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[Cours criminelles départementales]
Date de rendu de la décision : 24 novembre 2023

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Transcription
00:00:00 les membres du Conseil constitutionnel.
00:00:02 Bonjour à tous. Asseyez-vous, je vous en prie.
00:00:06 (Propos inaudibles)
00:00:32 Mesdames et messieurs, bonjour.
00:00:34 Avant d'ouvrir à proprement parler l'audience,
00:00:38 quelques mots pour expliquer cette journée.
00:00:43 D'ordinaire, comme vous le savez,
00:00:45 le Conseil constitutionnel siège au Palais royal,
00:00:49 à Paris, mais nous avons pris la décision,
00:00:52 en général, une fois par trimestre,
00:00:54 de nous déplacer en région pour tenir une audience,
00:00:57 comme nous le faisons à Paris,
00:01:00 et nous saisissons cette occasion
00:01:02 pour étudier, nous allons faire cet après-midi,
00:01:06 quelques questions prioritaires de constitutionnalité,
00:01:10 pour aussi rencontrer les magistrats,
00:01:14 ce que nous avons fait ce matin, les avocats,
00:01:17 pour passer un peu plus d'une heure
00:01:20 dans les lycées de la ville, ce que nous avons fait ce matin,
00:01:23 et nous remercions beaucoup les proviseurs
00:01:25 qui nous ont accueillis.
00:01:27 Tenir donc une audience l'après-midi,
00:01:31 ensuite, voir rapidement la presse,
00:01:33 et puis reprendre notre train pour Paris.
00:01:37 Là, nous sommes donc jeudi, mercredi, excusez-moi.
00:01:43 Nous allons écouter ce qui se dit,
00:01:46 sur des dossiers que, par ailleurs, nous avons déjà examinés,
00:01:49 mais qui vont être, évidemment, rendus plus vivants
00:01:53 par les interventions que nous allons écouter.
00:01:56 Ensuite, nous rentrons à Paris,
00:01:58 et nous allons nous réunir dans ce qu'on appelle le délibéré,
00:02:03 et prendre nos décisions sur les affaires
00:02:06 que nous examinons cet après-midi.
00:02:08 Ce délibéré est en secret.
00:02:12 Ensuite, le secrétaire général du Conseil et moi-même,
00:02:15 nous allons revenir à Douai la semaine prochaine,
00:02:20 vendredi, exactement,
00:02:22 et à la faculté, j'expliquerai aux étudiants,
00:02:27 aux professeurs, et à l'opinion publique,
00:02:31 quelles sont les décisions que nous avons prises
00:02:33 sur les questions examinées aujourd'hui,
00:02:36 et j'expliquerai, ce qui fait l'intérêt de cette séance,
00:02:40 la fois prochaine, pourquoi nous avons pris ces décisions,
00:02:44 et non pas d'autres décisions que nous aurions pu prendre.
00:02:47 Voilà, l'objet de tout cela,
00:02:48 c'est de faire connaître à la population, à nos concitoyens,
00:02:55 comment travaille le Conseil constitutionnel,
00:02:58 et aussi, bien sûr, de rendre des décisions
00:03:01 sur des affaires dont nous sommes saisis.
00:03:03 Alors, précisément, aujourd'hui,
00:03:06 nous avons une question sous un double numéro,
00:03:11 puis une autre question.
00:03:13 Nous allons les examiner.
00:03:17 Simplement, je dis cela aux avocats
00:03:20 qui nous font la gentillesse d'être là.
00:03:24 Ils vont intervenir, mais il faudra qu'ils se tiennent
00:03:27 exactement dans les délais qui leur ont été signifiés,
00:03:32 parce que c'est ainsi que cela fonctionne
00:03:37 au Conseil constitutionnel.
00:03:39 Et, connaissant leur talent,
00:03:42 je sais qu'en peu de mots, on peut aller à l'essentiel,
00:03:46 de même qu'en beaucoup de mots, on peut ne pas aller à l'essentiel.
00:03:50 Donc, choisissons la 1re solution,
00:03:52 et je serai assez strict.
00:03:55 Et donc, ils liront dans mon regard
00:03:58 que les choses arrivent à leur fin.
00:04:01 Voilà. Je remercie bien évidemment
00:04:04 madame la présidente, qui nous accueille
00:04:06 avec beaucoup de gentillesse et d'efficacité,
00:04:09 ainsi que ses collègues de l'ordre judiciaire,
00:04:12 de l'ordre administratif, à Douai.
00:04:16 L'audience est ouverte.
00:04:17 Nous allons commencer cette audience
00:04:19 avec 2 questions prioritaires de constitutionnalité,
00:04:23 qui portent les numéros 2023, 1069, 1070,
00:04:28 qui portent sur certaines dispositions
00:04:31 des articles 390-16 à 380-22
00:04:37 du Code de procédure pénale,
00:04:39 dans leur rédaction issue de la loi 2021-1729,
00:04:44 du 22 décembre 2021,
00:04:46 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
00:04:49 Donc, 2 QPC, mais qui en fait sont jointes.
00:04:53 Madame Lagréfière, qui est là,
00:04:55 va d'abord nous retracer les étapes
00:04:57 de la procédure d'instruction pour ces 2 questions.
00:05:00 Instruction qui précède cette audience de plaidoiries.
00:05:05 Madame Lagréfière.
00:05:06 -Je vous remercie, monsieur le président.
00:05:07 Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 septembre 2023
00:05:11 par 2 arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation
00:05:14 de 2 questions prioritaires de constitutionnalité,
00:05:16 posées d'une part par monsieur Sekou Doucour
00:05:19 et d'autre part par monsieur Clévis Memia.
00:05:22 Ces questions portent d'une part
00:05:23 sur la conformité aux droits et libertés
00:05:25 que la Constitution garantit
00:05:27 des articles 390-16, 390-17
00:05:30 et du 4e man de l'article 390-19
00:05:34 du Code de procédure pénale,
00:05:35 dans leur rédaction issue de la loi 2021-1729
00:05:40 du 22 décembre 2021,
00:05:41 pour la confiance dans l'institution judiciaire,
00:05:44 et d'autre part sur les articles 390-16 à 390-22
00:05:49 du Code de procédure pénale,
00:05:50 dans leur rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021 précitée.
00:05:56 Ces questions relatives aux cours criminels départementales
00:05:58 ont été enregistrées au secrétariat général
00:06:00 du Conseil constitutionnel
00:06:02 sous les numéros 2023-1069 QPC
00:06:05 et numéros 2023-1070 QPC.
00:06:09 Dans le dossier numéro 2023-1069 QPC,
00:06:12 maître Antoine Horry et maître Maya Cantor,
00:06:14 dans l'intérêt de monsieur Sekou Doucour, partie requérante,
00:06:17 ont produit des observations le 10 octobre 2023.
00:06:20 Dans le dossier numéro 2023-1070 QPC,
00:06:24 maître Jean-François Barre,
00:06:25 dans l'intérêt de monsieur Clévis Memia, partie requérante,
00:06:28 a produit des observations le 11 octobre 2023.
00:06:31 Maître Jean-Paul Franckoux,
00:06:33 en sa qualité de bâtonnier de l'Ordre des avocats
00:06:35 au barou de Villefranche-sur-Saône,
00:06:37 a demandé à intervenir et a produit des observations
00:06:39 à cette fin, le 10 octobre 2023.
00:06:42 Maître Yves Harteman a demandé à intervenir
00:06:44 dans l'intérêt de l'Ordre des avocats au barou de Lyon
00:06:47 et a produit des observations à cette fin, le 11 octobre 2023.
00:06:51 La SARL Cabinet Briard a demandé à intervenir
00:06:53 dans l'intérêt de l'Ordre des avocats au barou des Hauts-de-Seine
00:06:56 et a produit des observations à cette fin, le 11 octobre 2023.
00:07:00 Maître François Bardoul a demandé à intervenir
00:07:03 dans l'intérêt de l'Ordre des avocats au barou de Nantes
00:07:05 et a produit des observations à cette fin, le 11 octobre 2023.
00:07:10 Dans les deux dossiers,
00:07:11 Maître Guillaume Arnault a demandé à intervenir
00:07:14 dans l'intérêt de l'Ordre des avocats au barou de la Seine-Saint-Denis
00:07:17 et a produit à cette fin des observations, le 10 octobre 2023.
00:07:20 M. Benjamin Fiorini, en sa qualité de président
00:07:23 de l'association Sauvons les Assises, a demandé à intervenir
00:07:26 et a produit à cette fin des observations, les 11 et 25 octobre 2023.
00:07:31 La SCP Pivnica et Molinier a demandé à intervenir
00:07:33 dans l'intérêt du Conseil national des baroux,
00:07:36 de la Conférence des bâtonniers de France
00:07:38 et de l'Ordre des avocats au barou de Paris
00:07:40 et a produit à cette fin des observations, les 11 et 25 octobre 2023.
00:07:44 La SCP Spinozi a demandé à intervenir
00:07:46 dans l'intérêt de l'association des avocats pénalistes
00:07:49 et a produit à cette fin des observations, les 11 et 25 octobre 2023.
00:07:53 M. Nicolas Gillet, en sa qualité de bâtonnier
00:07:55 de l'Ordre des avocats au barou de Poitiers,
00:07:57 M. Agnès Hossiart C. Rey, en sa qualité de bâtonnière
00:08:01 de l'Ordre des avocats au barou de Bayonne
00:08:03 et M. Valentine Ghiriato, en sa qualité de bâtonnière
00:08:06 de l'Ordre des avocats au barou de Bergerac-Sarlat,
00:08:09 ont demandé à intervenir et ont produit à cette fin
00:08:11 des observations, le 11 octobre 2023.
00:08:15 M. Sonia Hulet-Cheikh, en sa qualité de présidente
00:08:18 de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats,
00:08:21 a demandé à intervenir et a produit à cette fin
00:08:24 des observations, le 11 octobre 2023.
00:08:26 La SCP Anne Seveau et Paul Mattenet a demandé à intervenir
00:08:30 dans l'intérêt d'une part du syndicat de la magistrature
00:08:33 et du syndicat des avocats de France
00:08:34 et d'autre part de l'Ordre des avocats au barou de Rennes,
00:08:38 du Val-d'Oise, de Strasbourg, de Toulon, du Val-de-Marne,
00:08:41 de Toulouse, de Lille, de Grenoble, d'Aix-en-Provence,
00:08:45 de Marseille et de Nice, et a produit à cette fin
00:08:48 des observations, le 11 octobre 2023.
00:08:50 La Première ministre a produit des observations
00:08:52 dans les 2 dossiers, le 11 octobre 2023.
00:08:55 Dans cette affaire, Mme Véronique Malbec a estimé devoir
00:08:58 s'obtenir de siéger.
00:08:59 Seront entendues aujourd'hui, pour les 2 affaires,
00:09:02 les avocats des parties requérantes,
00:09:03 les avocats des parties intervenantes
00:09:05 et le représentant de la Première ministre.
00:09:07 -Merci, madame.
00:09:08 Donc, vous avez compris, 2 conclusions à tirer.
00:09:11 D'une part, mes remerciements aux nombreux avocats
00:09:14 qui nous ont fait la gentillesse de se déplacer.
00:09:16 Et deuxièmement, je serai intransigeant
00:09:18 sur leur durée de parole.
00:09:21 Nous allons commencer avec maître Antoine Horry,
00:09:24 qui est avocat au barou de Paris,
00:09:27 qui représente M. Secoudou-Couré, parti requérant.
00:09:30 Maître, nous vous écoutons.
00:09:32 10 minutes.
00:09:33 -Le pouvoir de juger les crimes est le plus terrible des pouvoirs.
00:09:37 Le peuple qui s'en dépouille ne peut jamais être libre.
00:09:39 Le peuple qui se le réserve ne peut jamais être esclave.
00:09:42 Tels sont les mots, M. le Président,
00:09:43 mesdames, messieurs, les membres du Conseil,
00:09:44 avec lesquels le député Antoine Barnave s'est exprimé
00:09:48 à la tribune de l'Assemblée nationale constituante
00:09:49 le 19 janvier 1791,
00:09:52 époque à laquelle les partisans des jurés d'assises
00:09:54 voyaient en eux un instrument permettant de juguler
00:09:57 le pouvoir alors confié aux magistrats
00:09:59 et de le rendre au peuple auquel on l'avait confisqué.
00:10:01 Bien que ces propos soient ceux d'un ancien confrère,
00:10:03 permettez-moi d'emblée de chasser de vos esprits
00:10:06 une pensée dont vous pourriez être saisis
00:10:08 à la vue des robes noires présentes en nombre dans cette salle
00:10:10 pour soutenir ces 2 questions prioritaires de constitutionnalité
00:10:13 pour lesquelles j'ai l'honneur de plaider en premier.
00:10:16 Cette démarche n'est certainement pas le fruit d'une méfiance
00:10:18 à l'égard des juges,
00:10:20 mais bien ni une initiative corporatiste,
00:10:22 mais bien un combat pour la préservation d'une institution
00:10:25 à laquelle sont attachés les avocats, certes,
00:10:27 mais également de très nombreux magistrats
00:10:29 qui, par la voix de leur syndicat,
00:10:30 se sont soulevés contre l'instauration
00:10:32 de ces cours criminels, ainsi que de nombreuses organisations
00:10:35 qui sont au-dessus de la société civile.
00:10:36 Le large soutien de cette initiative s'explique
00:10:38 par la dimension doublement historique de cette audience.
00:10:41 D'une part, parce qu'elle sollicite la consécration
00:10:44 d'un nouveau principe fondamental reconnu
00:10:46 par les lois de la République,
00:10:47 que votre institution n'a admis qu'à 11 reprises
00:10:49 en près de 50 années de jurisprudence.
00:10:51 D'autre part, parce que les dispositions attaquées
00:10:53 enterrinent la liquidation d'un héritage profondément ancré
00:10:56 dans notre histoire républicaine et judiciaire,
00:10:59 qui renvoie à une période où la souveraineté et la liberté,
00:11:01 sans doute dans leur acception les plus essentielles,
00:11:04 est dans tous les esprits.
00:11:05 Cet héritage qui jusqu'il y a peu constituait
00:11:07 le droit commun du jugement criminel
00:11:09 et qui est devenu son exception
00:11:10 puisque ces nouvelles juridictions auront désormais la charge
00:11:13 de près de 60% des dossiers jusqu'alors confiés au cours d'assises.
00:11:17 Pour autant, il serait réducteur et même inexact
00:11:19 de croire que ce sont la nostalgie, un goût suranné
00:11:22 pour cette institution bicentenaire,
00:11:23 ou même une forme de conservatisme
00:11:25 que l'on prête parfois à l'institution judiciaire,
00:11:27 supposément rétive à toute forme d'évolution,
00:11:29 qui aiguillonne cette lutte.
00:11:30 Et ce n'est pas non plus, je vous rassure,
00:11:32 l'inquiétude narcissique des avocats
00:11:33 de voir tomber en déliquescence
00:11:35 l'influence de leurs effets de manche sur les jurés
00:11:37 que l'on pense à tort ou à raison plus impressionnable.
00:11:40 Si le maintien du juré populaire est à ce point plébiscité,
00:11:43 c'est parce qu'il constitue un gage de qualité de la justice
00:11:46 tant pour l'accusé que pour la collectivité.
00:11:49 La 1re vertu des jurés populaires
00:11:51 se trouve dans leur absence théorique de connaissances juridiques
00:11:53 qui les protègent contre l'habitude et peut-être parfois
00:11:55 la lassitude de juger,
00:11:57 inclinaison susceptible d'altérer l'attention des magistrats
00:12:00 et de les rendre moins sensibles au ciment de notre Etat de droit,
00:12:03 la présomption d'innocence et le principe selon lequel
00:12:05 le doute doit toujours profiter à l'accusé.
00:12:07 A l'inverse, ces règles ne sont rappelées qu'une seule fois
00:12:10 aux jurés populaires qui les accueillent avec solennité et gravité.
00:12:13 Les jurés doivent aussi traverser
00:12:14 une série d'épreuves toutes dictées par le hasard
00:12:17 pour venir siéger dans une cour d'assise,
00:12:19 être tiré au sort une 1re fois,
00:12:20 puis être choisi le jour de l'audience
00:12:22 et enfin ne pas être récusé par l'une ou l'autre des parties.
00:12:25 Ces aléas successifs conduisent toujours les jurés
00:12:28 à prendre toute la mesure de l'honneur,
00:12:29 de la responsabilité immense que le sort leur confie
00:12:32 et à exécuter leur office avec un zèle particulier.
00:12:35 Ils n'incarnent pas cette institution
00:12:36 dans laquelle ils n'occupent que des fonctions temporaires,
00:12:38 si bien qu'ils en ressentent une indépendance
00:12:40 et un sentiment de responsabilité accru.
00:12:43 Becquerel notait d'il 1764
00:12:45 "la force du juré se trouve dans son inexpérience.
00:12:47 Son regard neuf offre la certitude d'une opinion
00:12:50 qui ne sera pas polluée par l'accoutumance inévitable
00:12:53 au moyen de défense d'un accusé
00:12:55 et dont la seule boussole sera sa conscience.
00:12:57 Les jurés jugent comme ils voient et non comme ils doivent voir."
00:13:00 Et la disparition des jurés populaires liquide ainsi
00:13:03 un système bâti et consolidé au fil des siècles,
00:13:05 celui de la preuve morale et de l'intime conviction,
00:13:07 seul guide de ces femmes et de ces hommes
00:13:09 dont le serment qu'ils prêtent en appelle à leur probité
00:13:12 et leur liberté.
00:13:13 Il faut entendre cette liberté au sens moral du terme,
00:13:15 liberté d'accueillir comme on le souhaite
00:13:17 selon des repères intimes, personnels,
00:13:19 les dépositions à l'audience.
00:13:21 C'était également le projet
00:13:22 de l'Assemblée nationale constituante,
00:13:24 faire primer l'oralité qui seule éclaire l'intuition du citoyen
00:13:28 sur un système de probabilité fondé sur l'habitude de juger.
00:13:30 Congédier les jurés, c'est accepter de ne s'en remettre
00:13:33 qu'à l'écrit auquel on abandonne sa conviction.
00:13:35 Et ce n'est d'ailleurs pas le fruit du hasard
00:13:37 si la disparition des jurés s'accompagne à la fois
00:13:39 de l'autorisation pour les magistrats de disposer
00:13:41 du dossier écrit dans le cadre de leur délibéré
00:13:44 et également d'un assouplissement des règles procédurales
00:13:46 pour obtenir la condamnation d'un accusé.
00:13:48 Mon confrère Barre vous l'exposera dans quelques minutes.
00:13:50 Désormais, une majorité simple suffit à condamner un accusé
00:13:54 devant la Cour criminelle départementale
00:13:56 contre une majorité qualifiée devant la Cour d'assises.
00:14:00 Comment ne pas y voir la démonstration limpide
00:14:02 à la fois d'une volonté de répression délibérément plus forte
00:14:05 de l'affaissement de la règle cardinale du doute en droit pénal
00:14:08 mais aussi de garanties moindres pour les justiciables ?
00:14:11 Ce n'est pas seulement l'accusé à qui l'on note une partie de ses droits
00:14:14 que ces dispositions viennent léser,
00:14:16 mais c'est aussi l'institution judiciaire dans son ensemble
00:14:19 qui perd un formidable contre-pouvoir en bannissant les jurés
00:14:21 puisqu'ils sont à la fois juges d'un accusé
00:14:23 et juges de la justice elle-même.
00:14:25 Sans vouloir nourrir le débat jamais tranché
00:14:28 né à l'occasion de l'introduction par le régime de Vichy en 1941
00:14:32 des magistrats aux côtés des jurés
00:14:33 pour délibérer sur la culpabilité des accusés,
00:14:35 cette composition hybride commande au moins aux magistrats
00:14:39 de redoubler d'attention, de pédagogie et d'efforts d'explication.
00:14:42 Et c'est précisément en cela
00:14:44 que le venin des Cours criminelles départementales
00:14:46 infecte le corps social tout entier
00:14:47 parce que les Cours d'assises participent à la formation du peuple.
00:14:50 Tocqueville l'écrivait en 1835,
00:14:52 "Le jury sert à former le jugement
00:14:54 et à augmenter les lumières naturelles du peuple.
00:14:56 "La Cour d'assises permet aux citoyens de participer
00:14:58 "à la vie collective de la cité, de développer leur esprit civique
00:15:01 "et les attache malgré eux à la chose publique.
00:15:04 "Elle leur montre la justice sous son meilleur jour
00:15:05 "dans ce qu'elle a de plus passion, de plus serein, de plus humain,
00:15:08 "et les débarrasse de leurs a priori sur cette institution
00:15:11 "souvent mal comprise et toujours décriée.
00:15:13 "Il s'agit d'un des derniers sanctuaires démocratiques,
00:15:15 "un rituel d'intégration républicaine,
00:15:17 "la liberté par les lois, l'égalité par les droits
00:15:20 "et la fraternité par l'institution.
00:15:22 "Les affaires de violence sexuelle
00:15:24 "que les Cours criminelles départementales
00:15:26 "auront à connaître dans 88% de leurs audiences
00:15:28 "seront dorénavant privées de la participation des citoyens
00:15:31 "alors même qu'il s'agit d'un enjeu de société majeur.
00:15:34 "Tel est le lien qu'on vous demande de briser
00:15:36 "entre la justice et ceux au nom desquels elle est pourtant rendue.
00:15:38 "En définitive, ces dispositions arrachent aux Cours d'assises
00:15:42 "une part de leur humanité dont elles faisaient pourtant l'honneur
00:15:45 "et la sacrifient sur l'autel d'une logique gestionnaire de la justice
00:15:47 "qui n'est même pas démontrée.
00:15:49 "On ne vous dit en effet pas autre chose
00:15:50 "des bienfaits supposés des Cours criminelles départementales
00:15:52 "sous le vernis administratif avec lesquels on les peint.
00:15:55 "L'objectif est de juger plus vite,
00:15:56 "c'est-à-dire avec plus de précipitation, et moins cher,
00:15:59 "alors même que l'expérimentation de ces juridictions
00:16:01 "montrait qu'aucun des effets escomptés n'avait été satisfait.
00:16:05 "Les Cours criminelles départementales
00:16:06 "n'offrent pas de gain d'argent, n'offrent pas de gain de temps
00:16:09 "et désorganisent les juridictions.
00:16:11 "On vous rétorquera certainement
00:16:13 "qu'un premier coup avait déjà été porté en 1986
00:16:15 "au principe du jury populaire
00:16:17 "par la création des Cours d'assises spécialement composées
00:16:20 "chargées d'examiner les affaires de terrorisme,
00:16:22 "mais ces partisans présentaient au moins le mérite
00:16:24 "de poursuivre un objectif louable, à savoir protéger les jurés
00:16:27 "des pressions qu'on était susceptibles de leur infliger.
00:16:29 "Difficile de retrouver cette même noblesse
00:16:31 "dans les débats tenus au sein de notre Parlement,
00:16:33 "où tout ne semble avoir été que discussions comptables
00:16:36 "et querelles techniques visant à déterminer
00:16:38 "comment renier une demi-journée d'audience par ici
00:16:40 "ou une heure de délibération par là,
00:16:42 "alors que l'on s'en prend à l'un des ferments du pacte social.
00:16:45 "Vous le savez, les débats de 1986
00:16:47 "donnèrent lieu à une passe d'armes homérique
00:16:49 "entre le doyen Vedel et le président Badinter,
00:16:51 "qui accoucha d'un compromis par lequel,
00:16:53 "tout en rappelant que l'exception apportée
00:16:55 "à l'intervention des jurés populaires
00:16:57 "n'était acceptée que par son caractère limité,
00:16:59 "le Conseil constitutionnel réserva pour l'avenir sa position
00:17:03 "sur la consécration de ce principe fondamental
00:17:05 "reconnu par les lois de la République.
00:17:06 "Vous êtes aujourd'hui à la croisée des chemins.
00:17:09 "Vous ne pourrez pas, comme l'ont fait vos prédécesseurs,
00:17:11 "renvoyer à demain ce choix.
00:17:13 "Ce nouveau coup porté aux jurés populaires
00:17:14 "sera son coup de grâce, sauf si vous en décidez autrement.
00:17:17 "Je vous demande donc, M. le Président,
00:17:19 "Mesdames, Messieurs, les membres du Conseil constitutionnel,
00:17:21 "de censurer les dispositions attaquées,
00:17:23 "en rappelant solennellement que la justice criminelle,
00:17:25 "si elle est rendue au nom du peuple français,
00:17:27 "doit continuer à l'être par lui."
00:17:30 -Merci, maître.
00:17:33 Nous allons maintenant entendre
00:17:36 maître Jean-François Barre,
00:17:40 qui est vice-bateauille de l'Ordre des avocats
00:17:42 au barrau de Lyon,
00:17:43 et qui représente M. Clévis Mémia, partie requérante,
00:17:47 dans l'affaire 20-23-10-70.
00:17:51 Maître, nous vous écoutons.
00:17:53 Vous aussi, pour 10 minutes.
00:17:54 -Très bien.
00:17:56 M. le Président, Mesdames et Messieurs,
00:17:59 les membres du Conseil constitutionnel,
00:18:02 j'avance devant vous avec l'ensemble de la profession
00:18:06 dans un combat qui est un combat uni
00:18:08 et qui concerne la nécessité, dans un 1er temps,
00:18:10 de préserver le jury populaire
00:18:14 à travers ce qu'il exprime
00:18:16 au niveau de la cour d'assises et des décisions
00:18:19 qui sont rendues avec l'aide des magistrats.
00:18:21 Il ne fait aucun doute que l'institution de la cour d'assises,
00:18:24 dénommée "Fille de la Révolution française",
00:18:26 selon, comme le rappelle, pardon,
00:18:29 Henri Angevin, conseiller honoraire de la Cour de cassation,
00:18:32 se voit aujourd'hui par l'apérition
00:18:34 de la Cour criminelle départementale isolée
00:18:37 dans la connaissance des dossiers et des jugements
00:18:40 des dossiers criminels.
00:18:41 57 %, selon le comité d'évaluation et de suivi
00:18:46 des Cours criminelles départementales,
00:18:47 57 % des dossiers criminels
00:18:49 seront confiés aux Cours criminelles départementales.
00:18:52 Quasiment, et on peut l'imaginer,
00:18:54 avec l'idée qui est celle des décorrectionnalisations,
00:18:57 quasiment 2/3 des dossiers
00:18:59 seront confiés aux Cours criminelles départementales
00:19:02 pour les crimes de droit commun, allant de 15 à 20 ans.
00:19:05 Le jugement par le jury
00:19:07 ne saurait donc être considéré comme un mode de jugement,
00:19:10 parmi d'autres.
00:19:11 Il est une institution très publique, ancrée,
00:19:14 comme il a été très justement rappelé
00:19:16 par mon confrère tout à l'heure, dans notre histoire.
00:19:18 Son rôle est avant tout de manifester avec éclat
00:19:22 l'existence du lien civique
00:19:24 et d'illustrer les valeurs sociales républicaines
00:19:27 qui fondent notre société.
00:19:29 Il doit être considéré, et j'insiste,
00:19:31 comme le droit commun du jugement criminel.
00:19:34 Cette expression provient du Haut comité
00:19:36 sur la réforme de la procédure criminelle, en 1996,
00:19:40 sous l'autorité de son président, Jean-François Denis.
00:19:44 Il est juge de droit commun des dossiers criminels.
00:19:47 C'est, en fin de compte,
00:19:49 l'ensemble de l'organisation de la justice criminelle,
00:19:52 par la mise en place
00:19:54 des cours criminelles départementales en 2019,
00:19:56 qui pose question à travers la sauvegarde du jury populaire.
00:20:00 80 % des dossiers ne feront pas l'objet d'appels,
00:20:07 ceux qui seront rendus par les cours criminelles départementales,
00:20:09 puisque le garde des Sceaux l'avait indiqué
00:20:11 à la conférence des bâtonniers,
00:20:13 que l'appel pour les cours criminelles départementales
00:20:15 était à peu près de 20-21 %,
00:20:17 comme les cours d'assises première instance.
00:20:20 Ce qui pose difficulté, je le disais,
00:20:22 c'est que malgré le rapport du comité d'évaluation
00:20:24 et de suivi de la cour criminelle, qui était paru en novembre 2022,
00:20:28 la loi confiance dans l'institution judiciaire
00:20:31 a généralisé ces juridictions,
00:20:34 qui, comme le rappelait également mon confrère,
00:20:36 a apporté énormément de difficultés
00:20:39 sur, d'une part, cette absence du jury populaire,
00:20:42 mais aussi vis-à-vis des deux autres questions
00:20:45 prioritaires de conscienté qui ont été déposées
00:20:48 concernant la minorité de faveur, le vote sur la culpabilité,
00:20:52 et concernant le vote lié à la peine maximale.
00:20:55 Très rapidement, puisqu'elles sont l'objet de cette QPC,
00:21:01 a été déposée devant la cour criminelle départementale du Rhône
00:21:05 lors de sa première audience.
00:21:06 Nous n'étions pas à Lyon, juridiction pilote,
00:21:10 et prévue par la chancellerie.
00:21:14 Nous avions, pour la 1re fois, ce dossier devant la juridiction,
00:21:18 et les 2 questions qui ont été posées sont relatives
00:21:20 à la rupture d'égalité entre les citoyens.
00:21:23 Cette rupture d'égalité entre les citoyens,
00:21:25 elle se fonde sur l'article 6 de la Déclaration de droit de l'homme.
00:21:28 Il ne peut y avoir de différence de traitement
00:21:30 dans une situation identique.
00:21:31 Vous le savez, le Conseil constitutionnel,
00:21:33 dans sa décision 2011-112, le 1er avril 2011,
00:21:37 a indiqué qu'effectivement,
00:21:39 la protection du principe d'égalité devant la justice
00:21:41 est formulée par des considérants relevant aux articles 6 et 16
00:21:45 de la Déclaration des droits de l'homme.
00:21:48 J'ai lu attentivement les observations
00:21:50 qui viennent en contradiction pour nous dire
00:21:52 qu'il est tout à fait possible pour l'administrateur
00:21:54 de prévoir des règles de procédure pénale différentes
00:21:56 selon les faits, les situations et les personnes auxquelles
00:21:58 elles s'appliquent, pourvu que les différences
00:22:00 ne procèdent pas de discrimination injustifiée,
00:22:03 et que soient assurées des garanties égales aux justiciables
00:22:06 selon vos différentes décisions de 1981 ou 2004.
00:22:09 Or, en l'espèce, la Cour criminelle départementale
00:22:13 connaît, pour prononcer une culpabilité,
00:22:16 d'une majorité simple, 3 sur 5.
00:22:18 La Cour d'assises de 1er ressort connaît, quant à elle,
00:22:22 une minorité dite de faveur, 7 sur 9.
00:22:25 Cette minorité de faveur,
00:22:26 instituée par la loi du 22 décembre 2021,
00:22:30 n'est pas applicable à la Cour criminelle départementale,
00:22:33 ce qui amène, sans véritablement discussion,
00:22:37 une différence de traitement flagrante et manifeste.
00:22:40 A titre d'exemple, ce qui a été évoqué également
00:22:44 devant la Cour de la cessation de chambre criminelle,
00:22:47 d'indiquer que si une personne est renvoyée
00:22:50 devant la Cour criminelle départementale,
00:22:52 mais que l'un des accusés, son complice ou son affidé,
00:22:55 se trouve en récidive légale,
00:22:57 alors cette situation emporte tout sur son passage.
00:23:00 Le dossier sera connu par la Cour d'assises
00:23:03 et non plus par la Cour criminelle départementale.
00:23:06 L'égalité de traitement ici est tant semble-t-il différente.
00:23:09 Que vous soyez en récidive légale,
00:23:11 vous serez donc mieux jugé à travers la culpabilité, 7 sur 9.
00:23:16 Mais si vous êtes un criminel primaire
00:23:19 et que vous passez seul devant une Cour criminelle départementale,
00:23:21 eh bien, vous serez jugé plus durement
00:23:24 sur la question de la culpabilité, 3 contre 5.
00:23:26 Je n'ai pas sorti la calculatrice,
00:23:28 mais 3 contre 5, 7 sur 9,
00:23:30 la différence de traitement est éloquente et véritable.
00:23:34 Je le disais, il y a un instant,
00:23:36 non pas en cas d'appel,
00:23:38 la personne peut passer devant une Cour d'assises d'appel
00:23:41 avec des règles qui sont encore différentes.
00:23:43 Nous n'avons pas la minorité de faveur
00:23:45 devant la Cour d'appel d'assises.
00:23:46 Nous sommes à 8 sur 12.
00:23:48 Et comme énoncé tout à l'heure,
00:23:51 les difficultés sont que les décisions,
00:23:55 les arrêts rendus par la Cour criminelle départementale
00:23:58 de Cour criminelle départementale
00:24:00 ne sont pas frappées d'appels au-delà de 20%.
00:24:03 C'est la raison pour laquelle, à l'époque,
00:24:06 lorsque ces 2 questions prioritaires de consécutivité
00:24:09 ont été déposées devant la Cour criminelle départementale
00:24:11 qui ont connu le filtre de la Chambre criminelle
00:24:13 qui, aujourd'hui, vient devant vous,
00:24:15 eh bien, sont tout à fait dans l'idée d'une rupture d'égalité.
00:24:18 C'est la raison pour laquelle je demande,
00:24:20 car les questions prioritaires de consécutivité
00:24:21 étaient également les mêmes que mon confrère,
00:24:23 à savoir 4, également sur le jury populaire,
00:24:26 je demande que le Conseil constitutionnel consacre,
00:24:28 consacre à valeur constitutionnelle le jury populaire
00:24:31 ou alors à valeur d'un principe fondamental
00:24:33 reconnu par la République,
00:24:34 et bien évidemment censure également les dispositions
00:24:37 relatives à la différence de traitement de l'article 6.
00:24:40 -Merci.
00:24:44 Alors, nous allons maintenant, pour 5 minutes,
00:24:48 écouter maître François Molinier, qui est avocat au Conseil,
00:24:53 qui représente le Conseil national des barreaux,
00:24:55 la Conférence des bâtonniers de France
00:24:57 et l'Ordre des avocats aux barreaux de Paris,
00:24:59 partie intervenante dans les 2 affaires.
00:25:01 Maître.
00:25:02 -Merci, monsieur le président.
00:25:03 Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
00:25:06 j'ai l'honneur de me présenter devant vous,
00:25:08 devant les 3 principales institutions représentatives
00:25:11 de la profession d'avocat en France,
00:25:13 le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers
00:25:16 et l'Ordre du barreau de Paris,
00:25:19 qui sont toutes les 3 opposées à la réforme que vous avez,
00:25:23 aujourd'hui, à examiner du point de vue de sa constitutionnalité.
00:25:26 Cette réforme s'est faite sans eux.
00:25:31 Le moment est historique, car vous aurez notamment à répondre
00:25:35 à la question de savoir quelle est la valeur et la portée
00:25:40 du principe de l'intervention du jury populaire.
00:25:45 Je mets "principe de l'intervention du jury populaire",
00:25:49 car c'est la formule que vous avez retenue
00:25:52 dans votre décision du 3 septembre 1986.
00:25:57 La question de savoir si ce principe
00:25:59 a une valeur constitutionnelle ou non.
00:26:02 En revanche, vous ne l'avez pas tranchée,
00:26:05 et mon confrère y a fait allusion tout à l'heure,
00:26:08 les échanges entre le président Badinter et le doyen Vedel,
00:26:12 tels qu'ils résultent du procès verbal de la séance,
00:26:16 montrent que c'est pour un compromis,
00:26:20 et notamment aussi parce que la question n'était pas véritablement
00:26:23 posée par la saisine, que vous ne l'avez pas tranchée.
00:26:26 Vous ne pourrez pas agir de la même manière,
00:26:30 et il vous appartiendra donc de trancher la conformité
00:26:33 à la constitution de cette disposition.
00:26:36 Et il ne s'agit pas ici d'un texte
00:26:40 qui vient aménager une nouvelle exception,
00:26:43 comme par exemple en matière de terrorisme.
00:26:47 L'ampleur de l'atteinte aux jurys populaires
00:26:50 est considérable par la loi confiance dans l'institution judiciaire,
00:26:55 car c'est un véritable démantèlement progressif
00:26:59 qui est en marche.
00:27:00 Il s'agit progressivement de mettre à la casse
00:27:04 une institution aussi ancienne que la Révolution française,
00:27:08 notre démocratie et nos institutions modernes.
00:27:13 Et il y a un paradoxe, je trouve, dans cette réforme
00:27:17 qui va à contre-courant des aspirations profondes des Français.
00:27:22 Le président de la République rappelait au Conseil constitutionnel
00:27:27 à l'occasion du 60e anniversaire de notre constitution
00:27:31 qu'il faut agir pour permettre aux citoyens
00:27:35 d'être davantage sollicités et mieux associés.
00:27:39 Personne ici ne conteste que l'article 34 de la Constitution
00:27:46 fait bien du législateur l'architecte
00:27:50 de notre organisation juridictionnelle,
00:27:53 qu'il a la compétence de prévoir les délits et les peines,
00:27:58 ainsi que la procédure pénale,
00:28:00 mais il doit le faire dans le respect des normes fondamentales
00:28:04 qui inclut les principes fondamentaux des lois de la République.
00:28:11 C'est un principe qui a été consacré de façon ininterrompue
00:28:16 depuis 1791, 3 fois dans nos constitutions,
00:28:21 celles de 1791, celles de 1793,
00:28:26 et également consacré par une loi de la 3e République en 1872.
00:28:33 Et j'avoue être un peu surpris par l'argument
00:28:36 qui est utilisé par la 1re ministre,
00:28:40 qui viendrait précisément trouver un argument
00:28:43 dans cette continuité depuis la Révolution française
00:28:47 qui exclurait la qualification de principe.
00:28:51 Voilà, M. le Président, ce que je voulais brièvement dire.
00:28:54 Je crois que le principe du jury populaire
00:28:56 a tout à fait sa place à côté des autres principes.
00:28:59 L'indépendance des professeurs d'université,
00:29:02 la compétence du juge administratif, je crois
00:29:05 qu'il est temps de consacrer le principe du jury populaire.
00:29:09 -Merci, maître.
00:29:12 Nous allons maintenant écouter maître Fabien Arakelian,
00:29:17 qui est vice-battenier de l'Ordre des avocats
00:29:20 au barreau des Hauts-de-Seine, partie intervenante
00:29:22 dans l'affaire 2023-1070. Maître, nous vous écoutons.
00:29:26 -M. le Président, Mme, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
00:29:30 le barreau des Hauts-de-Seine intervient volontairement
00:29:33 au soutien de ces questions prioritaires de constitutionnalité.
00:29:37 Quelques observations, tout d'abord, sur les 2 premières questions
00:29:40 qui sont soumises à votre juridiction.
00:29:42 Le principe d'intervention du jury pour juger des crimes,
00:29:47 qu'il soit qualifié de principe fondamental reconnu
00:29:50 par les lois de la République ou de principe à valeur constitutionnelle,
00:29:54 a été à l'évidence méconnu par l'article 9
00:29:57 de la loi du 22 décembre 2021,
00:29:59 en instaurant ces fameuses cours criminelles départementales.
00:30:03 Ce que je viens vous dire aujourd'hui,
00:30:05 comme cela vous a été rappelé,
00:30:07 c'est que c'est l'Assemblée constituante,
00:30:09 qui, dès 1791, a institué le jury en France.
00:30:13 Nous sommes ici, M. le Président, Mme, Messieurs les membres
00:30:15 du Conseil constitutionnel, en présence d'une tradition
00:30:18 ininterrompue d'intervention d'un jury populaire
00:30:21 pour le jugement des crimes de droit commun.
00:30:24 C'est de cela dont nous devons parler aujourd'hui,
00:30:27 de cette tradition ininterrompue.
00:30:29 Les seules exceptions à ce principe d'intervention
00:30:32 du jury populaire pour le prononcer d'une peine criminelle
00:30:36 ne font absolument pas obstacle à la reconnaissance
00:30:38 d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
00:30:41 Alors, sans me lancer dans une liste à l'après-verre,
00:30:44 l'exigence d'un jury populaire vaut tout autant
00:30:47 pour la Cour d'assises des mineurs,
00:30:49 et ne connaît des exceptions que d'une portée extrêmement limitée.
00:30:52 706-17 est suivant du Code de pression pénale
00:30:55 pour la loi de répression sur le terrorisme,
00:30:57 article 706-26 est suivant du Code de pression pénale
00:31:00 sur la loi sur les répression des crimes de stupéfiants,
00:31:02 article 697-1 est suivant du Code de pression pénale
00:31:05 sur la loi sur les crimes pour les militaires
00:31:09 et délits commis dans l'exercice de leur fonction.
00:31:11 Ca, c'est fondamental, parce que, voyez-vous,
00:31:14 ces exceptions concernent donc essentiellement
00:31:17 des hypothèses où le législateur a entendu protéger
00:31:21 le délibéré de la formation de jugement
00:31:23 contre des menaces ou éventuellement
00:31:26 des tentatives d'influence.
00:31:27 Et bien, tel n'est absolument pas le cas en l'espèce,
00:31:30 puisque serait transféré,
00:31:32 si nous suivions ces cours criminels départementales,
00:31:34 à des juridictions composées
00:31:36 exclusivement de magistrats professionnels,
00:31:38 sans intervention du jury populaire,
00:31:40 le jugement d'un grand nombre de crimes
00:31:42 définis non pas tant par leur nature particulière,
00:31:45 mais en réalité par la peine maximale encourue,
00:31:47 c'est-à-dire un crime puni
00:31:48 d'une peine de réclusion criminelle de 15 à 20 années,
00:31:52 sauf lorsqu'il n'est pas commis en état de récidive légale.
00:31:55 Le Conseil constitutionnel pourra ainsi consacrer,
00:31:57 comme cela est suggéré par l'arrêt de l'envoi
00:31:59 de la Chambre criminelle,
00:32:01 à un nouveau principe fondamental reconnu
00:32:03 par les lois de la République,
00:32:04 l'existence d'un tel principe, monsieur le président,
00:32:06 madame, messieurs,
00:32:08 procédant de cette fameuse tradition ininterrompue,
00:32:11 rappelée à l'instant,
00:32:12 d'intervention du jury populaire
00:32:14 pour le jugement de droit commun.
00:32:16 Deux mots sur cette QPC également,
00:32:20 sur ces deux premières QPC,
00:32:21 en vous rappelant que la présence du juré
00:32:24 et tous les pénalistes le savent,
00:32:25 permet la mise en oeuvre du principe d'oralité du débat.
00:32:28 La présence du jury contribue indéniablement
00:32:31 au rapprochement des citoyens avec leur justice.
00:32:35 Deux mots maintenant, et j'en aurais quasiment terminé,
00:32:37 sur les deux dernières questions prioritaires de constitutionnalité.
00:32:40 Les dispositions dont nous sollicitons la censure
00:32:45 prévoient que les décisions portant sur la culpabilité et la peine
00:32:48 sont prises à la majorité de la Cour criminelle,
00:32:51 soit 3 voix sur 5, comme cela a été rappelé à l'instant,
00:32:54 en violation manifeste du principe d'égalité.
00:32:56 Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel a jugé
00:33:00 que le principe d'égalité de tous les individus devant la justice
00:33:03 possède une valeur constitutionnelle.
00:33:06 Cela signifie donc en réalité que tous les justiciables,
00:33:09 quelle que soit leur nationalité ou leur condition,
00:33:12 doivent être traités de manière identique
00:33:14 par les juridictions françaises.
00:33:15 Décision du Conseil constitutionnel du 3 septembre 1986.
00:33:20 J'en aurais terminé en vous rappelant
00:33:23 une citation, puisque je parlais d'une tradition ininterrompue.
00:33:26 Je me suis replongé, voyez-vous,
00:33:29 dans la démocratie en Amérique de M. Tocqueville.
00:33:32 Et voilà ce que nous disait Alexis Tocqueville
00:33:34 sur le jury populaire.
00:33:37 "En forçant les hommes à s'occuper d'autre chose
00:33:40 "que de leurs propres affaires,
00:33:41 "ils combattent l'égoïsme individuel.
00:33:43 "Je le regarde comme l'un des moyens les plus efficaces
00:33:46 "dont puisse servir la société pour l'éducation du peuple."
00:33:50 J'ai plaidé.
00:33:52 -Merci, maître.
00:33:53 Maître Guillaume Arnault,
00:33:55 vous êtes avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis.
00:33:58 Vous représentez l'ordre de ce bureau, de ce barreau,
00:34:01 partie intervenante dans les 2 affaires,
00:34:03 et l'ordre des avocats au barreau de Lyon,
00:34:05 partie intervenante uniquement dans l'affaire 2023-1070-QPC.
00:34:11 Nous vous écoutons, maître.
00:34:13 -M. le président, Mme, M. les membres du Conseil,
00:34:18 il n'y a pas de paix sans justice,
00:34:20 et plus encore, il n'y a pas de paix sans une justice comprise.
00:34:24 Être juré, c'est l'opposé de la justice médiatique,
00:34:28 celle de la réaction instinctive aux faits divers.
00:34:32 Être juré, c'est la porte d'entrée
00:34:35 ouverte à tous vers le monde judiciaire
00:34:37 sous les seules conditions que nous avons décidées,
00:34:41 établies par la loi.
00:34:42 Être juré, c'est assurer la défense des intérêts
00:34:46 que la Constitution, comme matrice des lois, entend protéger.
00:34:50 Être juré, c'est exactement apprendre ce qu'est la justice,
00:34:56 le système judiciaire dans sa dimension pénale,
00:34:59 tel qu'il existe par la Constitution.
00:35:02 Être juré, c'est appréhender le chemin
00:35:06 qui conduit à la culpabilité ou non,
00:35:09 et par la suite, prendre part à la réflexion sur la peine,
00:35:13 son échelle et sa personnalisation.
00:35:15 Si ce chemin commence par le choix du hasard
00:35:19 à travers un tirage au sort sur les listes électorales,
00:35:22 elle débute dans l'enceinte judiciaire par une formation
00:35:26 partagée et conduite par la totalité des acteurs
00:35:29 de la chaîne pénale.
00:35:30 Magistrats, avocats, greffiers,
00:35:34 membres de l'administration pénitentiaire.
00:35:36 La formation est pour tous ceux
00:35:39 qui seront susceptibles d'être pleinement jurés
00:35:41 et participeront au débat et aux délibérés,
00:35:44 et ceux qui resteront sur les bancs.
00:35:47 C'est de cet endroit précis
00:35:48 que le barreau de la Seine-Saint-Denis
00:35:50 et celui de Lyon vous exhortent
00:35:52 de reconnaître comme principe fondamental de la République
00:35:55 l'intervention du jury.
00:35:58 C'est au cours des formations dispensées
00:36:00 par des consoeurs et confrères
00:36:02 dans la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis et du Rhône
00:36:04 que sont échangées des mots,
00:36:07 partagées des idées sur le rôle de l'avocat de la défense,
00:36:11 celui des partis civils, des grands principes juridiques
00:36:15 qui sont le socle de la démocratie,
00:36:18 de nos règles communes.
00:36:20 Les jurés, sur ce chemin, apprennent le droit
00:36:23 et la dureté de ce que veut dire juger.
00:36:28 Montesquieu nous appelle.
00:36:30 "La puissance de juger ne doit pas être donnée
00:36:32 "à un Sénat permanent,
00:36:34 "mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple
00:36:37 "dans certains temps de l'année,
00:36:40 "de la manière prescrite par la loi,
00:36:43 "pour former un tribunal qui ne dure qu'autant
00:36:46 "que la nécessité le requiert."
00:36:50 Les jurés sont ceux qui reviendront chez eux
00:36:53 forts de cette expérience et expliqueront,
00:36:57 relayeront à leur tour ce que veut dire juger.
00:37:02 Ils seront les colporteurs de la loi,
00:37:04 de son application dans le champ judiciaire,
00:37:06 et par là même, les nouveaux explorateurs de la Constitution.
00:37:11 Sages, vous êtes les juges de l'avenir,
00:37:14 et par les demandes qui vous sont faites aujourd'hui,
00:37:16 vous serez ceux qui inscriront les citoyens
00:37:18 comme les acteurs fondamentaux de la justice
00:37:20 rendus au nom du peuple français.
00:37:24 Sages, vous êtes les juges de l'avenir,
00:37:27 et ferez que notre justice soit comprise,
00:37:30 ne soit pas le monde clos et complexe
00:37:33 qu'on lui reproche trop souvent.
00:37:37 Dans son rapport intitulé "Rendre justice aux citoyens",
00:37:40 les Etats généraux de la justice, lancés en octobre 2021,
00:37:44 commandent l'inverse de ce que veut le gouvernement
00:37:47 par la généralisation des cours criminels,
00:37:49 avec un éloignement de plus en plus grand
00:37:51 des citoyens et des juges,
00:37:52 entraînant une méfiance délétère vis-à-vis du pouvoir judiciaire.
00:37:58 En page 199, il est rappelé que la question du jury populaire
00:38:02 devra être abordée, et ainsi, le comité estime, en effet,
00:38:06 que la participation de citoyens à l'oeuvre de justice
00:38:08 est primordiale et doit être préservée.
00:38:11 Le barreau de Seine-Saint-Denis et de Lyon
00:38:14 vous demandent de protéger cette coopération.
00:38:18 Vous serez, par la reconnaissance du caractère constitutionnel
00:38:21 de l'intervention du jury, l'acteur d'un "nous",
00:38:24 qui aujourd'hui est trop souvent divisé
00:38:27 de la participation immuable des citoyens à la justice.
00:38:32 -Merci, maître.
00:38:35 Maître Agnès Haussiart-Giray,
00:38:38 vous êtes battenière de l'ordre des avocats
00:38:40 à Barreau de Bayonne,
00:38:42 partie intervenante dans les deux affaires,
00:38:45 et vous intervenez aussi dans l'intérêt
00:38:48 de l'ordre des avocats à Barreau de Bergerac, Sarlat,
00:38:51 et de l'ordre des avocats à Barreau de Poitiers,
00:38:53 partie intervenante dans les deux affaires également.
00:38:55 Nous vous écoutons.
00:38:56 -Merci, monsieur le président.
00:38:58 Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
00:39:01 vous avez commencé votre propos, monsieur le président,
00:39:03 par une présence d'un parterre d'avocats et de robes
00:39:07 nombreuses à cette audience.
00:39:10 Le pourquoi de ce nombre d'avocats présents,
00:39:13 monsieur le président, c'est effectivement
00:39:15 le caractère historique de cette audience
00:39:18 et la nécessité de vous relayer le devoir que vous aurez
00:39:24 de faire cesser cette organisation des cours criminels.
00:39:29 J'ai l'honneur d'être un battenier
00:39:31 qui représente le Barreau de Bayonne,
00:39:34 le Barreau de Bergerac et le Barreau de Poitiers.
00:39:37 Qu'est-ce un battenier ?
00:39:40 C'est un battenier qui doit mener un ordre
00:39:43 et qui a des valeurs à défendre,
00:39:45 et c'est pour ça que nous sommes présents.
00:39:48 Le règlement intérieur du Barreau de Bayonne,
00:39:51 en son article 1, donc son article le plus important,
00:39:55 indique que le Barreau doit veiller à ce que soit
00:39:59 constamment garantie la liberté de la défense,
00:40:02 la sérénité de la justice.
00:40:04 Il témoigne devant l'opinion,
00:40:07 il assure la protection de l'individu
00:40:09 et garantit le respect de ses droits
00:40:11 et de sa liberté et de sa dignité.
00:40:13 Mon rôle et ma place est donc là aujourd'hui, M. le Président,
00:40:17 pour relayer cette parole et relayer cette contestation
00:40:22 qui n'a pas été entendue
00:40:24 dans le cadre de l'expérimentation des cours criminels.
00:40:27 La Cour d'appel de Pau a été cour expérimentale.
00:40:32 On vous l'a dit tout à l'heure par mes chers confrères,
00:40:35 dans le cadre de ce retour sur expérimentation,
00:40:39 aucun barreau de la Cour n'a été interrogé.
00:40:43 Nous n'avons pas été questionnés sur la tenue des audiences,
00:40:46 on nous a pas demandé de faire retour de ces observations.
00:40:50 Alors aujourd'hui, nous venons vous porter ces contestations
00:40:54 et ces contestations d'un point de vue totalement pratique
00:40:57 que nous menons depuis plusieurs mois
00:41:00 et que nous relayons depuis plusieurs mois.
00:41:02 Je voudrais simplement attirer le Conseil, son attention
00:41:09 sur des points pratiques et qui illustrent
00:41:13 l'impossibilité qu'aura votre Conseil constitutionnel
00:41:17 de continuer à maintenir le régime des cours criminels.
00:41:21 M. le garde des Sceaux, dans son propos introductif
00:41:24 pour nous valoriser ce projet de loi, avait indiqué
00:41:28 qu'il faut faire cesser ces insupportables correctionnalisations.
00:41:33 Je vous demande, moi, M. le Président et M. les Conseillers,
00:41:35 de faire cesser ces insupportables cours criminels.
00:41:38 Parce qu'en effet, on en vient à des aberrations
00:41:41 pour un principe strictement économique,
00:41:44 une atteinte à un principe constitutionnel
00:41:47 et une rupture de l'égalité flagrante.
00:41:51 Alors on a voulu vous justifier ça par trois petites motivations,
00:41:56 en vous disant, économiquement, ça sera rentable,
00:41:59 ça réduira les délais et les victimes seront recentrées
00:42:04 au coeur de la procédure.
00:42:07 Je ne m'étendrai pas, mais vous le savez parfaitement,
00:42:10 vous avez étudié le rapport d'évaluation qui a été donné,
00:42:13 le bilan est absolument catastrophique.
00:42:16 Aucun des objectifs n'a été atteint.
00:42:18 Je vous donne un exemple de l'ubuesque de cette réforme,
00:42:22 c'est qu'aujourd'hui, en tant qu'avocat,
00:42:24 il convient presque de conseiller à un accusé
00:42:29 de rester en détention provisoire,
00:42:31 parce qu'il sera plus rapidement jugé que s'il était libéré.
00:42:36 Est-ce que vous vous rendez compte
00:42:38 dans quel système on est arrivé à enfermer la justice,
00:42:42 c'est-à-dire à contraindre effectivement un individu
00:42:47 à préférer la détention
00:42:49 pour avoir un traitement de justice qui soit acceptable ?
00:42:55 Donc vous voyez dans cet exemple démonstratif
00:42:59 que, effectivement, et ce que soutient l'ensemble de mes confrères,
00:43:03 les cours criminels sont totalement attentatoires
00:43:07 à tout point de vue à ce qui sont les cours d'assises
00:43:12 et qui doivent être le principe constitutionnel
00:43:15 que vous devrez avaliser et qui est le seul lieu
00:43:18 qui permet de rendre une justice sereine.
00:43:21 Voilà quels étaient mes propos, monsieur le président.
00:43:24 -Merci, maître.
00:43:25 Maître Paul Mattenet, vous êtes avocat au Conseil,
00:43:29 vous représentez d'une part le syndicat de la magistrature
00:43:32 et le syndicat des avocats de France,
00:43:35 et d'autre part l'Ordre des avocats à Bordeaux-de-Rennes,
00:43:37 du Val-d'Oise, de Strasbourg, de Toulon, du Val-de-Marne,
00:43:40 de Toulouse, de Lille, de Grenoble, d'Aix-en-Provence,
00:43:43 de Marseille et de Nice,
00:43:45 parties intervenantes dans les deux affaires.
00:43:48 Maître.
00:43:49 -Merci, monsieur le président.
00:43:50 Mesdames et messieurs les membres du Conseil,
00:43:52 il n'est pas des moindres paradoxes
00:43:54 qu'à l'heure où monte en puissance le principe
00:43:57 de la participation du public en matière d'environnement,
00:44:00 à l'heure où foisonnent les jurys citoyens
00:44:03 pour pallier les faiblesses de notre démocratie représentative,
00:44:06 le législateur supprime le jury
00:44:08 pour le jugement de la majeure partie des affaires criminelles.
00:44:11 Et il est significatif que cette suppression trouve sa justification
00:44:14 non pas dans une vision renouvelée de la justice
00:44:16 et de ses relations avec les citoyens,
00:44:18 mais dans de simples considérations de bonne administration
00:44:21 qui ne sont en réalité que la traduction directe et immédiate
00:44:24 de contraintes financières et budgétaires
00:44:26 qui restent au demeurant tout à fait hypothétiques.
00:44:29 Il se présente devant vous un si grand nombre d'intendants volontaires
00:44:32 et vous les avez cités, monsieur le président,
00:44:34 notamment les 11 barreaux que je représente,
00:44:36 ainsi que le syndicat de la magistrature
00:44:38 et les syndicats des avocats de France.
00:44:39 Et qu'il existe au sein de la communauté judiciaire
00:44:42 un sentiment unanime que nous sommes en train de brader
00:44:44 un précieux héritage de la Révolution française
00:44:47 et que l'on porte atteinte sans raison valable
00:44:49 à une règle structurelle de notre organisation démocratique.
00:44:52 Une règle qui tient à ce titre du principe fondamental
00:44:55 et pas uniquement à une tradition républicaine.
00:45:00 Fondamental est le principe de la participation du jury populaire
00:45:03 que vous avez énoncé dans votre décision de 1986.
00:45:08 Fondamental car il exprime l'appropriation
00:45:10 par la société civile de l'acte de jugé.
00:45:12 Il confère à l'autorité judiciaire la légitimité
00:45:15 qu'aucun suffrage ne permet de lui procurer.
00:45:17 Légitimité qu'il propose sur la confiance.
00:45:21 La justice fait confiance aux citoyens
00:45:23 pour qu'ils participent à l'œuvre de justice,
00:45:24 les citoyens en retour devraient faire confiance à la justice.
00:45:28 La confiance est également la connaissance, l'échange,
00:45:31 l'émission des citoyens dans l'œuvre de jugé,
00:45:34 la restitution, comme cela vous a été expliqué,
00:45:37 également l'audience parfaite que permet l'oralité intégrale,
00:45:41 autant de paramètres qui font que se construit,
00:45:44 que s'assure, que se consolide ce lien de confiance.
00:45:46 Alors, dirait-on, c'est très abstrait, c'est très politique,
00:45:49 ça ne participe pas des relations avec les pouvoirs publics,
00:45:52 des droits fondamentaux, cela ne permet pas de retenir
00:45:54 un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
00:45:57 Mais en réalité, c'est tout à fait concret,
00:45:59 car la confiance du public dans la justice
00:46:01 sera le dernier rempart de...
00:46:05 La confiance des citoyens dans la justice
00:46:08 est le ciment de nos lois,
00:46:11 par travers les représentants que ces citoyens élisent.
00:46:14 C'est le ciment de nos lois,
00:46:15 et le jour où ces lois viendront remettre en cause
00:46:18 l'indépendance de la justice,
00:46:20 le jour où les contre-pouvoirs ne pourront s'opposer,
00:46:22 que restera-t-il si ce n'est la confiance du peuple en la justice ?
00:46:26 Que restera-t-il si ce n'est de l'opinion publique ?
00:46:28 Car que restera-t-il si ce n'est même des mouvements de l'opinion publique,
00:46:32 comme nous avons pu le constater en Pologne ou en Israël ?
00:46:35 La confiance du public est un fil invisible entre les pouvoirs publics,
00:46:38 entre le peuple et les pouvoirs publics.
00:46:41 C'est la fondation de toutes les garanties.
00:46:44 Et ce n'est pas parce qu'il n'apparaît pas explicitement
00:46:46 dans la Constitution ou dans nos droits garantis
00:46:48 qu'il n'est pas un élément indispensable
00:46:51 à la structure de notre société démocratique.
00:46:52 Il convient de protéger tel qu'il est exprimé
00:46:55 par le principe d'intervention du jury citoyen.
00:46:59 Et plus concrètement, on vous l'a dit,
00:47:01 la présence du jury, ce sont aussi des garanties concrètes
00:47:05 de qualité du procès en matière criminelle.
00:47:07 Cela vous a été dit, je ne vais pas y revenir,
00:47:09 une oralité parfaite, une oralité intégrale
00:47:12 et donc un contradictoire sans faille.
00:47:13 D'ailleurs, vous l'avez reconnu dans votre décision de 2011,
00:47:16 113-115, et plus précisément dans le commentaire de votre décision.
00:47:20 La présence du jury suscite également
00:47:22 tout à la fois une solennité des débats
00:47:24 et une écoute toute particulière
00:47:27 qui se fait l'écho et favorise par la même les émotions,
00:47:31 l'humanité, l'échange, la fracture des carapaces
00:47:34 dans lesquelles les accusés s'enferment,
00:47:35 le sourceau moral des témoins ou des parties civiles
00:47:37 enfermés dans le mensonge, bref, l'émergence de la vérité.
00:47:41 Or, le jury occupe maintenant le rôle de garde-fou
00:47:45 qui protège la justice des exigences croissantes
00:47:47 de la professionnalisation et de la productivité du service public
00:47:51 dans le cadre duquel elle est exercée.
00:47:53 La présence du juriste protège la justice
00:47:56 de son propre service et de ses contraintes matérielles.
00:47:59 La participation du jury participe donc
00:48:03 du domaine essentiel de la protection des droits fondamentaux,
00:48:07 puisqu'elle participe des garanties particulières
00:48:09 du procès criminel et puis, fondamentalement,
00:48:11 parce qu'elle assure la confiance du public
00:48:13 sans laquelle il manquera à la justice son autorité,
00:48:15 son efficacité.
00:48:16 Et à terme, sa capacité à garantir les droits de chacun
00:48:19 face à de possibles ingérences d'autres pouvoirs constitués.
00:48:22 Alors, ce principe est-il vraiment reconnu
00:48:25 par les lois de la République ?
00:48:26 La Première ministre fait valoir que le champ d'application
00:48:29 serait trop restreint et aux limites incertaines.
00:48:31 Mais vos principes reconnus par les lois de la République
00:48:34 peuvent avoir un champ limité, votre décision du 16 juillet 1971,
00:48:39 et les limites peuvent être tout à fait sujettes à définition
00:48:44 dans votre décision de 1971.
00:48:46 Vous avez reconnu la liberté d'association
00:48:49 à l'exception des mesures susceptibles d'être prises
00:48:51 à l'égard de catégories particulières d'association.
00:48:55 Ce n'est pas plus précis que la notion de crime de droit commun
00:49:00 à laquelle il est fait référence.
00:49:03 Les exceptions dont il a été question à travers l'histoire
00:49:06 n'entament pas le principe.
00:49:08 Elles ne sont pas des dérogations
00:49:10 qui affectent l'autorité du principe.
00:49:12 Pour preuve, à chaque reprise, il s'est agi
00:49:14 de contourner le principe, soit en correctionnalisant les délits,
00:49:20 soit en créant des juridictions spécifiques.
00:49:23 Et à chaque fois, il y avait une raison
00:49:25 qui tenait à l'inaptitude du jury,
00:49:27 inaptitude au regard d'un risque de pression,
00:49:30 inaptitude au regard d'un risque de divulgation de secrets
00:49:34 pour la justice militaire, inaptitude à juger des paires
00:49:37 lorsqu'il s'agissait de juger des paires
00:49:38 entre les élus ou les représentants du pouvoir exécutif.
00:49:43 C'est bien ici qu'il y a une rupture.
00:49:45 Aujourd'hui, l'exception qui vous est proposée n'en est pas une,
00:49:48 car ce qui est reproché au jury, ce n'est pas sa inaptitude
00:49:51 à remplir ses fonctions dans une certaine configuration,
00:49:53 mais c'est ce qu'il est, c'est-à-dire un moment politique,
00:49:57 pour reprendre l'expression de M. Rosavallon,
00:50:00 un moment qui prend du temps,
00:50:01 et c'est ce temps humain, citoyen, que je vous demande de consacrer.
00:50:06 -Merci, maître.
00:50:09 Nous allons écouter maintenant maître Karine Bourdiez,
00:50:14 qui est avocate au Barreau de Paris,
00:50:15 coprésidente de l'Association des avocats pénalistes,
00:50:18 partie intervenante dans les deux affaires. Maître.
00:50:22 -M. le président, mesdames et messieurs les membres
00:50:24 du Conseil constitutionnel,
00:50:26 pour les quelques instants qui me sont impartis,
00:50:28 permettez-moi de faire un pas de côté.
00:50:31 Parmi ceux qui sont entrés dans la légende,
00:50:34 je voudrais penser aux disparus depuis quelques années.
00:50:38 Jean-Yves Guénard, Thierry Lévy, Philippe Lemaire,
00:50:42 Jean-Louis Pelletier, Pierre Haïk et Hervé Témime.
00:50:47 Je les voudrais là, à mes côtés, discrètement,
00:50:50 pour venir plaider au soutien des intérêts de ces jurés
00:50:53 qu'ils ont tellement fréquentés.
00:50:56 Tous, ils ont élimé leur robe d'avocat
00:50:58 sur les bancs des cours d'assises, sué sang et eau,
00:51:01 plaidé corps et âme et consacré leur vie
00:51:03 à planter leurs yeux dans cet éjuré.
00:51:07 A tenté de les convaincre,
00:51:09 eux si loin du box des accusés et pourtant si proches.
00:51:13 Choisis par le sort et qui, debout,
00:51:14 à l'appel de leur nom par le président,
00:51:17 avaient juré de n'écouter ni la haine ou la méchanceté,
00:51:20 ni la crainte ou l'affection,
00:51:22 en s'engageant à incarner instantanément
00:51:24 la justice criminelle de ce pays.
00:51:27 Nos modèles d'avocats, immenses et éternels,
00:51:31 vous aurez peut-être dit que la présence des jurés les a obligés.
00:51:35 A l'éloquence, à l'excellence.
00:51:38 Elles les a obligés comme elles continuent de nous obliger humblement
00:51:41 tous les jours dans toutes les cours d'assises de France,
00:51:44 dans cet exercice périlleux où l'on avance sans rien savoir d'autre
00:51:47 des jurés qu'un état civil et au mieux une profession.
00:51:51 Elles nous obligent à ne rien considérer comme acquis,
00:51:53 à abandonner toutes les petites manies que l'on peut avoir
00:51:55 entre magistrats et avocats habitués à se croiser
00:51:58 dans les couloirs du palais.
00:52:00 Elles nous obligent à devoir tout expliquer patiemment, clairement.
00:52:05 S'adresser à des jurés dont on ne connaît rien,
00:52:07 ça s'apparente certes à un exercice de divination.
00:52:11 On les scrute, on soupèse leurs réactions.
00:52:15 Il faut y croire, toujours, même si l'on tremble
00:52:18 de devoir interpréter un soupir, un froncement de sourcils.
00:52:22 On s'interroge entre nous, le 3e juré, comment tu le trouves ?
00:52:26 Je me demande si j'aurais pas dû le récuser.
00:52:29 Et le 5e, t'as vu, il prend plein de notes, c'est bien ça, c'est rassurant.
00:52:33 Alors qu'on ne sait même pas ce qu'il y a dedans.
00:52:36 Ne pas renoncer, jamais, croire jusqu'au bout
00:52:39 que tout cela a du sens et qu'on les convaincra.
00:52:42 Bien sûr, parfois nous les maudissons,
00:52:44 parfois nous nous disons entre nous qu'ils n'ont rien compris
00:52:47 et la mine défaite, nous enrageons.
00:52:49 Mais quand ça marche, quand d'un regard,
00:52:52 on sent que l'on se comprend, que l'on parle le même langage,
00:52:56 alors la défense peut s'offrir comme un partage.
00:53:00 C'est pour eux, en priorité, pour les emporter,
00:53:02 que les avocats pénalistes, depuis plus de 2 siècles,
00:53:04 déploient toute leur combativité.
00:53:07 L'histoire de la défense pénale doit beaucoup
00:53:09 à ceux qui les ont écoutés en silence.
00:53:12 Ce sont donc des observations en forme de remerciements
00:53:14 que je veux formuler à tous ces jurés anonymes
00:53:17 qui sont rentrés chez eux fourbus,
00:53:20 hier soir à Douai ou ailleurs, il y a quelques années,
00:53:23 et qui n'ont rien oublié de cette contribution citoyenne extraordinaire.
00:53:27 Lors d'un procès historique, Jean-Marc Varrault avait plaidé,
00:53:32 "Peuple français, c'est à toi que je m'adresse,
00:53:34 "en m'adressant à ceux qui vont juger en ton nom."
00:53:38 Peut-être avait-il en tête les mots du député Touret
00:53:41 devant la Constituante, et qui disait,
00:53:44 "Le juré est une création du génie de la liberté,
00:53:46 "objet du culte politique des peuples libres,
00:53:49 "paladium de toutes les Constitutions,
00:53:50 "fondée sur la reconnaissance des droits
00:53:52 "et de la dignité des hommes."
00:53:55 C'était un peu solennel, c'est vrai, mais l'affaire le commandait.
00:53:59 Ça n'en reste pas moins vrai à toutes les audiences plus modestes
00:54:02 et discrètes qui ne feront même pas l'objet d'un entrefilet dans la presse.
00:54:05 Car les jurés ne sont pas de simples intérimaires de la machine judiciaire,
00:54:09 ils sont des passeurs de relais.
00:54:12 Une fois l'audience terminée, ils ont des conjoints, des amis, des voisins
00:54:15 qu'ils retrouveront, à qui ils diront, sans rien trahir du délibéré,
00:54:19 "Voilà comment cela fonctionne vraiment, concrètement, loin des clichés."
00:54:23 Et c'est aussi grâce à ce temps imposé par la présence des jurés
00:54:26 que la parole à l'audience, parfois miraculeusement,
00:54:30 trouve le chemin pour se libérer, éclore,
00:54:32 celle de la culpabilité et celle de la souffrance.
00:54:36 Dans les salles des pas perdus, des mains se tendent alors,
00:54:39 entre famille de parti civil et famille d'accusé.
00:54:43 Loin des audiences expédiées en deux coups de cuillère à peau
00:54:46 auxquelles on voudrait nous contraindre, la justice passe,
00:54:49 l'ordre succède au chaos.
00:54:52 On avait tout à y gagner, n'est-ce pas ?
00:54:55 À l'heure où seul un Français sur deux lui accorde sa confiance,
00:54:59 et encore, du bout du vote, à cette justice qu'il connaît si mal,
00:55:03 était-il vraiment indispensable de s'aborder le seul terrain de rencontre,
00:55:06 d'enrichissement réciproque entre les citoyens et la fonction de jugé ?
00:55:11 Ne soyons pas naïfs.
00:55:13 À terme, si nous laissons faire,
00:55:16 le jury populaire finira par disparaître tout entier.
00:55:20 Au nom d'une illusoire logique de rendement,
00:55:22 la justice criminelle sera rendue sous les radars, entre soi,
00:55:26 bien à l'abri de l'intervention du peuple français.
00:55:29 Est-ce que ça sera mieux ?
00:55:32 Elle n'est pas parfaite, c'est certain, mais permettez-moi d'en douter.
00:55:36 Alors, pour nous, avocats, il sera temps de tourner la page
00:55:40 et de raconter à ceux qui ne les auront jamais croisés,
00:55:43 dans un souffle de malice et de nostalgie, une histoire qui pourrait s'intituler,
00:55:47 au juré, la défense reconnaissante.
00:55:50 Sauf si, bien sûr,
00:55:53 sauf si vous, M. le Président, Mme et M. les membres du Conseil constitutionnel,
00:55:58 parvenez à stopper cette hémorragie démocratique.
00:56:02 Si vous décidez, en cet instant qui pourrait être historique,
00:56:05 qu'il doit en être autrement.
00:56:08 -Merci, maître.
00:56:11 Nous allons maintenant écouter
00:56:14 maître Stéphane Maugende, qui est avocat à Barreau de Seine-Saint-Denis,
00:56:19 qui représente l'association "Sauvons les Assises",
00:56:22 qui est intervenante dans les deux affaires. Maître, nous vous écoutons.
00:56:26 -Merci, M. le Président.
00:56:31 M. le Président,
00:56:33 madame, messieurs du Conseil constitutionnel,
00:56:38 j'assiste actuellement une femme victime de viol
00:56:44 par devant la cour d'assises de Paris,
00:56:49 dans la salle Voltaire, la grande salle d'assises de Paris.
00:56:53 L'audience est en cours et demain matin,
00:56:55 je plaiderai dans la défense de ses intérêts.
00:56:59 Mardi matin, au moment du tirage au sort des jurés,
00:57:07 elle me disait "C'est bien qu'il y ait des gens comme moi
00:57:11 pour juger mon affaire."
00:57:16 Et depuis deux jours, je regarde ce que nous appelons
00:57:20 dans le jargon habituel
00:57:23 ces juges d'un jour que sont les jurés.
00:57:26 Je regarde leurs yeux.
00:57:29 Et le regard qu'ils portent sur elle,
00:57:35 mais aussi sur l'accusé,
00:57:38 sur les témoins,
00:57:42 les experts,
00:57:45 les enquêteurs.
00:57:47 Et je me dis
00:57:50 "Mais ce sont des citoyens qui exercent leurs droits,
00:57:54 "leurs droits civiques, civils et familiaux."
00:57:58 Le droit de juger.
00:58:01 Ce sont des citoyens
00:58:04 qui, en leur âme et conscience,
00:58:07 vont juger leur père,
00:58:10 comme ils le font
00:58:12 depuis la Révolution française.
00:58:16 Ce n'est pas que l'histoire de notre droit
00:58:19 qui est mise à mal avec cette réforme.
00:58:22 C'est aussi celle de notre culture.
00:58:25 Culture cinématographique
00:58:30 ou culture littéraire.
00:58:33 Je suis sûr que durant votre délibéré,
00:58:37 vous relirez souvenirs de cours d'assises d'André Gide,
00:58:41 ce protestant fils d'un professeur de droit romain.
00:58:45 Alors oui.
00:58:48 Un jury, pardon,
00:58:51 c'est une contrainte.
00:58:54 Certaines et certains disent
00:58:59 une contrainte économique,
00:59:02 une contrainte sociale,
00:59:05 une contrainte organisationnelle,
00:59:09 j'en passe et des meilleurs.
00:59:12 En tous les cas, toutes ces contraintes
00:59:15 qui ont amené à cette réforme
00:59:18 des cours criminels départementales.
00:59:21 Je vous renvoie aux écrits du doyen Carbonier,
00:59:24 qui, pour d'autres juridictions, pour d'autres droits,
00:59:28 a bien étudié la question de la relation
00:59:31 entre le droit et l'économie.
00:59:34 J'ouvre une petite parenthèse à ce propos.
00:59:37 Je fréquente assez régulièrement une cours d'assises,
00:59:41 la cours d'assises de la Seine-Saint-Denis.
00:59:45 Aujourd'hui, il n'y a pas moins d'une semaine,
00:59:48 je discutais, je dois garder le secret
00:59:51 du nom de mon interlocuteur,
00:59:54 à haut responsable de la juridiction, on va dire.
00:59:57 Les coûts financiers concernant la cours d'assises
01:00:03 et surtout la cours criminelle départementale
01:00:06 augmentent.
01:00:09 Les coûts humains augmentent,
01:00:12 avec tout ce que ça a d'effet secondaire
01:00:17 sur le fonctionnement même de la juridiction.
01:00:21 La cours d'assises est tellement désorganisée
01:00:26 que tous les accusés libres
01:00:31 ne seront pas jugés avant la fin 2025.
01:00:35 J'ai actuellement une affaire
01:00:38 qui attend depuis 8 ans d'être jugée
01:00:42 et elle ne sera toujours pas jugée
01:00:45 avant la fin 2025.
01:00:48 Alors revenons à cette contrainte après cette parenthèse.
01:00:51 Le jury est une contrainte, mais elle est une contrainte démocratique.
01:00:55 C'est une contrainte de la démocratie.
01:00:59 C'est pour cela, pour cette raison,
01:01:02 que nous disons entre nous
01:01:05 que la CCD, c'est l'acronyme de "crime contre la démocratie".
01:01:11 ...
01:01:17 N'acceptez pas de cautionner
01:01:21 ce que seul dans notre histoire
01:01:25 le régime de Vichy a osé faire.
01:01:28 Soyez 12 hommes et femmes
01:01:33 en colère, en consacrant
01:01:36 à un 12e principe fondamental.
01:01:40 J'ai plaidé.
01:01:42 -Merci, maître.
01:01:43 Maître Sonia Oulens-Cher,
01:01:46 présidente de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats,
01:01:49 partie intervenante dans les 2 affaires.
01:01:51 Maître François Bardoux, avocat au Conseil,
01:01:54 représentant de l'Ordre des avocats à Barreau de Nantes,
01:01:56 et maître Jean-Paul Francou,
01:01:58 bâtonnier de l'Ordre des avocats à Barreau de Ville-Franche-sur-Saône,
01:02:02 représentant uniquement dans l'affaire 2023-1070,
01:02:05 ont fait savoir que pour leur part,
01:02:07 ils sont rapportés à leurs écritures.
01:02:10 Je donne donc maintenant la parole à M. Canguilhem,
01:02:13 chargé de mission au secrétariat du gouvernement,
01:02:15 pour la 1re ministre. M. Canguilhem.
01:02:18 -Merci, M. le président.
01:02:20 Mesdames, messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
01:02:23 contrairement à ce que l'on pourrait penser
01:02:24 après avoir écouté ce qui vient d'être dit,
01:02:26 les cours d'assises existent toujours.
01:02:29 La fin de l'expérimentation et la généralisation
01:02:31 des cours criminels départementales
01:02:33 maintient le jugement des crimes par la cour d'assises
01:02:36 en ce qui concerne les crimes pour lesquels la peine encourue
01:02:39 est supérieure à 20 ans en cas de récidive
01:02:41 et en ce qui concerne la procédure d'appel.
01:02:45 L'existence des cours d'assises n'a donc pas besoin d'être défendue,
01:02:48 car elle n'est pas menacée.
01:02:49 Seul le champ de sa compétence a évolué
01:02:53 du fait de la création des cours criminels départementales
01:02:55 qui coexistent avec les cours d'assises
01:02:58 et ne les font pas disparaître.
01:03:00 Il s'agissait pour le législateur,
01:03:01 par la création de ces cours criminels départementales,
01:03:04 cela a été dit, de réduire les délais de jugement
01:03:08 et de lutter contre le phénomène de correctionnalisation
01:03:10 du jugement de faits criminels dans de nombreuses affaires
01:03:13 et poursuivre ainsi la réalisation
01:03:15 de l'objectif à valeur constitutionnelle
01:03:17 de bonne administration de la justice.
01:03:20 Ces cours ont donc été généralisés
01:03:22 après une phase expérimentale
01:03:23 ayant concerné jusqu'à 15 départements,
01:03:26 généralisation par la loi du 22 décembre 2021
01:03:28 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
01:03:30 Et leur existence est aujourd'hui prévue
01:03:32 aux articles 390-16 à 390-22 du Code de procédure pénale,
01:03:37 qui sont l'objet des 2 présentes questions prioritaires
01:03:39 de constitutionnalité.
01:03:42 En 1er lieu, il est soutenu que la généralisation
01:03:44 de la cour criminelle départementale
01:03:45 méconnaît le principe fondamental reconnu
01:03:48 par les lois de la République,
01:03:49 selon lequel il appartient à un jury populaire
01:03:51 de juger les crimes de droit commun.
01:03:55 Vous jugez de manière constante
01:03:56 qu'une tradition républicaine ne peut être invoquée
01:03:59 à l'appui d'un grève d'inconstitutionnalité
01:04:01 que si cette tradition a donné naissance
01:04:03 à un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
01:04:07 Or, si l'existence du jury populaire
01:04:08 est ce n'est contestée par personne,
01:04:09 eh bien, une tradition juridique, elle le remplit,
01:04:13 ce principe ne remplit aucune des conditions strictes
01:04:16 à laquelle votre jurisprudence subordonne la reconnaissance
01:04:19 d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
01:04:23 La 1re condition impose que le principe trouve son origine
01:04:25 dans une ou plusieurs lois intervenues
01:04:27 sous un régime républicain antérieur à 1946.
01:04:31 Or, l'origine du jury remonte à la création
01:04:33 du tribunal criminel départemental,
01:04:35 composé de citoyens ayant à statuer sur la culpabilité,
01:04:38 par la loi des 16 et 21 septembre 1791.
01:04:42 Contrairement à ce qui est suggéré par certaines écritures,
01:04:44 cette loi, adoptée peu après l'adoption de la Constitution
01:04:46 du 3 septembre 1791,
01:04:48 ne l'a pas été sous un régime républicain.
01:04:52 Or, les principes fondamentaux reconnus par la République
01:04:54 que vous avez été amenés à reconnaître
01:04:56 trouvaient le plus souvent leur fondement originel
01:05:00 dans une loi républicaine.
01:05:02 Si le principe du jury populaire a été repris de manière constante
01:05:05 par tous les régimes républicains, cela n'est pas contesté,
01:05:09 ce principe n'est pas né républicain,
01:05:11 il n'est donc pas propre à la République.
01:05:15 Il résulte également de votre jurisprudence
01:05:17 que l'exigence du caractère fondamental du principe
01:05:22 suppose que la norme invoquée soit suffisamment générale
01:05:25 et non contingente.
01:05:27 Ce n'est incontestablement pas le cas ici,
01:05:29 car le principe dont la reconnaissance vous est demandée
01:05:32 ne vise que le jugement des crimes de droit commun.
01:05:35 Cela suppose donc que l'ensemble des crimes ne sont pas concernés,
01:05:38 ne seraient pas concernés par ce principe fondamental
01:05:41 qui, de ce fait, n'est pas général.
01:05:45 Cela supposerait également que cette notion de droit commun
01:05:48 résulte de la législation républicaine antérieure à 1946.
01:05:52 Or, ce n'est pas le cas.
01:05:54 La fondamentalité du principe suppose que sa définition soit claire
01:05:59 et ne soit pas sujette à interprétation,
01:06:02 condition qui fait ici défaut,
01:06:04 dès lors que cette notion de droit commun n'est pas définie
01:06:07 par la législation républicaine antérieure à 1946,
01:06:09 ni d'ailleurs par la législation républicaine postérieure.
01:06:13 Le principe est d'ailleurs d'autant moins général
01:06:15 que dans les secondes écritures, il est indiqué que ce principe
01:06:19 suppose l'existence du jury en 1re instance.
01:06:23 La formulation du principe perd donc encore un peu plus en généralité.
01:06:28 Il ne vise plus non seulement que les crimes de droit commun
01:06:31 et en 1re instance, car rappelons-le,
01:06:33 les accords d'assises demeurent compétentes en appel.
01:06:37 Il ressort également de votre jurisprudence
01:06:40 et notamment du considérant 21 de votre décision 669 d'essai
01:06:43 relative à la loi ouvrant le mariage au couple de même sexe,
01:06:46 que les principes fondamentaux reconnus par la République
01:06:48 doivent porter sur les matières suivantes,
01:06:50 les droits et libertés fondamentaux,
01:06:52 la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics.
01:06:56 Cette exigence matérielle fait également défaut.
01:07:00 En effet, la présence de jurés n'est pas constitutive
01:07:02 d'un droit ou d'une liberté fondamentale.
01:07:04 Il ne s'agit que d'un élément de l'organisation
01:07:07 de la fonction juridictionnelle et n'a pas pour objet
01:07:10 de régir les rapports des pouvoirs publics entre eux.
01:07:14 Enfin, contrairement à ce qui est exigé,
01:07:16 le principe dont la reconnaissance est demandée
01:07:18 n'a pas fait l'objet d'une application continue
01:07:20 et a connu des exceptions.
01:07:23 La loi constitutionnelle du 16 juin 1875
01:07:26 instituait le Sénat en haute cour pour juger des attentats
01:07:28 contre la sûreté de l'Etat commis par les particuliers.
01:07:31 Et l'article 10 de la loi du 9 mars 1928
01:07:34 instaurait des tribunaux militaires compétents,
01:07:36 notamment en matière criminelle
01:07:38 et présidé en temps de paix par un magistrat civil
01:07:40 entouré de 6 militaires.
01:07:42 Il sera sans doute opposé à cet argument.
01:07:45 Il pourrait être opposé à cet argument
01:07:46 qu'il ne s'agissait pas de crime de droit commun,
01:07:48 mais on se heurte de nouveau à cette difficulté
01:07:52 qui est celle de l'absence de définition
01:07:54 de ce qu'est un crime de droit commun.
01:07:57 Aucun des critères n'étant rempli,
01:07:58 vous ne pourrez donc qualifier le principe du jury d'assise
01:08:01 en 1re instance pour les crimes de droit commun
01:08:04 de principe fondamental reconnu par les lois de la République.
01:08:08 En 2d lieu, il est soutenu par un grief se dédoublant en 2 branches
01:08:11 que la généralisation de ces cours
01:08:13 méconnaît le principe d'égalité.
01:08:16 Il résulte de votre jurisprudence bien connue
01:08:18 que le législateur peut régler de façon différente
01:08:21 des situations différentes dès lors que la différence de traitement
01:08:24 qui en résulte est en rapport direct
01:08:25 avec l'objet de la loi qui l'établit.
01:08:28 Par la 1re branche du moyen, il est soutenu
01:08:30 que la différence de traitement entre un accusé
01:08:32 en courant une peine de 15 à 20 ans de réclusion
01:08:35 et un accusé en courant une peine supérieure
01:08:37 ou se trouvant en état de récidive légale
01:08:39 méconnaît le principe d'égalité.
01:08:41 Il n'en est rien.
01:08:42 La différence de compétence juridictionnelle
01:08:44 pour connaître de la situation d'un accusé...
01:08:48 Pardon.
01:08:49 Oui, la différence de compétence juridictionnelle
01:08:52 pour connaître de la situation d'un accusé
01:08:53 en courant une peine de 15 à 20 ans
01:08:55 et un accusé en courant une peine supérieure
01:08:57 se trouvant en état de récidive légale
01:08:58 est fondée sur des critères purement objectifs.
01:09:01 Cette différence de traitement,
01:09:02 fondée sur une différence de situation objective,
01:09:05 ne prive l'accusé,
01:09:06 comparaissant devant la cour criminelle départementale,
01:09:09 d'aucune garantie.
01:09:11 Contrairement à ce qui est soutenu,
01:09:12 le passage devant la cour criminelle départementale
01:09:15 n'a pas pour effet de faire des crimes concernés
01:09:18 des crimes de seconde zone.
01:09:19 Une décision rendue par une juridiction composée
01:09:22 de magistrats professionnels n'est pas un sous-jugement
01:09:25 ni une sous-décision, contrairement à ce qui peut être suggéré
01:09:28 dans les écritures adverses.
01:09:30 Cette différence de traitement,
01:09:32 qui repose donc sur des critères objectifs,
01:09:35 est en lien direct avec l'objet de la loi,
01:09:38 qui est de poursuivre l'objectif à valeur constitutionnelle
01:09:40 de bonne administration de la justice
01:09:42 et ne méconnaît donc pas
01:09:43 le principe constitutionnel d'égalité.
01:09:47 Par la 2e branche du grief,
01:09:48 il est soutenu que les différences de règles de majorité
01:09:50 entre la cour d'assise
01:09:52 et la cour criminelle départementale
01:09:54 méconnaissent le principe d'égalité.
01:09:57 Il résume de l'article 359 du code de procédure pénale
01:10:02 que toute décision défavorable à l'accusé
01:10:04 se forme à la majorité de 7 voix au moins,
01:10:07 alors que les décisions de la cour criminelle départementale
01:10:09 sont prises à la majorité simple
01:10:10 en application du 4e an de l'article 399
01:10:13 du code de procédure pénale.
01:10:15 Il est soutenu que cette différence de règles de majorité
01:10:17 méconnaît le principe d'égalité
01:10:19 dès lors que, pour des faits identiques,
01:10:22 un même individu peut être jugé
01:10:23 devant la cour criminelle ou devant la cour d'assise
01:10:25 s'il est co-accusé avec un individu
01:10:27 relevant de la cour d'assise
01:10:29 en application de l'article 395 du code de procédure pénale.
01:10:32 La différence de traitement repose ici
01:10:34 sur une différence de situation totalement objective
01:10:38 et fondée sur la présence de co-accusés
01:10:40 du fait d'une coaction, d'une complicité ou d'une connexité.
01:10:43 Et l'objectif et la valeur constitutionnelle
01:10:45 de bonne administration de la justice
01:10:46 commandent en effet que des faits étroitement liés
01:10:49 ne donnent pas lieu à 2 procès successifs
01:10:51 devant 2 juridictions distinctes
01:10:53 pour une application de ce principe.
01:10:55 Voyez votre décision 356 QPC en matière de comparution
01:10:58 devant la cour d'assise des mineurs et son considérant 7.
01:11:01 Le jugement par une même cour d'un crime commis
01:11:04 par plusieurs co-accusés est nécessaire
01:11:06 en ce qui le permet de juger en même temps
01:11:08 un même fait dans son intégralité.
01:11:11 La différence de règles de majorité
01:11:13 selon la différence de compétences juridictionnelles
01:11:15 est justifiée par la différence de situation
01:11:18 tenant à la composition de la cour.
01:11:20 Il n'existe d'ailleurs aucun exemple en droit positif
01:11:24 dans lequel une majorité qualifiée s'impose
01:11:27 pour qu'une décision soit adoptée par une formation de jugement
01:11:31 uniquement composée de magistrats professionnels.
01:11:34 Par ailleurs, il sera relevé d'une part
01:11:37 que l'accusé bénéficie de garanties égales,
01:11:39 qu'il soit jugé par la cour d'assise
01:11:41 ou par la cour criminelle départementale,
01:11:43 dès lors qu'aucune norme n'exige une majorité qualifiée
01:11:45 pour se prononcer sur la culpabilité ou sur la peine.
01:11:49 D'autre part, et contrairement à ce qui est soutenu,
01:11:52 la règle de la majorité simple ne porte pas atteinte
01:11:55 au principe de la présomption d'innocence
01:11:56 ni au principe selon lequel le doute profite à l'accusé.
01:12:00 En effet, ce dernier principe n'impose pas en lui-même
01:12:02 une règle de majorité spécifique.
01:12:05 Il commande simplement qu'en cas de doute,
01:12:07 le membre de la formation du jugement
01:12:09 ne retienne pas la culpabilité de l'accusé.
01:12:11 Ce principe n'est pas remis en cause
01:12:13 par les cours criminelles départementales.
01:12:16 Enfin, il sera rappelé que la cour d'assise
01:12:18 demeure compétente en cas d'appel de la décision
01:12:21 rendue par une cour criminelle départementale,
01:12:23 dès lors, les accusés, indépendamment de la peine en couvre,
01:12:26 de leur antécédent ou des circonstances
01:12:28 dans lesquelles les faits ont été commis,
01:12:30 peuvent, en tout cas de cause et en dernier lieu,
01:12:33 être jugés selon des règles de majorité identiques.
01:12:37 Enfin, il est souligné dans les secondes observations
01:12:43 d'une partie intervenante que le gouvernement
01:12:45 n'aurait pas pu défendre en se prévalant du bilan
01:12:47 des cours criminelles départementales
01:12:49 qui a été, il y a quelques instants,
01:12:50 qualifié de catastrophiques.
01:12:52 Et effectivement, il n'est pas possible
01:12:54 de défendre la constitutionnalité
01:12:56 des cours criminelles départementales
01:12:57 en présentant le bilan de leur efficacité,
01:12:59 car il ne s'agit en aucune manière
01:13:01 d'une question de constitutionnalité.
01:13:03 L'efficacité d'une réforme n'est pas la condition
01:13:06 de sa constitutionnalité.
01:13:09 Un mot, tout de même, sur ce bilan.
01:13:12 D'une part, il est difficile de comprendre
01:13:14 comment il est possible de se prévaloir
01:13:15 du bilan de la généralisation
01:13:17 de ces cours criminelles départementales,
01:13:19 car les chiffres relatifs à l'activité généralisée
01:13:21 de ces cours depuis le 1er janvier dernier
01:13:23 ne sont pas encore disponibles à ce jour.
01:13:25 Le bilan n'est donc que celui de l'expérimentation
01:13:28 qui ressort du rapport du comité d'évaluation
01:13:31 et de suivi de la cour criminelle départementale,
01:13:33 qui, par définition, n'est que parcellaire
01:13:35 et qui a été largement cité devant vous,
01:13:38 que ce soit dans les observations écrites ou orales.
01:13:41 Quelques chiffres, toutefois.
01:13:43 Il résulte donc de ce rapport
01:13:46 à la fin de l'expérimentation
01:13:48 que les cours criminelles départementales
01:13:51 ont jugé environ 55% de ce qui est relevé
01:13:54 auparavant de la cour d'assise,
01:13:56 que 81% des 387 à faire juger
01:13:59 et objet de ce rapport concernaient des faits de viol.
01:14:02 En matière purement statistique,
01:14:03 le temps moyen d'audience est d'un peu plus de 2 jours
01:14:06 contre 3 jours et demi devant la cour d'assise,
01:14:08 le délai d'audiencement de 8 mois et demi en moyenne.
01:14:11 En ce qui concerne le taux d'appel qui a été évoqué,
01:14:13 si l'on prend uniquement la dernière année disponible,
01:14:16 soit 2022, ce taux est très proche,
01:14:18 30% pour les cours criminelles départementales,
01:14:20 31% pour les cours d'assise.
01:14:23 Le quantum moyen des peines prononcées n'est pas très éloigné.
01:14:26 9 années et 2 mois pour les cours criminelles départementales,
01:14:32 8 années et 7 mois pour les cours d'assise.
01:14:34 Enfin, sur l'argument financier,
01:14:37 le coût journalier d'une journée devant la cour criminelle départementale
01:14:40 tel qu'il résulte de ce rapport est estimé à 1 100 euros,
01:14:43 alors qu'il est de plus de 2 000 euros devant la cour d'assise.
01:14:47 Aucune exigence consécutive n'ayant été méconnue.
01:14:49 Je vous invite à déclarer les dispositions
01:14:51 des articles 390-16 à 390-22 du Code de procédure pénale
01:14:55 conformes à la Constitution.
01:14:57 -Merci.
01:14:58 Alors, nous avons entendu des arguments du sens contraire.
01:15:03 Peut-être est-ce qu'un ou une de mes collègues
01:15:09 a des questions à poser.
01:15:10 Mme la conseillère Lucas.
01:15:12 -Oui.
01:15:14 J'ai une question à poser. Oui, ça marche.
01:15:17 Une question à poser aux avocats, peut-être pas à tous.
01:15:20 Mais aussi aux représentants du gouvernement.
01:15:23 Sur les conséquences éventuelles d'une reconnaissance
01:15:25 par le Conseil constitutionnel du PFRL
01:15:29 alors que vous sollicitez...
01:15:32 Actuellement, c'est donc le législateur
01:15:35 qui détermine les crimes et les délits.
01:15:39 Et on sait qu'effectivement, pour parler d'un type d'affaire
01:15:43 qui a été évoqué, le viol a été longtemps un délit
01:15:47 et maintenant, donc, un crime.
01:15:50 Quand sera-t-il demain si on avait reconnu ce principe ?
01:15:54 Est-ce que la liste des crimes et des délits
01:15:57 serait définitivement fixée ou non ?
01:15:59 Et je m'interroge également sur les conséquences
01:16:01 pour les magistrats instructeurs ou les juridictions
01:16:06 qui peuvent, comme on le sait, c'est un des sujets,
01:16:10 requalifier donc les affaires dont ils sont saisis
01:16:13 et éventuellement correctionnaliser
01:16:16 donc certains faits qui auraient été qualifiés
01:16:20 de départ de crime.
01:16:21 Quelle serait la conséquence à votre sens
01:16:24 de la reconnaissance de ce principe ?
01:16:27 -Alors, on va donner la parole, bien sûr, à M. Canguilhem
01:16:30 mais aussi à tel ou tel avocat qui, d'entre vous,
01:16:34 veut répondre à cette question.
01:16:37 Pas tout le monde.
01:16:41 Alors, on va commencer par M. Canguilhem.
01:16:46 Bon, comme ça, ça vous donne le temps de vous concerter.
01:16:50 -Alors, pour le premier versant de votre question,
01:16:53 en l'espèce, si tant est que vous reconnaissiez
01:16:57 l'existence de ce principe, ce principe,
01:17:00 en tout cas tel qu'il était formé au début des écritures,
01:17:02 n'est pas méconnu dès lors que la Cour d'assises
01:17:07 demeure compétente en appel.
01:17:10 Ca, c'est le premier point.
01:17:11 Le principe tel qu'il était reconnu
01:17:16 sur le devenir, il me semble que si ce principe
01:17:20 devait être connu, cela poserait une question
01:17:25 par rapport à la législation existante,
01:17:28 tenant au fait, justement, de cette indétermination,
01:17:30 excusez-moi d'insister, sur qu'est-ce qu'un crime
01:17:32 de droit commun ?
01:17:33 Parce qu'il y a des exceptions dans la législation
01:17:38 au principe du jury, cela a été dit, évidemment,
01:17:42 la Cour d'assises, spécialement en France,
01:17:44 composée en matière de terrorisme.
01:17:46 Donc là, il y aurait une incertitude,
01:17:48 incertitude qui, à notre sens, empêche la reconnaissance
01:17:53 du principe, qui serait sans doute préjudiciable
01:17:57 pour la sécurité juridique.
01:17:59 Voilà.
01:18:00 En revanche, je ne pense pas sur la dernière partie
01:18:02 de votre question, si je l'ai bien compris,
01:18:05 que cela aurait pour conséquence de socler,
01:18:09 ou en tout cas de...
01:18:12 -Empêcher la requalification.
01:18:14 -Voilà, d'empêcher la requalification du crime
01:18:16 ou du délit.
01:18:18 C'est une autre question.
01:18:19 -Merci, M. Moyet.
01:18:20 Est-ce que... Maître Molinier ?
01:18:22 -M. le Président, pour répondre à la question
01:18:28 qui a été posée, la reconnaissance d'un principe
01:18:33 fondamental...
01:18:34 Ici, la difficulté vient de ce qu'il y a un renversement
01:18:38 complet, c'est-à-dire que l'effet de la réforme
01:18:42 est de faire qu'aujourd'hui, le principe est qu'on peut
01:18:48 se passer, dans une grande majorité des cas,
01:18:52 du jury populaire.
01:18:53 La consécration du principe empêcherait ce type
01:18:57 de réforme, mais n'interdirait pas, évidemment,
01:19:01 lorsqu'il y a une bonne raison de porter une exception,
01:19:05 comme par exemple en matière de terrorisme,
01:19:07 qui a été engagé en 1986.
01:19:09 Donc je pense que le réglage, il est là, en réalité.
01:19:13 -Merci.
01:19:15 Vous voulez ajouter quelque chose, Maître Matonnet ?
01:19:19 -Je vais répondre à la question.
01:19:22 Très brièvement, M. le Président.
01:19:24 La question qui est posée est de savoir si vous pouvez
01:19:26 reconnaître un principe à valeur constitutionnelle,
01:19:29 enfin un principe fondamental reconnu par les lois
01:19:31 de la République, alors que son périmètre d'application
01:19:34 ne serait pas fixé par des règles elles-mêmes constitutionnelles.
01:19:36 Il ne me semble pas que cela pose une difficulté,
01:19:38 puisque dans votre jurisprudence, le cas s'est déjà posé.
01:19:41 C'est l'exemple que j'ai pris, que je vous ai exposé tout à l'heure.
01:19:44 Votre décision, loi de 1971, sur la liberté d'association,
01:19:48 visait les mesures qui concernaient les associations,
01:19:51 et en excluait les mesures visant les associations
01:19:54 relevant de catégories particulières.
01:19:57 Que je sache, ces catégories particulières ne sont pas définies
01:19:59 par la Constitution, mais par le législateur.
01:20:01 Je ne vois pas, par ailleurs, de difficultés théoriques
01:20:03 à ce qu'un principe à valeur constitutionnelle,
01:20:06 s'applique dans un périmètre qui est fixé par le législateur,
01:20:09 dès lors que cette définition est objective.
01:20:12 Ce qui serait le cas de la frontière entre les crimes et les délits.
01:20:16 Le législateur se verrait-il donc interdire de requalifier
01:20:20 en délit un crime, de faire basculer, par exemple,
01:20:24 je prends l'exemple, qui n'est pas le mieux trouvé,
01:20:28 mais un viol en correctionnalisation,
01:20:30 ce qui est évidemment totalement artificiel comme exemple.
01:20:32 Mais non, je ne le pense pas.
01:20:34 Ce n'est pas parce que vous fixez un principe avec son périmètre
01:20:39 que le législateur se verrait interdire d'en soustraire
01:20:44 un élément précédant sa requalification.
01:20:46 Ce que vous seriez peut-être amené à faire,
01:20:48 c'est un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation
01:20:51 au regard des conséquences que cela aurait,
01:20:53 et cela me semble participer tout à fait de votre office.
01:20:57 -Merci.
01:20:59 Vous voulez ajouter quelque chose ?
01:21:02 Vous n'êtes pas obligé de tous intervenir.
01:21:04 -Non, pas du tout.
01:21:06 C'est pour répondre à madame le conseiller
01:21:09 sur la question de la correctionnalisation.
01:21:12 En pratique, comment ça se passe ?
01:21:15 Je prends l'exemple du viol,
01:21:17 puisque c'est principalement... Ca a été un des objets.
01:21:20 La victime a déposé plainte.
01:21:24 Le juge d'instruction est saisi d'un crime, le viol.
01:21:28 C'est pas le juge d'instruction, tout seul, dans son coin,
01:21:31 qui va décider.
01:21:33 Il ne décidera qu'avec l'accord de la victime, partie civile,
01:21:37 d'aller vers une correctionnalisation ou pas.
01:21:43 Et d'ailleurs, dans les motivations, c'est indiqué.
01:21:48 Et lorsque l'on arrive devant un tribunal correctionnel,
01:21:51 on parle de pénétration sexuelle.
01:21:54 Ca apparaît dans la décision,
01:21:57 et la condamnation et la qualification n'est pas viol.
01:22:02 C'est comme ça que ça se passe.
01:22:04 Si la victime ne veut pas de correctionnalisation,
01:22:08 elle l'indique au juge d'instruction.
01:22:10 Et à partir de ce moment-là,
01:22:12 ou à ce jour, si c'est un viol simple,
01:22:15 ça va devant la cour criminelle départementale.
01:22:19 Mais il y a un certain nombre de femmes victimes de viols
01:22:22 qui ne veulent pas ça,
01:22:24 qui veulent être jugées par leur mère ou par leur père.
01:22:27 -Merci.
01:22:31 Alors, est-ce qu'il y a d'autres questions ?
01:22:34 Oui, monsieur François Séners.
01:22:38 -Merci, monsieur le président.
01:22:40 Il y a eu un débat assez nourri à la barre
01:22:42 sur certains aspects des conséquences
01:22:45 de la création de ces cours criminels départementales,
01:22:49 avec des chiffres, des analyses, appréciations contradictoires.
01:22:54 C'est évidemment un élément de fait,
01:22:56 et nous devons nous prononcer en droit,
01:22:58 bien compris cette appréciation des faits
01:23:01 étant lien direct avec le grief tiré de l'inégalité
01:23:06 face à la justice,
01:23:08 dans laquelle se trouveraient certains justiciables,
01:23:11 selon qu'ils... leur affaire est enviancée devant une cour
01:23:14 ou une cour d'assises.
01:23:16 M. Kanguilhem rappelait qu'il y a eu un rapport d'évaluation
01:23:20 qui avait été demandé par le Parlement,
01:23:22 dans la loi de décembre 2021,
01:23:24 qui a conduit à la publication, en octobre 2022,
01:23:28 d'un rapport d'évaluation, qui fournit un certain nombre de chiffres.
01:23:31 Nous l'avons dans l'instruction.
01:23:33 Et je voudrais, alors, pas forcément d'éléments à chaud,
01:23:37 ici à la barre, mais peut-être dans les jours qui viennent,
01:23:40 demander aux avocats qui ont mentionné des situations
01:23:43 qui sont en contradiction,
01:23:45 et je pense notamment à cet élément qui me semble important,
01:23:48 du délai dans lequel un accusé qui se trouve en détention
01:23:52 est susceptible de voir son affaire audiencée.
01:23:55 Le rapport d'évaluation nous dit
01:23:58 qu'il était plus court dans les cours expérimentales
01:24:02 que l'audiencement aux assises.
01:24:05 Certains avocats nous ont dit qu'en réalité,
01:24:07 il pouvait être plus long.
01:24:10 Ce que je voudrais que nous puissions avoir,
01:24:12 ce sont les éventuels éléments de fait, les données,
01:24:14 qui sont éventuellement disponibles
01:24:16 et qui permettent de contredire ce rapport d'évaluation.
01:24:18 -Merci, cher collègue.
01:24:21 Pratiquons plutôt par notre temps délibéré.
01:24:24 Le cas de Jean, consortez-vous entre vous.
01:24:26 Je vais la parole mettre pour une seconde,
01:24:28 mais comme c'est une demande de fait concret,
01:24:31 notre temps délibéré.
01:24:34 Allez-y, je vous en prie,
01:24:36 pour une courte intervention.
01:24:38 -M. le Président, très rapidement.
01:24:41 La photographie que vous avez, celle de novembre 2022,
01:24:44 effectivement, par ce rapport
01:24:47 du comité d'évaluation et de suivi
01:24:49 des cours criminels départementales,
01:24:51 vous placez, je pense, l'ensemble de mes confrères
01:24:54 un peu dans la difficulté,
01:24:56 parce que ce sont des chiffres, je pense,
01:24:59 qui sont plus à fournir par les parquets,
01:25:02 le parquet général, la chancellerie.
01:25:04 Dans une photographie de 2023, de novembre 2023,
01:25:07 nous parlons avec toute notre expérience,
01:25:09 qui est parfois une expérience parcellaire, individuelle.
01:25:13 Le Conseil national des barreaux
01:25:15 pourrait essayer de regrouper ces expériences,
01:25:17 mais je crois qu'on prendrait beaucoup de temps à le faire,
01:25:20 là où la chancellerie, par interrogation
01:25:23 des parquets généraux, arriverait plus rapidement
01:25:25 à vous donner ces éléments. -Merci.
01:25:27 Alors, la question est simple, M. Canguilhem.
01:25:29 Est-ce que vous sentez en état,
01:25:31 après avoir consulté les ministères,
01:25:33 notamment la chancellerie, de donner des éléments actualisés
01:25:37 ou pas ? -Alors, comme je l'avais annoncé,
01:25:39 la réponse est très claire, elle est négative.
01:25:41 Les données pour 2023 ne sont pas encore disponibles.
01:25:44 -Bon. Bon. Bon. Bon.
01:25:47 Est-ce qu'il y a une dernière question de ce côté-ci ?
01:25:51 Non, il n'y en a pas.
01:25:53 Alors, bon, les arguments ont été changés,
01:25:56 les questions ont permis d'aller un petit peu plus loin.
01:25:59 Donc, concrètement,
01:26:01 nous allons réfléchir à tout cela,
01:26:05 délibérer, et je reviendrai
01:26:08 dans cette belle ville de Douai
01:26:11 vendredi prochain matin,
01:26:14 dire quelle est notre décision et annoncer pourquoi.
01:26:18 -Donc, dans 9 jours.

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