Prescription de l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice
Lien vers la décision :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231061QPC.htm
Lien vers la décision :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231061QPC.htm
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 ...
00:26 Bien, bonjour à tous, bonne journée, l'audience est ouverte.
00:30 Nous avons deux questions prioritaires de constitutionnalité à ce qui est à notre tour du jour.
00:36 Nous allons commencer avec la QPC n° 2023-1061 qui porte sur l'article 2225 du Code civil.
00:47 Madame Agréfière, expliquez-nous où nous en sommes.
00:49 Je vous remercie, M. le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 janvier 2023 par un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation
00:58 d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Madame Cindy Barbier portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 2225 du Code civil.
01:09 Cette question relative à la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les partis en justice
01:17 a été enregistrée au Secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2023-1061 QPC.
01:24 La SCP Alain Bénabant a produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante le 11 juillet 2023.
01:31 La société Boré-Salve de Bruneton et Maigret dans l'intérêt de M. François Cochet, parti en instance, et la Première Ministre ont produit des observations le 19 juillet 2023.
01:41 Seront entendues aujourd'hui l'avocat de la partie requérante, l'avocat de la partie en instance et le représentant de la Première Ministre.
01:48 Merci Madame. Donc nous allons commencer par écouter Maître Bénabant qui est avocat au Conseil et qui représente Madame Barbier, partie requérante. Maître.
02:03 Merci Monsieur le Président. Nous sommes donc en matière de prescription. La prescription c'est un droit, le droit de la prescription c'est un droit trompeur.
02:11 Il paraît simple comme ça, il paraît mécanique. Et en réalité on s'aperçoit qu'il y a des dizaines d'arrêts rendus chaque mois par la Cour de cassation dans cette matière.
02:19 C'est que il s'agit en réalité de la recherche permanente d'un équilibre, équilibre entre les droits et les intérêts du demandeur qui doit disposer d'un temps suffisant
02:31 pour réfléchir, préparer, documenter son action et les intérêts du défendeur qui doit ne pas être exposé perpétuellement à la menace d'une action en justice.
02:43 Et c'est cet équilibre, cette balance que l'article 2225 qui vous est aujourd'hui soumis, rompt en faveur des avocats, en faveur des avocats pour ce qui concerne les actions
02:58 en responsabilité afférentes à une faute qu'ils peuvent avoir commise dans l'exercice de leur mandat.
03:05 En droit de la responsabilité, en droit commun de la responsabilité c'est simple. La prescription fonctionne de manière très simple, il faut deux conditions,
03:15 une faute et un préjudice et le télé de prescription ne commence à courir que du jour où ces deux conditions sont réunies.
03:25 La faute, on ne s'en aperçoit pas forcément tout de suite, elle n'est quelquefois révélée que longtemps après, en particulier s'il s'agit de manquement des obligations de conseil.
03:34 Et le préjudice, il peut apparaître très longtemps après la faute. On cite toujours le cas de l'employeur qui n'ayant pas cotisé pour la retraite de ses employés
03:47 a causé un dommage qui n'est apparu que quand ses employés ont été en mesure de faire liquider leur droit à retraite.
03:55 Ce droit simple est écarté par l'article 2225 pour les avocats. Depuis peu de temps, à vrai dire, cette logique est renversée par ce texte
04:14 qui décide de fixer le point de départ du délai qui est actuellement de 5 ans au jour de la fin de leur mission.
04:26 Peu importe que la faute n'apparaisse que très longtemps après, peu importe que le dommage lui-même ne se manifeste qu'encore plus longtemps ou ne soit consommé que longtemps après,
04:36 le délai a commencé à courir dès le jour de la fin de la mission. Point de départ fixe, c'est une règle assez simple mais assez brutale, on pourrait dire même simpliste.
04:47 Elle est relativement nouvelle. Dans le Code civil de 1804, il y avait un texte, bien sûr, c'était de 2276, les juges aient avoué sont déchargés des pièces 5 ans.
04:59 5 ans après le jugement des procès. Mais pour ce qui est de l'action en responsabilité, pour une mauvaise exécution de leur mission, au contraire, c'était le droit commun,
05:09 donc il fallait attendre la manifestation de la faute et du dommage. Cette situation a duré pendant 185 ans et puis tout d'un coup en 1989, une loi est intervenue en laissant l'article 2276.
05:24 La décharge des pièces, toujours 5 ans. Mais elle a créé un nouveau texte sur l'action en responsabilité 2277.1 qui a décidé que cette action se prescrit par 10 ans à compter de la fin de la mission.
05:38 Alors cette loi c'était quoi ? Ce n'était pas du tout une loi sur la prescription d'une façon générale. C'était une loi sur la profession d'avocat.
05:45 Ça ne vous étonnera qu'à moitié, bien sûr. Et puis quand en 2008 on a fusionné, on a réformé la prescription générale, on a fusionné les deux textes.
05:56 Et on a décidé que le nouveau délai de 5 ans s'appliquait, notre article 2225, à toute action en responsabilité, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces.
06:15 Donc on a fusionné et on a assimilé l'action en restitution de pièces confiées et l'action en responsabilité pour faute.
06:26 Ça paraît simple comme ça, mais en réalité c'est une fusion tout à fait hypocrite. On assimile des choses qui n'ont aucun rapport.
06:35 Pour les pièces, on comprend très bien qu'il y a un délai de 5 ans parce qu'on s'aperçoit bien que quand la mission est terminée, les pièces il faut les rendre et puis on peut faire courir le délai tout de suite.
06:45 Pour l'action en responsabilité, c'est-à-dire la découverte d'une faute, la manifestation d'un préjudice qui va en découler, cette action ne démarre pas tout de suite.
06:57 Il faut d'ailleurs se souvenir que quelquefois le préjudice n'apparaîtra que lorsque la décision de justice obtenue et défavorablement subie, plus exactement, aura été exécutée et sera mise à exécution.
07:11 Or pour la mise à exécution, le délai c'est 10 ans dans le Code des procédures civiles d'exécution.
07:17 Donc on fait courir, on fait démarrer le chronomètre avant même que la future victime ne sache qu'elle est victime et ne soit donc en mesure d'exercer une action.
07:32 C'est une règle qui est protectionniste. Certains pourraient même dire corporatiste s'il y avait autant d'avocats dans cette salle, bien sûr.
07:42 Et cette règle, elle ronde un équilibre au détriment de celui qui doit avoir un accès à la justice normale.
07:54 En réalité, quand il est en mesure d'agir, quand les deux conditions sont réunies, peut-être qu'il arrive que le délai soit écoulé ou alors qu'il n'en reste quasiment qu'une toute petite fraction
08:04 qui n'est pas suffisante pour le temps nécessaire à préparer, documenter une action en justice.
08:12 Alors on avance comme justificatif, oui, mais il faut encore avoir les pièces pour pouvoir se défendre.
08:19 Donc que l'on étende le délai de 5 ans à l'action de responsabilité n'est pas tout à fait sans justification.
08:25 Mais c'est pas à propos des avocats, ça. Les notaires, quand on met leur responsabilité en cause, c'est pareil.
08:31 Les experts comptables, même les banquiers, quand leur responsabilité est en cause à propos de leur obligation de conseil,
08:38 eh bien ils vont avoir besoin de se défendre et ils peuvent avoir besoin des pièces.
08:45 En vrai, tout mandataire à qui l'on a confié des pièces peut se retrouver dans la même situation.
08:52 Et rien ne justifie donc qu'il y ait un texte particulièrement spoliateur pour les victimes qui concerne les avocats.
09:03 C'est la raison pour laquelle cet article 225 qui s'avère comme portant une atteinte directe au droit d'accès aux tribunaux
09:13 et une atteinte à l'égalité en même temps parce que, encore une fois, comme je viens de vous le dire,
09:19 ce qui est justifié pour les autres professions n'en est pas pour les avocats.
09:24 Donc on vous demande de déclarer ce texte non conforme à la Constitution et de le faire sans aménager de dispositions transitoires
09:36 parce qu'il s'agit tout simplement d'un retour au droit commun.
09:39 Pour les actions en responsabilité, c'est le droit commun, c'est cette dérogation au droit commun qui s'avère non constitutionnelle.
09:46 On la supprime, on fait retour au droit commun. Il n'y a rien là que de tout à fait naturel.
09:53 Voilà la raison de la conclusion.
09:56 Merci, Maître.
09:58 Alors maintenant, nous allons écouter le maître de salle de Bruneton qui est avocat au Conseil et qui représente M. Cochet, parti à l'instance. Maître.
10:09 Merci, M. le Président.
10:11 M. le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, le droit comporte de nombreuses distinctions qui peuvent surprendre les profanes.
10:19 Les discussions auxquelles elles donnent lieu peuvent parfois même amuser ou agacer l'observateur.
10:24 Pourquoi une même faute relève tantôt de la responsabilité délicuelle, tantôt de la responsabilité contraquelle ?
10:30 Pourquoi un bien que l'on peut déplacer est parfois qualifié de meuble, parfois qualifié d'immeuble ?
10:37 Pourquoi le gardien d'une tondeuse à gazon sur laquelle on peut prendre place relève du régime particulièrement strict de responsabilité de la loi du 5 juillet 1985,
10:49 tandis qu'un même engin que l'on peut pousser relève du droit commun de la responsabilité qui est moins stricte ?
10:55 Un despote peu éclairé pourrait ainsi rêver d'un système juridique simple qui ne comporterait que quelques règles tracées aux cordeaux dont l'application ne susciterait aucune difficulté.
11:09 Mais ce serait une erreur grave, car ces distinctions, parfois multiséculaires, reposent sur des différences de situation qui justifient la différence de traitement appliquée.
11:21 Comme le souligne le professeur Therré, le droit se réalise à l'aide de catégories juridiques, c'est-à-dire à l'aide de distinctions.
11:31 Car il est justifié de ne pas soumettre celui qui a volontairement souscrit un engagement contractuel au même régime de responsabilité que celui qui agit en dehors de toute convention.
11:39 Il est justifié de soumettre le gardien d'un véhicule terrestre à moteur dont les dangers sont connus depuis longtemps à une responsabilité plus stricte,
11:47 résultant de la loi du 5 juillet 1985, que celui qui utilise un grille-pain.
11:52 Il est encore justifié de traiter un meuble comme un immeuble dès lors qu'il est affecté à son exploitation et relève d'une même unité économique.
12:02 Les difficultés de qualification qui font les délices des juristes, car elles permettent de mieux comprendre la finalité des règles en cause, sont le plus souvent très marginales
12:10 et ne doivent donc pas masquer l'intérêt qui s'attache à des distinctions qui ne soulèvent, dans l'immense majorité des cas, aucune difficulté.
12:20 C'est pourquoi je ne vous la prendrai pas à vous juger depuis longtemps que le principe d'égalité ne s'oppose pas à des différences de traitement,
12:26 dès lors qu'elles sont fondées sur des différences de situation en rapport avec l'objet de la loi,
12:30 et qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur auquel vous reconnaissez une large marge d'appréciation.
12:41 Vous jugerez dès lors l'article 2225 du Code civil conforme au principe d'égalité devant la loi.
12:48 En effet, si comme cela vous a été rappelé, ce texte fait courir la prescription à compter de la fin de la mission confiée à celui qui assistait ou représentait une partie en justice,
12:58 à l'inverse des dispositions générales de l'article 2224 du Code civil, cette solution est justifiée par la nature particulière de la mission en cause.
13:09 La mission d'assistance ou de représentation en justice mentionnée par l'article 2225 du Code civil est en effet particulière,
13:17 et se distingue de la délivrance de conseils en dehors de tout contentieux ou de rédaction d'actes qui, elle, relèvent de l'article 2224 du Code civil.
13:25 Car toute mission contentieuse implique l'utilisation et l'échange de nombreux documents, ce qui n'est pas le cas des autres professions.
13:33 Ainsi, tout praticien du contentieux a été amené à traiter des affaires dans lesquelles les pièces et écritures échangées représentaient parfois plusieurs dizaines de cartons,
13:44 parfois même alors que les enjeux étaient très modestes.
13:48 C'est pourquoi, ainsi que le rappel le rapport parlementaire qui a conclu au maintien de la règle appliquée depuis quelques années, reprise à l'article 2225,
13:57 le législateur a jugé qu'il était nécessaire d'aligner la durée et le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre celui qui a représenté ou assisté une partie en justice,
14:07 source du délai de conservation des pièces.
14:11 Il convient en effet d'enfermer l'action en responsabilité dont peut faire l'objet celui qui a assisté ou représenté une partie en justice,
14:18 dans le délai dans lequel il doit conserver les pièces nécessaires à l'exercice de sa défense.
14:26 Et si mon contradicteur, il ne faut moi maintenant affirmer dans ses écritures que cette justification aurait perdu sa raison d'être,
14:33 parce que les pièces seraient désormais dématérialisées, il appartient au législateur d'apprécier en fait l'impact d'une telle évolution technique
14:43 et de déterminer s'il peut désormais être imposé à tous les professionnels de conserver plus de 5 ans après la fin de leur mission,
14:51 les pièces et écritures qui ont été échangées, en les dématérialisant et en supportant le coût d'une telle dématérialisation.
15:00 Il convient d'ailleurs de souligner que les missions de représentation ne sont pas nécessairement exercées par les avocats,
15:07 contrairement à ce qui a été sous-entendu, et peuvent l'être par des délégués syndicaux, voire, dans certaines hypothèses,
15:15 par les conjoints ou alliés visés à l'article 765 du Code de procédure civile, auquel il ne serait sans doute pas opportun d'imposer pendant plus de 5 ans
15:24 la conservation des pièces nécessaires à leur défense.
15:28 Au-delà de cette question, il apparaît que les missions contentieuses se distinguent radicalement de celles portant sur la délivrance de conseils ou la réduction d'actes.
15:38 En effet, la pratique contentieuse fait appel à des connaissances souvent particulièrement larges,
15:43 qui doivent porter sur des questions de fonds fréquemment variés et de procédures,
15:47 tandis que les professionnels qui pratiquent le conseil ou d'autres activités se spécialisent de plus en plus.
15:54 Il s'avère ainsi aujourd'hui que la plupart des professionnels n'exercent pas ces deux activités,
15:59 les cabinets et les départements des grands cabinets étant spécialisés dans l'un ou l'autre de ces domaines.
16:06 Le contentieux et le conseil constituent donc deux métiers distincts, qu'il est dès lors légitime de soumettre à des régimes distincts.
16:17 Enfin, contrairement à ce qui a été dit, le dommage que peuvent subir les personnes assistées ou représentées en justice
16:24 se manifeste dans la plupart des hypothèses lorsque la décision est rendue, c'est-à-dire avant que la mission ait pris fin.
16:33 Il en va bien différemment du dommage causé par la faute que peut commettre un professionnel qui exerce une mission de conseil ou de réduction d'actes.
16:41 Dans ces hypothèses, en effet, le dommage apparaît dans l'immense majorité des cas des années après la fin de la mission,
16:47 lorsque l'acte rédigé ou le conseil donné s'avère inefficace.
16:52 Et le premier réflexe du client d'un avocat qui a obtenu une décision défavorable, mes confrères qui sont ici présents ne me démentiront pas,
17:00 est de s'interroger sur les causes de cet échec et sur les moyens plus efficaces qui auraient pu et dû, selon lui, être employés ou soutenus.
17:11 Il est en tout cas en mesure de le faire, de sorte que la solution retenue par l'article 2225 du Code civil
17:17 ne s'éloigne que peu de celle de droit commun prévue par l'article 2224 du même Code,
17:23 car ce texte précise que la prescription court à compter de la date à laquelle la victime a eu connaissance des éléments lui permettant d'agir,
17:31 mais aussi du jour où elle aurait dû en avoir connaissance.
17:36 Ainsi, si l'échec d'une mission contentieuse ne repose pas sur des justifications sérieuses,
17:42 il n'est pas absurde de considérer que celui qui le subit doit immédiatement s'interroger sur les causes de cet échec
17:49 et doit alors s'aviser de la faute qu'a pu commettre celui qui le représentait ou qui l'assistait.
17:55 La solution spécifique imposée par l'article 2225 du Code civil n'est ainsi pas si éloignée de celle prévue par l'article 2224
18:04 et l'holigélateur a pu estimer que la différence de situation justifiait une telle différence de traitement.
18:12 Les hypothèses très marginales invoquées par l'auteur de la QPC ne sauraient dès lors vous amener à vous substituer au législateur
18:20 et à réduire la marge d'appréciation que vous lui reconnaissez.
18:24 Car il est vrai que dans des hypothèses marginales, on peut établir que la faute que peut commettre celui qui assiste ou représente une partie
18:32 peut être très proche de celle que pourrait commettre un avocat ou tout autre professionnel qui exerce une mission de conseil.
18:40 Mais cette difficulté de qualifier cette situation et même le caractère contestable de la solution qui pourrait être retenue
18:48 ne saurait condamner une distinction qui repose sur une différence de situation qui est caractérisée dans l'immense majorité des cas
18:56 parce que le dommage causé par une faute commise dans l'exercice d'une mission contentieuse se manifeste le plus souvent au jour où la décision est rendue,
19:06 ce qui permet à la partie représentée ou assistée d'agir immédiatement en responsabilité.
19:12 De même que les cas marginaux dans lesquels il pourrait sembler contraire au principe d'égalité de soumettre une tondeuse à gazon à la loi de 85
19:20 parce qu'elle est auto-tractée alors qu'elle relève du régime de responsabilité moins sévère au seul motif qu'elle ait poussé,
19:27 ne sauraient justifier l'abrogation de la loi du 5 juillet 85,
19:31 les hypothèses marginales imaginées par mon confrère et citées dans ses écritures ne sauraient justifier l'abrogation de l'article 2225
19:40 qui impose une différence de traitement justifiée dans la très grande majorité des cas par une différence de situation.
19:48 Soulignons enfin que l'article 2225 du Code civil ne doit pas être lu isolément
19:55 et que les effets qu'il peut développer doivent être déterminés en considération des textes qui y dérogent.
20:02 En effet, si l'article 2225 du Code civil fait courir la prescription à compter de la fin de la mission du représentant,
20:09 l'article 2234 du même Code précise que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir.
20:20 Et la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises, et notamment par un arrêt du 8 février 2023,
20:27 qu'en vertu de ce texte, la prescription d'une action doit être écartée,
20:31 dès lors que celui qui l'exerce a, je cite, « été placé dans l'impossibilité d'agir pour avoir de manière légitime et raisonnable,
20:42 ignoré la naissance de son droit ».
20:46 Cette disposition ainsi interprétée atténue encore la différence de traitement qui peut résulter de l'application des articles 2224 et 2225 du Code civil,
20:57 puisqu'elle rapproche la solution découlant du second de ces textes, de celle résultant du premier,
21:02 en imposant dans tous les cas une suspension de la prescription lorsque la partie qui agit avait ignoré légitimement l'existence de son droit.
21:13 Cette disposition, et l'application que plusieurs arrêts en ont faite,
21:17 montrent en outre que l'article 2225 du Code civil ne porte pas atteinte au droit à un recours effectif.
21:25 En effet, si le délai prévu par l'article 2225 devait être expiré avant que la victime n'ait pu agir,
21:33 parce que son dommage ne s'était pas réalisé,
21:36 ou même parce qu'elle ignorait l'existence de la faute imputable à celui qui l'avait assisté ou représenté,
21:41 l'article 2234 imposerait alors une suspension de la prescription.
21:48 Quoi qu'il en soit, l'atteinte au droit à un recours effectif doit être appréciée au regard de toutes les dispositions qui doivent s'appliquer,
21:58 et notamment de l'article 2234 qui assure l'effectivité du droit au recours
22:04 auquel l'article 2225 pourrait porter atteinte dans des hypothèses extrêmement marginales.
22:11 La QPC qui ne porte que sur l'article 2225 du Code civil, et non sur l'article 2234 du même Code,
22:19 ne vise donc pas le droit effectif et vivant qui doit seul être pris en compte.
22:27 Et si la première chambre civile qui vous a transmis cette QPC semble considérer que l'article 2225
22:33 pourrait conduire à déclarer une action prescrite alors même que ses conditions d'exercice ne sont pas réunies,
22:38 telle n'est manifestement pas la solution retenue par les autres chambres dont je viens de citer les arrêts,
22:43 et notamment celui du 8 février 2023.
22:48 Ainsi la portée de l'article 2234, qui doit être définie de manière uniforme par l'ensemble des chambres de la Cour de cassation,
22:55 est donc à tout le moins incertaine à ce jour.
23:00 Vous ne sauriez dès lors déclarer inconstitutionnel l'article 2225 du Code civil alors que ses effets ne sauraient être envisagés isolément
23:09 et dépendent au contraire de la portée attachée à l'article 2234 qui est encore à tout le moins incertaine.
23:18 Merci Maître. Alors pour la Première Ministre, M. Ganguilen.
23:24 Merci M. le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel.
23:29 Le législateur en 2008 a réformé en profondeur les règles de la prescription en matière civile.
23:34 Le droit commande est désormais fixé par la disposition de l'article 2224 du Code civil et repose sur deux règles essentielles.
23:40 Le délai de prescription des actions personnelles ou mobilières est de 5 ans.
23:44 Le point de départ de ce délai est, nous citons, le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer.
23:52 Le travail d'unification des délais de prescription réalisé par le législateur en 2008 n'a pour autant pas supprimé tous les régimes dérogatoires
23:59 parmi lesquels celui applicable aux actions en responsabilité dirigées contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice
24:06 prévues par la disposition de l'article 2225 du Code civil qui est l'objet de la présente question.
24:12 Ce régime n'est pas dérogatoire au droit commun de la prescription en ce qui concerne le délai qui est de 5 ans
24:16 mais uniquement en ce qui concerne le point de départ de celui-ci qui est, selon les termes de l'article 2225, la fin de la mission.
24:23 Et la première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt récent du 14 juin 2023, a précisé que la fin de la mission
24:30 correspond à l'expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l'instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d'assister son client.
24:41 Le terme de la mission est donc un élément objectif facilement identifiable.
24:47 Les deux griefs dirigés contre les dispositions de l'article 2225 du Code civil se situent sur deux plans d'analyse différents.
24:54 D'une part, il est soutenu que le fait que le point de départ du délai soit indifférent à la connaissance effective des faits permettant d'exercer l'action
25:04 est contraire au droit au recours effectif. D'autre part, les auteurs de la question se plaçant au niveau des personnes ayant représenté ou assisté des parties en justice
25:14 et qui sont principalement, mais pas exclusivement, avocats, cela a été dit, les requérants soutiennent que la distinction induite par ces dispositions
25:21 entre les règles de prescription applicables à leur mission de représentation et à leur mission de conseil méconnaîtraient le principe d'égalité.
25:29 Les dispositions constituent ne méconnaissent pas le droit au recours effectif.
25:34 Vous admettez que le droit au recours que vous rattachez à l'article 16 de la déclaration de 1789 connaisse des restrictions.
25:40 A condition toutefois que ce droit au recours ne soit pas privé de toute effectivité.
25:45 Vous contrôlez alors que les limitations apportées à ce droit ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des objectifs d'intérêt général poursuivis par le législateur.
25:55 En l'espèce, le choix du législateur de retenir un point de départ objectif de la prescription poursuit un double objectif de préservation de la sécurité juridique
26:06 et des droits de la défense qui sont d'ailleurs les deux objectifs que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme assigne au délai de prescription.
26:13 Vous admettez pour votre part que le législateur encadre l'exercice du droit au recours afin de limiter le risque d'insécurité juridique.
26:20 Voyez par exemple le considérant numéro 6 de votre décision 138 QPC.
26:25 Or l'application d'un point de départ glissant de la prescription aurait pour conséquence d'engendrer des incertitudes sur la période au cours de laquelle la responsabilité peut être encachée.
26:33 Et cette exigence de sécurité juridique se prolonge dans le respect des droits de la défense.
26:38 En effet, le respect des droits de la défense suppose que celui qui fait l'objet d'une action en responsabilité professionnelle puisse se fonder sur les pièces du dossier pour lequel sa responsabilité est recherchée.
26:49 L'enjeu est donc celui de la conservation des pièces.
26:53 Auparavant, le premier alinéa de l'article 2276 du Code civil imposait un délai de conservation des pièces de 5 ans.
27:01 Ce délai est aujourd'hui induit par le délai de prescription de 5 ans pour l'ensemble des professionnels concernés.
27:09 Les pièces sont donc conservées pendant cette durée.
27:11 Si le point de départ du délai de prescription était identique à celui du droit commun,
27:16 cela aurait pour conséquence que la responsabilité professionnelle du représentant pourrait être recherchée plusieurs années ou même plusieurs décennies après la réalisation de la mission,
27:26 dans les hypothèses dans lesquelles la personne qui le représentait n'aurait pas eu connaissance de ces faits.
27:32 Dans ce cas, et pour que les droits de la défense soient préservés,
27:37 une obligation de conservation de l'intégralité de leurs pièces sans aucune limitation de durée pèserait, dans les faits, sur les professionnels concernés.
27:47 Or, une telle charge serait manifestement disproportionnée au regard des exigences du droit au recours.
27:53 En effet, pour faire face au cas extrêmement rare au demeurant,
27:58 dans lequel la personne représentée en justice aurait connaissance des faits de nature à justifier l'action plus de 5 ans après la fin de la mission,
28:05 les professionnels devraient engager des moyens matériels et financiers considérables pour conserver les pièces de leur dossier,
28:11 non seulement jusqu'à la fin de leur vie professionnelle, mais même au-delà.
28:15 Les travaux préparatoires de la loi de 2008, qui maintiennent effectivement ce régime dérogatoire datant de 1989,
28:25 témoignent de ce que la disposition contestée est motivée par ces contraintes d'archivage.
28:30 Et contrairement à ce qui est soutenu, le développement du stockage numérique et du cloud ne supprime pas ces contraintes.
28:37 D'une part, car cela représente un coût financier qui peut être important,
28:41 et d'autre part, car les garanties sur la conservation à long voire à très long terme de ces données est insuffisante,
28:48 et donc cette incertitude est susceptible de fragiliser le respect des droits de la défense.
28:53 Le législateur a donc opéré une juste conciliation entre le respect des droits de la défense et le respect du droit au recours effectif.
28:59 De la personne représentée qui, en cinq ans, disposera du temps nécessaire pour prendre connaissance des faits de nature
29:05 à lui permettre d'exercer l'action en responsabilité professionnelle.
29:08 Les dispositions contestées ne méconnaissent pas davantage le principe d'égalité.
29:13 En effet, elles ne conduisent pas à traiter différemment des catégories de personnes exerçant les mêmes missions juridiques.
29:20 Elles ne font que poser un régime de prescription différent selon la nature des missions qu'une même personne peut être de nature à exercer.
29:27 Ainsi, les règles de l'article 2225 du Code civil s'appliquent à toutes les personnes exerçant une mission d'assistance ou de représentation en justice,
29:34 qu'elles soient avocates ou non, et parallèlement, le droit commun de la prescription s'applique à toute personne exerçant l'activité de consultation juridique ou de rédaction d'actes,
29:45 qu'elles soient avocates ou non, et bien sûr dans le respect de l'article 56 de la loi du 31 décembre 1971.
29:51 La différence du point de départ de la prescription ne fonctionne pas d'un critère organique, mais d'un critère matériel, à savoir la nature de l'activité exercée, et cette différence est fondée.
30:00 Il existe en effet une différence de situation, de nature même, entre ces différentes missions, et la différence de régime qui résulte de cette différence de situation est en rapport direct avec l'objet de la loi qu'il établit.
30:14 L'objet de la loi est justement de déterminer des règles de prescription ménageant un équilibre satisfaisant entre la possibilité d'exercer une action en responsabilité d'une part, la préservation de la sécurité juridique et des droits de la défense d'autre part.
30:28 En ce qui concerne les missions de représentation, cette conciliation peut s'opérer, nous l'avons vu, par la fixation d'un élément objectif, la fin de la mission.
30:37 Il n'en est rien en ce qui concerne la mission de conseil, qui est beaucoup plus diffuse dans le temps et dont les bornes temporelles peuvent être fluctuantes, et en tout état de cause, il est impossible de déterminer de manière certaine ce point de départ qui serait la fin de la mission, incertitude qui serait source d'insécurité juridique.
30:57 Ainsi, en posant un point de départ du délai de prescription différent du droit commun en ce qui concerne les actions en responsabilité professionnelle résultant d'activités de représentation ou d'assistance, le législateur n'a pas porté atteinte au principe d'égalité.
31:09 Enfin, à titre subvidiaire, une abrogation pure et simple de l'article 2225 du Code civil aurait des conséquences manifestement excessives pour les personnes ayant effectué des missions de représentation et d'assistance achevées depuis plus de 5 ans.
31:24 Ces personnes, pensant légitimement au regard de la législation en vigueur que leur responsabilité ne pouvait plus être engagée, sont susceptibles d'avoir détruit les pièces se rapportant à ces missions.
31:34 L'application à ces situations du point de départ du droit commun du délai de prescription pourrait conduire à une action en responsabilité de plus de 5 ans après la réalisation de la mission, ce qui priverait les professionnels concernés qui auraient détruit ces pièces de la possibilité de se défendre utilement en méconnaissance du respect des droits de la défense.
31:55 En cas de censure, il vous faudrait donc limiter les effets de l'abrogation aux situations dans lesquelles la prescription n'était pas acquise.
32:01 Aucune exigence consécutive n'ayant été méconnue, je vous invite à déclarer les dispositions de l'article 2225 du Code civil conformes à la Constitution.
32:09 Merci, M. Canguier. Alors, est-ce qu'un de mes collègues a une question à poser ? Non ? Vous êtes éclairé ? Pas de problème ?
32:20 Très bien. Alors, nous allons réfléchir à tout cela et rendrons notre décision jeudi en 8, c'est-à-dire le 28 septembre dans l'après-midi. Voilà.