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Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique
Article L. 421-3
Lien vers la décision :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/20241112QPC.htm

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Transcription
00:00L'audience est ouverte. Nous allons commencer cette audience avec la question prioritaire de constitutionnalité, numéro 2024-1112.
00:14C'est une QPC qui porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, de l'article L421-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
00:27Madame la greffière, voulez-vous retracer les étapes de la procédure d'instruction, afin que chacun comprenne où nous en sommes du déroulé de cet examen de la QPC ?
00:42J'en remercie, Monsieur le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 septembre 2024 par un arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité,
00:54posée par Mesdames Marie-Thérèse Foss, Mireille Foss et Monsieur René Foss, portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, de l'article L421-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique,
01:08dans sa rédaction, issue de l'ordonnance numéro 2014-1345 du 6 novembre 2014, relative à la partie législative de ce Code.
01:18Cette question, relative au délai de déchéance du droit de rétrocession en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel, sous le numéro 2024-1112 QPC.
01:32La SEP Mottan et Tribault a produit des observations dans l'intérêt des parties requérantes le 1er octobre 2024.
01:40Maître Véronique Lang a produit des observations dans l'intérêt de l'établissement public foncier de Grand Est, parti à l'instance le 1er octobre 2024.
01:48Le Premier ministre a produit des observations le 1er octobre 2024.
01:52Seront entendues aujourd'hui l'avocate des parties requérantes, l'avocate de la partie à l'instance et le représentant du Premier ministre.
02:00Merci Madame. Nous allons procéder comme vous venez de l'annoncer.
02:04Maître Sarah Terfi, vous êtes avocate au barreau de Marseille, vous représentez Mme Marie-Thérèse Feutz et deux autres parties requérantes.
02:15Sous réserve de ce que je vais vous indiquer dans un instant, nous allons vous écouter.
02:19Ce que je veux vous indiquer, c'est qu'avec le Conseil constitutionnel, les avocats, bien sûr, peuvent s'exprimer, mais en 10 minutes.
02:31Vous avez la parole.
02:33Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, vous êtes saisi des dispositions de l'article L421-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
02:53Ce texte fixe les modalités de rachat d'un bien rétrocédé et la sanction qui découle du non-respect de celle-ci.
03:00De manière plus précise, c'est le cas du propriétaire qui cède de manière forcée son bien à un établissement public, par exemple l'expropriant, pour un projet d'utilité publique.
03:11Si ce bien n'a pas reçu par l'expropriant la destination au vu de laquelle il avait été cédé, l'exproprié, propriétaire originel du bien, bénéficie d'un droit de rétrocession sur ce bien, c'est-à-dire le droit de racheter ce bien.
03:25Et c'est précisément cette phase qui est régie par les dispositions de l'article L421-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
03:34En effet, cet article prévoit que si l'exproprié qui bénéficie d'un droit de rétrocession ne justifie pas d'un contrat de rachat signé avec l'expropriant et du paiement du prix dans un délai d'un mois à compter de la fixation de son montant, il est déçu de son droit de rétrocession.
03:53Il perd donc définitivement la propriété de ce bien.
03:56Alors on comprend à la lecture de ces dispositions que l'objectif poursuivi par le législateur est de protéger le droit de propriété de l'expropriant.
04:04Mais cette protection du législateur, elle se fait au détriment de l'exproprié et plus précisément au détriment de son droit de propriété.
04:13Comment l'écoulement d'un délai d'un mois seulement, alors même que le propriétaire initialement exproprié a fait valoir son droit de rétrocession sur le bien, peut-il être suffisant à éteindre ce droit sans aucun formalisme préalable ?
04:30Pour que l'exproprié échappe à la défiance du droit de rétrocession, les parties ont un mois à compter de la fixation du prix à l'amiable si l'exproprié et l'expropriant se mettent d'accord sur le montant du prix ou judiciairement en cas de mise en tente.
04:48Elles ont donc un mois pour échanger sur les modalités de rachat du bien autres que le prix, rédiger un contrat de vente, signer le contrat de vente et payer le prix.
04:59A défaut, et peu importe les raisons pour lesquelles ces diligences n'ont pas été accomplies dans le délai d'un mois, l'exproprié perd son droit de rétrocession, il perd définitivement son droit de propriété.
05:13A contrario, cela signifie que même si l'exproprié engage des démarches amiables ou même judiciaires pour aboutir à la rédaction ou la signature de son contrat, c'est insuffisant pour échapper à la défiance de son droit de rétrocession.
05:29Finalement, la défiance du droit de rétrocession pourrait dépendre de l'unique volonté de l'expropriant qui pourrait de mauvaise foi retarder la rédaction ou la signature du contrat de vente pour protéger son propre droit de propriété.
05:42L'expropriant qui lui-même n'a pas respecté l'engagement qu'il a pris au moment de l'expropriation puisqu'il a dépossédé un propriétaire de son bien pour un projet d'utilité publique qui ne s'est pas concrétisé.
05:56Cela revient à dire qu'un propriétaire a été privé de son bien pour rien.
06:02A cet égard, je suis assez surprise par les observations du M. le Premier ministre puisqu'il indique que la déchéance de ce droit n'intervient qu'en conséquence d'un défaut de diligence de la personne expropriée.
06:14Ce n'est pas ce qui est prescrit par cet article.
06:20Si l'on s'attarde sur les dispositions de cet article, je cite « à peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit l'amiable, soit par décision de justice. »
06:32Il n'est en aucun cas précisé qui doit être à l'origine du défaut de diligence pour que la déchéance soit prononcée.
06:40Que ce soit l'exproprié ou l'expropriant qui soit responsable de ce défaut de diligence, c'est toujours l'exproprié qui paie les conséquences.
06:50Il est déchu de son droit de propriété.
06:52L'objectif de protection du droit de propriété de l'expropriant ne peut justifier l'atteinte portée par l'article L421-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique au droit de propriété de l'exproprié originel.
07:07Au-delà d'être injustifiée, cette atteinte est manifestement disproportionnée.
07:12Cette disproportion peut être appréciée à la lumière des dispositions de l'article L213-14 du Code de l'urbanisme relative à l'acquisition d'un bien par voie de préemption.
07:26D'abord, au regard du délai, puisque ce dernier article laisse à l'acheteur 4 mois pour payer le prix d'un bien acquis par voie de préemption à compter soit de l'acte de vente, soit du jugement d'adjudication.
07:41Vous avez un délai qui est 4 fois supérieur à celui qui est prévu par les dispositions pour lesquelles vous êtes saisi.
07:48Et surtout, la signature de l'acte de vente, dans ce deuxième cas, est le point de départ du délai de 4 mois.
07:55Alors que pour les dispositions de l'article L421-3, elle est une diligence à accomplir par les parties dans le délai d'un mois.
08:04Mais cette disproportion ne s'analyse pas qu'au regard de son délai.
08:09Elle s'analyse au regard de la sévérité de la sanction.
08:13Puisque la sanction est la déchéance.
08:15Déchéance qui est une sanction absolue, définitive et tire évoquable.
08:19Ce n'est pas ce qui est prévu par l'article L213-4 du Code de l'urbanisme puisque, au-delà de 4 mois, la sanction et la possibilité pour le vendeur d'aliéner son bien à autrui.
08:32Donc l'acquéreur, finalement, perd la faculté d'acquérir le bien, mais cette perte, elle n'est pas certaine.
08:37Mais c'est surtout que cette sanction, elle est sévère parce qu'elle est quasiment automatique.
08:43Vous n'avez aucun formalisme préalable qui est prévu.
08:47C'est-à-dire que l'ex-proprié n'est pas mis en demeure au préalable pour venir signer un contrat de vente.
08:55Il n'est d'ailleurs pas informé des diligences qu'il doit accomplir.
09:01En tout cas, il n'est pas informé de la manière dont il doit les réaliser.
09:05Les moyens dont il dispose pour contraindre l'ex-proprié à réaliser ses diligences.
09:10Alors, pour soutenir que les dispositions de cet article sont conformes à la Constitution,
09:16M. le Premier ministre va citer deux articles de ce même code dans ses observations.
09:21L'article R421-3 qui prévoit que les anciens propriétaires disposent à peine de renonciation d'un délai de 2 mois
09:29à compter de la date de l'avis de réception de la notification qui leur est faite de la volonté de l'ex-propriéant
09:35d'aligner un ou plusieurs biens susceptibles de donner lieu à l'exercice du droit de rétrocession pour faire connaître leur décision.
09:43Donc ici, vous avez un délai de 2 mois et pas d'un mois.
09:47Un délai de 2 mois pour simplement manifester la volonté des ex-propriés.
09:54Et surtout, cette diligence, finalement, elle ne relève que de la volonté de l'ex-proprié.
10:00Et c'est exactement la même chose pour le second article qui est cité par M. le Premier ministre.
10:06Article R421-6 de ce même code qui prévoit que le recours contre la décision administrative de rejet de la demande de rétrocession
10:14doit être exercé à peine de déchéance dans le délai de 2 mois suivant sa notification.
10:18L'introduction du recours, elle ne dépend pas de la volonté de l'ex-propriéant.
10:22Elle dépend uniquement de l'ex-proprié.
10:25Et ce n'est pas le cas des diligences qui sont requises par les dispositions de l'article L421-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
10:35Puisque ces diligences appellent la participation de l'ex-propriéant.
10:40Si l'ex-propriéant n'intervient pas dans l'accomplissement de ces diligences, ces diligences ne sont pas considérées comme réalisées par le législateur.
10:48Et l'ex-proprié originaire perd son droit de rétrocession.
10:51Il perd son droit de propriété.
10:53Donc c'est pour ces raisons que finalement ces observations du Premier ministre,
10:59elles viennent conforter l'argumentation selon laquelle ce texte porte atteinte injustifiée
11:05et de manière disproportionnée au droit de propriété de l'ex-proprié.
11:09Et c'est pour toutes ces raisons que ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution.
11:15Et en l'absence de motifs justifiants de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité,
11:21celle-ci pourrait intervenir à compter de la publication de la décision et applicable à toutes les affaires non jugées définitivement.
11:28Je vous remercie pour votre attention.
11:30Merci Maître.
11:32Maintenant nous allons écouter Maître Véronique Lang, qui est avocate au barreau de Strasbourg,
11:40qui représente l'établissement public foncier de Grand Est.
11:44Partie à l'instant. Maître.
11:47Merci Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel.
11:51J'ai bien entendu la consigne des 10 minutes et je vais m'y tenir.
11:54La Cour de cassation, dans sa décision du 5 septembre 2024, vous invite à examiner la constitutionnalité de l'article L421-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique
12:06au regard de deux articles de la Déclaration des Droits de l'Homme, l'article 17 et l'article 2.
12:13L'article 17, c'est celui qui dit « nul ne peut être dépossédé de sa propriété sans qu'au préalable l'utilité publique,
12:20la nécessité publique ait été légalement constatée et qu'il en ait été préalablement indemnisé ».
12:26Au regard de cet article, votre contrôle est simple, y a-t-il eu ou pas dépossession ?
12:32Et s'il y a eu dépossession, enlèvement de la propriété, y a-t-il eu utilité publique légalement constatée et y a-t-il eu indemnité ?
12:41Donc c'est ce qu'il faut qu'on se pose comme question au regard de cet article L421-3.
12:46L'article 2 nous dit « le droit de propriété est un droit naturel, imprescriptible et sacré,
12:51et votre contrôle au regard de cet article consiste à s'interroger sur, non pas une dépossession,
12:57mais une atteinte qui serait portée à ce bien sans qu'on en soit privé, mais est-ce que cette atteinte serait disproportionnée ou non ? »
13:05Voilà les deux axes de contrôle qu'on vous invite à appliquer au regard de cet article L421-3 du code de l'expropriation.
13:14Le droit de rétrocession n'est pas codifié au sein de ce code, uniquement par cet article-là.
13:20Il y a tout un chapitre et vous avez déjà eu l'occasion, dans le cas d'une précédente question prioritaire de constitutionnalité,
13:26de vous prononcer sur l'article L421-1, qui pose des conditions dans lesquelles l'exproprié peut exercer ce droit,
13:33et notamment, vous avez considéré, c'est une QPC du 15 février 2013, qu'il était tout à fait conforme à la constitution
13:41qu'on puisse faire obstacle à ce droit de rétrocession en demandant une nouvelle DUP.
13:46En demandant, même pas obtenue, ni définitive, en demandant.
13:51Voilà un petit peu le contexte dans lequel se présente cette question.
13:57Donc, moi je vais vous proposer d'examiner sous les deux articles, on commence par l'article 17.
14:03En somme, on vous demande de vous prononcer sur le fait de savoir si l'article L421-3 du code de l'expropriation,
14:10dans sa mise en œuvre, c'est-à-dire en prescrivant une déchéance, est-il assimilable à une mesure de dépossession,
14:17puisqu'au regard de l'article 17, c'est bien le contrôle que vous exercez.
14:21Est-ce que l'article qui dit que si l'exproprié, qui a abouti dans sa démarche de rétrocession,
14:28et au bénéfice duquel le droit à rétrocession a été reconnu, s'il n'a pas été diligent,
14:33s'il n'a pas réalisé le contrat de vente, qui est l'ultime étape finalement dans la mise en œuvre de cette rétrocession,
14:39s'il n'a pas payé le prix, eh bien il en est déchu. Est-ce que cela est assimilable à une mesure de dépossession ?
14:45Eh bien là, la question qu'il faut trancher, pour après se poser la question de l'éventuelle utilité publique qui justifierait,
14:52et de la question de l'indemnité.
14:54Eh bien, il me semble que vous ne pouvez pas assimiler cette déchéance d'un droit à une mesure de dépossession.
15:01L'expropriant est totalement inactif dans cette déchéance, dans l'écoulement d'un délai.
15:07Le droit de rétrocession a été reconnu, et je rappelle que le droit de rétrocession en aucun cas
15:13ne remet en cause l'utilité publique du projet.
15:16Le droit de rétrocession n'intervient que parce que l'expropriant a tardé.
15:21S'il y a remise en cause de l'utilité publique, c'est uniquement parce que le juge administratif l'aura censuré,
15:27saisi par voie d'exception ou d'action, aura dit « il n'y a pas d'utilité publique »,
15:31ou lorsqu'il aura caducité de la DUP, mais pas la reconnaissance du droit de rétrocession.
15:36L'article 421-1 du Code d'expropriation dit clairement qu'il y a ouverture du droit à rétrocession
15:42lorsque cinq ans après l'ordonnance de l'expropriation, le projet n'a pas abouti,
15:48avec toutes les exceptions qu'on connaît, mais ce n'est pas le lieu de les exposer.
15:52L'utilité publique n'est pas contestée, donc l'utilité publique demeure, elle n'est pas remise en cause.
15:57Donc, cet écoulement du délai d'un mois, à mon sens, n'est pas une décision de privation de la propriété.
16:04C'est un délai d'action, un délai de réflexion ouvert au bénéfice du propriétaire
16:09qui a souhaité, dans un premier temps, faire valoir son droit, a engagé les démarches,
16:14amiables ou peut-être judiciaires, s'il n'y a pas eu d'accord sur la chose et le prix,
16:18pour obtenir la fixation d'un prix. Le Code de l'expropriation ne nous dit pas
16:22que le jugement qui fixe le montant du prix de rachat emporte transfert de propriété.
16:28C'est encore un délai de réflexion ouvert au bénéfice de l'ancien propriétaire du bien,
16:33exproprié ou qui a vendu à l'amiable, pour dire « Ah, finalement, est-ce que je vais racheter à ce prix-là ? »
16:39Il a un droit d'option encore, il peut réfléchir. Donc, il n'y a aucune obligation, finalement,
16:44de diligence à l'égard de l'expropriant de finaliser cette procédure.
16:48Il y a vraiment ce délai de repentir, comme on peut le trouver en matière de préemption,
16:52par exemple, avec l'article 213.7 du Code qui dit « Il y a fixation judiciaire du prix en préemption
16:58et les parties ont deux mois pour réfléchir. Et si elles ne se sont pas prononcées
17:02à l'issue de ce délai de deux mois, eh bien, il y a vente. »
17:05Donc, là, c'est un petit peu la même chose. C'est donc un délai de réflexion ouvert au bénéfice de l'exproprié,
17:10un délai de réflexion, et il peut se repentir. Et pendant ce temps, l'autorité expropriante attend.
17:16Elle n'agit pas pour déposséder. Donc, à mon sens, on ne peut pas conclure à une mesure de dépossession.
17:23Le droit de rétroscession, en fait, n'est pas une perte de l'utilité publique.
17:30Donc, si par impossible, tout de même, vous deviez considérer qu'il y a une mesure de dépossession
17:35du fait de cette reconnaissance du droit à rétroscession et de la déchéance du droit,
17:40eh bien, posons-nous la question des arguments d'utilité publique ou de la question de l'indemnité.
17:46Alors, l'indemnité, pour moi, ça ne vous retiendra pas puisque, à ce stade de la procédure,
17:51l'exproprié a déjà été indemnisé dans le cadre de la procédure normale d'expropriation.
17:56Et là, c'est à lui de payer le prix du rachat. Donc, nous, autorités publiques, à ce moment-là,
18:01on ne doit pas d'indemnisation. Reste l'utilité publique. Eh bien, l'utilité publique, je vous invite ici
18:10à raisonner de la même manière que vous avez pu le faire concernant l'article L421-1 du Code de l'expropriation
18:17qui admet que la réquisition de cette nouvelle DUP peut faire obstacle à l'action en rétroscession.
18:24Eh bien, c'est donc la nécessité publique qui demeure toujours, puisque la rétroscession ne l'a pas anéantie,
18:31demeure, persiste et justifie que la personne publique ait pu prendre du retard dans la mise en œuvre de son projet.
18:37Et la déchéance est simplement une sanction de cet exproprié qui dit « je veux récupérer mon bien,
18:44mais je tarde à le faire, je suis indécis, bon, alors ok, donc je garde votre bien et je continue mon projet »
18:51qui est toujours d'utilité publique. Donc nous voilà, sans difficulté à mon sens, en capacité de démontrer
18:57que l'utilité publique perdure. Voilà. Au regard de l'article 2, donc, nous allons nous poser la question
19:05de l'atteinte disproportionnée. Ça voudrait dire que le droit de propriété demeure. Alors là, il va falloir trouver
19:14à quel moment le droit de propriété est apparu. Est-ce qu'on porte atteinte à un droit de propriété en posant
19:22une sanction de déchéance de ce droit ? Moi, j'avoue, j'ai un petit peu de mal à voir où est ce droit de propriété,
19:28puisque le Code nous dit qu'il faut un instrumentum, c'est-à-dire qu'il n'y aura transfert de propriété,
19:34il finit que si vous avez payé le prix et dressé le contrat. On nous dit donc que l'accord de la volonté ne suffit pas,
19:39contrairement à ce qui prévaut dans le Code civil. Donc pour moi, la propriété n'existe pas encore.
19:46Si vous deviez estimer qu'elle existe, recherchons les motifs d'intérêt général ou les objectifs à valeur constitutionnelle
19:52qui pourraient valider finalement cette sanction de déchéance. Au regard de l'intérêt général, encore une fois,
20:01l'intérêt général, c'est la nécessité pour la personne publique de savoir à brève échéance si elle peut poursuivre son projet,
20:08si elle peut garder en son patrimoine ce bien pour poursuivre ce projet dont l'utilité publique demeure.
20:14Voilà un motif d'intérêt général qui, à mon sens, ne vous arrêtera pas. Si par impossible, si par extraordinaire,
20:23comme on aime à le dire devant le juge administratif et peut-être devant le juge constitutionnel,
20:27vous deviez conclure à l'absence de conformité, je vous invite, au regard de l'article 62, à différer les effets de cette décision
20:35et à permettre aux législateurs de reprendre une bonne décision, un bon article en bonne et due forme conforme cette fois-ci à votre décision.
20:45Et je vous invite à prendre cette décision de différer jusqu'au 31 décembre 2025. En l'espèce, vous verrez bien qu'au cas d'espèce,
20:54il n'est nul besoin de vous hâter et de dire que la conformité ou l'inconformité doit prendre effet immédiatement.
21:00J'ai pris le temps de rappeler l'effet de l'espèce parce qu'on a quand même un jugement définitif qui donne le droit à la rétrocession en 2013 à ces consorphates.
21:11J'ai dû, pour l'établissement public, les mettre en demeure, de me faire une offre en 2018. Ils n'ont pas déféré. J'ai dû saisir le juge.
21:18On a un jugement de 2019 et ils n'ont toujours pas payé le prix et dressé le contrat. Donc, de leur point de vue, je pense qu'il n'y a pas d'urgence.
21:25Merci beaucoup, Mesdames, Messieurs.
21:27Merci à vous, Maître.
21:29Alors, maintenant, nous allons donner la parole à M. Canguillem, qui est chargé de mission au secrétaire général du gouvernement, pour le Premier ministre.
21:40Parce que, traditionnellement, il faut que quelqu'un défende la loi et c'est donc le représentant du Premier ministre qui va le faire. M. Canguillem.
21:47Merci, M. le Président. Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
21:51le droit de rétrocession du bien exproprié existe depuis l'Ancien Régime et a toujours été maintenu depuis, sous des formes et des modalités variées.
21:58La possibilité pour l'ancien propriétaire de récupérer le bien qui lui appartenait et qui a été exproprié est la conséquence du fait que l'expropriant n'est pas entièrement libre
22:08de l'affectation du bien, une fois que celui-ci est entré dans son patrimoine et il est lié par l'utilité publique.
22:14L'équilibre général du droit de l'expropriation suppose donc l'existence d'un droit de rétrocession qui est aujourd'hui prévu depuis l'ordonnance du 6 novembre 2014
22:23aux articles L421-1 à L421-4 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
22:29Ainsi, pendant une période de 30 ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, l'exproprié a la faculté de demander la rétrocession d'un immeuble exproprié
22:38si celui-ci n'a pas reçu la destination prévue dans le délai de 5 ans suivant l'ordonnance d'expropriation.
22:45Ce droit de rétrocession n'est toutefois pas absolu et il ne l'a d'ailleurs jamais été.
22:50Par exemple, ce droit ne peut être exercé lorsqu'il requise une nouvelle déclaration d'utilité publique ou lorsque le bien a été cédé à un tiers.
23:00Et ce droit peut également encourir la déchéance, c'est l'objet de la présente QPC, dans les conditions prévues à l'article L421-3 du Code
23:09qui dispose, nous citons, à peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation soit à l'amiable, soit par décision de justice.
23:18Il est particulièrement reproché à ces dispositions que le délai d'un mois qu'elle prévoit soit trop bref pour établir le contrat de rachat
23:28et obtenir le paiement du prix, en conséquence de quoi l'objet de la QPC ne porte que sur les termes un mois figurant à cet article L421-3.
23:38La première question ici qu'il vous incombera de résoudre est celle de déterminer la norme de référence de votre contrôle.
23:46En effet, ainsi que cela vient d'être dit, les requérants invoquent en effet tant la méconnaissance de l'article 2 de la déclaration 1789
23:52qui protège les atteintes à l'exercice du droit de propriété que la méconnaissance de l'article 17 qui protège la privation du droit de propriété.
24:01Dans le cas très précis de l'exercice du droit de rétrocession, il ne peut y avoir de limitation à l'exercice du droit de propriété,
24:08car l'exproprié n'est alors plus propriétaire de ce qui est son ancien et peut-être aussi son futur bien.
24:15La rétrocession n'est pas une annulation de l'expropriation. Il s'agit d'une vente. Et tant que celle-ci n'a pas eu lieu, le vendeur demeure propriétaire du bien.
24:27L'exproprié qui n'est pas encore titulaire d'un nouveau droit de propriété lorsqu'il décide d'exercer son droit de rétrocession
24:34ne peut donc utilement se prévaloir des dispositions de l'article 2 de la déclaration 1789.
24:41Vous avez en revanche jugé dans votre décision 292 QPC du 15 février 2013 que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 17 était opérant
24:50à l'égard des dispositions relatives au droit de rétrocession, le droit de rétrocession permettant, selon les termes employés par votre décision,
24:57de renforcer les garanties légales assurant le respect de cette exigence constitutionnelle.
25:03Le commentaire de votre décision précise d'ailleurs, nous citons donc le commentaire de cette décision 292 QPC,
25:11le droit de rétrocession ne peut être appréhendé séparément de la procédure d'expropriation dont il participe, ce qui justifie ainsi le contrôle au regard de l'article 17.
25:23En l'espèce, les dispositions contestées se bornent à soumettre l'exercice de ce droit à un délai qui a pour objet de prévenir l'inertie de l'exproprié.
25:34L'existence d'un tel délai s'impose car, en son absence, c'est au droit de propriété de l'expropriant qu'il serait porté atteinte.
25:43En effet, une fois que le droit de rétrocession de l'ancien propriétaire a été reconnu, l'expropriant ne peut ni vendre, ni céder, ni louer le bien concerné.
25:52Il le conserve en sa possession, en supporte les frais et risques, alors même qu'il n'a pas encore reçu le prix de la vente.
25:59Donc pour le respect des exigences constitutionnelles liées au respect du droit de propriété, le législateur se devait de prévoir un délai de déchéance du droit de rétrocession
26:09afin d'inciter le propriétaire initial, l'exproprié, à ne pas prolonger une situation qui porte atteinte au droit de propriété de l'expropriant.
26:18Et le fait que ce délai soit fixé à un mois par les dispositions contestées ne prive pas d'effectivité l'exercice de ce droit de rétrocession.
26:28Contrairement à ce qui est soutenu, la brièveté de ce délai n'est incompatible ni avec les délais d'établissement d'un acte authentique,
26:36ni avec ceux nécessaires à l'obtention d'un prêt bancaire et ceux essentiellement en raison de l'identification du point de départ du délai.
26:45En effet, le législateur a prévu que ce délai d'un mois ne court qu'à compter de la fixation du prix à l'amiable ou par décision de justice.
26:52Dans les deux hypothèses, la fixation du prix, donc le point de départ du délai d'un mois, est l'issue d'une procédure contradictoire.
27:03Et cette procédure, qu'elle soit amiable ou juridictionnelle, se déroule sur une certaine période de temps.
27:10Période au cours de laquelle l'ancien propriétaire peut anticiper la constitution de sa capacité de financement,
27:17ainsi que les contraintes administratives pesant sur la rédaction et la signature de l'acte.
27:23Autrement dit, ce délai d'un mois ne s'impose pas de manière brutale et inopinée à l'ex-proprié, qui, dans ce seul délai d'un mois, devrait réaliser toutes ses diligences.
27:36Il ne s'impose pas de manière brutale et inopinée, d'une part, car c'est l'ex-proprié qui est à l'origine de l'exercice du droit de rétrocession,
27:45et d'autre part, car il peut de ce fait anticiper les contraintes administratives et financières liées à cette opération qu'il a lui-même voulue.
27:54En pratique, il dispose donc d'un délai nettement supérieur à cette période d'un an pour faire les diligences nécessaires et anticiper ces exigences.
28:05Un délai qui dépend d'ailleurs assez largement de son propre comportement et de ses propres décisions.
28:11Dans ces conditions, le législateur n'a pas privé de garantie légale le respect de l'exigence constitutionnelle résultant de l'article 17 de la déclaration de 1789.
28:18Aucune exigence constitutionnelle n'a été méconnue. Je vous invite à déclarer les dispositions du L421-3 du Code de l'Expropriation, conformes à la Constitution.
28:26Merci, M. Canguilhem. Alors, nous avons entendu des arguments dans les deux sens.
28:31Maintenant, je vais poser la question que nous posons traditionnellement. Est-ce qu'un des membres du Conseil a des questions à poser ?
28:38M. le conseiller Michel Pinault.
28:40Oui, j'ai deux questions pour M. Canguilhem.
28:43Bon, la première, c'est une question de simple façon de cerner l'ampleur du problème.
28:51Combien y a-t-il de rétrocessions chaque année ?
28:54Sur les cinq dernières années, le maximum, c'est 19. Le minimum, c'est 11. Et sur ces deux dernières années, c'était 17.
29:03Vous aviez prévu la question.
29:05Peut-être.
29:07Merci. Ensuite.
29:09Deuxième question. Vous avez dit, page 4 de vos premières observations, vous avez dit la chose suivante, je vous cite.
29:19« Lorsque le respect du délai institué par l'article L421.3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique
29:28ne résulte pas de la carence des anciens propriétaires, mais de celle d'une autre partie au contrat de rachat,
29:36alors, dites-vous, le juge peut écarter la sanction de déchéance. »
29:43Mais attendez, vous avez trouvé ça où ? Parce que nous avons cherché, et pour l'instant, nous n'avons pas trouvé.
29:51Alors, monsieur Canguillem, je n'ai pas plus trouvé que vous.
29:55Vous pouvez peut-être y voir une formule, peut-être elliptique, mais que je rends plus explicite devant vous,
30:01d'une possible réserve d'interprétation pour contrecarrer l'argument qui a été développé par le requérant.
30:09Ce n'est pas la même chose.
30:11Bon, donc, c'est une réserve d'interprétation que vous suggérez.
30:16Que je me permets de vous suggérer, si je ne pourrais pas aller plus loin.
30:20Écoutez, nous en prenons note.
30:23Autre question. Monsieur Caussier-Mézard.
30:28Oui, ma question s'adresse aussi à monsieur Canguillem.
30:32Sur la base du paragraphe 16 de l'arrêt de transmission de la Cour de cassation,
30:38qui nous dit que l'atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée
30:43dès lors que le délai d'un mois paraît incompatible avec les délais usuels d'établissement d'un acte authentique
30:49lorsque le bénéficiaire du droit est tenu de recourir à un financement.
30:53Alors, vous nous avez donné un certain nombre d'explications,
30:57dont le fait que l'exproprié pouvait anticiper avant.
31:04Mais l'anticipation n'est pas quand même une notion juridique extrêmement solide.
31:08Alors, je voudrais savoir si, dans ces cas de rétrocession,
31:15l'expropriant vendeur est dispensé des notifications, par exemple, de toute DIA,
31:23de notifications aux fermiers, parce que s'il n'est pas dispensé,
31:27les délais de réponse sont supérieurs au délai d'un mois.
31:30D'autre part, et ça c'est factuel, je suis allé, comme tout le monde fait régulièrement,
31:36je suis allé sur Internet voir quels étaient les délais habituels d'obtention des prêts.
31:41Réponse de la plupart des sites, à l'heure actuelle, entre 3 et 4 mois.
31:46Et puis, à l'intérieur du délai d'un mois, il y a forcément le délai d'acceptation de l'offre de prêt.
31:53Celui-là, il est strictement incompréhensible, il est de 10 jours.
31:56Alors, je voudrais avoir vos explications là-dessus, sur ces deux questions.
31:59Merci. Monsieur Granguillem.
32:02Alors, sur la question des formalités, je me permettrai de m'en remettre à une note en délibéré.
32:11Sur la question du prêt, je redis ce que j'ai dit.
32:17À partir du moment où l'exproprié décide de mettre en œuvre, de lui-même, personne de l'IFOR, son droit de rétrocession,
32:24il n'est pas interdit de s'assurer, qu'il puisse s'assurer lui-même de sa capacité de financement.
32:35Alors, excusez-moi, sur le deuxième volet de votre question.
32:40Ah oui, sur le délai de 10 jours, bah oui, il est de 10 jours.
32:44Et par contre, une dernière précision qui avait été faite par l'intervenante de la partie à l'instance,
32:50dans ces observations que je n'ai pas reprises, mais c'est un délai d'un mois,
32:55qui est en réalité, en pratique, un délai de deux mois.
33:00On le voit bien dans la notification qui a été faite au consort Feutz,
33:05c'est le délai d'un mois à compter du caractère définitif de la décision pour ce qui concerne la fixation judiciaire.
33:14Donc, un mois plus le délai d'appel, ça fait en pratique un délai de deux mois.
33:20Permettez-moi, simplement, la fixation peut être judiciaire, mais il peut y avoir un accord sur le prix.
33:29Oui, et dans ce cas-là, c'est un délai.
33:33Est-ce que les avocates ont quelque chose à dire sur ces questions, sur la réponse ?
33:38Non ? Très bien. Autre question ?
33:43Il n'y en a pas. Vous êtes éclairé. Très bien.
33:46Donc, nous allons, après être revenus à Paris, délibérer sur cette question.
33:55Nous sommes aujourd'hui le 13 novembre. Je reviendrai à Rennes le 22 novembre, dans neuf jours, pour rendre publique notre décision.