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00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture. Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy
00:09 Place à la rencontre. Aujourd'hui, notre invité est réalisateur. Son troisième long-métrage, Conan, sort aujourd'hui dans les cinémas.
00:18 Et à l'écran, ça fume, ça coule, ça coupe, ça bouillonne, ça gargouille, ça suinte, ça se galoche, ça pleure, ça paillette, ça crie, ça crache et ça avale.
00:28 Et c'est beau. Mais qu'est-ce que c'est beau ? Car Conan, désormais LA barbare, ne parle pas que d'elle mais de nous.
00:35 Le temps qui passe, le trauma fondateur, nos transformations, la soif de vengeance, les plaisirs et les regrets.
00:41 Le temps qui passe donc, et nous avec, qui vieillissons.
00:45 Bonjour Bertrand Mandicot. Bonjour. Et bienvenue à vous dans les midis d'Occulture.
00:49 Bertrand Mandicot, est-ce que vous vous sentez vieux ?
00:53 Ah bah bien sûr. Je me sens trop vieux.
00:57 Bah bien sûr, peut-être pas. Vous n'êtes pas si vieux que ça, non ? Sur le papier, vous êtes quoi ? 46 ans ? 45 ? 46 ?
01:02 Ça reste un peu trouble mon âge.
01:04 Vous ne voulez pas le dire ?
01:05 Ouais, c'est ma coquetterie.
01:07 Ok. Pardon.
01:09 Qu'elle faut pas.
01:11 Vous savez, j'étais obscène. Première question, obscénité.
01:14 Les pieds dans l'âge quoi. Non mais, une partie de moi se sent vieille et une partie de moi se sent extrêmement jeune.
01:23 C'est cette dynamique entre ma propre jeunesse et ma propre vieillesse qui est mon moteur.
01:29 Si je vous pose la question, vous savez pourquoi Bertrand Mandicot.
01:32 C'est parce que Conan la barbare, dans votre film, on la suit sur plusieurs rages de sa vie.
01:37 Et tout commence avec Conan âgé, sixième âge, qui regarde un petit peu tout son parcours que vous retracez dans le film.
01:46 Et qui donc, en fait, étant vieille, se contemple jeune et contemple ces différents âges qui l'ont tué au fur et à mesure.
01:54 Est-ce que vous vouliez d'abord faire un film sur la vieillesse et nous parler de ce temps qui passe et qui nous tue ?
02:01 C'est un film sur la mémoire, puisque la damnation de Conan, c'est de perdre la mémoire et de se remémorer tout ce qu'elle a vécu.
02:14 Les choses heureuses, mais beaucoup, beaucoup de choses tragiques aussi.
02:17 Et toutes ces strates comme ça de sa vie où à chaque décennie, elle a rendez-vous avec son futur.
02:24 Un futur qui va être de plus en plus dur, de plus en plus violent.
02:27 Et pour moi, ce qui m'intéressait, c'était cette idée, ce concept autour de la barbarie.
02:32 Quel est le comble de la barbarie ? Le comble de la barbarie, c'est la vieillesse qui tue sa propre jeunesse.
02:38 Donc pour vous, le comble de la barbarie, c'est intéressant, c'est la vieille, c'est pas la mort ?
02:42 C'est ça la barbarie ultime, en fait, c'est qu'on soit condamné à mourir.
02:46 Et même que plus que condamné à mourir, qu'on se condamne les uns les autres à mourir aussi, qu'on se donne la mort.
02:52 Alors la barbarie pour les autres, c'est-à-dire quand on veut asseoir son pouvoir et qu'on tue les autres.
02:59 Mais par rapport à sa propre personne, c'est aussi trahir ses idéaux, trahir ce qui fait son innocence en quelque sorte.
03:07 Quand je vois des personnes qui avaient des idéaux nobles dans leurs jeunes années,
03:12 qui dans des années un peu plus matures, deviennent des personnages très durs, très sombres.
03:18 Je trouve qu'ils sont barbares avec eux-mêmes.
03:20 - Vous êtes barbare ou pas, vous Bertrand Mandicot ?
03:22 - J'essaye de tout faire pour ne pas l'être.
03:25 - Il y a quelque chose d'intéressant, pour en revenir un peu à l'âge, c'est que ça parle à tout le monde.
03:29 Parce qu'on a tous l'habitude de penser à la prochaine dizaine.
03:33 Donc cette idée de faire le bilan tous les dix ans, de se dire "voilà, qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que je pense aujourd'hui ? Et vers où je vais ?"
03:39 Il y a une idée aussi peut-être de se remettre en question, de s'interroger sur son parcours même.
03:45 - Il y a l'idée des muts et des cycles.
03:48 - J'ai vraiment l'impression que chaque décennie, j'ai choisi des décennies par confort, c'était beaucoup plus simple.
03:58 Mais chaque nouveau cycle, ça peut être un renouveau total pour une personne.
04:04 C'est-à-dire qu'on devient presque étranger à soi-même dix ans plus tard.
04:08 On a le droit aussi de se transformer complètement, de devenir tout autre.
04:14 - A condition de ne pas se trahir en fait.
04:17 - A condition de ne pas se trahir.
04:18 En tout cas, je trouve que la trahison de ces idéaux, c'est quelque chose d'absolument triste et épouvantable.
04:24 Mais après, on peut évoluer et se transformer.
04:27 Ça, c'est magnifique.
04:28 Toutes ces muts possibles, je trouve ça génial.
04:31 C'est la contrepartie positive du vieillissement.
04:34 - Mais qui voici ?
04:38 - Vous ne connaissez pas Conan ?
04:44 - Je voulais vivre pour me venger.
04:47 - Tu deviendras la plus barbare des barbares.
04:54 - Salut Conan, tu sais qui je suis ?
04:59 - Non.
05:00 - Je suis toi.
05:02 - Je suis toi dans dix ans, Conan.
05:05 - Changez d'époque.
05:11 - Changez de vie.
05:13 - Tu es de sa propre jeunesse.
05:16 - Tu es de sa propre jeunesse.
05:17 - Tu es le couple de la barbarie.
05:19 - À part ma vengeance, je n'avais aucune perspective.
05:26 - J'aurais tout fait pour remonter le temps et prendre votre chemin.
05:32 - Si l'amour est brutal avec vous, soyez brutales.
05:37 - Si l'amour est brutal avec vous, soyez brutales avec lui.
05:41 - Tu as des regrets ?
05:45 - Un océan de regrets.
05:49 - Voilà pour la bande-annonce de Conan, votre film Bertrand Mandicot qui sort aujourd'hui dans les salles.
05:58 On y entend Conan qui a un océan de regrets.
06:03 On entend aussi la voix de Reiner, le chien des enfers, un personnage incroyable.
06:07 On va en reparler.
06:09 C'est à travers sa voix que sont racontées les six vies de Conan.
06:13 À travers les âges, les mythes, on l'a dit, tous les dix ans.
06:15 Par commodité, vous l'avez dit tous les dix ans.
06:17 15, 25, 35, 45, 55.
06:20 Après, il y a la suite quand on découvre Conan très âgé, dès le début d'ailleurs.
06:25 On suit Conan de son enfance jusqu'à son accession au sommet de la cruauté.
06:29 Et vous l'avez dit, Bertrand Mandicot, vous vouliez montrer la métamorphose d'une femme,
06:35 Conan, sur le chemin de la barbarie.
06:37 Et tout de suite, j'ai présenté votre film en disant que ça grouillait, ça pullulait.
06:41 D'ailleurs, je n'ai pas encore utilisé le terme pullulé, mais ça pullule aussi.
06:44 Ça se lèche, ça avale, ça suinte.
06:46 Comment on fait pour figurer ces transformations de l'âge, des cycles de la vie, esthétiquement ?
06:53 - En tranchant.
06:55 En étant très tranché dans les successions des décennies.
06:58 Et en faisant des sauts dans le temps.
07:02 Ça a été mon parti pris.
07:04 Le premier socle du film, c'est une période antique, ancienne, dite cimérienne,
07:11 qui renvoie justement au mythe de Conan, au mythe celte.
07:14 Et puis après, je prends des chemins de traverse.
07:19 On va être dans une période plus romantique, qui renvoie à un Moyen Âge mythique.
07:27 Et je fais un énorme saut dans le temps.
07:29 Je pars après dans les années 90, dans le Bronx.
07:32 Puis dans un futur proche, guerrier.
07:35 Et dans un futur aussi assez proche, où il est question de corruption des artistes.
07:42 Tous ces segments sont aussi des partis pris esthétiques et de mise en scène très tranchés.
07:49 Puisqu'à chaque fois, je suis aussi dans une rupture de style, à chaque nouvelle décennie.
07:55 Pour appuyer ces différenciations entre toutes les Conan.
07:59 Et puis, il y a aussi six différentes actrices qui sont exceptionnelles.
08:04 Elles ne se ressemblent pas.
08:06 Entre elles, vous êtes allé très fort dans les différences.
08:10 Bertrand Mandicot, c'est une manière de souligner ces métamorphoses d'une personne dans sa vie.
08:17 Soi-même comme un autre, soi-même comme un barbare.
08:20 Oui, c'est pour dérouter aussi les spectateurs et spectatrices.
08:24 Je trouve que dans le cinéma hollywoodien, par exemple,
08:27 on a la fâcheuse tendance à prendre une actrice en général relativement jeune.
08:33 Et de la vieillir à grands coups d'effets spéciaux ou de maquillage.
08:40 Et moi, je trouve ça beaucoup plus intéressant de solliciter une actrice qui a l'âge du personnage pour chaque décennie.
08:49 Et c'était passionnant parce que chaque décennie a une personnalité très forte.
08:57 Il y a une personnalité derrière la décennie pour moi.
09:00 Les 20 ans, on est dans le doute.
09:03 Les 30 ans, on est dans quelque chose de très dynamique, très volontaire.
09:07 Et donc, j'ai cherché des actrices qui pouvaient incarner ce qui représente chaque décennie.
09:14 Vous avez un peu schématisé les âges de la vie. 15 ans, c'est un peu le trauma fondateur pour Conan.
09:21 Elle voit sa mère se faire tuer.
09:29 Donc, elle va se venger.
09:31 Ça va être une vie de vengeance.
09:33 À 25 ans, c'est l'apprentissage.
09:35 Entre 15 et 25 ans, c'est l'apprentissage.
09:37 À 35 ans, période incroyable de bonheur total où elle perd la mémoire.
09:43 Et puis, à 45 ans, Conan se durcit, etc.
09:46 Jusqu'à vouloir se faire dévorer à la fin de sa vie, comble de la barbarie.
09:52 Pour vous, dans votre tête, Bertrand Mandicot, les âges de la vie comme ça étaient très schématisés
09:56 avec l'apprentissage, le bonheur, la maturité.
09:59 Disons qu'on est heureux à 35 ans avec vous et qu'à 45 ans, c'est l'enfer.
10:03 En tout cas, pour ce personnage, je parle de la barbarie.
10:06 Ce n'est pas Conan l'ange que je suis en train de décrire.
10:11 C'est plutôt Conan le démon.
10:13 Oui, c'était en tout cas...
10:17 Les 25 ans, le personnage est dans des doutes par rapport au pacte qu'elle est en train de faire.
10:25 Il y a un pacte Faustien qui est très présent dans le film.
10:29 Elle s'interroge sur son identité.
10:32 Elle est non-genrée.
10:34 Pour moi, c'était quelque chose qui représentait des questionnements que j'ai pu avoir à 25 ans.
10:39 Je suis parti de ma propre personne.
10:41 À 35 ans, c'était génial, Bertrand Mandicot, votre vie ?
10:45 En tout cas, j'avais peut-être cette énergie-là.
10:50 Mais ça ne veut pas dire qu'à 45...
10:54 On y revient, attention !
10:56 Vous vous durcissez là, Bertrand Mandicot ?
10:59 J'essaye de rester souple malgré le durcissement.
11:03 Est-ce que vous vous amusez tout de même en tant que réalisateur ?
11:06 Cette idée d'avoir six femmes, six univers très différents, c'est quand même très amusant pour un réalisateur d'imaginer tout ça et de le concrétiser.
11:16 Il faut que ce soit ludique.
11:18 Si un cinéaste ne s'amuse pas en faisant un film, comment voulez-vous que les spectateurs s'amusent en le voyant ?
11:24 Moi, je suis mon premier spectateur.
11:26 En plus, je cadre.
11:28 Je suis aux premières loges pour avoir les émotions.
11:31 Je suis traversé par plein de choses.
11:34 Il faut prendre du plaisir dans ce qu'on fait pour pouvoir en donner.
11:39 Vous l'avez dit, Bertrand Mandicot, il s'agit quand même de...
11:43 J'ai universalisé le propos sur...
11:46 Et vous le faites, sur les âges de la vie, sur la vieillesse, sur les différents moments qui ponctuent notre existence.
11:54 Mais il y a quand même... Conan, ce n'est pas n'importe qui.
11:56 C'est quand même une barbare.
11:58 Pourquoi avoir fait appel à ce mythe de Conan ?
12:02 Mais surtout, pourquoi avoir voulu intégrer ce terme de barbarie, ce concept de barbarie ?
12:07 Bertrand Mandicot, il vous permettait de dire quoi ?
12:09 Il me permettait de parler de toutes mes angoisses et de commenter le monde dans lequel on est,
12:14 qui est tout de même complètement englué dans la barbarie.
12:19 Ça sort de partout.
12:23 Des champs de bataille, au plateau de télé, il y a de la barbarie partout.
12:27 Donc c'est quelque chose qui m'angoisse et j'ai voulu me questionner là-dessus.
12:33 Et en même temps, en travaillant sur une idée de mythe, de fiction, de fantaisie.
12:39 Prendre du recul aussi par rapport à ça, parce qu'on reçoit de la barbarie brute dans nos écrans en permanence.
12:45 Et c'est raconter un grand mythe comme ça.
12:49 Alors moi, au départ, je voulais raconter l'histoire de cette femme qui traverse les époques et qui fait un pacte Faustien.
12:56 Quasiment dans une tradition très française du film de diablerie.
13:01 Et qui dit barbare dit Conan.
13:03 Donc c'est par association d'idées.
13:05 C'est presque à la fin de mon écriture que Conan est arrivé.
13:10 Et donc je suis parti à l'origine du mythe Conan.
13:13 Ce sont des romans de Ward au départ, avant les films et les comics.
13:19 Mais avant les romans de Ward, Conan avec deux N, c'était une figure mythologique
13:24 qui appartenait à la mythologie celte, irlandaise pour être précis.
13:28 Et ce conquérant était entouré de Fomoirs qui étaient des démons à tête de chien.
13:34 Donc Conan est arrivé, mais il y a quand même un petit problème sur la barbarie Bertrand Dicot.
13:41 Parce que quand même, Conan, votre personnage, on l'adore.
13:44 Vous romantisez presque la barbarie. Vous n'avez pas eu peur de ça ?
13:48 Ah non, je n'ai pas eu peur de ça.
13:51 Elle est pleine de paillettes, on se roule des pelles, c'est sexuel.
13:57 On a presque envie d'être barbare avec vous.
14:00 Je ne pouvais pas être dans une vision monolithique de la barbarie.
14:05 Sinon l'air allait être irrespirable dans ce film.
14:08 Donc pour moi, il fallait qu'il y ait le grand souffle du romantisme
14:12 qui souffle tout au long du film.
14:14 Et effectivement, parce que je ne crois pas que les personnages, les personnes soient des monolithes.
14:21 Il y a toujours des ambiguïtés et il y a toujours de l'espoir aussi,
14:24 même chez un barbare ou une barbare.
14:27 En tout cas, là, ça a passé par le romantisme et le trouble romantique.
14:31 Et mon personnage, finalement, vous parliez de la période 35 ans.
14:35 Elle est heureuse à ce moment-là parce qu'elle est amnésique.
14:39 A l'origine du mal, à l'origine de tout, c'est la vengeance.
14:44 La vengeance qui est ce vieux ressort dramatique ultra rouillé
14:49 qu'on ne remet jamais en question dans les films.
14:52 Un film sur deux hollywoodien, ça appuie sur cette idée de vengeance.
14:58 Le spectateur ou la spectatrice accepte cette idée-là sans la remettre en question.
15:02 Moi, déjà, c'est quelque chose qui me révulse, l'idée de vengeance.
15:06 Ce personnage doit se venger au départ puisque sa mère est sacrifiée.
15:11 C'est ce que vous avez expliqué dans votre introduction.
15:15 Et finalement, elle trouve un moment de paix quand elle devient amnésique
15:20 pendant quelques temps. Elle n'a plus de raison de se venger.
15:23 Vous avez convoqué Bertrand Mandicot de grands thèmes.
15:26 Même si l'idée de vengeance vous révulse, ce film-là est fondé là-dessus.
15:32 Et moi, à l'inverse de vous, j'aime beaucoup l'idée de vengeance.
15:37 J'aime beaucoup les films de vengeance parce qu'il y a quelque chose de cathartique.
15:40 Ce qu'on ne fera pas dans la vie, en fait, on le voit à l'écran.
15:44 La deuxième idée que vous convoquez, c'est le pacte Faustien.
15:48 Mais restons quand même sur cette idée de vengeance.
15:50 On reviendra après sur Faust, parce que là aussi, il y a quand même un truc à explorer.
15:54 Mais sur la vengeance, vous dites que ça vous révulse.
15:56 Mais c'est le moteur même de Conan.
16:00 Vous la rendez désirable, aimable, alors qu'elle a pour mobile premier la vengeance.
16:07 Oui, mais je ne cesse de dérouter sa vengeance.
16:10 C'est tout le jeu du film.
16:14 C'est-à-dire à partir de ce moteur simpliste qu'est la vengeance,
16:19 je vais tout faire pour dérouter sa vengeance.
16:22 Et je vais l'amener à aimer celle qu'elle veut tuer.
16:27 Qui est déjà une forme de trahison pour elle.
16:31 C'est ça qui m'intéresse vraiment.
16:35 C'est le déroutage. Je ne peux pas vous dire mieux.
16:37 Et de l'humaniser.
16:38 Parce que quand on l'entend dans la bande-annonce dire "c'est un océan de regrets",
16:41 finalement, toute cette vengeance, pourquoi ?
16:43 Dès qu'il y a du regret, il y a de l'espoir.
16:46 Pour moi, c'est la première fenêtre qui s'ouvre sur l'espoir.
16:52 C'est le regret.
16:53 Ma deuxième idée, c'est le pacte Faustien.
16:58 C'est un mythe que je ne comprends pas trop.
17:00 Le mythe Faustien.
17:03 Expliquez-moi ce qui vous fascine là-dedans.
17:06 Je ne vois pas en quoi un pacte avec le diable a quelque chose de narratif.
17:11 Surtout que le pacte Faustien, au départ,
17:13 le mythe de Faust, c'est vraiment faire le pacte avec le diable pour tout connaître du monde.
17:18 Je ne comprends pas cette idée de tout connaître du monde.
17:20 Expliquez-moi ce qui vous fascine chez Faust.
17:23 C'est un pacte avec un petit démon de seconde zone.
17:28 Le petit Rainer ?
17:30 Oui, Rainer. Un démon loupard.
17:33 C'est une opportunité.
17:37 Le démon en question lui dit "si tu acceptes mon pacte,
17:43 l'avenir va s'ouvrir à toi, je vais te donner du pouvoir".
17:49 C'est le pouvoir que propose le démon.
17:52 C'est ça le principe du pacte Faustien.
17:54 C'est vraiment avoir une vision du monde et du pouvoir.
17:58 Mais là, vous n'êtes pas aussi manichéen que ça, Bertrand Mandicot.
18:01 Parce que Rainer, il lui propose le pouvoir,
18:04 mais en même temps, Rainer qu'on pourrait voir comme le petit démon un peu loupard,
18:08 un peu nul de seconde zone, il est assez attachant.
18:11 Il faut que vous nous décriviez à quoi ressemble Rainer.
18:13 Parce que sinon on ne comprend pas pourquoi il est si attachant que ça.
18:16 Rainer, déjà, il doit son prénom à Rainer Fassbinder.
18:20 Il doit aussi sa silhouette à Fassbinder, qui est un cinéaste que j'adore,
18:23 qui n'est pas un démon pour moi, bien au contraire, c'est un modèle.
18:27 Mais j'avais envie de lui rendre hommage,
18:30 parce que c'est le romantisme allemand, tout ce qui est présent dans le film.
18:34 Et c'est un démon à tête de chien.
18:37 Comme je vous disais, dans le mythe originel de Conan,
18:41 il y a ces démons à tête de chien.
18:43 Et en même temps, le chien, dans beaucoup de mythologies,
18:46 c'est l'animal qui permet de passer dans l'autre monde.
18:49 C'est le passeur.
18:51 Et donc j'aimais bien cette histoire de créature hybride.
18:55 C'est Elena Levinson qui joue Rainer.
18:59 Elle porte une prothèse très fine qui restitue à merveille toutes ses expressions.
19:04 Et Rainer est très ambigu parce qu'il va tomber amoureux de sa victime,
19:13 enfin je ne sais pas si on peut dire ça comme ça, mais de Conan.
19:16 Et au fur et à mesure que Conan va se déshumaniser, lui va s'humaniser.
19:20 C'est quelque chose qui m'intéressait beaucoup.
19:22 - Et pourquoi ?
19:24 - Montrer un démon corruptible, c'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup.
19:30 C'est toujours pareil, les personnages monolithiques m'ennuient profondément.
19:36 - Expliquez-moi encore, Rainer se humanise ?
19:40 - Il s'humanise parce qu'il s'aperçoit que Conan a une violence et une dureté insoutenables
19:51 et lui-même a du mal à avaler cette dureté-là.
19:54 Et il a un désir profond d'amour pour Conan, il sait que c'est un amour impossible.
20:01 Et il finit par l'avouer, il finit par témoigner de ça.
20:05 - Il faut ajouter aussi que Rainer est muni d'un appareil photo
20:10 et que Rainer c'est aussi le démon, celui qui s'humanise,
20:15 mais aussi celui qui documente la violence.
20:17 C'est presque l'œil extérieur, c'est presque nous les spectateurs aussi.
20:20 - Oui, c'est le voyeur. Il va acter, en gros, il va être dans le monde antique,
20:25 il va être un anachronisme, un personnage avec un blouson en cuir et un appareil photo.
20:31 Donc il peut être vu comme un démon, un magicien.
20:35 L'appareil photo fait presque office de baguette magique.
20:38 Donc il acte la barbarie, il est à la fois paparazzi, reporter de guerre un peu crapoteux
20:45 et photographe de mode. Il a un petit peu toutes ces casquettes-là.
20:48 - Et amoureux triste. - Amoureux désespéré, amoureux maudit.
20:53 Sa malédiction à lui, c'est cet amour impossible.
20:55 Et donc il va acter tous ces actes barbares, il va les photographier.
21:00 Son appareil photo va être aussi un accélérateur.
21:03 Quand il prend une photo, ça accélère le temps, ça révèle des choses.
21:10 Et donc il est le témoin de ce récit et en même temps le chien fidèle qui accompagne jusqu'à la tombe.
21:20 Le premier film de la série "The Last Jedi"
21:25 Le premier film de la série "The Last Jedi"
21:29 Thief
21:31 Gladiateur
21:36 Conquérant
21:39 Conan
21:51 L'un d'entre eux, l'un des plus incroyables aventureurs du monde
21:57 Je vous salue
22:04 Conan le Barbarien
22:08 Le Barbare
22:10 Voilà un film qui n'est pas le vôtre Bertrand Mandicot.
22:27 C'est "Conan le Barbare" de John Milius avec Arnold Schwarzenegger qui est sorti en 1982.
22:33 La Conan est un barbare, c'est un homme bien viril qui a envie d'en découdre.
22:40 Qui lui aussi est animé par cette idée un peu simpliste, comme vous le disiez tout à l'heure Bertrand Mandicot, de vengeance.
22:45 Est-ce qu'on peut dire que votre Conan, la Conan, est l'antipode, l'inverse total de ce Conan-là ?
22:53 Vous avez fait un film presque en réaction à celui-ci.
22:55 Oui, il y a de ça.
22:57 En tout cas, la figure du monolithe me revient à nouveau avec la présence physique de Schwarzenegger qui est un acteur...
23:05 Qui pour le coup est un bloc en plus.
23:07 C'est vraiment un bloc.
23:09 Et moi j'ai des Conan qui sont extrêmement différentes.
23:13 Elles sont multiples, beaucoup plus ambiguës, beaucoup plus troubles.
23:17 Voilà, c'est un contre-pied que je prends par rapport au film de Milius.
23:23 Et qu'est-ce qui ne vous plaît pas dans le film de Milius ?
23:27 Vous l'avez dit, c'est un bloc monolithique mais il y a aussi ce côté très viril en fait.
23:31 Oui, c'est ce virilisme là outrancier qui me déplait.
23:38 Mais après, le film, ce n'est pas aussi simple que ça.
23:42 Vous n'êtes pas non plus monolithique dans votre avis ?
23:44 Oui, c'est-à-dire qu'il y a plein de choses qui me plaisent dans le film, qui m'ont fasciné.
23:48 Des idées visuelles incroyables.
23:50 Par exemple ? Pour ceux qui ont en tête le Conan de 1982 et pas encore le vôtre ?
23:55 Moi j'aime bien tout le côté homo-érotique de Conan.
23:58 Le serpent géant, enfin voilà, il y a des symboles phalliques complètement délirants.
24:03 C'est extrêmement sexué.
24:06 Et je pense que c'est même quelque chose qui échappe à Milius par moment.
24:10 Alors que vous, le côté sexué, vous le revendiquez, Bertrand Mandicot, dans votre film.
24:16 Du moins érotique, les scènes, l'homosexualité entre les femmes et même une sorte de fluidité.
24:22 C'est-à-dire qu'il y a autant matériel dans les fluides qui se passent d'un corps à l'autre
24:26 que dans les genres, dans la manière dont on parle.
24:30 Les gens sont féminisés après masculinisés.
24:33 Et vous insistez là-dessus ?
24:35 Oui, il y a une fluidité complète.
24:37 En même temps, vous parlez d'érotisme, mais c'est un érotisme très très contenu.
24:41 On ne voit quasiment rien.
24:43 C'est marrant que vous disiez ça, parce que c'est le principe de l'érotisme.
24:46 C'est-à-dire de montrer la sexualité sans la montrer.
24:50 Oui, tout à fait.
24:51 Là, je ne montre pas grand-chose dans ce film-là par rapport à mes films précédents.
24:57 Un film comme "Les garçons sauvages" où il y avait un érotisme trouble qui était vraiment très présent.
25:03 Dans "Conan", c'est extrêmement prude.
25:06 Il y a quand même la scène avec le chien.
25:09 Oui, avec Rainer.
25:11 Oui, avec Rainer.
25:13 Avec le démon.
25:14 Mais oui, mais en fait, quand je dis avec le chien, c'est justement parce que la compagne de Conan, je dévoile cette scène-là,
25:22 les surprend Conan et le démon Rainer au lit.
25:26 Et elle lui avait dit "j'étais ouverte sur tout", mais on avait dit "pas avec les animaux".
25:32 Oui, ça, je n'ai pas pu échapper à cette blague.
25:38 Elle lui brûle quand même le sexe avec une cigarette.
25:42 Ce n'est pas un sexe, c'est un appendice, c'est une queue, mais une queue qui, on ne sait pas où elle est placée, si j'ose dire.
25:51 On voit que de temps en temps, ce démon a cette queue qui se déploie.
25:55 Mais c'est une vraie, entre la queue de rat et la queue de chien, j'allais dire.
25:59 Mais ce n'est pas un sexe.
26:01 On voit bien cet érotisme-là. Vous avez dit, Bertrand Mandicot, que c'était beaucoup plus frappant dans d'autres de vos films,
26:08 notamment "Les Garçons Sauvages" qui est sorti en 2017, qui est votre premier film.
26:12 Quelle évolution vous faites entre ce film-là et ce troisième-là et celui qui intervient au milieu, qui s'appelle "After Blue", qui date de 2021 ?
26:21 Est-ce qu'il y a une continuité ? Est-ce que vous êtes allé plus loin ou est-ce que vous êtes retenu ?
26:26 J'ai constaté à l'issue du tournage de Conan que ces trois films formaient une trilogie.
26:33 "Les Garçons Sauvages", "Paradis", "After Blue", "Purgatoire" et "Conan", "Les Enfers".
26:41 Ça, ce n'était pas du tout prémédité.
26:44 Mais pour moi aussi, ça correspondait à la fin d'un cycle.
26:47 Ce qui est différent avec "Conan", déjà que c'est un film que j'ai tourné en très peu de temps,
26:53 j'ai tourné en cinq semaines, ce qui est relativement peu par rapport à l'ambition du film.
26:58 Et c'est un film aussi où je suis dans la rupture permanente avec mon propre style.
27:04 Et en même temps, je m'ouvre à des champs de possible pour un avenir.
27:09 C'est-à-dire qu'il y a une séquence qui est tournée à New York, dans le Bronx,
27:13 qui est relativement différente de tout ce que j'ai pu faire jusque-là.
27:16 Donc, il y a l'idée d'un exercice de style ou d'un laboratoire, pour moi,
27:22 qui aussi m'ouvre des perspectives pour la suite.
27:26 - Alors, vous dites qu'il y a certains moments dans ce film qui sont des ruptures de style.
27:32 Jusque-là, votre style, vous le définiriez comment ?
27:34 Parce que c'est un cinéma qu'on voit très peu, qui casse les codes.
27:38 Après, "Conan le Barbare" de 1982, c'est quand même assez codifié sur le type d'histoire,
27:45 sur le type de représentation.
27:47 Mais même pour des propositions cinématographiques plus originales ou plus fines,
27:51 vous tranchez quand même dans le paysage cinématographique français.
27:54 Quel est votre style, Bertrand Mandicot ?
27:56 - Alors là, moi, je suis incapable de définir mon style.
27:59 Ce que je peux vous dire, c'est que...
28:00 - Vous savez en tout cas que vous avez eu une rupture.
28:02 - Oui, je sais que j'ai eu une rupture.
28:04 Mais disons que je suis toujours dans des récits d'aventure.
28:08 Des récits, d'ailleurs, que les blockbusters hollywoodiens utilisent.
28:13 Je suis vraiment dans le même type de récit.
28:15 Mais j'apporte à ce type de récit une mise en scène peut-être plus artistique,
28:22 plus cinéphile aussi.
28:24 Voilà comment je pourrais le définir.
28:26 Et il y a la particularité dans ma façon de faire, c'est que je tourne ce support-pellicule.
28:32 Et mon parti pris, c'est que tout ce que vous voyez est vrai,
28:36 puisque je l'ai tourné tel quel.
28:37 C'est-à-dire que je n'ai pas d'effets spéciaux de post-production.
28:40 Tout est fait sur le plateau.
28:42 Donc c'est ce qui fait mon style, en quelque sorte.
28:44 - Mais ça, ce sont des contraintes que vous imposez,
28:46 parce que vous vous dites "ça a une patte, ça a ma patte, c'est ce que je veux montrer".
28:52 Ou alors c'est toute autre chose.
28:54 Ça aussi, ça fait partie du jeu ?
28:57 - Oui, ça fait partie du jeu.
28:58 C'est-à-dire qu'à partir de la contrainte économique, j'en fais une force, en quelque sorte.
29:03 - Contrainte économique parce que la pellicule, ça coûte très cher ?
29:06 - Non, c'est pas que la pellicule coûte cher.
29:08 Mais si on l'utilise avec parcimonie, c'est pas plus cher que du numérique.
29:13 Mais c'est la contrainte économique d'un cinéaste qui a des budgets de films d'auteurs
29:19 qui sont censés plutôt se passer dans des appartements
29:21 et qui se lancent dans des épopées un peu plus complexes.
29:24 Donc comment on va faire pour pallier ce "manque d'argent"
29:30 ou ce trop-plein d'argent qu'il peut y avoir dans certains films hollywoodiens ?
29:33 C'est en ayant des parties pris de mise en scène très radicaux,
29:38 en travaillant sur des plans-séquences, en ayant des astuces par rapport au décor
29:43 pour pouvoir raconter ces histoires ambitieuses sans que le film ne paraisse cheap.
29:48 L'appareil de prise de vue me permet de me promener sur le plateau,
29:54 sous le nez des personnages, et de jouer le rôle indiscret.
29:57 La caméra est un appareil indiscret.
29:59 De jouer le rôle indiscret que les spectateurs jouent de loin, assis dans des fauteuils,
30:03 et presque à quai avec une chambre.
30:05 Je peux tout de même, grâce à la caméra, me promener dans cet appartement,
30:08 me promener presque dans l'âme des artistes.
30:10 Tandis qu'au théâtre, quand nous sommes au 12e rang, au balcon,
30:14 cela m'est arrivé l'autre jour quand j'ai vu "Freak Fak",
30:17 les visages disparaissent, il reste très peu de choses.
30:21 Voilà où le cinématographe nous rend service, c'est qu'il permet l'indiscrétion totale.
30:26 - Jean Cocteau, le 27 avril 1950, c'était dans l'émission "Actualité",
30:30 du cinéma, il venait de sortir le film "Orphée".
30:34 Est-ce que vous êtes d'accord avec lui, Bertrand Mandicot,
30:36 pour dire que la caméra est indiscrète ?
30:39 - Complètement. De toute façon, je suis d'accord avec tout ce que peut dire Jean Cocteau sur le cinéma,
30:44 parce que c'est mon maître à penser.
30:47 Cocteau, justement, n'avait rien à faire de la technique,
30:52 et il réinventait le cinéma, les effets, avec sa poésie et sa naïveté.
30:58 C'est ce qui fait la force de ses films,
31:01 et c'est pour moi un maître à penser par rapport au cinéma.
31:06 Il a engendré aussi tout un tas de descendants de cinéastes...
31:12 - Dont vous ? - Dont je fais partie, vraiment.
31:14 On me parle souvent de Méliès, mais en réalité c'est Cocteau, plus que Méliès.
31:19 Il y a cette anecdote que j'adore, où Cocteau n'avait pas compris qu'un travelling,
31:23 c'était une caméra sur des rails qui avançait vers des acteurs,
31:26 et il pensait que c'était des acteurs sur des chariots qui venaient vers la caméra.
31:29 - Mais en même temps ! - Je trouve ça tellement beau et tellement logique !
31:34 La logique de Cocteau est quelque chose à laquelle je me réfère toujours pour me réinventer.
31:43 - Quand vous dites que Cocteau n'en avait rien à faire de la technique, c'est par exemple là-dessus ?
31:47 - C'est-à-dire sur le fait de penser qu'en fait c'est aux acteurs de bouger,
31:50 et que la caméra, en fait, on s'en fiche.
31:52 Ce qui compte c'est ce qu'on veut montrer.
31:54 Par exemple, dans le travelling, vous le disiez, que la caméra était posée,
31:58 et que c'était aux acteurs de bouger.
32:00 C'est là qu'il s'en fichait de la technique, que son souci premier n'était pas ça ?
32:04 - Non, c'est-à-dire qu'il y a plein d'effets dans ses films, au contraire,
32:08 c'est truffé d'effets, mais il ne se laisse pas étouffer par les techniciens
32:15 qui vont lui dire "c'est comme ça qu'on fait du cinéma et pas autrement".
32:18 Il va réinventer les trucages en disant "mais non, moi je pense que si on met un acteur sur un chariot,
32:24 ça sera beaucoup plus intéressant, et pourquoi pas le faire ?
32:27 Pourquoi être figé, s'imposer des règles alors qu'on est dans un art
32:33 qui doit se libérer de toutes les règles ?
32:35 - Et sur l'indiscrétion, pourquoi la caméra serait plus indiscrète que le théâtre ?
32:41 C'est très drôle son exemple de Frick-Frack, les visages sont loin, on ne voit pas en gros plan leurs sensations,
32:48 mais on pourrait se dire qu'on est dans l'instant présent au théâtre,
32:51 on voit quelqu'un qui respire de telle manière, qui se meut de telle manière,
32:55 pourquoi la caméra serait plus indiscrète qu'un autre médium artistique ?
32:59 - C'est le cadre qui fait toute la différence.
33:02 - Expliquez-nous pourquoi.
33:04 - C'est le champ et le hors-champ, c'est tout ce jeu du champ et du hors-champ
33:09 et le langage d'un cinéaste, c'est pour ça que moi je dois cadrer,
33:14 parce que c'est au moment où on filme, où là je porte mon regard indiscret ou pudique sur une situation
33:23 et c'est ce qui m'intéresse le plus, c'est savoir où je vais poser mon regard,
33:30 est-ce que je vais vouloir montrer ou ne pas montrer.
33:34 C'est le cœur du cinéma pour moi, le cadre.
33:39 - Et à quel moment vous le savez ? Est-ce que vous le savez en y réfléchissant
33:43 ou justement quand vous êtes sur le plateau avec la caméra sur l'épaule
33:46 et c'est là où vous vous dites sur le moment, c'est ça qu'il faut faire ?
33:50 - C'est quelque chose qui se réajuste tout le temps,
33:53 j'essaye de le prévoir au maximum en faisant un vague storyboard lisible
33:59 et puis après quand je suis sur le plateau, on répète avec les actrices
34:04 et pour ce film en particulier, je me suis évertué à découper le moins possible,
34:09 à faire des plans séquences, j'étais à la grue,
34:12 donc c'est-à-dire que je pouvais aussi m'élever au-dessus des actrices
34:14 et m'enrouler autour d'elles comme un serpent en quelque sorte
34:17 et c'est à ce moment-là, pendant qu'on répète sur le plateau avec la caméra,
34:22 où j'ajuste mon point de vue.
34:25 - Mais quand vous dites ça, on a l'impression que du coup, il faut énormément de temps pour faire tout ça,
34:29 pour répéter, pour essayer et ce temps, vous ne l'avez pas ?
34:32 - On ne l'a pas, de toute façon, on est en retard, dès qu'on commence, on a déjà...
34:35 On dit "la journée commence, on est déjà en retard",
34:38 non, il faut aller très vite, c'est des décisions qu'il faut prendre très rapidement
34:41 et c'est aussi ce qui m'intéresse parce qu'avec le parti pris du filmage comme ça en pellicule,
34:47 des plans séquences, je ne remets pas à deux mains mes décisions.
34:51 Trop souvent, on se couvre, on filme beaucoup de choses sur le plateau et on se dit "on verra au montage".
34:56 Non, là, c'est des décisions que je dois prendre très rapidement sur le plateau
34:59 et c'est ce qui m'excite aussi et puis c'est ce qui crée aussi une concentration extrême
35:04 pendant qu'on fait avec les techniciens, avec les actrices
35:07 et c'est de l'ordre de la performance quand on filme, ça c'est...
35:10 On retient notre souffle et pour moi, ça crée vraiment une magie,
35:15 une tension qui est perceptible quand on voit le film.
35:17 Vous dites qu'il y a eu beaucoup d'héritiers à Cocteau, mais en fait,
35:22 quand on regarde les films de Cocteau, quand on voit les vôtres, on voit un lien,
35:25 mais il y a peu d'autres films qui ressemblent à ce que vous faites ou qui ressemblent à ce que faisait Cocteau.
35:30 Est-ce que vous pensez qu'il a un petit peu oublié quand même
35:32 qu'on va privilégier un autre cinéma, beaucoup moins onirique,
35:35 beaucoup moins dans le travail des images, des effets, des trucages qui sont un peu différents ?
35:41 On a un petit peu un rapport banalisé à l'image ?
35:45 - Non, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup d'héritiers.
35:48 Alors après, ce n'est pas forcément que le trucage.
35:50 Le trucage, c'est un des ingrédients.
35:53 - Même dans les thèmes ?
35:55 - Il y avait un super bouquin de Philippe Azouri et Lalanne sur Cocteau
36:02 et ils avaient énuméré les héritiers de Cocteau.
36:06 Et c'est énorme en réalité.
36:10 Il y a David Lynch, il y a Truffaut.
36:15 - Mais Truffaut, il est mort !
36:17 - Ah oui, il est mort.
36:19 Vous voulez que je parle de lui ?
36:20 - L'héritier de aujourd'hui !
36:21 - Carax, par exemple, aussi, est un héritier de Cocteau.
36:24 Je ne vais pas vous énumérer tous les cinémas.
36:27 - Donc vous ne faites pas bande à part tant que ça ?
36:30 Vous n'êtes pas un électron complètement original dans cet héritage-là ?
36:36 Vous ne pensez pas que vous teniez une place particulière ?
36:39 - Je pense que je suis un iconoclaste, mais on est plusieurs iconoclastes.
36:44 - Merci beaucoup, Bertrand Mandicot.
36:46 On va découvrir justement que vous êtes un iconoclaste aujourd'hui sur les écrans
36:49 avec Conan qui sort au cinéma.
36:52 - Bertrand Mandicot, pour terminer, vous avez le choix entre deux chansons.
36:55 Choix cornelien, une chanson sur ce qui est barbare ou une chanson sur ce qui est sauvage.
36:59 Laquelle choisissez-vous ?
37:01 Barbare ou sauvage ?
37:03 - Alors ce qui est barbare, puisque c'est le thème du jour.
37:05 - Allons-y.
37:06 [Musique]
37:15 Les barbares habitaient dans les angles tranchants des cités exilées au large des places d'Aisnes.
37:20 [Musique]
37:24 Ils rivaient leurs blousons d'étranges firmements où le visaient la folie, la mort et la jeunesse.
37:29 [Musique]
37:33 La nuit bleue aux fourneaux mijotait ses dollars.
37:36 [Musique]
37:38 La fumée ruisselait sur nos casques rouillés.
37:40 [Musique]
37:42 Dans le vestiaire cradingue, sa minute volée.
37:45 [Musique]
37:47 A la fumée, au feu, au bruit, au désespoir.
37:50 [Musique]
37:52 Oh mon amour, emporte-moi.
37:54 [Musique]
37:56 - Bernard Lavillier, les barbares.
37:58 Un grand merci à vous, Bertrand Mandicot.
37:59 Et un grand merci à l'équipe des Midis de culture qui sont préparées par Aïssa Touendoy, Anne-Isis Baird, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
38:06 Réalisation Louise André, prise de son Anthony Thomasson.
38:10 Pour écouter cette émission, rendez-vous sur le site de culture de France Culture, à la page de l'émission et sur l'application Radio France.
38:16 Merci Nicolas, à demain.
38:17 - A demain Géraldine.