00:19 - La désoccidentalisation ! - La désoccidentalisation !
00:21 C'est nos éditions du CERF. Bonjour à vous.
00:23 - Bonjour. - Et bienvenue Max Erwann-Gastineau.
00:26 Est-ce qu'Israël est un pays occidental ?
00:28 J'ai envie de dire bien évidemment. Je dirais tout simplement que nous sommes en tant qu'Occidentaux
00:32 le produit d'une civilisation judéo-chrétienne, ça n'aura échappé à personne.
00:35 Un grand nombre de citoyens israéliens sont directement issus de nos contrées.
00:40 Et puis il y a un lien direct entre la création de l'état d'Israël
00:43 et puis la tragique histoire européenne, notamment en écho à la seconde guerre mondiale évidemment.
00:47 Avec la Shoah. Ceci dit, un certain nombre aussi d'Israéliens sont originaires de pays d'Orient.
00:51 Il y a beaucoup de Juifs iraniens d'origine iranienne, de Juifs d'Afrique du Nord aussi
00:55 donc pas tous repassés par la France, c'est pour ça que la question n'est pas si évidente.
00:59 Est-ce que la guerre qu'Israël mène au Hamas actuellement est une guerre entre un pays occidental
01:04 et ce qu'il y a en dehors de l'Occident ?
01:06 Justement, c'est là où les choses sont un peu plus, évidemment, complexes.
01:11 C'est-à-dire que le fait de rappeler qu'Israël est un état occidental, ça peut légitimer une vision du monde
01:15 où en effet la civilisation occidentale fait face à une menace islamiste incarnée en l'occurrence par le Hamas.
01:21 Et en même temps, on sait très bien que la sécurité de l'état israélien renvoie à la question palestinienne
01:28 et pour résoudre la question palestinienne, il faut peut-être adopter une approche un peu plus fine
01:33 et un peu plus complexe que celle qui nous renvoie à une logique de guerre de civilisation.
01:36 Surtout dans cet Orient compliqué, quelle approche plus fine pouvons-nous adopter ?
01:40 Écoutez, moi je trouve très intéressant d'observer la division des États européens sur cette question.
01:46 On a bien vu au moment de la résolution aux Nations Unies visant à adopter une trêve humanitaire à Gaza,
01:52 les États européens n'ont pas du tout la même vision du monde.
01:54 Et ça, ça nous renvoie d'ailleurs à une logique que Huntington écrit dans son "Choc des civilisations".
02:00 Il dit que du fait de la division interne société européenne, du fait notamment de l'immigration
02:05 et qu'il y a désormais une communauté musulmane très importante en Europe et notamment en France,
02:09 les États européens ne pourront plus avoir tout à fait la même politique
02:12 parce qu'ils devront tenir compte de la concorde interne à leurs propres nations
02:17 lorsqu'une partie de leur opinion publique qui réagit directement,
02:22 évidemment s'identifie à la cause palestinienne ou en l'occurrence israélienne.
02:26 Est-ce que vous êtes en train de dire que la France, dans ce cas-là, a voté cette résolution controversée de l'ONU
02:29 qui appelait notamment à une trêve humanitaire, même si elle a mis des réserves,
02:32 seulement pour contenter une partie de sa population de religion musulmane plus sensible aux victimes civiles à Gaza ?
02:38 Alors, il y a une tradition diplomatique française qui consiste à défendre la solution à deux États
02:44 et en même temps, je pense que quand Emmanuel Macron, par exemple, a tweeté
02:47 pour dénoncer le bombardement d'un hôpital à Gaza, il s'est senti quelque part obligé de le faire
02:53 alors que nous ne savions pas à l'origine si ce bombardement était la conséquence d'une frappe israélienne.
02:59 Il s'est senti obligé de le faire pour répondre à une inquiétude qui venait notamment en France de la communauté musulmane.
03:06 Il y a à la fois une tradition géopolitique française et en même temps, une division internationalité française
03:10 sur laquelle Emmanuel Macron cherche un petit peu à...
03:13 sur laquelle, comment dire, que Emmanuel Macron a bien à l'esprit,
03:17 ce qui fait qu'il marche sur des oeufs comme le nombre de nos dirigeants.
03:21 Mais pourtant, le reproche que certains ont fait à ce gouvernement et au président de la République,
03:25 c'est d'être beaucoup plus pro-israélien aujourd'hui que la France ne l'était sous de Gaulle,
03:29 quand de Gaulle partait même dans des envolées antisémites, on peut le dire,
03:32 fustigeant les juifs, peuple d'élite sûr de lui-même et dominateur,
03:37 et prenant fait des causes simplement pour la résistance palestinienne à l'époque, c'est ce qu'il disait.
03:42 - Oui, c'est une réaction dictée par les événements, mais...
03:45 - Ce que je veux dire par là, et si je vous soulève cet exemple,
03:48 c'est qu'il n'y avait pas beaucoup de musulmans en France à cette époque,
03:50 et de Gaulle ne disait pas ça pour contenter une partie de l'opinion publique.
03:53 - Oui, tout à fait, mais c'est-à-dire qu'il y a une tradition depuis même le général de Gaulle
03:57 qui consiste à à la fois défendre l'existence d'Israël et en même temps défendre une solution à deux États,
04:01 donc la cause palestinienne, et le général de Gaulle estimait en 67
04:04 que celle-ci pouvait être également remise en question.
04:06 - Exactement, d'où d'ailleurs la position souvent singulière de la France,
04:09 cette tentative d'aller parler aux pays arabes, comme a essayé de le faire,
04:12 à défaut d'y parvenir Emmanuel Macron dans sa visite en Jordanie et en Égypte.
04:17 Le défi de la désoccidentalisation du monde, l'ère de l'affirmation,
04:21 notamment de leaders non-occidentaux qui se revendiquent comme tels,
04:24 on va prendre un exemple, c'est peut-être le plus parlant, c'est Recep Tayyip Erdogan,
04:28 le président turc, qui s'est lancé dans une grande envolée anti-occidentale,
04:33 une diatribe qu'on va écouter dans un instant, tout de suite même.
04:36 En quelques mots, et pour traduire une partie de son discours,
04:50 où il fait un parallèle avec la guerre en Ukraine,
04:52 on serait davantage sensibles aux victimes ukrainiennes civiles des Russes
04:56 qu'aux victimes gazaouies des frappes israéliennes.
04:59 Il ajoute "Oh l'Occident, je m'adresse à vous,
05:01 voulez-vous relancer une nouvelle guerre du croissant contre la croix ?
05:05 Le principal responsable du massacre à Gaza, c'est l'Occident.
05:08 Est-ce que cette opinion est répandue en dehors de l'Occident ?
05:11 En effet, il y a un reproche qui est courant dans les pays du Sud,
05:14 c'est ce fameux deux poids deux mesures,
05:16 le fait que les valeurs que nous prétendons défendre,
05:19 nous ne les appliquons pas sur tout théâtre d'opération,
05:23 nous n'avons pas la même compassion envers toutes les victimes,
05:26 et donc on nous reproche de nous identifier à certaines causes plutôt qu'à d'autres,
05:30 et donc par exemple de nous sentir plus proches de la cause ukrainienne
05:33 que du sort, du terrible sort, il faut bien le dire, du peuple palestinien.
05:36 C'était le reproche d'ailleurs qui avait été fait à l'opinion publique française
05:39 par l'acteur Omar Sy, ça avait fait scandale.
05:42 Est-ce que ce reproche est justifié de votre point de vue ou pas ?
05:45 Écoutez, en partie, c'est-à-dire qu'en effet, nous avons l'habitude en Occident
05:49 de défendre des valeurs universelles
05:51 et de prétendre avoir une vision pour l'ensemble du monde.
05:54 Or, dans les faits, ces valeurs rentrent des fois en contradiction avec nos intérêts,
05:58 et lorsque c'est le cas, nous sommes peut-être un petit peu moins offensifs
06:02 sur ce discours humanitaire, universaliste,
06:05 et là, nous nous taisons peut-être sur certains sujets.
06:10 Écoutez, certains pays en effet sont peut-être moins prolixes sur la question palestinienne,
06:15 vous avez également en Afrique un certain nombre de conflits,
06:18 et vous avez un nombre de pays africains, comme au Congo,
06:20 lorsqu'Emmanuel Macron s'est rendu au Congo, qui nous disent
06:23 "Vous êtes très offensifs sur la question ukrainienne, mais vous nous oubliez la plupart du temps".
06:27 La République démocratique du Congo, qui est en conflit larvé avec le Rwanda,
06:31 avec lequel on s'est par ailleurs réconciliés récemment,
06:34 en tout cas sous Emmanuel Macron, c'était un tournant majeur.
06:37 Est-ce que l'Occident est perçu aujourd'hui comme en déclin dans le reste du pays ?
06:40 Alors oui, c'est-à-dire que je pense qu'il faut déjà essayer de définir précisément
06:43 ce que c'est que la désoccidentalisation du monde.
06:45 C'est au fond la montée en puissance de pôles de résistance à l'influence
06:48 intellectuelle, culturelle et politique de l'Occident, et on le voit sur le conflit ukrainien,
06:52 où la plupart des pays du monde, y compris des démocraties comme l'Inde et le Brésil,
06:55 ne suivent pas les pays occidentaux dans leurs sanctions contre la Russie.
06:59 Donc c'est un monde dans lequel des pays, du fait de leur essor politique,
07:03 le produit de la décolonisation, et de leur essor économique,
07:05 qui est le produit de la mondialisation, s'affirment pour défendre leurs intérêts,
07:08 pour défendre leur valeur, et ils nous disent aujourd'hui
07:11 "Nous n'allons plus vous suivre, vous n'êtes plus les seuls sur Terre,
07:15 et en plus vos sociétés sont en crise".
07:18 C'est ça aussi ce qui nous est renvoyé, c'est que vous ne pouvez pas donner des leçons
07:21 à la Terre entière lorsque l'on voit l'évolution intérieure à vos propres sociétés,
07:25 des sociétés occidentales en effet divisées.
07:27 - Et quelle évolution est fustigée en dehors de l'Occident ?
07:30 Quelle évolution de la société occidentale est fustigée en dehors ?
07:34 - Alors il y a tout simplement un constat sur le fait que nous subissons
07:38 un relatif déclin économique, une perte d'influence militaire géopolitique,
07:42 et puis ce qui est beaucoup contesté c'est aussi sur le plan des valeurs.
07:46 Il y a tout un discours qu'on retrouve en Turquie, qu'on retrouve en Russie,
07:50 qu'on retrouve aussi en Singapour dans les années 90, qu'on retrouve en Chine, en Afrique,
07:54 qui est au fond une critique d'un universalisme qui au fond défend des valeurs libérales,
07:58 attachées à la liberté et au droit de l'individu, mais qui mépriserait les traditions,
08:02 la vie religieuse, l'identité nationale.
08:05 Et ça, dès le début des années 90, vous avez des pays du Sud, des pays notamment asiatiques,
08:09 qui nous reprochent de confondre universelle et valeur occidentale.
08:12 Il y a d'autres valeurs, d'autres façons de voir le monde, et ces pays aujourd'hui nous le disent avec force.
08:16 - Est-ce qu'on est à l'heure du relativisme ? Est-ce que finalement on est en train d'abandonner
08:19 la propagation des droits de l'homme ? Est-ce qu'on n'aura pas le choix d'ailleurs ?
08:22 On va en parler avec vous. Restez avec nous sur Sud Radio, Max et Erwan Gastineau,
08:26 vous tous qui nous écoutez d'ailleurs. 0 826 300 300. Est-ce que l'Occident n'est plus un modèle ?
08:31 On en parle avec vous jusqu'à 14h.
08:34 - Est-ce que l'Occident prêche désormais dans le désert ? Le monde à l'heure de la désoccidentalisation ?
08:38 C'est la thèse de notre invité Max Erwan Gastineau qui publie l'ère de l'affirmation.
08:43 Ces pays et ces dirigeants qui s'affirment comme n'étant pas occidentaux,
08:47 et comme étant plutôt horti-occidentaux. On parlait de la Chine, on parlait de la Turquie,
08:53 de Recep Tayyip Erdogan. On disait à l'instant que c'était l'exemple le plus parlant de ces pays
08:58 qui ont un pied de chaque côté, ça a toujours été le cas du territoire qui est regroupé par la Turquie aujourd'hui.
09:03 La Turquie qui fait partie de l'OTAN mais qui fait les yeux doux à la Russie.
09:07 La Turquie qui insulte l'Occident mais qui n'avait pas jusqu'ici complètement rompu ses relations diplomatiques avec Israël par exemple.
09:16 Est-ce que la Turquie est un ennemi de l'Occident aujourd'hui ?
09:19 - La Turquie c'est l'archétype de ce multi-alignement actif qu'on attribue aussi à un pays comme l'Inde par exemple.
09:25 C'est-à-dire que la Turquie, en fonction de ses intérêts stratégiques, va se rapprocher de l'Occident ou s'en éloigner.
09:30 - Sauf que l'Inde insulte moins de pays.
09:32 - L'Inde insulte moins de pays. Vous avez en effet une stratégie un peu plus offensive chez Erdogan qui nous concerne davantage
09:37 puisque nous avons des rapports géographiques évidents avec la Turquie.
09:40 Mais moi ce qui me semble intéressant dans le cas turc, c'est que c'est l'archétype en effet de ces nouvelles nations
09:44 qui émergent sur la scène internationale et qui nous disent au fond nous allons simplement défendre nos intérêts nationaux.
09:49 Il n'y a plus de valeurs transcendantes, de valeurs universelles, il n'y a que des nations qui défendent leurs intérêts.
09:54 - Sachant que la Turquie était peut-être le pays il y a un siècle qui a le plus imité, en tout cas les valeurs occidentales
10:02 qui s'en est le plus inspiré sous le père de la République de Turquie, c'est-à-dire Mustafa Kemal.
10:07 La laïcité par exemple était presque plus rigoureuse en Turquie qu'en France.
10:11 - C'est pour ça que l'ère de l'affirmation, le titre de mon ouvrage, succède à l'ère de l'imitation.
10:15 Il peut y avoir encore une attirance pour le modèle occidental, mais il y a eu avant tout une imitation du modèle occidental jusqu'en Chine.
10:21 Je rappelle par exemple en 2004 que la Chine a introduit dans sa constitution le droit à la propriété privée,
10:25 donc on pouvait y voir une forme de poursuite de l'occidentalisation du monde.
10:28 Mais là aujourd'hui on voit bien que ces États affirment leur identité, affirment leurs intérêts.
10:32 Et ce n'est plus Mustafa Kemal, la référence en Turquie, c'est plutôt l'islam avec Erdogan.
10:36 - Exactement, ou alors Soliman le Malignifique, le grand sultan qui avait assiégé Vienne, en tout cas fait assiéger Vienne.
10:44 Est-ce que ça signifie qu'il est logique dans ce cas-là que dans beaucoup de pays qui s'étaient laïcisés,
10:48 y compris des pays musulmans pendant le XXe siècle, aujourd'hui on voit le retour du voile avec une certaine fierté ?
10:54 - Oui tout à fait, il y a un retour identitaire, c'est-à-dire que vous avez des sociétés qui ont pris confiance en elles-mêmes
10:58 du fait de leur essor économique, du fait de leur essor politique.
11:01 Il y a une confiance en elles-mêmes qui font qu'aujourd'hui elles réaffirment leur identité de façon complètement décomplexée.
11:06 - Alors qu'est-ce qu'on rejette dans les dites valeurs occidentales ? Est-ce qu'on rejette un passé de domination ?
11:12 - Alors ce qui est rejeté c'est une forme d'arrogance.
11:15 Vous avez toujours prétention à régir le monde au nom de principes moraux que vous n'appliquez pas sur tous les théâtres.
11:20 Et puis il y a une critique des valeurs libérales.
11:22 Lorsque Vladimir Poutine met en cause les valeurs LGBT, il sait très bien qu'il s'adresse à une forme d'internationale conservatrice
11:28 qui peut relier aussi bien l'Inde, la Chine que les pays du Moyen-Orient.
11:32 - Et qui existe aussi d'ailleurs à l'intérieur de l'Union Européenne dans des pays foncièrement ennemis de la Russie comme la Pologne par exemple.
11:39 Et ça c'est un reproche qui est souvent adressé.
11:41 Pourquoi vous tolérez l'homosexualité ? Pourquoi vous tolérez tout simplement des marges de la fierté ?
11:47 C'est peut-être ce qui choque le plus en dehors de l'Occident aujourd'hui ?
11:50 - C'est-à-dire qu'il y a une forme de progressisme sociétal qui est en effet remise en question au sein même de l'Occident
11:54 et qui n'est pas compris en dehors du monde occidental et qui contribue à accentuer les fractures entre l'Occident et le reste du monde.
11:59 - Et c'est le clivage le plus clair ?
12:01 - Sur le terrain idéologique c'est un clivage assez clair.
12:03 Mais moi je pense qu'il ne faut pas non plus surinvestir dans ce clivage idéologique.
12:06 C'est-à-dire qu'en effet il y a une diversité du monde, il y a diverses manières de concevoir la famille, la nation, l'économie.
12:12 - Ce qui est somme toute logique.
12:14 Et dans ce cas-là qu'est-ce qu'on fait quand on voit quelqu'un qui est menacé de mort ou menacé d'être brûlé vif parce qu'il est homosexuel dans son pays ?
12:21 On se sent obligé de lui accorder l'asile ou au moins de prendre sa défense ?
12:24 - Mais tout à fait, je pense que l'Occident a vocation à rester fidèle à ses normes de principe
12:27 et à accueillir et persécuter ceux qui défendent nos valeurs à travers le monde.
12:31 - Sauf que vous venez de dire que ce serait perçu comme une ingérence et comme une forme d'arrogance.
12:35 - Offrir l'asile, non, mais dire qu'il faut aller exporter notre modèle dans d'autres pays comme nous avons cru le faire dans les années 2000 en Irak ou en Libye,
12:41 je crois que c'est une erreur qui a eu des conséquences plus graves que la situation qui existait avant notre intervention.
12:46 - Ce qui signifie qu'il faut aujourd'hui au nom du principe de réalité renoncer à prêcher en Égypte
12:52 cette politique qui consiste à faire des procès avec les homosexuels en les enfermant dans des cages.
12:57 - Il faut défendre la démocratie là où elle existe et dans les pays où elle n'existe pas,
13:00 il faut se demander si la situation que nous allons créer en renversant le tyran qui est au pouvoir ne sera pas pire que la situation présente.
13:05 Il faut aussi penser à nos intérêts nationaux.
13:07 Je ne crois pas qu'en Libye, lorsque nous avons agi au nom de nos valeurs,
13:10 nous ayons eu bien en tête les conséquences sécuritaires pour l'intérêt des peuples européens qui allaient être remis en question.
13:16 - Et pourtant, Mouhamad Kadhafi était à deux doigts de raser Misrata et de punir la population qui s'était soulevée contre lui.
13:23 C'était difficile d'assumer les images de la répression en temps réel.
13:26 - Mais ce qui nous rappelle que nous n'avons jamais le choix entre le bien et le mal, mais entre un moindre mal.
13:31 Et donc en effet, la situation était compliquée.
13:33 Mais regardons aujourd'hui l'état de la Libye, comme l'état d'ailleurs de la société irakienne depuis l'intervention américaine.
13:39 - Vous parliez de l'exportation de la démocratie, ou plutôt d'arrêter d'exporter la démocratie et de la défendre là où elle existait.
13:45 On avait réussi à l'exporter au Niger, il n'y a pas si longtemps,
13:47 une assemblée nationale nigérienne avait été élue avec un nombre record de députés femmes.
13:51 C'était un progrès énorme en plein dans le Sahel.
13:53 Il se trouve que le président qui lui-même avait été élu démocratiquement
13:56 a été renversé par des poutchistes militaires qui nous ont chassés.
13:59 Et on n'a pas l'impression que la population regrette la démocratie.
14:02 - Non mais c'est-à-dire que la démocratie a vocation à concerner différents régimes, différentes civilisations.
14:08 Mais il y a quand même des conditions à l'existence d'une démocratie.
14:12 La démocratie, ça suppose quand même l'existence d'un peuple
14:15 transcendé par des références communes, des références culturelles, une identité nationale.
14:20 Si vous n'avez pas ces références culturelles communes,
14:23 les minorités se déchirent, n'acceptent pas la loi de la majorité.
14:27 Et c'est ce qui se passe dans des pays extrêmement divisés en tribus
14:30 comme en Afghanistan ou au Mali, où les conditions ne semblent pas réunies
14:33 pour créer une démocratie libérale à l'occidentale.
14:36 - Et donc ça veut dire qu'il n'y a pas d'état de nation pour vous ? Dans ces pays ?
14:40 - Tout à fait, c'est-à-dire qu'avant de créer une démocratie,
14:42 il faut d'abord s'assurer qu'il existe une nation fortifiée
14:46 sur des bases à minimal culturelle commune.
14:49 - N'importe quel Malien que vous croisez, quand vous lui demandez d'où vous venez,
14:52 il vous dit "je viens du Mali" parce qu'il se sent malien aujourd'hui.
14:54 - C'est-à-dire qu'il peut exister un sentiment national malien,
14:57 mais vous voyez bien qu'en même temps, le Mali du nord au sud est extrêmement divisé.
15:00 - Il y a des indépendantistes touaregs, effectivement.
15:03 - La création d'un état stable, or la démocratie suppose des institutions à minima stables.
15:07 - Mais il y a eu des démocraties qui étaient confrontées malgré tout à du séparatisme.
15:10 - Oui, qui peuvent être confrontées à du séparatisme, d'ailleurs c'est peut-être une menace
15:13 qui concerne également l'Occident. C'est pour ça que je dis qu'avant peut-être aussi de réfléchir
15:17 à étendre nos valeurs ou à promouvoir nos valeurs à l'international,
15:20 il faut aussi peut-être chercher à défendre nos valeurs chez nous.
15:23 Et lorsque nous ne le faisons pas, c'est les pays du sud qui nous disent
15:25 "avant de défendre nos valeurs dans le monde entier, regardez l'état de vos sociétés".
15:28 - Et quelles valeurs on ne défend plus chez nous ?
15:30 - Nos démocraties aujourd'hui sont travaillées par un processus de fragmentation culturelle très important.
15:35 Il y a des divisions internes à la société française qui rejaillissent sur le terrain sécuritaire
15:38 et à tel point que l'on peut se demander justement si la France ne va pas continuer de s'archipéliser
15:42 et d'être concernée par des phénomènes de séparatisme.
15:44 Différents rapports, même François Hollande avait mis ce risque concernant la France.
15:48 - Effectivement, et l'archipel français c'était la thèse de Jérôme Fourquet,
15:51 de l'IFOP qu'on reçoit assez régulièrement sur Sud Radio.
15:54 On parlait du Niger, il y a quelques instants je le rappelle,
15:56 la France qui opérait contre le terrorisme sur place a été chassée du Niger,
16:01 du Mali, du Burkina Faso juste à côté.
16:03 Elle a été chassée aussi sous l'influence, pas seulement à cause,
16:06 mais sous l'influence de l'action de la Russie.
16:08 Parlons maintenant de la Russie, pays plutôt chrétien de tradition, en tout cas orthodoxe,
16:14 pays pas complètement occidental mais clairement pas complètement oriental
16:18 et qui est perçu comme le fer de l'ange de la lutte contre l'Occident aujourd'hui.
16:22 - Alors il y a une tradition historique, c'est-à-dire que l'URSS luttait contre les empires coloniaux
16:28 et puis la Russie dans les années 90 a subi une forme d'occidentalisation
16:33 qui a mené à un capitalisme sauvage
16:35 qui fait que la société russe a connu une période très difficile.
16:39 Et donc aujourd'hui, vous avez depuis les années 2000 avec Vladimir Poutine
16:43 une stratégie qui consiste à faire de la Russie le fer de lance de la désoccidentalisation du monde.
16:48 Lorsque l'offensive a été lancée vers Kiev en février 2022,
16:52 un document très intéressant traduit par la Fond Apolle en France
16:55 révélait les objectifs géostratégiques de Poutine.
16:57 Ce n'était pas simplement de prendre sa revanche sur l'Occident
17:00 ou de reprendre le contrôle de Kiev,
17:02 c'était aussi d'accélérer la désoccidentalisation du monde.
17:05 - Et de marquer le coup.
17:06 - De marquer le coup et de créer un monde, je cite,
17:08 dans lequel les pays du Sud pourraient enfin évoluer sans se soucier des pays occidentaux.
17:13 - Est-ce que ça signifie qu'il est dans ce cas-là du devoir non pas moral mais politique
17:18 des pays occidentaux que d'obtenir de gré ou de force le recul de la Russie
17:23 parce que sa victoire serait vécue dans le reste du monde
17:26 comme le signe de l'échec de l'Occident ?
17:29 - C'est-à-dire par le fait de morale, là, on parle vraiment de pragmatisme.
17:34 - Alors je pense qu'en effet, il faut répondre aux défis lancés par la Russie
17:38 et les Européens se sont mobilisés pour défendre l'Ukraine.
17:41 Mais on voit bien que le simple fait d'agiter nos valeurs et l'unité occidentale ne suffit pas
17:45 parce qu'il suffit que demain Donald Trump, par exemple, arrive au pouvoir aux Etats-Unis
17:48 pour que l'aide américaine à l'Ukraine cesse.
17:51 Donc il faut que les Européens ne se projettent pas à l'international
17:55 simplement à l'aune d'un bloc occidental qu'ils formeraient avec les Etats-Unis,
17:58 mais qu'ils aient leur propre vision du monde et leur propre moyen de la défendre.
18:02 - Vous êtes en train de dire que si les Européens disent publiquement qu'ils sont pour l'Ukraine,
18:06 il faudrait qu'ils joignent les actes à la parole et on aurait dû dans ce cas-là donner des Charles Euclères, par exemple.
18:11 - Si les Etats-Unis n'avaient pas aidé d'entrée de jeu l'Ukraine,
18:13 je pense que l'Europe aurait simplement acté la prise de Kiev.
18:16 - Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on n'aide pas assez ou qu'on parle trop ?
18:19 - Ça veut dire qu'il faut se réveiller.
18:21 - En parlant moins ou alors en aidant davantage ?
18:24 - C'est-à-dire qu'il faut en effet avoir des moyens européens de défense
18:28 qui nous permettent de décider sur quel théâtre d'opération nous allons agir.
18:31 Et là, en l'occurrence, si nous décidons qu'il faut davantage aider l'Ukraine,
18:34 la question des moyens se pose.
18:36 Or nous dépendons de moyens d'un État qui n'a peut-être pas vocation à toujours agir sur le théâtre ukrainien.
18:40 - Ça veut dire que la situation actuelle pour vous devrait encourager à davantage de construction européenne,
18:46 notamment sur un plan militaire ?
18:48 - C'est-à-dire qu'il faut que les États se réarment,
18:50 il faut que nos démocraties se réarment moralement, spirituellement,
18:54 il faut cultiver le patriotisme des États-nations,
18:56 mais je ne crois pas à une fusion des États-majors.
18:58 Personne d'ailleurs ne défend cette solution.
19:00 - Ça paraît d'ailleurs impossible, on a du mal à se mettre d'accord sur des sujets beaucoup plus banals.
19:03 - Qui existaient dans les années 50 à l'époque de la CED.
19:05 Non mais en effet, il faut que les armées européennes, aujourd'hui, se renforcent tout simplement.
19:09 - La Communauté Européenne de la Défense, c'était un projet qui avait été torpillé par les communistes d'une part,
19:13 et les gaullistes d'autre part dans les années 50.
19:15 C'était une autre époque.
19:17 Malgré tout, on va se retrouver avec vous dans quelques instants,
19:19 parce qu'il y a un chapitre qui est très important,
19:21 qui s'intitule "Qui sommes-nous ?"
19:23 Tiens, justement, avant de savoir ce qu'on va faire,
19:25 qui sont les Occidentaux ?
19:27 Des pays de plus en plus divers,
19:29 ou justement, qui doivent revenir à leurs racines ?
19:31 On va en parler avec vous dans un instant.
19:33 - Et Jean-Marie Bordrié, aujourd'hui, vous recevez Max Erwann-Gastineau,
19:36 essayiste, chroniqueur politique et auteur de ce nouveau livre,
19:39 "L'ère de l'affirmation, répondre au défi de la désoccidentalisation".
19:43 C'est aux éditions du CERF.
19:45 - Et on est toujours avec Max Erwann-Gastineau,
19:47 effectivement, vous tous qui nous écoutez, d'ailleurs 0826-300-300,
19:50 vous souhaitez poser des questions à notre invité,
19:52 on est là pour vous répondre.
19:54 On posait une question existentielle, elle vous concerne tous,
19:56 en tout cas tous ceux qui nous écoutent.
19:58 Qui sommes-nous aujourd'hui ?
20:00 Avant de savoir comment l'Occident va se positionner,
20:02 il doit savoir qui il est.
20:03 Est-ce que l'Occident, c'est vraiment qui il est aujourd'hui, Max Erwann-Gastineau ?
20:06 - J'ai l'impression que l'Europe s'est construite ces dernières décennies
20:10 en oubliant son propre passé, parce qu'elle le renvoyait à des heures sombres.
20:13 Or, en effet, pour exister sur la scène géopolitique,
20:17 il faut savoir d'où l'on vient, qui l'on représente,
20:19 quels territoires l'on doit défendre.
20:22 Et donc, en effet, je consacre une grande partie de mon livre
20:25 à cette longue durée civilisationnelle européenne,
20:27 comme disait Ferdinand Braudel, pour essayer de comprendre
20:29 qu'est-ce qui explique que l'Europe ait dominé le monde pendant 400 ans.
20:34 Parce que c'est quand même ça aussi l'histoire de l'Europe.
20:36 L'Europe a été forte et dominatrice.
20:38 Pourquoi ?
20:39 Là, il faut revenir jusqu'à l'époque médiévale,
20:42 voire même avant, mais je le consacre à plusieurs pages à l'époque médiévale,
20:45 puisque le christianisme a joué un grand rôle
20:47 en nous donnant, pour aller très vite, le goût de l'innovation,
20:49 le goût du progrès, le goût du travail, la propriété privée,
20:52 un ensemble de conditions qui ont permis un développement économique
20:55 et industriel dès l'époque médiévale.
20:57 Et puis, l'Europe, on l'oublie souvent, on dit souvent "l'union fait la force",
21:00 mais lorsqu'on regarde l'histoire de l'Europe,
21:01 je dirais que c'est plutôt la division qui fait la force.
21:03 C'est-à-dire que l'Europe, c'était des cités, des États, des royaumes
21:06 qui se concurrençaient, créant une émulation collective
21:08 qui n'existait pas dans d'autres ères civilisationnelles,
21:10 plutôt dominées par des empires.
21:11 Un peu comme les cités grecques face au grand empire perse, par exemple.
21:14 Voilà, donc nous sommes le produit d'une histoire façonnée par le christianisme,
21:18 c'est pas une nouveauté, mais il faut rappeler l'importance du christianisme
21:21 dans les conditions qui ont permis notre puissance économique.
21:24 Et puis, nous sommes aussi un continent divisé en nations,
21:26 et je crois que nous n'arriverons pas à nous défendre
21:29 si nous ne nous reconnectons pas à l'énergie spirituelle de nos nations,
21:34 au patriotisme des États-nations,
21:35 largement déconstruit depuis un certain nombre de décennies.
21:39 Et pourtant, une bonne partie de l'apogée, en tout cas des pays européens,
21:42 c'était la période des Lumières.
21:44 La période des Lumières, c'est une prise de recul,
21:46 on va le dire poliment, sur la religion et sur le christianisme.
21:49 C'est une prise de recul, mais au nom aussi d'un nouveau sacré,
21:52 la nation qui émerge avec la Révolution française.
21:55 Donc, c'est les deux jambes, la jambe citoyenne et la jambe chrétienne
21:59 qui a façonné l'Occident,
22:01 et nous sommes en effet le produit de ces deux éléments constitués de notre identité.
22:05 Et comment parler dans ce cas-là d'une jambe chrétienne
22:07 dans un pays où les Français sont de moins en moins nombreux à croire ?
22:11 Ce qui est très intéressant, c'est que lorsque je rappelle nos racines chrétiennes,
22:15 ce n'est pas pour rappeler à une forme de re-christianisation de l'Occident,
22:18 c'est pour dire que jusque dans nos valeurs,
22:21 les droits de l'homme, l'autonomie de la personne humaine,
22:24 la dignité de la personne humaine,
22:26 nous sommes le produit d'une société chrétienne.
22:29 C'est parce que les Européens sont les enfants du christianisme
22:32 qu'ils mettent l'accent sur l'autonomie individuelle.
22:35 Et moi ce que je dis, c'est que, attention, à force de mettre l'accent sur l'individu,
22:38 nous oublions peut-être que nous sommes aussi les membres d'un tout, d'un collectif,
22:43 qui s'appelle en l'occurrence une nation,
22:45 et la démocratie suppose un sentiment national fort,
22:48 sinon le citoyen disparaît au profit de l'individu qui ne regarde que son propre nombril.
22:52 Sauf que comment croire encore à l'importance de la nation
22:56 quand on a vu tous les crimes que le nationalisme a poussé à commettre il y a un siècle.
23:00 Alors je crois qu'il ne faut pas confondre,
23:02 j'ai sorti de la palissade de nationalisme et nation,
23:05 même s'il faut toujours s'en méfier,
23:06 et là je dirais que c'est là où peut-être le Sud a des choses à nous dire,
23:09 c'est-à-dire que la désoccidentalisation du monde,
23:11 c'est l'affirmation de nations qui sont sûres de leurs intérêts et de leurs identités.
23:16 Donc dans ces terres désoccidentalisées,
23:19 où nous ne pouvons plus prétendre dominer le monde,
23:22 nous avons nous aussi vocation à nous réinscrire à l'intérieur de notre cadre national.
23:26 Sauf que vous êtes en France, dans chaque village de France,
23:28 il y a au moins une église, une mairie et un monument aux morts avec des dizaines de noms,
23:32 même quand le village fait seulement celle de quelques centaines d'habitants.
23:35 L'échec du nationalisme, les boucheries auxquelles ça a conduit, est patentant.
23:40 Alors moi je dirais que c'est plutôt l'impérialisme qui a causé la perte de l'Europe au XXe siècle,
23:44 et c'est une certaine forme de nationalisme qui a créé notamment la résistance gaullienne.
23:48 En quoi était-ce impérialiste que de vouloir récupérer l'Alsace-Lorraine ?
23:51 Non, ce qui était impérialiste c'est de vouloir, comme par exemple Hitler,
23:54 conquérir l'Europe pour soutenir son projet.
23:56 Mais revenons à la guerre de 14-18.
23:57 Revenons à la guerre de 14-18. Nous étions dans un conflit de rivalité en effet nationale.
24:01 C'est substitué à ce conflit de rivalité nationale un conflit plus idéologique au XXe siècle.
24:05 Quels arguments !
24:06 L'histoire est tragique, mais quelle que soit la nature du conflit,
24:10 nous avons vocation à habiter des cités,
24:12 alors qu'elles soient à l'échelle de nations ou à l'échelle plutôt européenne,
24:15 qu'importe j'ai envie de dire, en l'occurrence,
24:17 nous sommes toujours membres d'une collectivité que nous devons apprendre à défendre.
24:20 Vous êtes en train de souhaiter presque le retour du tragique de l'histoire.
24:23 Je ne souhaite pas le tragique rejaillit aujourd'hui,
24:26 nous devons en prendre acte.
24:27 Le tragique est constitutif de l'histoire de l'humanité.
24:30 Alors vous parlez notamment de guerres qui ont eu lieu dans le passé.
24:33 Est-ce que ça veut dire que l'Occident doit se préparer à nouveau à faire la guerre ?
24:36 Écoutez, je crois que la Russie nous invite quelque part,
24:39 si l'on décide en effet de défendre l'Ukraine, nous invite quelque part à nous réarmer.
24:42 Et puis d'autres défis sont face à nous.
24:46 Nous voyons bien qu'aujourd'hui, tout un ensemble à nos portes de conflits gelés
24:50 sont en train de rejaillir, et notamment en Afrique.
24:52 Or, l'évolution de l'Afrique aura mécaniquement un effet sur la sécurité des Européens.
24:56 Sauf que le sens de l'histoire est justement le départ de l'armée française de l'Afrique subsaharienne.
25:01 Oui, mais c'est-à-dire qu'il faut désormais renouveler nos coopérations,
25:04 avoir une autre façon de recevoir notre rapport à l'Afrique.
25:06 Ça ne veut pas dire justement…
25:08 Ce qu'ils ne veulent plus, c'est une forme de tutelle morale et politique de la France.
25:11 Et quand on envoie son armée là-bas, c'est une forme de tutelle,
25:13 c'est-à-dire qu'on assure la sécurité d'un pays à la place du dit pays.
25:15 Ça nous avait été demandé, mais dès lors qu'aujourd'hui,
25:17 cette demande n'est plus à l'ordre du jour, il faut en effet changer de paradigme.
25:22 Alors que faire d'autre ?
25:23 Que faire d'autre ? C'est-à-dire qu'aujourd'hui, l'Afrique nous dit "non merci,
25:27 nous ne voulons plus de votre aide militaire", mais nous voyons…
25:30 Et ça, c'est la version polie du message.
25:32 Tout à fait. Mais nous voyons un certain nombre d'États africains
25:34 qui aujourd'hui sont en plein essor économique, comme par exemple le Maroc.
25:36 Nous venons de nous rapprocher du Maroc concernant la part du Sahara occidental.
25:40 Et donc nous avons vocation à avoir peut-être une relation plutôt d'égal à égal
25:44 avec un certain nombre de pays africains, notamment dans le domaine économique.
25:46 Ça veut dire qu'on n'était pas capable d'avoir une relation d'égal à égal
25:49 avec ces pays jusque dans les années qui nous précèdent ?
25:51 C'est-à-dire que nous étions toujours accusés d'avoir derrière des intérêts économiques
25:55 une prétention moralisatrice à vouloir imposer un certain nombre de réformes à l'intérieur.
25:59 Or, c'est la force en quelque sorte des Chinois.
26:01 Ils s'imposent en Afrique très facilement.
26:04 En construisant des ponts et sans faire de leçons de morale.
26:06 Voilà, sans faire de leçons de morale.
26:07 Donc ils n'ont pas vocation à changer la nature des régimes et des peuples
26:10 qu'ils sont en train par ailleurs de coloniser économiquement.
26:12 Reprenons l'exemple du Maroc, parce que c'est un des pays d'Afrique
26:15 duquel la France était le plus proche depuis des décennies.
26:17 Il n'y a pas que le gouvernement français qui peut être taxé d'arrogance.
26:20 Parlons même de certains bandeaux de certaines chaînes d'information françaises
26:24 qui se posaient la question après le tremblement de terre.
26:27 Le Maroc peut-il s'en servir sans l'aide humanitaire française ?
26:29 Ça a été lu en français parce qu'il parle français
26:32 et ça a été vécu comme une gifle et un crachat sur place.
26:34 Est-ce que les français sont arrogants et méprisants à l'égard des francophones d'Afrique ?
26:40 J'étais au Maroc récemment, il y a toujours cette accusation d'arrogance
26:45 mais on aura du mal à s'en détacher, il ne faut pas se cacher.
26:47 On l'est peut-être aussi un petit peu.
26:50 Et puis c'est le produit d'une histoire à laquelle nous restons intimement liés.
26:54 Mais par ailleurs, il y a des liens très forts.
26:56 Mais personne n'a dit qu'il n'y avait pas de liens.
26:57 Non mais justement, entre la France et l'Afrique.
26:59 Donc je veux dire, il faut aussi passer outre ces remarques concernant l'arrogance française
27:03 et rappeler ces liens pour se rappeler que nous avons aussi vocation à continuer d'avoir des liens
27:09 notamment économiques avec les pays africains.
27:11 Pas que économiques d'ailleurs, c'est des questions environnementales par exemple
27:14 qui concernent l'ensemble du monde sur lesquelles la France a des solutions à apporter en termes de transition énergétique.
27:17 Absolument. Alors ça nous amène aussi à d'autres sujets, d'autres défis qui se posent
27:21 et qui sont nouveaux pour les pays d'Europe et en particulier la France.
27:24 Comment gérer des relations avec un Etat qui a une très très très forte diaspora
27:29 à l'intérieur de la France et qui peut parfois s'en servir à des fins politiques ?
27:33 Recep Tayyip Erdogan, le président turc, on y revient, a tenu des meetings politiques en Alsace.
27:39 Est-ce que c'est une forme d'ingérence ?
27:41 Ces pays dits du Sud tiennent avant tout à leurs intérêts, à leur indépendance et à leur souveraineté.
27:47 Nous avons peut-être aussi vocation à rappeler que nous tenons aussi à la nôtre
27:50 et que l'ingérence étrangère, vous ne la voulez plus dans vos propres pays,
27:54 nous ne la voulons plus non plus dans la nôtre.
27:56 Donc je crois qu'il faut mettre carte sur table et dire à Erdogan ce que nous souhaitons,
28:00 c'est-à-dire qu'il cesse un certain nombre d'ingérences manifestes,
28:02 notamment concernant la communauté musulmane en Alsace, vous l'avez rappelé.
28:05 Est-ce que ça signifie dans ce cas-là qu'on doit faire pareil
28:07 et qu'on doit se rappeler que nous aussi faisons campagne auprès des Français
28:11 qui sont non pas qualifiés d'émigrés mais d'expatriés dans la plupart des pays étrangers ?
28:16 Faire campagne, c'est-à-dire ?
28:17 Oui, c'est-à-dire qu'à chaque fois que quelqu'un se présente aux élections présidentielles en France,
28:21 il va y avoir les communautés étrangères un peu partout,
28:24 les communautés françaises dans chacun des pays du globe.
28:26 Je pense qu'il faut s'inquiéter de toutes formes d'ingérences étrangères,
28:28 que nous ayons des liens du fait de l'immigration.
28:30 Mais non, c'est-à-dire qu'il ne faut pas confondre les ingérences
28:33 avec le fait que nous avons des liens du fait d'une diaspora.
28:36 C'est-à-dire qu'il faut s'appuyer sur notre diaspora
28:38 pour maintenir un lien le plus fécond possible avec le pays où il vit.
28:42 Mais vous voulez dire qu'il fallait qu'on explique à Erdogan
28:44 de ne pas en faire autant avec sa propre diaspora ?
28:46 Mais oui, vous avez vu qu'Erdogan va quand même assez loin
28:48 il explique aux Turcs qui vivent en Europe qu'ils ne doivent pas s'assimiler.
28:51 Deux choses l'une, soit vous vivez en France, en Allemagne,
28:53 et donc vous avez vocation à vous intégrer dans la société dans laquelle vous vivez,
28:55 soit vous n'avez pas vocation à vous intégrer,
28:57 et dans ce cas-là, nous sommes légitimes à vous faire un certain nombre de remontrances.
29:00 Sauf qu'on n'a même pas besoin de le dire à nos expatriés français
29:03 qui sont dans n'importe quel pays du monde,
29:04 puisqu'on les considère comme des Français,
29:06 c'est-à-dire qu'on ne s'inquiète même pas de leur possible intégration
29:08 aux dix pays dans lesquels ils vivent.
29:10 Mais ce sont souvent des expatriés, c'est-à-dire au sens le plus temporaire du terme,
29:14 c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de nationalité turque,
29:16 vous voyez, contrairement à un certain nombre de citoyens turcs
29:18 qui, eux, vivent chez nous,
29:20 et qui sont binationaux, et qui n'ont pas vocation à rentrer en Turquie.
29:23 Ce qui nous ramène à la question que vous posiez,
29:25 qui est passionnante,
29:26 qui sommes-nous ?
29:27 C'est un fait, aujourd'hui,
29:28 des millions et des millions,
29:29 et qui nous écoutent aussi,
29:30 de citoyens français,
29:31 sont de religion musulmane,
29:33 ils sont de culture,
29:34 qui ne sont pas nécessairement judéo-chrétiennes,
29:36 ils sont pourtant autant français que nous tous,
29:39 comment faire en sorte qu'on fasse nation ?
29:42 Et c'est la grande question.
29:44 Vous avez trois heures.
29:45 Non mais c'est la grande question,
29:46 parce qu'on avait un modèle, quand même,
29:48 qui s'appelait le modèle républicain.
29:49 Le modèle républicain prônait l'assimilation.
29:51 L'assimilation, ça ne voulait pas dire nécessairement oublier ses origines,
29:54 ça voulait dire partager un certain nombre de références culturelles communes.
29:56 Et c'est notamment, en France, transmis à travers l'école,
29:59 à travers un récit patriotique,
30:00 qui consolidait la nation par-delà nos différences.
30:03 Je crois que nous avons largement abandonné ce modèle
30:05 unité-républicain,
30:07 l'unité de la nation,
30:08 l'indivisibilité de la nation,
30:09 le patriotisme, le roman national.
30:11 Nous avons laissé tomber tout ce qui permettait de faire nation,
30:13 le service militaire.
30:14 Et donc, il ne faut pas s'étonner qu'au bout d'un moment,
30:16 les différences infranationales
30:18 prennent le pas sur le sentiment d'appartenance à la nation.
30:20 Sauf qu'on ne peut pas décréter le retour de pratique
30:23 qui se faisait dans le passé.
30:25 On compare toujours les immigrés récents en France
30:28 aux immigrés italiens,
30:29 et en général, on ajoute,
30:30 eux, ils s'intégraient beaucoup plus facilement.
30:31 Vous ne pouviez pas passer vos vacances en Italie à l'époque,
30:34 à peu près tous les ans.
30:35 Vous n'aviez pas la télévision italienne, elle n'existait pas.
30:37 Vous n'aviez pas forcément le restaurant italien en face de vous.
30:40 C'est une autre époque.
30:41 - Tout à fait.
30:42 Mais l'historien Pierre Milza rappelle que les deux tiers des Italiens
30:45 sont rentrés chez eux faute d'assimilation.
30:47 Mais donc, ceux qui restaient, eux, s'assimilaient.
30:49 Et l'assimilation fonctionnait assez bien.
30:50 C'est pour ça qu'on a cru que, mécaniquement,
30:52 l'assimilation allait continuer à fabriquer du français
30:55 à partir de toutes souches, si j'ose dire.
30:57 C'est plus compliqué aujourd'hui
30:58 du fait, en effet, de l'origine et de la proportion d'immigrés.
31:00 Mais nous ne devons pas pour autant renoncer à ce modèle.
31:03 Puisque, quelle est l'alternative ?
31:04 Si nous ne prenons pas l'intégration et l'assimilation,
31:06 ne rentrons pas dans ce débat terminologique,
31:08 quelle est l'alternative ?
31:09 L'alternative, c'est un séparatisme doux,
31:11 voire un séparatisme arde, en plusieurs années,
31:13 lorsque les communautés finiront par s'affronter
31:16 parce qu'elles n'ont plus rien en commun.
31:17 - Pourtant, on peut comprendre aujourd'hui,
31:19 et c'est bien naturel,
31:20 que certains Français se sentent beaucoup plus émus
31:22 lorsqu'ils voient une victime israélienne de la guerre
31:24 entre Israël et le Hamas.
31:26 Et d'autres se reconnaissent davantage
31:28 dans une victime civile gazaouie.
31:30 C'est difficile de reprocher ça ?
31:31 Ce n'est pas un manque d'intégration ?
31:32 - On ne peut pas reprocher, en effet,
31:34 de nous sentir liés à un certain nombre de causes.
31:36 Maintenant, la question n'est pas de savoir
31:38 si nous avons vocation à penser la même chose,
31:41 à ressentir la même chose.
31:42 La question, c'est, qu'est-ce que nous avons en commun ?
31:45 Nous avons des différences,
31:46 nous ne voyons pas le monde de la même façon,
31:48 nous n'avons pas forcément les mêmes combats
31:50 sur la scène internationale.
31:51 Pour autant, nous devons avoir un certain nombre
31:53 d'éléments communs.
31:54 Et je crois que c'est ce commun qui, aujourd'hui,
31:55 nous fait défaut, ou qui, en tout cas, nous interroge.
31:57 - Alors, qu'est-ce qu'on a en commun ?
31:58 Qu'est-ce qu'on peut avoir en commun ?
31:59 Vous allez nous le dire dans un instant,
32:00 sur Sud Radio.
32:01 A tout de suite, Max Erwann-Gastineau.
32:03 - Jusqu'à 14h, l'ère de l'affirmation,
32:06 répondre au défi de la désoccidentalisation.
32:09 On en parle avec notre invité, Max Erwann-Gastineau,
32:11 qui publie ce livre aux éditions du Cerf,
32:13 direction Le Standard, Estéban.
32:15 - Direction Toulouse, puisque nous avons Richard,
32:17 qui nous appelle au 0826 300 300.
32:19 Bonjour, Richard.
32:20 - Bonjour à vous.
32:21 - Et bienvenue sur Sud Radio, Richard.
32:23 - Bonjour.
32:24 - Et oui, en fait, j'ai deux questions, en fait.
32:28 C'est deux causes, en fait, qui sont à traiter
32:31 pour qu'on vive mieux ensemble.
32:33 La première, c'est, est-ce que l'abandon
32:36 de projets politiques sociaux
32:40 et ce développement des projets sociétaux,
32:45 qui ont une propension à nous diviser,
32:47 on voit les projets sociétaux qui sont avancés,
32:50 ils sont très clivants, en particulier lorsqu'on a
32:53 des croyances religieuses.
32:55 Et donc ça, ça a été mis en avant
32:58 par notre gouvernement, et c'est le mode américain,
33:02 en fait, comme ça on ne parle pas de social,
33:04 on ne réunit pas les gens autour d'un projet social,
33:07 quelle que soit leur religion,
33:08 on les divise autour du sociétal.
33:10 Et l'autre, ça, c'est, est-ce que c'est une cause
33:13 pour vous dominante ?
33:15 Et l'autre point, c'est, est-ce que la solution,
33:17 ça ne serait pas de lancer des grands projets,
33:20 par exemple de rattrapage de notre balance,
33:24 notre balance commerciale extérieure,
33:26 qui est dramatiquement mal engagée,
33:29 à plus de 150 milliards,
33:30 et là on dump, on dump des, on crée des entreprises,
33:35 on fabrique des machines pour refabriquer en France,
33:40 et on se bat, par exemple, en faisant baisser
33:43 le prix de l'électricité pour ramener du business en France.
33:46 Et ça, c'est des projets qui peuvent nous unir, quoi,
33:48 quelle que soit nos religions, nos vues.
33:50 - Politique sociale et économique ?
33:52 - Ouais.
33:53 - Écoutez, alors attention quand même, les grands projets,
33:55 Mao Tse-Tung avait fait la même chose,
33:57 il voulait devenir le numéro 1 de l'export de l'acier,
33:59 il a construit des hauts fourneaux partout,
34:00 ça a créé une famine de 60 millions de morts en quelques années.
34:03 Quoi qu'il en soit, Maxence Gastineau,
34:05 l'abandon de politique sociale ?
34:07 - Ou sociétale, si j'ai bien compris.
34:09 - Alors, trop de sociétal, pas assez de social,
34:11 c'est ce que disait Pierre, si j'ai bien compris.
34:12 - C'est-à-dire que, en effet, sur les sujets sociétaux,
34:15 nous sommes très divisés,
34:17 que nous soyons divisés sur des sujets politiques et idéologiques en France,
34:19 ce n'est pas nouveau, le problème,
34:21 et j'en reviens à ce que je disais auparavant,
34:23 c'est qu'est-ce qui compense,
34:24 qu'est-ce qui fait contrepoids à ces divisions ?
34:26 Et là, c'est là où, en effet, je pense qu'il y a un affaissement
34:28 du sentiment d'appartenance à une même nation,
34:30 ce qui nous renvoie à la deuxième partie de la question
34:32 que je trouve intéressante, parce qu'on parle beaucoup de l'identité au sens culturel,
34:35 mais le sentiment d'appartenance à une nation,
34:37 il était aussi fondé, et notamment avec le général de Gaulle,
34:40 qu'on évoque à corps et à cri dans les années 60,
34:43 à partir de grands projets industriels,
34:45 c'était la fierté d'appartenir à une grande nation
34:48 qui était capable, comme les autres, comme les Etats-Unis,
34:50 d'avoir sa propre industrie nucléaire,
34:52 d'avoir ses propres projets industriels,
34:54 et je crois qu'en effet, si nous n'avons plus les mêmes bases culturelles communes,
34:57 mais qu'en plus, nous n'avons plus ce même force de frappe
35:00 en termes d'innovation et d'industrie,
35:02 et bien où sont les leviers de fierté ? Ils font défaut.
35:04 - Sachant que l'État n'a plus la même force de frappe financière
35:07 qu'il avait à l'époque du général de Gaulle,
35:09 parce que les caisses sont vides et qu'on est sur "on était".
35:11 - Oui, mais c'est la question de l'œuf et la poule,
35:13 c'est-à-dire que nous nous sommes désindustrialisés,
35:15 donc du coup, nous sommes beaucoup plus dépendants d'importation,
35:18 et c'est qui a aussi contribué à alimenter la dette de l'État français.
35:22 Donc je pense qu'il faut d'abord, comme le dit d'ailleurs quelqu'un comme Arnaud Montebourg,
35:25 reconstruire notre base industrielle,
35:27 et là, ensuite, nous retrouverons peut-être des conditions économiques plus fécondes
35:30 qui nous permettront d'investir davantage peut-être dans notre appareil armé
35:33 pour revenir sur les sujets géopolitiques.
35:34 - Mais à supposer que ce soit possible, dans la mesure où certains pays
35:36 qui nous font concurrence, qui ne sont plus occidentaux,
35:38 ont une avance technologique considérable,
35:40 on peut le voir en ce moment même, par exemple,
35:42 avec l'arrivée massive de voitures chinoises à prix complètement cassées,
35:46 et qui sont en avance technologiquement sur les nôtres.
35:48 - C'est tout à fait inquiétant, mais en même temps,
35:50 quand vous regardez le classement de la France dans l'OCDE et dans l'Union Européenne,
35:53 nous sommes avant-dernier, je crois,
35:55 juste devant la Bulgarie au niveau de notre balance commerciale,
35:59 donc sans peut-être reconvoquer les années 60,
36:02 nous pouvons peut-être, je pense, même rattraper un certain nombre
36:04 de déficits extérieurs en termes industriels.
36:06 - Mais il se trouve que ça nous amène à un sentiment de déclin
36:08 qui n'est quand même pas tant dans tout le pays, et pas seulement en France d'ailleurs,
36:11 et qui est commun à beaucoup de pays européens et même occidentaux.
36:14 - Oui, mais je dirais quand même, en France, ce sentiment est accentué,
36:18 peut-être par un pessimisme culturel sur lequel on revient souvent,
36:20 mais quand même, regardons en arrière, il y a encore, par exemple,
36:23 il y a encore 20 ans, on pouvait être fier d'être français
36:26 lorsque nous disions "nous" aux Etats-Unis par rapport à la guerre en Irak en 2003,
36:29 nous avions des services publics, nous pouvions dire que notre modèle d'intégration fonctionnait,
36:32 que l'école fonctionnait plus ou moins bien,
36:34 que nous étions un pays exportateur de denrées agricoles,
36:36 ce qui est toujours le cas, mais sur tous ces indicateurs,
36:39 absolument tout, nous avons régressé.
36:41 Donc les 20 dernières années ou les 30 dernières années sont en effet le signe d'un affaissement.
36:45 - Et qu'est-ce qui l'explique ?
36:46 - Mais qu'est-ce qui l'explique ?
36:48 Écoutez, sur différents sujets, je crois que nous avons cru que notre salut
36:52 passerait par un surcroît d'européanisation sur à peu près toutes les politiques.
36:57 Et on le voit aujourd'hui notamment sur la politique énergétique,
36:59 où des Etats n'ont pas pensé qu'en la jouant en collectif,
37:03 ils allaient s'en trouver renforcés.
37:05 Je pense évidemment à l'Allemagne qui, elle, a défendu ses intérêts nationaux
37:08 et aujourd'hui du coup la France est contrainte de le faire et défend son industrie nucléaire.
37:12 Mais que de retard a accumulé au nom de l'idée sans laquelle nous allions dépasser les Etats-nations.
37:16 - Donc c'est la France qui a été plus naïve que les autres, y compris que d'autres pays d'Europe.
37:20 - La France a été peut-être plus royaliste que le roi, plus européenne que les Européens,
37:24 voire même peut-être à un moment donné plus mondialiste que la mondialisation,
37:28 puisque nous avons cru que la mondialisation c'était au fond une ère économique
37:31 dans laquelle les Etats n'allaient plus avoir de prix sur le destin de leur propre peuple.
37:34 C'est faux ! Et les pays du Sud se sont développés à partir d'un certain dirigisme
37:38 qui nous rappelle le capitalisme d'Etat qui fonctionnait à l'époque notamment.
37:42 - Mais pourtant on est à une époque où les très grandes entreprises, les géants du CAC 40,
37:46 ont presque autant d'argent à gagner en dehors de la France qu'à l'intérieur de la France,
37:50 où des grands groupes ne payent pas beaucoup d'impôts par exemple,
37:53 et où certains milliardaires en font autant.
37:55 - Oui mais nous avons aussi quand même un savoir-faire,
37:57 alors c'est là où il faut être un petit peu peut-être positif et croire en notre avenir,
38:00 nous avons aussi un certain nombre de savoir-faire technologiques et industriels,
38:04 il se trouve que je connais bien le secteur de l'énergie,
38:06 et dans le domaine de l'énergie il y a par exemple un secteur qui est assez peu connu,
38:09 c'est le domaine du biogaz, la France a un potentiel de production de biogaz
38:12 grâce à ses grands groupes industriels comme Total, Engie, etc.,
38:16 qui doit nous permettre d'avoir une indépendance énergétique gazière
38:19 plus importante dans les prochaines années.
38:21 Donc il faut constater le déclin de la France sur tout un ensemble de sujets,
38:26 et en même temps se demander comment on peut remonter la pente.
38:28 Et là vous avez un certain nombre de secteurs, je citais le secteur énergétique,
38:31 mais il y en a d'autres sur lesquels nous pouvons miser
38:33 pour essayer de reconstruire notre base industrielle.
38:35 - Autre aspect important, parce que la France s'est industrialisée
38:38 avant une bonne partie des pays du monde, en tout cas ceux qui ne sont pas occidentaux,
38:42 les ressources minières, les réserves naturelles, les matières premières,
38:46 elles ne sont plus en Europe, c'est aussi une faiblesse,
38:48 et cette faiblesse on ne peut pas la compenser.
38:50 - Mais la souveraineté ce n'est pas l'autarcie,
38:53 c'est-à-dire qu'il faut à la fois valoriser ses propres atouts,
38:55 et nous avons quand même un certain nombre de ressources énergétiques minières en Europe,
38:59 elles ne suffiront pas,
39:01 et donc ce qui compte c'est de diversifier nos sources d'approvisionnement.
39:04 La France a eu, de ce point de vue-là, je dirais, un regard stratégique très intéressant,
39:09 lorsqu'on regarde son approvisionnement énergétique, nucléaire ou gazier,
39:12 nous ne dépendons pas d'un seul pays comme l'Allemagne par rapport au gaz russe.
39:15 - C'est très important, d'ailleurs on dépend largement aussi du Kazakhstan,
39:18 qui est une ancienne république soviétique,
39:20 rien que pour l'uranium c'est important de le rappeler concrètement aujourd'hui,
39:24 qui sont pour vous les ennemis de l'Occident ?
39:28 - Je dirais que le principal ennemi de l'Occident, c'est l'Occident lui-même,
39:34 c'est-à-dire qu'il faut en effet constater un relatif déclin,
39:38 une relative perte de puissance,
39:40 se demander pourquoi nous ne sommes plus aujourd'hui dignes d'être imités,
39:45 selon un certain nombre de pays en tout cas,
39:47 et se demander s'il n'y a pas aussi des bonnes raisons
39:51 qui justifient notre remise en question,
39:53 parce que nous voyons, et là on en a largement parlé avec la désindustrialisation
39:57 et puis la division exacerbée de nos nations,
40:00 il faut se demander si nous n'avons pas pris un mauvais chemin,
40:04 et s'il n'est pas temps, avant de donner des leçons à la terre entière,
40:08 de reconstituer nos propres nations.
40:10 - Et donc ce mauvais chemin qu'il faut abandonner, qu'est-ce qu'il faut abandonner aujourd'hui ?
40:14 - Ce qu'il faut abandonner, c'est l'idée selon laquelle nous avons vocation
40:18 à réjanter la mondialisation,
40:21 des valeurs universelles transcendent l'humanité,
40:24 il y a des principes universels, il y a une humanité évidemment,
40:28 mais elle se médiatise différemment en fonction des cultures et des modèles nationaux.
40:32 Donc il faut tout simplement accepter, prendre acte de la diversité du monde et...
40:36 - Et laisser le parti communiste chinois, pour ne citer que lui,
40:39 exporter son propre modèle quand il le pourra ?
40:41 - Mais la Chine ne cherche pas à exporter son propre modèle,
40:44 elle est convaincue de son exceptionnalité et que sa singularité n'est pas exportable.
40:47 - Grosse différence avec les Occidentaux d'ailleurs, culturel.
40:50 - Oui, les Occidentaux, donc reconstruisons-nous de l'intérieur
40:54 et entrons dans cette nouvelle ère avec la force, encore une fois, de nos nations.
41:00 La valeur qui prédomine aujourd'hui, je le dis une nouvelle fois,
41:02 c'est l'intérêt national avec une vision très souple.
41:05 On voit les Européens qui aujourd'hui refusent par exemple le gaz russe pour soutenir l'Ukraine,
41:09 mais qui par ailleurs vont se rapprocher de l'Azerbaïdjan
41:12 et par ce biais obtenir quand même le gaz russe.
41:15 Et donc là nous sommes pris à revers, nous avons un discours très moral au nom de nos valeurs
41:18 et pourtant quand il s'agit de défendre nos intérêts, on oublie un petit peu ces valeurs-là.
41:21 - Mais loin d'être le seul à le faire, on rappelle qu'Israël a par exemple équipé l'armée azerbaïdjanaise,
41:25 que l'Iran était plutôt du côté des Arméniens
41:28 parce qu'elle a elle-même plus de 10 millions d'azéris sur son territoire.
41:31 Enfin tout le monde peut aussi être un petit peu faucheton avec ça.
41:34 - Bien évidemment, mais sauf que c'est beaucoup plus assumé dans d'autres pays.
41:37 Alors nous, nous sommes incohérents entre la défense de nos intérêts et la défense de nos valeurs,
41:40 ce qui nous affaiblit. L'incohérence sans la puissance est source de perte de crédibilité
41:45 et je crois que c'est ça aujourd'hui qui nous est largement reproché.
41:48 - Pourtant la puissance militaire française est quand même supérieure aujourd'hui à la puissance militaire iranienne.
41:53 Si je prends un exemple, c'est difficile de comparer deux États qui sont trop loin pour se faire la guerre.
41:56 - Oui, mais lorsqu'on se compare, en effet, on peut se rassurer,
41:59 mais les capacités d'intervention de l'armée française, on le sait tous, sont très limitées.
42:03 Des rapports sont venus l'attester. Et même sur le théâtre africain, nous n'avons pas agi tout à fait seul.
42:08 Donc il faut aussi se rendre compte de nos moyens, ils sont importants,
42:11 mais aussi de leur diminution et de leurs limites.
42:14 - La principale raison d'espérer, puisque votre livre, quand même,
42:17 où les questions qu'on a soulevées peuvent pousser au pessimisme,
42:20 la principale raison d'espérer pour vous ?
42:22 - La principale raison d'espérer, c'est que l'un des grands faits d'armes de la France des 20 dernières années,
42:26 c'était en 2003, lorsque nous sommes opposés à la guerre en Irak.
42:29 Nous étions en avance sur les nations européennes, parce que nous avions compris que cette intervention
42:32 n'allait pas être comprise par un monde non-occidental qui était en train de s'affirmer.
42:36 Et donc, il y a quand même, dans l'appareil diplomatique français,
42:39 il y a une tradition gaullienne qui fait que nous sommes capables de nous adresser
42:44 au reste du monde à des pays qui ne sont pas occidentaux.
42:46 D'où l'importance de ne pas s'enfermer dans un bloc occidental
42:49 dans lequel l'Europe va perdre son autonomie.
42:51 Il faut que la France se reconnecte avec sa tradition géopolitique
42:55 et s'adresse à des pays vis-à-vis desquels elle n'a plus l'habitude de parler.
42:58 Par exemple l'Amérique latine, quelle est notre vision aujourd'hui de l'Amérique latine ?
43:01 Le Mexique est en train de s'émanciper géopolitiquement des Etats-Unis,
43:03 le Brésil s'affirme, nous n'avons plus de véritable politique latino-américaine.
43:06 - La mano en la mano, disait De Gaulle dans son discours à Mexico aux Mexicains,
43:11 la France et le Mexique vont se développer la main dans la main.
43:14 Est-ce qu'on peut encore réveiller ces vieux réseaux ?
43:17 - Mais la France a un réseau diplomatique qui fait partie des plus importants du monde.
43:20 Il y a encore une fois une tradition historique,
43:22 une langue française qui continue malgré tout d'être parlée par un nombre de locuteurs importants.
43:26 - De moins en moins comme langue étrangère.
43:29 - Oui mais par rapport encore une fois à d'autres pays, ça reste important.
43:32 Nous séjons au Conseil de sécurité des Nations Unies,
43:33 enfin nous avons tout un ensemble d'atouts que tout le monde connaît,
43:35 mais qu'il faut désormais mettre au service d'une vision stratégique française et européenne.
43:39 Et je crois qu'elle fait défaut aujourd'hui.
43:41 C'est plutôt un déficit intellectuel qui aujourd'hui nous fait défaut sur la scène internationale.
43:47 - Et vous parlez justement du Conseil de sécurité des Nations Unies.
43:49 Aujourd'hui, cinq membres permanents, Etats-Unis, Chine, Russie, France, Grande-Bretagne.
43:54 Si réforme il y a de ce Conseil de sécurité, qui perdra son siège ? C'est nous.
43:59 - Mais ce serait une grave erreur que de perdre notre siège.
44:03 On dit que ce serait nous qui prendrions la décision,
44:05 mais globalement, ce n'est plus du tout en rapport avec le poids politique ou économique de la France.
44:09 - Mais pour qu'on perde notre siège, il faudrait qu'on l'accepte en tant que membre permanent des Nations Unies.
44:13 Il faudrait que la décision soit française et qu'elle soit approuvée par les autres membres.
44:17 - Les colvettos sont attenables.
44:18 - Par contre, il y a une évolution qui moi m'inquiète.
44:20 Vous avez à la fois Emmanuel Macron qui affirme quand même une tradition gaullienne lorsqu'il revient de Chine
44:23 et qu'il dit que les Européens n'ont pas vocation à suivre l'agenda géostratégique américain.
44:26 Ça me semble être du bon sens gaullien en quelque sorte.
44:29 Mais par ailleurs, il défend avec l'Allemagne la fin de l'unanimité sur les initiatives de politique étrangère au sein du Conseil européen.
44:36 C'est-à-dire que demain, à la majorité, les 27 pourraient décider d'un certain nombre d'initiatives en termes de politique étrangère.
44:41 C'est l'assurance pour la France d'être systématiquement minoritaire
44:44 puisque nous sommes les seuls à avoir des prétentions, des velléités indépendantistes pour l'Europe vis-à-vis des États-Unis.
44:49 - Allez, en tout cas, merci à vous, Max Arouen-Gastineau, auteur de ce livre "L'ère de l'affirmation, répondre au défi de la désoccidentalisation".
44:57 C'est publié aux éditions du Cerf Festival.

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