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Code de procédure pénale
Article 2-6
Lien vers la décision :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/20241113QPC.htm

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Transcription
00:00Nous allons passer à la seconde question prioritaire de constitutionnalité.
00:08Elle porte le numéro 2024-1113 et a trait à la conformité aux droits et libertés de la Constitution garantie de l'article 2-6 du code de procédure pénale.
00:21Madame la greffière.
00:24Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 septembre 2024 par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité
00:34posée par l'association Stop Homophobie portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantie de l'article 2-6 du code de procédure pénale
00:43dans sa rédaction résultant de la loi numéro 2024-420 du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes.
00:54Cette question relative à l'exercice des droits reconnus à la partie civile par une association de lutte contre certaines discriminations
01:00a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2024-1113 QPC.
01:08La SS, anotin, avocat et maître Jean-Baptiste Boué-Diakono ont produit des observations dans l'intérêt de l'association Stop Homophobie, partie requérante, le 8 octobre 2024.
01:19Maître Pauline Alexandre a produit des observations dans l'intérêt de M. Mathieu Delck en partie à l'instance le 22 octobre 2024.
01:27Le Premier ministre a produit des observations le 8 octobre 2024.
01:31La SCP Spinozi a demandé à intervenir dans l'intérêt de la Ligue des Droits de l'Homme et a produit à cette fin des observations les 8 et 22 octobre 2024.
01:40Seront entendues aujourd'hui l'avocat de la partie requérante, l'avocat de la partie à l'instance et le représentant du Premier ministre.
01:46Merci Madame. Alors nous allons d'abord écouter Maître Boué-Diakono qui est avocat à Barreau de Paris, qui représente l'association Stop Homophobie, partie requérante. Maître.
02:00Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, l'association Stop Homophobie que je représente vous soumet donc une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 2.6 du Code de procédures pénales.
02:18Cette question vise ainsi à étendre le domaine infractionnel de l'action civile exercée devant le juge pénal par les associations combattant les discriminations,
02:28discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, actions encadrées par l'article contesté.
02:38Mais tout d'abord cette QPC s'inscrit dans un contexte inquiétant, l'augmentation année après année des crimes et délits commis à raison de l'orientation sexuelle des victimes.
02:51En effet, le ministère de l'Intérieur constatait en 2023 une hausse des actes anti-LGBT de 19%, bien au-delà des 13% d'augmentation déjà enregistrée en 2022.
03:06Et depuis quelques années, un nouveau mode opératoire émerge, celui de pièges tendus depuis des applications de rencontres en ligne, ce que la presse nomme les guet-apens homophobes.
03:17Ces guet-apens sont protéiformes, violents ou crapuleux, commis dans un lieu public ou dans un lieu privé, parfois le domicile même de la victime.
03:27Ainsi, en 2023, une enquête journalistique estimait à 300 le nombre de personnes tombées dans un guet-apens homophobe entre 2017 et 2021, avec une recrudescence en 2022 à 122 victimes, soit une agression tous les trois jours.
03:44Et ces chiffres sont à mettre en relief avec ceux du ministère de l'Intérieur, là encore, qui estiment que seule une victime sur cinq d'actes anti-LGBT porte plainte, 20% donc.
03:57Et dans l'affaire ayant permis votre saisine, deux justiciables ont été victimes des crimes de séquestration à leur domicile, accompagnés d'extorsions et de vols avec arme,
04:07tous crimes commis à raison de leur orientation sexuelle, circonstances aggravantes prévues à l'article 132.77 du Code pénal.
04:17Compte tenu de cette prévention, Stop Homophobie a, en accord avec les victimes et conformément à ses statuts, souhaité exercer l'action civile devant la Cour d'Assise de Paris.
04:27L'audience est ainsi tenue sans que ni la Cour, ni le Parquet général, ni la Défense ne soulèvent de prime abord l'irrecevabilité de la constitution de parti civil de l'association,
04:39considérant que la seule présence de la circonstance aggravante de l'orientation sexuelle des victimes puisse suffire pour qu'une telle association soit recevable en sa constitution de parti civil.
04:51Car outre cette circonstance aggravante au rang des conditions de recevabilité de l'action civile associative, l'article 2.6 du Code de procédure pénale délimite également le domaine infractionnel permettant à ces associations d'exercer l'action civile devant le juge pénal.
05:09Il figure ainsi les discriminations et le harcèlement, les atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, c'est-à-dire les homicides, tortures et actes de barbarie, violences volontaires et menaces, ainsi que les destructions, dégradations et détériorations.
05:27Et il apparaît donc que la séquestration, le vol et l'extorsion ne figurent pas à cette liste limitative, pas plus d'ailleurs que les infractions sexuelles.
05:37C'est donc pour cette raison que la Cour d'assises de Paris a déclaré irrecevable la constitution de parti civil de l'association Stop Homophobie permettant donc le dépôt de la présente QPC.
05:47Et voilà qui pose alors un problème considérable au regard du droit au recours juridictionnel effectif et surtout de l'égalité devant la loi et la justice.
05:57Au recours juridictionnel effectif, tout d'abord, le législateur a prévu que la circonstance aggravante de l'orientation sexuelle des victimes, établie par l'article 132.77 du Code pénal, soit de portée générale et applicable à tous les crimes et délits du Code pénal, sans restriction.
06:16Et dans le même temps, le législateur a restreint le domaine infractionnel permettant à ces associations d'exercer devant le juge pénal l'action civile qui leur est reconnue depuis la loi Pléven du 1er juillet 1972.
06:30C'est bien là une violation manifeste du droit au recours juridictionnel effectif de ces associations, garantie par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
06:41Et contrairement à ce qui sera avancé par le Premier ministre, il ne peut être argumenté qu'il n'y a pas de violation de ce droit fondamental au prétexte, selon lui, que l'absence d'accès au juge pénal serait palliée par un accès au juge civil.
06:55C'est faux, puisque l'action associative en défense de l'intérêt collectif de lutte contre les discriminations à raison de l'orientation sexuelle n'est pas ouverte devant le juge civil.
07:06A ce premier égard donc, la QPC doit conduire à une déclaration d'inconstitutionnalité.
07:14Et plus encore, s'agissant de l'égalité devant la loi et la justice, le législateur a opéré un traitement différencié entre plusieurs catégories d'associations au regard d'une même fraction.
07:26Traitement qui méconnaît le principe d'égalité devant la loi et la justice, puisque cette différenciation n'est pas justifiée.
07:33En effet, s'agissant par exemple du crime d'extorsion, les associations de défense des personnes malades, handicapées ou âgées visées à l'article 2.8 du code de procédure pénale peuvent exercer l'action civile devant le juge pénal.
07:49Les associations de lutte contre les discriminations à raison de l'orientation sexuelle ne le peuvent pas.
07:55A cet égard, vous avez jugé dans une décision du 6 mars 2024 que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est du moins à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées au justiciable des garanties égales.
08:17Et donc en quoi l'ouverture de l'association civile en matière d'extorsion aux associations de défense des personnes malades, handicapées ou âgées, et dans le même temps la fermeture de cette action civile aux associations de lutte contre l'homophobie lorsqu'il s'agit d'une extorsion commise à raison de l'orientation sexuelle, procède-t-elle d'une distinction de régime justifiée ?
08:40Il en va de même pour la séquestration et le vol. Les associations luttant contre les discriminations à raison de l'orientation sexuelle sont irrecevables à exercer l'action civile en la matière, quand au contraire la loi, au visa des articles 2.2 et 2.17 du code de procédure pénale, prévoit la recevabilité d'une telle action pour les associations de lutte contre les violences sexuelles ou pour les associations de défense des droits et libertés individuelles et collectifs, là encore, sans qu'aucune justification ne vienne pas.
09:10Et à cet égard, le Premier ministre justifie ce traitement différencié au motif qu'en raison de leur vulnérabilité propre, ces victimes, les personnes âgées, malades ou handicapées, seraient selon ces termes, objectivement, plus exposées au crime d'extorsion.
09:27Il s'agit donc là d'une approche quantitative qui n'étant rien documentée, et bien au contraire, puisque les chiffres des actes anti-LGBT évoqués au début de mon propos démontrent qu'il s'agit bien là d'un phénomène sociétal qui s'aggrave, ces victimes sont précisément la cible d'atteinte au bien compte tenu de leur orientation sexuelle, laquelle est utilisée pour faciliter la commission d'un crime, comme dans la présente affaire.
09:51L'article 2.6 du code de procédure pénale, à l'aune des articles 2.2, 2.8 et 2.17 du même code, méconnait donc l'article 6 de la déclaration 1789, et comme tel, doit donc être déclaré inconstitutionnel.
10:07En définitive, nous ne demandons pas au conseil constitutionnel, évidemment, de se substituer au législateur dans l'appréciation d'une politique criminelle de l'action civile associative, mais nous vous demandons simplement de faire respecter le principe d'égalité des justiciables devant la loi, puisque les associations sont des justiciables et jouissent aussi bien du droit à l'égalité que du droit au recours juridictionnel effectif.
10:31Ainsi, la déclaration d'inconstitutionnalité emportera nécessairement l'abrogation de l'article 2.6 du code de procédure pénale, mais pour ne pas mettre en péril les procédures déjà introduites ou en voie de lettre, nous vous invitons à reporter à une date ultérieure l'effet de cette abrogation pour laisser le temps au législateur de modifier cette disposition afin de la rendre conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution.
10:57Nous vous rejoignons également pour conférer effet utile immédiat à votre décision de la sortir d'une réserve transitoire, palliant ainsi l'effet différé de l'abrogation.
11:07Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, une décision favorable renforcerait assurément le rôle de ces associations face à l'augmentation croissante de la haine anti-LGBT, car ces associations, et au cas présent stop homophobie, accompagnent et assistent les victimes du dépôt de plainte jusqu'à l'audience.
11:27Tout au long de la chaîne pénale, l'intervention de ces associations contribue à une meilleure appréhension par les juges de ces nouveaux modes opératoires, mais également du mobile homophobe qui motive le passage à l'acte des auteurs.
11:41Enfin, elles jouent à l'audience un rôle primordial dans la mise en évidence des dommages causés aux victimes d'infractions commises à raison de l'orientation sexuelle. C'est donc la raison pour laquelle, en censurant l'article 2-6 du Code de procédure pénale, vous permettrez à ces associations de mieux protéger les victimes d'actes anti-LGBT.
12:02Merci, Maître. Nous allons maintenant écouter Maître Pauline Alexandre, qui est avocate au barreau de Paris, qui représente M. Mathieu Delck, parti à l'instance. Maître.
12:17Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs du Conseil constitutionnel, plaidant le 2 juillet 1982 pour la dépénalisation de l'homosexualité, Gisèle Halimi invoquait devant l'Assemblée nationale la nécessité pour l'individu de vivre en accord avec ce qui reste le plus profondément inexprimé par peur, par honte, par conditionnement social et par répression,
12:45sa sexualité. L'État ayant aboli toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, il a entendu interdire aux individus privés de s'en rendre coupables. Hélas, la haine et les préjugés ne disparaissent pas aussi vite de la société qu'un article du Code pénal.
13:05En 2003, 20 ans après la dépénalisation de l'homosexualité, le législateur a introduit dans le Code pénal un article 132.77, créant une circonstance aggravante de commission d'une infraction en raison de l'orientation sexuelle.
13:21Cet article était à la fois une proclamation et un aveu. Proclamation de l'importance, dans une société démocratique, de défendre la liberté sexuelle de tous. Aveu de la grave persistance des discriminations et des infractions commises envers certains citoyens du sept de leur orientation sexuelle.
13:41Cette circonstance aggravante a été plusieurs fois élargie, de sorte que, mon confrère vient de le rappeler, elle est aujourd'hui généralisée à l'ensemble des crimes et délits punis d'une peine d'emprisonnement.
13:55L'intention du législateur dans le Code pénal est ainsi claire. Qu'il s'agisse d'un vol ou d'un viol, d'une atteinte à l'intégrité physique ou au bien, tout comportement pénalement répréhensible commis en raison de l'orientation sexuelle d'un individu doit être, pour cette raison, plus gravement réprimé.
14:17Si l'on rapporte ce texte à celui de l'article 2-6 du Code de procédure pénale qui vous est aujourd'hui déféré, on se trouve cependant en présence d'un paradoxe. Un paradoxe du droit positif qui viole le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.
14:35Alors que le Code pénal tend à lutter contre toute forme de discrimination et a fait de la commission d'une infraction en raison de l'orientation sexuelle une circonstance aggravante de portée générale, le Code de procédure pénale discrimine, quant à lui, les associations dont l'objet social est justement de lutter contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle.
14:59En ne leur permettant pas d'exercer l'action civile devant le juge pénal quand des infractions homophobes ont été commises et qu'il s'agit de séquestration, d'extorsion ou de vol. Et c'est alors même que ces infractions de séquestration, d'extorsion ou de vol peut donner lieu à la constitution de partis civils d'autres associations comme en matière de protection de personnes vulnérables, handicapées ou malades.
15:25Pour citer l'arrêt du 11 septembre 2024 par lequel la présente question prioritaire de constitutionnalité vous a été transmise par la Cour de cassation, il n'apparaît pas que les différences ainsi faites par la loi entre le degré de protection accordé à différentes catégories de victimes et entre le champ d'intervention de différentes catégories d'associations,
15:51soient en rapport direct avec l'objet des lois qui les ont établies. Que vous dit la Chambre criminelle ? Que le principe d'égalité est violé à double titre par la disposition contestée ? Premièrement, le code de procédure pénale crée une inégalité injustifiée entre les justiciables particuliers que sont les associations.
16:15Sur ce point, tout a été dit par mon confrère représentant Stop Homophobie et par la Ligue des droits de l'homme dans les observations en intervention volontaire qui ont été communiquées et qui répondent à tous les arguments du Premier ministre.
16:29Mais d'autre part, et c'est ce que dit la Cour de cassation, l'article 2-6 du code de procédure pénale crée également de fait des différences entre le degré de protection accordé à différentes catégories de victimes, de victimes personnes physiques.
16:47Concrètement, lorsqu'une victime de séquestration, d'extorsion ou de vol ciblée en raison d'un handicap ou d'une maladie peut, en l'état du droit, être appuyée et secondée dans son action civile par une association ad hoc en vertu de l'article 2-8 du code de procédure pénale, une victime de ces mêmes infractions, de séquestration, d'extorsion ou de vol, si elle a été ciblée en raison de son orientation sexuelle,
17:13se voit privée de la présence au procès pénal d'une association qui a pour objet de lutter contre les infractions homophobes, car cette association n'est pas autorisée, en l'état du droit, à se constituer partie civile en vertu de l'article 2-6.
17:29Or pourquoi ? Pourquoi justement pour ces victimes-là, les victimes de crimes et délits homophobes ? Pourquoi est-il précisément important pour ces victimes-là que les associations qui défendent les libertés sexuelles puissent se constituer partie civile dans ces affaires de séquestration, d'extorsion ou de vol ?
17:51Précisément parce que parmi les victimes d'infractions pénales, les victimes d'actes homophobes se caractérisent singulièrement par un isolement extrême et un isolement qui nourrit le mode opératoire des agresseurs.
18:07Le 16 mai 2024, donc très récemment, un rapport de la Fondation Jean Jaurès consacré aux victimes de ce que mon confrère a appelé les « gays tapants LGBT » et qui est un phénomène malheureusement criminologique en pleine explosion. Un rapport de la Fondation Jean Jaurès faisait le constat suivant.
18:25Non seulement les représentations sociales dont notre société a hérité tentent d'a minimiser, voire à justifier certaines formes d'agression envers les personnes LGBT, mais leur intériorisation tend à empêcher encore aujourd'hui la prise de parole de nombreuses victimes. C'est sur cette impunité que comptent les personnes qui ont recours aux gays tapants homophobes.
18:49L'impression qui se dégage s'agissant des victimes est celle d'une solitude inhérente à la rencontre sexuelle sans témoin sur laquelle les auteurs de violences ou d'extorsions pourront toujours compter tant que l'orientation sexuelle et les identités de genre feront objet de stigmatisation et de discrimination. La solitude.
19:12La solitude. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, voilà ce caractérisé sans doute le plus. L'homme que je représentais à la veille de l'audience criminelle qui a donné lieu à votre saisine.
19:26Homosexuel choisi pour cette raison sur un site de rencontre dédié. Mon client avait subi des faits qualifiés à l'issue de l'information judiciaire de séquestration et d'extorsion commis avec arme en bande organisée et en raison de l'orientation sexuelle de la victime.
19:45Après une instruction de plus de deux ans, malgré l'identification de plusieurs victimes homosexuelles et d'un mode opératoire de ciblage indéniable, la circonstance aggravante d'homophobie était toujours contestée à l'ouverture du procès d'assises par les accusés qui harguaient ne pas avoir agi par haine des homosexuels.
20:08Il revenait ainsi à mon client, personne physique ayant souffert dans sa chair un épisode criminel traumatique de comparaitre seul à l'audience, non seulement pour y être confronté à ses agresseurs et faire le récit de soixante heures de séquestration, mais également d'incarner, en le focalisant nécessairement sur sa personne, un débat tant juridique que sociétal sur les différentes manifestations criminelles de l'homophobie.
20:36C'est dans ce contexte particulièrement lourd que nous avons sollicité l'intervention de l'association Stop Homophobie en qualité de parti civil devant la Cour d'Assise.
20:47La participation de cette association au débat devant la Cour d'Assise a permis de faire œuvre de pédagogie auprès des jurés, mais également auprès des accusés.
21:00En définitive, et notamment grâce au travail de cette association, la circonstance aggravante de commission des faits en raison de l'orientation sexuelle a été reconnue au cours de l'audience par les accusés eux-mêmes.
21:13Elle a été retenue par la Cour d'Assise, qui a relevé que l'intention discriminatoire des accusés à l'encontre des victimes ressortait de la croyance des accusés en ce que les homosexuels seraient des personnes plus vulnérables,
21:27et que, du fait de leur homosexualité et de la honte qui, selon eux, était censée en découler, elles hésiteraient à déposer plainte.
21:37C'est précisément parce que les victimes de faits de séquestration ou d'extorsion à caractère homophobe sont volontairement isolées par les auteurs,
21:47qui tablent sur leur solitude et leur honte pour les cibler de façon préférentielle, qu'il est essentiel que des associations luttant contre des discriminations d'ordre sexuel
21:58puissent intervenir en qualité de partie civile dans les instances pénales.
22:03L'action de ces associations joue un rôle déterminant dans la mise en lumière de la portée de ces infractions, qui dépassent le cadre individuel pour toucher à des questions relatives à la protection des minorités.
22:15L'ensemble de ces considérations ne peut être ignoré du Premier ministre pas plus que la violation du principe d'égalité dans la justice par les dispositions contestées qui est manifeste.
22:25S'il n'est jamais anodin de reconnaître publiquement l'imperfection de la loi, il est pire de nier l'évidence lorsqu'elle bafoue un principe aussi fondamental que celui de l'égalité juridique des citoyens
22:39et qu'elle a de surcroît, pour effet, de maintenir dans un isolement judiciaire certain, ce que la honte d'être victime sépare déjà toujours trop violemment du reste des hommes.
22:50Pour l'ensemble de ces raisons, je vous demande donc de déclarer, contraire à la Constitution, l'article 2-6 du Code de procédures pénales.
22:57Merci Maître. Alors Maître Spinozzi, qui représente la Ligue des droits de l'homme, partie intervenante, a fait savoir qu'il s'en mettait à ses écritures.
23:05Je donne donc maintenant la parole pour le gouvernement, pour le Premier ministre, à Monsieur Canguilhem.
23:12Merci Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel.
23:16L'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
23:22Tel est le principe posé par l'article 2 du Code de procédures pénales.
23:27Ce n'est donc que par dérogation à ce principe général que le législateur a expressément reconnu à un nombre croissant d'associations
23:35les droits reconnus à la partie civile dans divers codes et particulièrement aux articles 2-1 à 2-25 du Code de procédures pénales.
23:45Parmi ces dérogations, celles qui figurent à l'article 2-6 et qui est l'objet de la présente QPC.
23:51Il résulte de ces dispositions que les associations chargées de combattre les discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l'orientation sexuelle ou sur l'identité de genre
23:59et qui sont déclarées depuis au moins 5 ans à la date des faits, ne peuvent exercer l'action civile que dans des cas limitativement énumérés par le législateur,
24:09dans le cas des discriminations réprimées par les articles 2-25-2, 4-32-7 du Code pénal et des discriminations visées par le Code du travail aux articles L-11-46-1 et L-11-55-2.
24:21C'est prévu par le premier alinéa de l'article 2-6.
24:25Cinquième alinéa de l'article 2-6 dans le cas de l'infraction prévue à l'article L-41-63-11 du Code de la santé publique
24:32consistant à donner des consultations ou de prescrire des traitements en prétendant pouvoir modifier ou réprimer l'orientation sexuelle vraie ou supposée d'une personne.
24:40Et troisième possibilité offerte par cet article dans son troisième alinéa en cas d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne de destruction, dégradation et détérioration
24:50lorsqu'ils sont commis en raison du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre, soit lorsque, en substance, la circonstance aggravante générale prévue à l'article 132-77 du Code pénal
25:01est retenue. Et c'est cette dernière dérogation du troisième alinéa de l'article 2-6, qui est donc le seul objet de la QPC, à laquelle il est reproché d'être incomplète.
25:13Il est en effet soutenu en substance que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence en ne prévoyant pas cette possibilité d'action civile pour les associations concernées
25:24lorsque la circonstance aggravante de l'article 132-77 du Code pénal est retenue en cas de séquestration, de vol et d'extorsion.
25:33Alors à titre liminaire et pour répondre à la dimension statistique qui était évoquée dès le mémoire QPC, il sera simplement indiqué que le nombre d'affaires poursuivies
25:43pour au moins une de ces trois infractions, donc séquestration, vol et extorsion, en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, demeure limitée.
25:5326 affaires poursuivies en 2023, 21 en 2022, 29 en 2021 et 18 en 2020.
26:02En ce qui concerne les griefs, en premier lieu, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.
26:10Ils résultent en effet de votre jurisprudence que le droit au recours juridictionnel effectif bénéficie, nous citons, à toute personne physique ou morale s'agissant des infractions dont elle a été victime.
26:21Mais c'est en raison de l'objet qu'elles entendent défendre, et non parce qu'elles ont subi un préjudice, que certaines associations se sont vues reconnaître par le législateur la possibilité d'exercer l'action civile.
26:34Et vous n'avez pas élargi le champ du droit au recours juridictionnel effectif aux personnes qui, sans être victime, se sont vues reconnaître un droit d'action par habilitation express du législateur.
26:46Le droit au recours de ces associations n'existe donc que dans les limites fixées par la loi par dérogation au principe rappelé posé par l'article 2 du Code de procédure pénale.
26:56La Cour de cassation a d'ailleurs eu l'occasion de rappeler, nous citons, que l'exercice de l'action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par le Code de procédure pénale.
27:11Et en effet, cette possibilité d'action doit par nature être strictement limitée, car lorsque le législateur a habilité une association à exercer des droits reconnus à la partie civile,
27:21celle-ci peut devenir partie au procès, non seulement par la voie de l'intervention, mais aussi par la voie de l'action et par la mise en mouvement de l'action publique.
27:29Dans ces conditions, ce n'est que pour un nombre très restreint d'infractions que le législateur peut ouvrir l'exercice des droits reconnus à la partie civile à des associations défendant une cause d'intérêt général.
27:43Ainsi, en limitant la possibilité pour les associations de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l'orientation sexuelle ou sur l'identité de genre, d'exercer des droits reconnus à la partie civile à certaines infractions limitativement énumérées,
27:56le législateur n'a pas pu porter atteinte à leur droit au recours juridictionnel effectif.
28:04En tout état de cause, les dispositions contestées n'ont pas pour effet de priver la possibilité d'une action devant le juge civil.
28:14Cette faculté suffit à respecter le cadre fixé par votre jurisprudence en ce qui concerne les victimes d'une infraction dont le droit à un recours effectif n'est méconnu
28:24que si elles ne peuvent ni engager l'action publique devant les juridictions pénales, ni agir devant les juridictions civiles.
28:31Voyez le point 7 de votre décision, 350 QPC.
28:36Les dispositions contestées ne méconnaissent pas davantage les exigences du principe constitutionnel d'égalité.
28:42Au regard de l'objet de la loi, qui est de permettre à certaines associations de défendre judiciairement l'intérêt qu'elles ont statutairement pour objet de protéger,
28:51les associations qui visent à combattre les discriminations en raison de l'orientation sexuelle mentionnées à l'article 2.6 du code de procédure pénale
28:59sont dans une situation différente de celle visée aux articles 2-2, 2-8 et 2-17 du code de procédure pénale,
29:06soit les associations de lutte contre les violences sexuelles, contre le harcèlement sexuel ou contre les violences exercées sur un membre de la famille, article 2-2,
29:13les associations ayant vocation à défendre ou assister les personnes malades, handicapées ou âgées, article 2-8,
29:18et enfin les associations défendant les droits et libertés individuelles des collectifs, article 2-7.
29:22Elles n'ont par définition pas le même objet social et ne défendent donc pas les mêmes intérêts.
29:30Dès lors, il est loisible aux législateurs de leur octroyer des droits différents dans le cadre de la procédure pénale
29:36et de prévoir que certaines associations peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour une liste d'infraction distincte de celle prévue pour d'autres associations.
29:46Enfin, si les associations se proposant par leur statut de combattre les discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l'orientation sexuelle ou l'identité de genre
29:56ne peuvent se constituer partie civile pour l'ensemble des infractions pénales qui viendraient être aggravées par la circonstance prévue à l'article 132-77 du code pénal,
30:06cette situation est comparable à celle dans laquelle sont par exemple placées les associations dont l'objet statutaire consiste à combattre le racisme
30:14et qui ne peuvent pas se constituer partie civile pour toutes les infractions pénales aggravées par la circonstance générale prévue à l'article 132-76 du code pénal.
30:26Les dispositions contestées ne procèdent donc pas de discriminations injustifiées au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.
30:32Elles ne méconnaissent donc pas le principe d'égalité devant la justice pénale. Aucune exigence constitutionnelle n'a été méconnue.
30:38Je vous invite à déclarer les dispositions de l'article 2-6 du code de procédure pénale conformes à la constitution.
30:44Merci monsieur Canguier. Alors là aussi vous avez entendu les arguments pour, contre la disposition législative corrélée.
30:53Est-ce qu'il y a des questions de membres du conseil ? Madame la conseillère Malbec.
30:58Merci monsieur le Président. Une question à l'avocat du requérant.
31:02Vous avez tout à l'heure indiqué que la voie pénale vous était fermée, mais que la voie civile l'était tout autant.
31:10Alors même que j'ai pu retrouver des décisions de la cour de cassation qui reconnaissaient bien, sur le fondement certes d'un article du code de procédure civile,
31:19qui est l'article 31, une qualité pour agir de plein droit à ces actions en défense de l'intérêt collectif, même d'ailleurs pour les associations qui ne sont pas agréées.
31:30Est-ce que vous pourriez là-dessus peut-être développer votre propos qui indiquait tout à l'heure, si j'ai bien compris, que vous n'aviez pas non plus l'ouverture d'une action civile ?
31:38Effectivement. Je crois savoir, mais c'est peut-être une erreur de ma part. Et si c'est le cas, je le confesse qu'il faut une habilitation législative particulière
31:45pour les associations qui ont un intérêt sur... Je crois que ça existe pas. Enfin, je n'ai pas plus d'observation sur ce point-là, si c'est effectivement...
32:00Si vous avez une observation à faire par écrit, vous pourriez nous faire parvenir rapidement une note en délibéré.
32:05Je suis pris à chaud, M. le Président, et je crois qu'effectivement ce sera l'objet d'une note en délibéré, plus précise.
32:10M. Canguien, vous voulez dire un mot là-dessus ? Non. Autre question ?
32:15Madame la conseillère Malbec.
32:17Je vais en poser une également, M. Canguilhem. Il y a eu, je crois, une mission flash de l'Assemblée nationale, justement, sur la capacité des associations à agir.
32:30Et à cette occasion-là, il a été relevé, mais vous l'avez dit d'ailleurs tous dans vos écritures, qu'il y avait beaucoup d'éléments entre l'article 2 et l'article 3,
32:38les 25 articles qui expriment la capacité des associations à agir, pas seulement dans le code de procédure pénale,
32:48puisque vous avez aussi dans d'autres codes des dispositions qui habilitent ou pas.
32:53Donc il y a une mosaïque qui a été reconnue par un certain nombre de parlementaires, qui est assez peu lisible par moment.
32:59Donc je voulais savoir auprès de vous s'il y avait, dans les tuyaux, un texte éventuellement qui serait de refondre un peu tout ça.
33:08M. Canguilhem.
33:10Alors je profiterai aussi de l'occasion pour faire une note en délibéré pour voir si effectivement, à ce stade, dans l'élaboration du nouveau code de procédure pénale, la question est dans les tuyaux, comme vous dites.
33:22Merci. Autre question ? Non, vous êtes éclairé ?
33:26Bien, donc vous avez compris où nous en sommes. Il y a donc ce qui s'est passé cet après-midi.
33:33Nous allons revenir à Paris délibérés pour prendre nos décisions sur ces deux QPC.
33:41Et je reviendrai vendredi, non pas vendredi dans deux jours, mais vendredi en huit, devant la faculté de droit pour dire quelles sont nos décisions et les expliquer.
33:57Et si vous n'êtes pas présent à la faculté de droit, vous pourrez en prendre connaissance en vous connectant sur notre site internet.
34:07L'audience est levée. Bon après-midi à toutes et à tous.