• il y a 10 mois
Aucun aliment n'incarne la France plus que lui, le camembert demeure année après année l'un des fromages les plus consommés dans notre pays. Notre invité de ce soir le produit, à petite échelle, bio et au lait cru, et nous met en garde contre les malfaçons qui mettent sa saveur inégalable en péril...

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

Category

😹
Amusant
Transcription
00:00 C'est l'heure de la question de Maya Mazorette.
00:02 *Générique*
00:07 - Mesdames et messieurs, je vous présente la France, la vraie.
00:09 La France qui pue. Oh le clacos !
00:11 Celui-là, je le fous dans la braise, avec du pastaga dedans, des petites herbes de Provence.
00:14 Paf ! Je peux te dire que là, je passe un barbeuc, les gens verrent.
00:17 On est dans la France de mon papa, dans la France qui fait des black-bo.
00:20 J'ai envie de le croquer ce camembert.
00:22 Le camembert, ça fait partie du putain de patrimoine français.
00:24 Mais ça reste des moisissures qu'on achète.
00:26 - Le grand capital a-t-il mauvais goût ?
00:29 - Je précise qu'on va parler spécifiquement du goût de la nourriture via l'exemple du camembert.
00:33 Et il faut en parler, car dans la patrie aux mille fromages, on a deux boucs émissaires,
00:37 Anne Hidalgo et les apéricubes.
00:39 Figurez-vous que le point commun entre Anne Hidalgo et les apéricubes,
00:43 c'est qu'on a beau en dire du mal, on les met en position de pouvoir.
00:46 Là, on touche à un paradoxe bien français.
00:48 On adore, Vélipe, on dit la malbouffe transformée, sans amni,
00:51 texture bourrée de sel, de sucre, de gras et de souffrance.
00:54 Et pourtant, c'est quand même pour la malbouffe qu'on vote, en tout cas avec notre portefeuille.
00:58 Car précisément, c'est au niveau du portefeuille que l'arbitrage se joue.
01:01 Après 40 ans de crise économique, le goût du consommateur plie devant le goût de l'actionnaire,
01:05 devant le goût du banquier et parfois, il faut le dire, devant le goût industriel.
01:09 Parfois le bon goût industriel d'ailleurs.
01:11 Car dans la malbouffe, il y a deux écoles.
01:13 Soit les aliments n'ont aucun goût, comme les tomates en dépression des grandes surfaces,
01:16 soit les aliments ont mille fois trop de goût.
01:19 Là, je pense notamment aux chips industriels d'une marque que je ne citerai pas,
01:23 mais qui propose des saveurs bleues.
01:24 Pancetta, miel, moutarde, vinaigre, yakitori, menthe, poulet brisé.
01:28 J'en arrive à mon intuition du jour.
01:30 Ça existe vraiment, c'est dont je parle.
01:31 Mon intuition du jour, c'est donc qu'accuser le grand capital d'avoir mauvais goût,
01:35 c'est oublier un peu vite notre propre mauvais goût.
01:38 Des fois, la malbouffe, c'est nous qui la choisissons.
01:40 Parce qu'on préfère, parce qu'on s'est habitués,
01:42 parce qu'on a le droit quand même à quelques plaisirs coupables, sans nous réconcilier.
01:46 Avec le mauvais goût, la critique du capital restera de mauvaise foi.
01:50 - Aujourd'hui, tu reçois Patrick Mercier et trois camemberts.
01:54 - Bonjour Patrick Mercier.
01:56 - Bonjour.
01:57 - Vous êtes producteur de camemberts bio au lait cru.
02:00 Vous êtes un défenseur du vrai camembert.
02:02 Et donc, je dis le vrai, parce que les gens ne sont pas forcément au courant,
02:04 mais il y a du faux camembert.
02:06 Est-ce que vous pouvez nous raconter ?
02:07 - Ce que nous essayons de faire, c'est le plus vrai possible.
02:09 Je suis rentré en résistance parce que j'ai vu le goût du camembert décliner.
02:13 Et en fait, ce qui a fait le déclin, c'est la pasteurisation.
02:16 La pasteurisation, ça rompt le lien avec les fermes.
02:19 Ça met le travail des éleveurs à zéro.
02:22 Les paysans ne comptent plus finalement. Ils sont producteurs de minerais.
02:25 Et on a confié à la grande distribution et à la transformation d'orienter les goûts des produits.
02:31 Donc, la pasteurisation, on part de zéro, on part de rien.
02:34 Et on rajoute des substances qui facilitent la fabrication,
02:39 mais aussi qui donnent des goûts, comme des barrettes de goût qu'on ajoute.
02:42 Donc, on est tous un peu coupables, le consommateur, le distributeur, le transformateur,
02:46 d'avoir organisé finalement un déclin du camembert.
02:50 Parce qu'il a divisé par deux en 50 ans.
02:52 Donc, il était quand même extrêmement consommé, les deux mois en moins.
02:55 - Mais c'est pour pouvoir le conserver qu'on fait ça ?
02:57 - C'est pour pouvoir le conserver. C'est pour ne pas prendre de risques.
03:01 Parce qu'il y a aussi l'administration.
03:03 Les fromages au lait cru, surtout en pâte molle, sont très risqués.
03:05 Donc, l'administration était bien contente de cette pasteurisation.
03:09 Alors, si les gens savaient aujourd'hui que ce n'est pas une pasteurisation,
03:12 parce que c'est mis camembert au lait pasteurisé,
03:14 c'est pas une pasteurisation, c'est deux pasteurisations.
03:17 Dont une pasteurisation à 90 degrés, qui a pour but de déstructurer les protéines du fromage.
03:22 Donc, si on savait tout ça, et j'oublie la concentration des laits,
03:27 si on savait toute cette technologie, peut-être qu'on n'en prendrait pas du tout.
03:31 - D'autant que sur la boîte, on fait des dégustations de camembert en direct.
03:35 - C'est super !
03:37 - Et donne les gens...
03:39 - J'ai commencé le vôtre en premier, et c'est vraiment dommage, pardon.
03:43 - On s'amuse bien.
03:45 - On s'amuse bien, au contraire.
03:47 Sur la boîte, il y a marqué que c'est le camembert authentique, fabriqué en Normandie.
03:51 La boîte donne confiance, par exemple.
03:54 - Et la pub, la télé aussi. On a une grande usurpation de notoriété, ce qui est terrible.
03:58 On vit sur l'histoire de ces grandes marques, de ces grands faiseurs de camembert à l'origine.
04:02 Oui, certainement, ces grandes familles, je ne vais pas citer de nom,
04:05 mais on en connaît tous, ces grandes familles ont été rachetées par un gros plétier
04:09 qui profite et fait du marketing autour de ces marques en ayant tout changé.
04:14 - Et vous, vous dites qu'on ne peut pas faire de la très grande distribution quand on essaie de faire les choses bien.
04:18 - Je ne sais pas si on ne peut pas être en grande distribution.
04:21 Personnellement, j'ai fait le choix de ne pas y être, parce que je n'ai pas confiance.
04:25 - Et puis nous sommes tellement petits que...
04:27 - Vous avez une ferme. Vous êtes producteur vous-même.
04:30 - Oui, nous sommes producteurs fermiers. Nous faisons 800 camemberts par jour, ce qui n'est rien du tout.
04:33 Nous sommes 10 à travailler, donc si on revient, ça fait 80 camemberts chacun,
04:37 si on faisait toutes les tâches de la ferme.
04:39 Nous ne le faisons pas sur une bancelle dans le coin de l'étable.
04:42 Nous le faisons aujourd'hui avec la technologie au sens de la propreté.
04:47 Tout est fait très propre, mais sans désinfection.
04:49 Parce qu'on parlait de l'écru tout à l'heure, il y a un écueil au lécru.
04:52 Le lécru, on pense que c'est du lait qui n'est pas pasteurisé.
04:55 C'est beaucoup plus complexe que ça. Pour moi, le lécru, c'est du lait qui n'a pas été réfrigéré aussi.
05:00 C'est-à-dire que la microbiologie du lait, toute la vie du lait, si on la passe à 3 degrés,
05:04 en fait, on met tout par terre. Donc c'est presque la pasteurisation quand on fait ça.
05:08 Il y a des fromages au lécru qui n'expriment pas la flore native.
05:11 L'avantage, c'est qu'à la ferme, on est capable,
05:13 alors il y a toute une région française, tout l'est de la France,
05:16 à supprimer la pasteurisation. Bravo !
05:19 Le Saint-Nectaire fermier aussi. Il y a de très bons exemples qui montrent
05:25 qu'on est capable d'avoir du goût. Et le goût, c'est très important.
05:29 On se nourrit bien sûr de ce qu'on mange, ce qui passe par le digestif.
05:34 Mais on se nourrit par le cerveau. Ce qui fait que vous avez dégusté les fromages tout à l'heure.
05:38 C'est-à-dire qu'il y en a qui vous l'avez mis dans la bouche, vous avez trouvé un goût,
05:42 puis d'un seul coup, vous n'avez plus rien. Et puis j'espère que sur les 3,
05:45 il y en a un qui va vous nourrir le cerveau. C'est-à-dire que pendant 5 à 10 minutes,
05:49 vous avez une longueur en bouche qui fait que vous nourrissez votre cerveau.
05:53 Vous n'avez pas besoin de vous remplir l'estomac.
05:55 J'ai nourri mon cerveau, mon estomac, tout est nourri. C'est vraiment un régal.
06:00 Est-ce qu'il y a des millésimes de camembert ? Est-ce qu'il y a des meilleures anecdotes ?
06:04 Est-ce que c'est comme pour le vin ?
06:05 C'est beaucoup plus complexe que ça. Nous travaillons avec l'université de Caen
06:08 pour ne plus utiliser de ferment du tout du commerce. C'est-à-dire que le goût du fromage,
06:13 de chez nous, le camembert du champ secret, le secret vient du champ.
06:16 J'ai l'habitude de dire ça parce que c'est très très nul en commerce. J'ai pas fait d'école moi.
06:19 Vous êtes hyper fort en com'.
06:21 Oui mais à la fois j'ai eu la chance d'habiter la commune de champ secret.
06:25 La trace était là, donc j'avais juste à la prendre.
06:30 Et tout est fait pour que les milliards de bactéries qui font l'odeur de la ferme,
06:35 en fait, on soit capable de les transmettre.
06:37 Et c'est cette ambiance de ferme qui va se retrouver dans le goût du fromage.
06:41 Tout est fait pour ça.
06:42 Et quand je dis qu'on travaille avec l'université de Caen,
06:44 c'est-à-dire qu'on est en train de se passer de l'achat de toutes bactéries
06:49 pour réaliser le fromage, un peu comme dans les années 60,
06:52 où on n'en se mensait pas les laits, on faisait du camembert en Normandie sans rien ajouter.
06:56 Quand on part en grande surface, comment est-ce qu'on fait pour choisir un bon camembert ?
07:00 On évite tout ce qui a été fort publicité par toute la...
07:06 On élimine les grandes marques ?
07:08 Voilà, enfin...
07:10 On essaie de choisir, du coup, plutôt fermier, plutôt appellation d'origine protégée,
07:16 plutôt bio, parce qu'en fait on oublie aussi que la qualité des matières grasses
07:20 est fondamentale pour notre santé, nous, humains.
07:22 Quand les vaches mangent de l'herbe jeune, les matières grasses qui sont comprises dans le fromage,
07:27 c'est presque de l'huile d'olive.
07:29 Quand elles mangent des céréales, c'est de l'huile de palme.
07:31 Donc en fait, plus vous vous rapprochez d'une alimentation saine pour la vache,
07:35 plus vous avez une alimentation saine pour vous.
07:38 Très bien, nourrissons-nous sainement, nourrissons-nous le cerveau et l'estomac quand même un peu.
07:42 Merci beaucoup Patrick, merci.
07:44 Je rappelle que vous êtes producteur de camembert au Lécru en Normandie
07:47 et votre marque s'appelle Le Champ Secret.
07:49 Il est carrément délicieux.

Recommandations