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Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:08 Place à la rencontre.
00:11 Aujourd'hui, notre invité est acteur, réalisateur et humoriste.
00:14 Il est aussi comédien de la comédie française,
00:17 comme on peut le lire sur les affiches et les génériques de films.
00:20 Depuis le 8 décembre et jusqu'au 24 avril, sur les planches de la salle Richelieu,
00:25 il interprète l'un des plus grands rôles du répertoire français, Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand.
00:31 Peut-être un des rôles les plus connus et donc les plus attendus pour un comédien.
00:35 Mais comment faire pour jouer son Cyrano quand chacun a son idée du personnage
00:39 et de ce classique du théâtre français ?
00:41 Bonjour Laurent Laffitte.
00:42 Bonjour.
00:43 Bienvenue dans les midis de culture.
00:44 Merci.
00:45 Est-ce que parfois vous rêvez de répliques de Cyrano ?
00:48 Oui, quand je m'endors, j'ai des répliques qui reviennent.
00:51 Lesquelles ?
00:52 Ça dépend, c'est une espèce de fouillis, de pot pourri de répliques.
00:56 Et comme je m'endors très tard en ce moment, parce que j'ai l'adrénaline qui met beaucoup de temps à redescendre,
01:01 donc oui, je baigne dans les verres de Rostand, mais il y a pire.
01:06 Mais ce n'est pas angoissant ?
01:07 Non, ça ne l'est plus.
01:08 Tant qu'on a passé les premières, ça ne l'est plus.
01:10 Ça l'était jusqu'à la première, oui.
01:12 En plus, moi, je suis un angoissé de la mémoire.
01:13 Et là, c'est quand même un rôle qui est assez énorme.
01:18 Donc, j'ai eu pas mal d'angoisse de mémoire.
01:20 Mais à partir du moment où on rationalise tout ça et que la première est passée, ça va.
01:25 Alors expliquez-moi comment on fait pour rationaliser tout ça ?
01:28 C'est-à-dire trois heures de scène, pratiquement, on en a une en tract.
01:34 Mais en gros, c'est ça.
01:35 Il est rationnel, on n'a pas d'autre choix que de le rationaliser.
01:38 Sinon, on reste chez soi.
01:39 Donc, oui, non.
01:41 Et puis, moi, c'est surtout je me rattache.
01:43 Il y a évidemment la peur que connaissent tous les acteurs.
01:49 Mais voilà, il y a le tract.
01:51 Mais il y a surtout le plaisir d'aborder un rôle pareil.
01:54 Donc, le rendez-vous est tellement puissant qu'il vous aide à affronter la peur.
02:02 Alors, voilà, justement, on y revient.
02:04 C'est un rôle extrêmement connu, extrêmement puissant.
02:08 On a tous un Cyrano de Bergerac en tête, notamment celui du film de Raphnau, celui de Gérard Depardieu.
02:15 Comment on fait pour aborder un tel rôle, sachant qu'en fait, il y a une attente sur
02:20 ce classique ? Parce que c'est un classique qui est populaire.
02:22 Oui, c'est vrai que les gens connaissent le rôle.
02:24 Tout le monde a effectivement une idée.
02:25 Tout le monde va penser à celui de Michel Villermoz, de Jacques Weber, de Depardieu
02:31 ou pour les plus anciens qui l'ont vu avec Jean-Pierre, la Comédie française.
02:35 Tout le monde a un peu sa vision.
02:39 Moi, je me mets au service de la vision d'un metteur en scène.
02:42 Et lui, déjà, en me confiant Cyrano de Bergerac, c'est aussi une manière d'orienter
02:50 sa vision du rôle et de la pièce.
02:53 Donc, après, je me mets à la disposition de sa vision.
02:56 Et c'est de la discussion et de la création assez collective, selon que le metteur en
03:01 scène vous autorise.
03:02 Elle va être plus ou moins interventionniste.
03:05 Mais là, en l'occurrence, avec Emmanuel Domas, c'est notre quatrième spectacle ensemble.
03:09 Donc, vous êtes interventionniste ?
03:11 Non, je ne suis pas interventionniste.
03:15 Il y a un côté un peu autoritaire.
03:16 Mais en tout cas, ça passe beaucoup.
03:18 En fait, on se comprend très bien.
03:22 On n'a pas besoin de tant se parler que ça avec Emmanuel.
03:24 On va tout de suite écouter un extrait de ce Cyrano de Bergerac.
03:29 Je ne me suis jamais entendu dedans.
03:31 C'est vrai ?
03:32 Oui, jamais.
03:33 C'est horrible.
03:34 Vous allez voir.
03:35 Pourquoi donc prendre un air dénigrant ?
03:36 Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand.
03:42 Je le trouve petit.
03:45 Tout petit.
03:48 Minuscule.
03:50 Hein ? Comment ? M'accuser d'un pareil ridicule ?
03:57 Petit ? Mon nez ? Oh là !
04:03 Enorme, mon nez !
04:06 Ville Camus, haut Camargue, tête plate !
04:09 Apprenez que je m'enorgueillis dans Paris à Paris,
04:11 tandis qu'un grand nez est proprement l'indice d'un homme affable, bon, courtois,
04:15 spirituel, libéral, courageux, tel que je suis,
04:19 et tel qu'il vous interdire jamais de vous croire,
04:21 déplorable, maraud, car la face sangloire que va chercher ma main en haut de votre col
04:26 est aussi pique que de fierté d'envol, étincelle, de pittoresque, de somptuosité,
04:32 d'un nez, enfin, que c'est le que va chercher ma botte en bas de votre dos.
04:36 Au secours, à la garde !
04:37 Avis donc au badeau !
04:39 Mais à la fin il nous ennuie.
04:41 Il fanfaronne.
04:42 Personne ne va donc lui répondre.
04:44 Personne ? Attendez, je vais lui lancer un de ses traits.
04:53 Vous, vous avez un nez, un nez très grand !
05:03 Et ben voilà, ça s'arrête vraiment...
05:06 Juste avant la tirade du nez.
05:08 Oui, la comédie française nous a...
05:11 C'est une manière de teaser le Cernenbergérac,
05:14 c'est un extrait de l'acte 1 scène 4,
05:17 donc justement la tirade ultra connue sur le nez.
05:20 Alors qu'est-ce que ça vous a fait de vous entendre ? Ça va ?
05:25 C'est pas très intéressant ce que je vais vous dire.
05:27 Je pense que mon avis sur moi-même n'est pas super intéressant.
05:30 Mais j'ai entendu un petit truc que je vais corriger.
05:32 Au début, je vous ai vu réagir, non ?
05:34 Oui, il y a un petit truc que je vais corriger.
05:36 Ben dites-nous !
05:38 Non, je n'aime pas pointer les...
05:39 Non, si vous ne l'avez pas vu, c'est bien.
05:41 Non, moi je ne l'ai pas vu.
05:42 C'est ma cuisine.
05:44 Vous avez dit, Laurent Laffitte, que c'était votre quatrième collaboration
05:49 avec Emmanuel Domas qui met en scène ce Cyrano de Bergerac.
05:54 Comment est-ce que vous décririez ce Cyrano de Bergerac ?
05:59 Ce que je trouve intéressant avec Emmanuel, c'est que sa vision,
06:04 toujours quand il monte un spectacle, c'est qu'il n'aime pas mettre en scène des figures.
06:09 Il n'aime pas mettre en scène une figure qui serait celle du héros romantique,
06:15 bagarreur et poète.
06:17 Il veut rentrer dans l'intime, dans l'enjeu concret des situations.
06:24 Alors, ça se sent sur Cyrano, qui est peut-être un peu moins...
06:30 Comment je dirais ?
06:32 "Male glaze" que d'habitude.
06:34 Il faut prendre des termes un peu du moment.
06:36 Et puis, ça se ressent aussi beaucoup, je trouve, dans l'approche de Roxane,
06:39 qui est souvent un personnage qui est réduit à la figure féminine, romantique,
06:43 l'enjeu sentimental de la pièce.
06:45 Et on oublie que c'est une manipulation atroce qui lui est imposée,
06:51 puisqu'on va lui faire croire qu'elle tombe amoureuse de Christian.
06:57 Elle tombe amoureuse de lui physiquement au départ,
06:59 mais on va lui faire croire que son esprit est le sien, alors que c'est celui de Cyrano.
07:04 Et ça, pour rester dans des termes archi-contemporains, c'est presque du viol par surprise.
07:10 Il y a un type sur Tinder, je crois, qui mettait des photos d'un mannequin,
07:14 et puis après, il organisait une sorte de scénario un peu sexuel,
07:17 où la jeune femme devait rester dans le noir.
07:19 Et il rentrait, il faisait l'amour, il ressortait.
07:22 Et c'était un type d'une soixantaine d'années plutôt bedonnant.
07:26 Bon, alors là, j'exagère.
07:28 - Oui, mais ça, ce sera un avatar contemporain de Cyrano.
07:32 - Alors, je ne pense pas, parce qu'il n'y a pas la dimension héroïque et poétique
07:35 dans la démarche de ce monsieur.
07:37 Mais en tout cas, ce que je veux dire, c'est pour appuyer sur la manipulation
07:41 et la tragédie que vit Roxane et qui est rarement traitée.
07:45 Et ce que j'aime dans l'acte V, sans griller ce que fait Jennifer Decker dans le rôle...
07:50 - Qui interprète Roxane.
07:51 - Qui interprète Roxane, c'est qu'il y a beaucoup de colère.
07:54 Pourquoi vous êtes-tu pendant 14 années ?
07:57 Elle dit tant de choses qui sont mortes, qui sont nées.
08:01 Et c'est vrai qu'on lui a enlevé 14 ans de sa vie.
08:04 On lui a menti. Elle est en deuil depuis 14 ans, en deuil d'un homme qui, en fait, n'existe pas,
08:09 qui est inventé avec le physique de Christian et l'âme de Cyrano.
08:13 Et cette prise de conscience, notamment à l'endroit du personnage de Roxane,
08:19 je le trouve très intéressant.
08:21 Et je trouve qu'il raconte très bien la manière dont Emmanuel s'est approprié l'œuvre.
08:28 Et sans la détourner, sans en faire une relecture,
08:32 va au bout des situations et de ce que ça implique.
08:36 - Vous dites que ce n'est pas complètement une relecture.
08:39 Vous voulez dire par là que ça ne tord pas le texte, les enjeux ?
08:42 - Non, ça ne tord pas les enjeux. Les enjeux sont là.
08:45 - Est-ce qu'on pourrait dire que c'est trop dans l'air du temps, justement ?
08:47 Parce que, comme vous le dites, il y a quelque chose qui est de l'ordre plus de l'intimité
08:52 et de l'ordre de la manipulation.
08:54 Et vous avez vous-même employé le terme de "male gaze" et convoqué une anecdote contemporaine.
08:58 - Je ne pense pas qu'on puisse être trop dans l'air du temps.
09:01 Je ne vois pas comment ça s'associe.
09:04 Non, je pense qu'on peut être trop dans le passé, trop dans l'air du temps.
09:07 - Trop passéiste, alors ?
09:08 - Oui, peut-être.
09:10 Mais en tout cas, je n'ai pas l'impression qu'on propose une relecture de la pièce.
09:13 Les enjeux imaginés par Rostand sont là.
09:17 L'esthétique est nouvelle.
09:18 Parce que c'est vrai que, esthétiquement, c'est dur à réinventer à chaque fois Cyrano.
09:22 Parce qu'on a cette envie, on est très imprégné par le film de Rapneau,
09:26 on a cette envie de caper des pets, du 17ème, du bois, des bougies.
09:32 On a envie de ça. Là, non, on n'est pas du tout là-dedans.
09:34 - Alors, on est dans quoi ?
09:35 - À la référence d'Emmanuel Domas, c'est plus Vincent Minnelli, Jacques Demy,
09:43 Douglas Fairbank.
09:46 Il y a beaucoup de couleurs.
09:48 Il y a une jeune scénographe anglaise, Chloé Lampford, qui a fait un décor magnifique,
09:53 qui va à fond dans le kitsch qu'il pouvait y avoir aussi au 17ème.
10:00 Le rose, c'était la couleur des hommes, par exemple, au 17ème.
10:05 Les rubans roses, les marquis, même les soldats.
10:10 Et puis, ça permet d'installer une esthétique qui est très chatoyante, très pastelle.
10:16 Et en même temps, d'un coup, l'acte IV, c'est la guerre.
10:19 Et là, on bascule dans quelque chose de beaucoup plus graphique, de plus métallique.
10:24 Et ça permet une évolution esthétique.
10:27 - C'est une rupture, clairement.
10:29 - Et dans l'acte V, le décor est quasiment métaphysique.
10:32 - Pour donner une idée aux auditeurs et aux auditrices, effectivement, c'est assez rose.
10:39 Et il y a un côté presque de fabrication.
10:42 C'est-à-dire que les régisseurs sont sur scène pour changer de décor.
10:49 Le dernier mur tombe, on voit l'arrière, on voit presque tout.
10:53 On voit les coulisses, véritablement.
10:55 Donc, il y a presque quelque chose de l'ordre de l'amour du théâtre tel qu'il se fabrique sous nos yeux.
11:00 - Oui, parce qu'il y a ça dans la pièce.
11:02 C'est une déclaration d'amour au théâtre.
11:04 C'est tous les artifices, tous les éléments, tous les mécanismes du théâtre
11:09 qui ont été manipulés avec génie par Rostand.
11:13 Ça parle beaucoup de théâtre.
11:15 Et puis, ça commence dans un théâtre.
11:17 La pièce commence dans un théâtre et il y a cette espèce d'exigence absolue
11:21 de recherche de perfection qu'a Cyrano en interdisant Montfleury, le comédien ringard, de se produire en scène.
11:28 Il vient pour interrompre ce que lui considère comme une interprétation désastreuse.
11:36 - Et on aimerait tellement faire ça parfois.
11:38 - Pas pendant Cyrano, j'espère.
11:40 - Non !
11:41 - Vous me prêtez à me prêter à vous.
11:43 - Un jour, il y aura un Cyrano qui va venir interrompre mon Cyrano.
11:46 - Il faudrait qu'il ait du panache.
11:48 - Il a le droit de le faire.
11:50 On est dans le théâtre dès le début.
11:54 - Et d'ailleurs, les comédiens arrivent parmi les spectateurs dès le début et entrent en scène à ce moment-là.
12:01 - Oui, absolument.
12:02 On rentre par le théâtre, ça démarre dans le théâtre.
12:04 Roxane est au premier balcon.
12:06 Moi, j'arrive aussi de la salle.
12:09 - Je ne dirai pas comment.
12:11 - Non, on va pas dire comment.
12:13 Et puis, c'est aussi l'idée un peu d'Emmanuel, parce que tous les rôles sont joués par des hommes, sauf Roxane.
12:19 C'est aussi l'idée un peu du théâtre aux armées.
12:21 Comme si on était déjà dans le siège d'Arras de l'acte IV et qu'il y avait cette bande de soldats affamés qui attendent,
12:27 qui fait le siège d'Arras pendant des jours et des semaines et qui décident peut-être, on peut imaginer ça,
12:32 de se faire une représentation de Cyrano.
12:34 - Mais ce qui est compliqué avec un classique comme Cyrano, c'est non seulement de le renouveler,
12:39 mais de tenir aussi ces deux enjeux que vous avez dit, à savoir en avoir quand même une approche à soi,
12:44 pas forcément une relecture, mais quand même, je vais insister plutôt sur le côté manipulation ou intimité des personnages,
12:50 et en même temps, ne pas oublier que c'est une déclaration d'amour au théâtre avant tout.
12:55 Et ces deux registres-là, ils sont presque parfois contradictoires.
12:59 Comment on peut faire une déclaration d'amour au théâtre en disant que c'est un art de la manipulation ?
13:04 - Après, il y a des choses dont on peut avoir conscience et ce n'est pas pour ça qu'elles vont modifier votre jeu.
13:10 Moi, je ne pense pas que Cyrano a une conscience de la manipulation.
13:14 Enfin, il sait quand même ce qu'il est en train de faire, mais il n'a pas la conscience qu'on en a nous quand on en parle aujourd'hui en 2020.
13:22 - Nous, on est dans l'analyse. - Voilà, on est dans l'analyse.
13:24 L'analyse n'aide pas toujours à jouer.
13:26 Je pense qu'elle se situe plutôt du côté du metteur en scène et par rapport à l'orientation dramaturgique qu'il va vouloir donner à une œuvre.
13:32 Mais dans le jeu, il ne faut pas être trop malin en fait, surtout sur des pièces comme ça où les enjeux sont très sentimentaux.
13:39 Je trouve qu'il y a un premier degré qui vous fait foncer tête baissée dans le sentiment et c'est bien.
13:43 Moi, j'essaie d'aborder, je peux parler de plein de zones d'ombre, de plein d'ambiguïtés autour de Cyrano et de la situation qui l'impose.
13:50 Mais ça ne va pas forcément me le faire jouer différemment. C'est ça que je veux dire.
13:56 - Mais ça, c'est intéressant. Ça veut dire que vous pourriez presque être bête pour jouer Cyrano.
14:02 - Oui, bien sûr. Oui, oui, tout à fait.
14:03 D'une façon, je pense que le jeu n'a rien à voir avec l'intelligence.
14:05 Au contraire, ce qui est important, c'est d'avoir une intelligence du jeu.
14:08 - Alors, quelle différence vous faites justement ? Ça veut dire quoi, avoir l'intelligence du jeu ?
14:12 Quand les comédiens disent ça, ça veut dire quoi ?
14:14 - L'intelligence du jeu, je pense que c'est un instinct, une aptitude qui fait que vous allez tout de suite à l'endroit juste d'une situation,
14:20 que vous allez tout de suite vers une vérité et qui, dramaturgiquement, est juste. Je pense que c'est ça, une intelligence.
14:27 - Mais comment on sait que c'est dramaturgiquement juste ?
14:29 - Déjà, il faut que ce soit dramaturgiquement juste par rapport à... Pardon, j'arrive pas à le dire tellement j'en suis incapable.
14:35 Il faut que ce soit dramaturgiquement juste par rapport à la vision du metteur en scène.
14:40 Tout ça, c'est un dialogue et c'est une création quand même assez collective.
14:44 Mais c'est quelque chose qui est... C'est un peu magique, quoi.
14:50 C'est une aptitude. On peut appeler ça du talent, peut-être l'intelligence du jeu, je sais pas.
14:55 - Mais vous, vous avez travaillé pour ça ?
14:57 - Alors, moi, j'ai pas l'impression qu'on travaille pour être acteur. Je pense pas qu'on puisse devenir acteur.
15:01 Je pense qu'en revanche, on apprend à travailler. C'est Périmoni, je crois, qui disait "on ne peut pas apprendre à devenir acteur, mais on peut apprendre à répéter".
15:09 - Vous avez appris à répéter des rôles comme ça ?
15:12 - J'ai appris à travailler dans l'enseignement que j'ai reçu et surtout en travaillant, principalement.
15:18 - Mais vous avez, si je vous suis bien, vous avez quand même une aptitude naturelle à saisir quelque chose d'une manière de jouer, d'être intelligent sur scène.
15:27 - Oui, je pense avoir un minimum d'aptitude à ce métier, sinon je l'aurais pas fait.
15:34 - Vous seriez peut-être pas à la Comédie française ?
15:36 - Peut-être, mais je serais ailleurs, chez moi.
15:39 Non, non, mais c'est... Bon, il y a... Oui, mais...
15:44 Il faut à un certain degré d'immodestie pour être acteur, sinon on se lance pas.
15:49 Mais on peut être modeste et humble.
15:51 - Vous êtes bon, quoi, c'est ça, vous êtes bon sur scène, dites-le.
15:53 - Non, non, c'est pas ce que je suis en train de dire.
15:55 Ce que je veux dire, c'est qu'il y a une part d'instinct dans le jeu, et qu'au contraire, c'est presque une marque d'humilité, même si je le dis, c'est que je ne le suis plus.
16:04 Mais c'est de dire qu'il n'y a pas besoin d'être intelligent pour être acteur.
16:07 C'est pas là que ça se passe, c'est pas si cérébral que ça.
16:10 - Mais j'ai quand même du mal à croire ce discours des comédiens qui disent "je suis au service d'un metteur en scène".
16:16 - Pourquoi vous avez du mal à croire ?
16:18 - Parce que vous avez appris à répéter, parce que vous avez une intelligence de la scène.
16:25 Le metteur en scène, il n'est pas tout le temps sur scène, il ne connaît pas l'endurance physique, il ne connaît pas la mémoire du texte.
16:31 Peut-être qu'il a été comédien aussi, mais vous n'êtes pas juste des marionnettes, c'est ça que je veux dire.
16:35 - Ah non, pas du tout, on n'est pas du tout des marionnettes, loin de là, non.
16:37 Mais ce que je veux dire, c'est que le metteur en scène, c'est lui qui va recruter son scénographe.
16:42 C'est lui qui va décider du décor, c'est lui qui va recruter son créateur ou sa créatrice de costumes.
16:47 C'est lui qui va créer l'esthétique de son spectacle, c'est lui qui vous choisit, c'est lui qui vous propose le rôle.
16:51 C'est un choix de metteur en scène.
16:55 C'est lui qui met en place toutes les composantes d'un spectacle.
16:59 Et vous, vous êtes un élément hyper proactif de cette conception, mais vous êtes un des éléments.
17:05 Moi, j'aime respecter ça, j'aime respecter la vision d'un metteur en scène et me mettre à son service.
17:10 - Et ne pas vouloir prendre sa place.
17:11 - Surtout pas. On peut être d'accord sur certaines choses, être en désaccord sur d'autres.
17:15 Mais en tout cas, ma réflexion, elle est tout le temps de me mettre au service de sa vision.
17:23 - D'autant plus que vous n'êtes pas seul sur scène et qu'il a aussi choisi l'alchimie entre vous,
17:27 les autres comédiens et comédiennes qui sont sur scène.
17:30 Et vous parlez de cette intelligence du jeu, elle se joue à plusieurs, cette intelligence du jeu.
17:34 - Bien sûr, il faut tout chercher ensemble.
17:36 D'ailleurs, les acteurs qui cherchent tout seul dans leur coin, qui s'imaginent le parcours de leur personnage
17:41 en espérant que les partenaires autour font des choses qui soutiennent ça.
17:46 Ce n'est pas très amusant. Ce qui est agréable, c'est de chercher ensemble,
17:49 de se laisser surprendre par ce que va proposer l'autre.
17:52 Et du coup, d'aller dans une direction différente. Ça, c'est génial.
17:55 - Parce qu'il y a presque une musicalité aussi dans cette pièce.
17:58 C'est-à-dire, il y a des répliques, ça se répond en permanence. C'est très intense.
18:02 - Oui, oui, oui. Le verbe est là tout le temps.
18:05 Et puis, la langue est sublime. La langue vous porte.
18:09 La langue même, elle déclenche des émotions.
18:11 Parfois, la langue déclenche autant d'émotions que la situation elle-même.
18:15 La manière dont la situation est verbalisée provoque l'émotion.
18:20 - Et notamment dans cette scène fameuse du balcon, où Cyrano dit lui-même, prend la place.
18:27 Pour ceux, je rappelle quand même l'intrigue.
18:29 Cyrano prête son verbe à Christian, dont est amoureux Roxane, sa cousine, et dont Cyrano lui-même est amoureux.
18:37 Il lui prête son verbe, mais il lui prête en fait sa voix dans la nuit et lui déclame tout son amour.
18:43 Et sur scène, on a une Roxane en plein orgasme langagier.
18:48 - Complètement. Elle est complètement sapieux.
18:51 Elle est archi-sapieux.
18:55 Oui, oui. C'est ça qui l'a fait vibrer.
19:01 C'est pour ça qu'elle est un peu dans une impasse au début.
19:04 Au départ, quand elle dit à Cyrano qu'elle est tombée amoureuse d'un garçon qui s'appelle Christian de Neuvillette,
19:11 elle dit qu'elle ne lui a jamais parlé, qu'elle ne l'a croisé qu'au théâtre,
19:14 mais qu'elle est tombée follement amoureuse de lui.
19:16 Donc elle est tombée amoureuse d'un physique.
19:18 - D'une image.
19:19 - D'une image. Ce qui est contraire à elle, son amour du langage, de l'esprit, des lettres.
19:24 C'est une précieuse, Roxane. Il ne faut pas oublier que c'est une précieuse à la base.
19:28 Donc elle tient salon, elle fait salon littéraire.
19:31 D'ailleurs, dans l'acte 4, quand elle décide de rester pour se battre,
19:34 Cyrano lui dit "et quoi, la précieuse était une héroïne ?"
19:37 Elle lui répond "Cyrano, je suis votre cousine."
19:40 Mais à la base, c'est une précieuse.
19:44 Et oui, c'est ça qui provoque le désir.
19:50 Parce que c'est aussi une pièce, il y a quand même de l'évitement charnel tout le temps.
19:56 - C'est une pièce sur les mots et pas sur les actes.
19:59 - Complètement. Et là, il fallait que le désir, c'était l'envie de Jennifer Decker,
20:07 qui rencontrait aussi celle d'Emmanuel Damas, pour vous dire à quel degré ça se fait à plusieurs,
20:14 et que les intelligences de jeu et de dramaturgie se rejoignent.
20:18 Il fallait que ça provoque du désir.
20:22 Et puis c'est aussi le moment où il parle du baiser.
20:25 C'est aussi le moment où Cyrano dit dans la scène du balcon,
20:28 c'est pas Roméo et Juliette, c'est une déclaration d'amour en bas d'un balcon,
20:32 c'est laissant le verbe, au bout d'un moment on n'en peut plus de verbe,
20:36 "je le hais dans l'amour c'est un crime" lorsqu'on aime de trop prolonger cet escrime.
20:40 Au bout d'un moment, il en a marre du jeu, il en a marre des mots,
20:44 et dit "maintenant on va parler".
20:46 Et d'un coup, restant à ce génie de casser l'Alexandra,
20:50 il dit "les mots je vais vous les jeter en touffe sans les mettre en bouquet,
20:53 je vous aime, j'étouffe, je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop."
20:57 Des petites phrases toutes courtes qui cassent l'Alexandra,
20:59 parce que d'un coup, Cyrano a décidé que c'était fini la poésie.
21:02 Maintenant on passe au désir, maintenant on passe à ce qui vient après.
21:07 Ça suffit maintenant l'esprit.
21:09 Oui mais ce qui est intéressant c'est que ne vient jamais l'acte.
21:11 Jamais.
21:12 Il ne peut pas y avoir l'acte puisqu'il y a mensonge, il y a manipulation.
21:15 Parce que l'acte, il vient puisque c'est Christian qui embrasse Roxane.
21:20 Donc la concrétisation physique, à savoir ce premier baiser,
21:24 de tout ce que l'esprit de Cyrano a mis en place, cette concrétisation, elle arrive.
21:28 Mais elle est impossible pour Cyrano, il est piégé dans sa propre manipulation.
21:32 Tout le monde est piégé dans cette pièce.
21:33 Christian est piégé, Roxane est piégé, Cyrano aussi.
21:35 Mais plus que jamais, est-ce que vous pensez que dans cette mise en scène,
21:38 on comprend justement la dimension sexuelle du discours,
21:42 mais peut-être aussi l'idée que l'amour c'est plus du discours que de l'acte ?
21:46 Ça dépend des gens.
21:48 Vous livrez sur vous-même ?
21:50 Non, mais oui, en tout cas, pour moi, c'est ce que...
21:54 C'est un fragment d'un discours amoureux de Barthes, c'est ça ?
21:56 Oui, c'est ça.
21:57 On se construit une histoire d'amour, on fait une fiction et ça n'arrivera jamais en vrai ?
22:01 Ça peut être ça aussi, la cristallisation chez Stendhal.
22:04 Oui, il y a de ça.
22:07 On n'est pas si dépossédé que ça dans le sentiment amoureux.
22:11 Il y a aussi beaucoup de volonté, malgré ce qu'on peut croire.
22:14 Vous voulez dire de la construction volontaire d'un récit ?
22:17 Bien sûr, déjà l'envie d'être amoureux.
22:21 Vous pensez que c'est volontaire ?
22:23 Je pense qu'il y a des périodes de sa vie où on n'est pas du tout disponible au sentiment,
22:26 et d'autres où on l'est peut-être un peu trop et on a tendance à s'inventer des histoires,
22:30 ou à se laisser bouleverser, parce que quand on est bouleversé, on se sent vivant.
22:33 Donc à se laisser bouleverser parce qu'il n'est finalement qu'une illusion.
22:37 12h-13h30, les midis de culture.
22:41 Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
22:46 12h30, le jour de la fin du film.
22:51 Bataille !
22:53 Bataille !
23:02 Bataille !
23:04 Bataille !
23:15 Bataille !
23:26 Bataille !
23:28 Sueur froide, Ditchcock, Vertigo.
23:46 Heureusement c'est votre film préféré, on ne s'est pas trompé.
23:49 C'est vrai, c'est mon film préféré.
23:52 Qu'est-ce qui vous plaît dans ce film ?
23:56 Il y a plein de choses.
23:58 Déjà, il y a James Stewart et Kim Novak.
24:00 C'est pas rien.
24:02 Et puis l'histoire que je trouve magnifique, la réalisation d'Hitchcock, la musique de Bernard Herrmann.
24:07 Mais vous dites que cette musique-là, ce n'est pas le moment...
24:09 Là, c'est une musique un peu plus illustrative.
24:11 J'adore le thème, les thèmes que Herrmann a composés.
24:15 Oui, le thème d'entre les morts.
24:21 La dimension un peu morbide de cette histoire qui se crée autour d'un mensonge.
24:28 James Stewart est totalement manipulé dans ce film.
24:34 Il y a des doubles.
24:35 Oui, on le fait suivre une femme qui n'est pas celle qu'il croit et il va essayer de la recréer.
24:39 Je n'avais pas fait le lien avec Cyrano, mais c'est vrai qu'il y a...
24:44 Nous non plus !
24:45 Oui, vous voyez, il se fait maintenant.
24:47 Et puis il y a un côté fétichiste aussi.
24:51 Et de l'inventivité purement technique.
24:53 Le travelling compensé dans l'escalier, qui pour l'époque était une prouesse technique de dingue.
24:58 Puisque les caméras faisaient 400 kilos.
25:00 Ils ont reconstruit un escalier à l'horizontale pour pouvoir faire un travelling compensé.
25:04 Comme ça, ils ont créé ces sensations de vertige.
25:06 Il y a plein de niveaux dans ce film qui me passionnent.
25:08 Et le technique color.
25:10 Mais vous êtes de manière générale plutôt passionné par ce cinéma-là.
25:14 Dans vos goûts des années 50, 60.
25:17 Plus que par des choses plus contemporaines ?
25:19 Ah non, pas du tout.
25:20 Non, non, c'est des émotions fondatrices, on va dire.
25:23 Et qui m'ont donné envie de comprendre le cinéma.
25:25 Mais est-ce que ça vous a donné envie d'en faire ?
25:27 Oui, bien sûr.
25:28 Moi, c'est grâce à Hitchcock que je lis les entretiens Hitchcock-Truffaut.
25:31 Et que je découvre Truffaut, en fait.
25:33 C'est souvent par la culture plus populaire, plus entertainment,
25:39 que je vais découvrir des choses un petit peu plus pointues.
25:43 Voilà.
25:44 Même si ça m'a toujours étonné que Truffaut soit admiratif de Hitchcock.
25:49 Parce que je trouve leur cinéma tellement différent.
25:52 Mais c'est ça qui est intéressant.
25:54 Laurent Laffitte, on vous connaît beaucoup comme acteur.
25:57 Dans des grands films, des comédies populaires.
26:00 "Maman ou Papa"
26:02 "Papa ou Maman"
26:03 "Papa ou Maman", pardon.
26:04 J'aime beaucoup, mais je me trompe dans le titre.
26:06 Il y a elle aussi de Verhoeven.
26:08 Elle enregistre beaucoup plus des dramatiques.
26:10 C'est pas le même perso.
26:12 C'est pas de la comédie populaire.
26:14 Il y a eu "Tapis" aussi sur Netflix.
26:17 Et puis, il y a la comédie française depuis 2012.
26:21 Vous faites les deux en même temps.
26:22 Pour vous, est-ce que c'est vraiment deux métiers complètement différents ?
26:25 Deux manières d'approcher des publics différents ?
26:27 Deux registres différents ?
26:28 Deux manières de jeu différentes ?
26:30 Pour moi, c'est des manières de jeu forcément différentes.
26:37 C'est marrant parce qu'on pose moins la question aux chanteurs qui font du studio et de la scène.
26:42 Parce que c'est le prolongement.
26:44 Oui, mais pour moi c'est un...
26:45 Ils font le même album.
26:46 Ils présentent la même oeuvre.
26:48 Mais pour moi, dans le vécu de mon métier, c'est pareil.
26:51 Si je faisais que du cinéma, j'aurais la même frustration qu'un chanteur qui ferait que du studio.
26:55 J'ai besoin d'aller au contact du public.
26:59 D'avoir des réactions en live.
27:01 Et puis, quand je pose le pied sur scène,
27:04 là, la scène, c'est le royaume de l'acteur.
27:07 Même si on a répété pendant des mois,
27:09 sous la direction d'un metteur en scène,
27:10 à partir du moment où le rideau se lève, c'est l'acteur.
27:12 Et c'est l'acteur dans un parcours qui sera ininterrompu,
27:15 qui sera dans l'ordre.
27:17 Et ça, c'est des envols qui sont enivrants quand on est acteur.
27:24 Et puis, il y a la langue, il y a la littérature.
27:26 Au cinéma, il y a de très belles écritures.
27:28 Mais au théâtre, il y a la littérature.
27:31 - Pourquoi c'est aussi différent que ça de jouer...
27:34 Le rapport à la littérature.
27:36 Parce que c'est vrai, il y a des scènes de cinéma qui sont magnifiques.
27:39 Pourquoi ça ne se joue pas que dans les mots, à ce moment-là ?
27:42 - Parce qu'il n'y a pas besoin, au cinéma.
27:44 C'est ça qui est extraordinaire.
27:45 C'est que la caméra, elle capte la pensée.
27:47 Donc, ce qui est passionnant au cinéma, c'est la rétention.
27:51 Et ce que j'adore, moi, au théâtre, au contraire, c'est l'ouverture.
27:54 C'est la projection, mais en restant dans quelque chose
27:57 qui ne soit pas déclamatoire.
27:59 Et c'est ça qui est le plus intéressant.
28:01 C'est de trouver l'équilibre entre la sincérité, le concret,
28:06 le "naturel", entre guillemets, si ça ne veut rien dire,
28:09 sans tomber dans un naturalisme qui ne passerait pas les deux premiers fauteuils.
28:13 Cet équilibre-là, je le trouve aussi passionnant.
28:16 - Vous avez l'impression d'être plus maître du jeu sur scène,
28:19 que ce soit en termes de liberté, mais aussi de vertige.
28:22 Parce que, comme vous l'avez dit, quand ça débute,
28:24 ça ne s'arrête qu'au dernier mot de la pièce.
28:26 Au cinéma, on peut s'arrêter pendant le tournage.
28:29 - Oui, bien sûr. Après, pendant la prise, l'acteur est aux commandes.
28:33 Mais en même temps, maître du jeu, je ne sais pas,
28:36 parce que ça donnerait une position de pouvoir sur l'ensemble.
28:39 Vous voyez ce que je veux dire ?
28:41 Je ne me sens pas maître du jeu, je me sens au cœur du jeu.
28:44 Je me sens au cœur du processus,
28:47 pendant le spectacle ou pendant une prise.
28:50 - Et sur la répétition sur scène, par exemple,
28:52 ça veut aussi dire qu'en fonction des réactions du public
28:55 que vous parliez le lendemain, vous allez jouer autrement,
28:58 réagir à un autre endroit aussi.
29:00 C'est ça aussi qui vous tient ?
29:02 - Oui, ça peut, oui, en fonction d'une réaction à laquelle je ne m'attendais pas.
29:05 Ça peut m'interroger sur la même journée.
29:06 - Genre un rire au mauvais moment ?
29:07 - Oui, qui reviendrait plusieurs soirs.
29:09 Je pourrais me dire, tiens, c'est marrant, pourquoi irais-je à ce moment-là ?
29:12 Qu'est-ce qu'on en fait ? C'est peut-être bien.
29:14 Mais oui, c'est sûr que ça évolue.
29:17 - Vous avez aussi touché à la réalisation avec l'origine du monde.
29:21 Qu'est-ce que ça a apporté de plus, ça aussi ?
29:24 - Ça a été quelque chose d'une aventure complète.
29:29 De ne pas être juste un des éléments d'une création,
29:32 mais de vraiment l'englober du début à la fin.
29:36 - Là, pour le coup, c'est vous le metteur en scène ?
29:39 - Oui, là, pour le coup, c'est moi.
29:40 - C'est vous qui décidez les intentions, le décor, la mise en scène ?
29:43 - Oui, là, surtout en France, où vraiment le metteur en scène,
29:45 le réalisateur est consulté surtout.
29:47 - Tout puissant.
29:48 - Ça, c'est très, très enivrant.
29:50 J'ai retrouvé le plaisir que j'imaginais enfant en devenant acteur.
29:56 Je l'ai trouvé en réalisateur.
29:58 Ce sentiment vraiment de maître du jeu et d'aventure
30:05 que je projetais sur les acteurs quand j'étais enfant,
30:08 je me rends compte que c'est plus en tant que réalisateur que je l'ai retrouvé.
30:12 - Est-ce que vous comprenez ces différences qui ont beaucoup lieu en France,
30:16 justement sur des différences d'étiquettes ?
30:18 Le théâtre serait, en plus c'est la comédie française,
30:21 donc ce n'est pas n'importe quel type de théâtre,
30:23 serait plutôt pour un public lettré.
30:25 Les comédies que vous faites, papa, maman,
30:29 seraient plutôt pour le grand public et du coup populaire.
30:33 Et réalisateur, là, on dirait que vous allez atteindre le graal
30:37 de votre carrière dans le cinéma, alors que bon, acteur, c'était bien,
30:41 mais il fallait faire plus.
30:43 - Oui, je ne sais pas.
30:44 Après ça, c'est des vues aériennes.
30:46 J'essaie d'avancer dans la forêt, arbre par arbre.
30:49 - Mais qu'est-ce qui vous guide là-dedans ?
30:51 - Le désir.
30:53 Vraiment, mon radar, c'est ça, c'est le plaisir
30:56 et ne pas avoir le sentiment de me répéter, vivre des choses nouvelles.
31:00 Je m'ennuie très vite, c'est un défaut, mais j'ai toujours besoin.
31:04 Et puis en tant que spectateur, j'ai des désirs qui évoluent beaucoup aussi.
31:09 Je suis très curieux.
31:10 - Vous auriez voulu voir "Tapis", par exemple, sur Netflix.
31:14 C'est pour ça que ça vous a donné envie de le faire ?
31:16 - Oui, "Tapis", c'est vrai.
31:17 En plus, je suis à la base du projet.
31:19 C'est un projet que j'ai initié parce que je trouvais que son histoire
31:22 était intéressante à raconter d'un point de vue social, sociologique.
31:27 Ça racontait la France et que c'était un personnage théâtral en plus,
31:31 qui passait beaucoup par le verbe, par l'ultra-virilité,
31:37 par plein de choses qui m'intéressent.
31:39 J'ai initié ce projet avec Tristan Seguela parce que ça m'intéresse.
31:47 J'essaie d'aller vers des choses qui me...
31:50 - En fait, votre idée, c'est d'éviter l'ennui.
31:53 - Oui, parce que si je m'ennuie, je pense que je vais ennuyer
31:56 les gens à qui je propose mon travail.
31:57 - Non, mais vous pourriez aussi continuer dans un style.
32:00 Vous dire "moi, je creuse mon sillon".
32:02 - Mon style, oui, mon style est quand même limité à qui je suis.
32:06 Je suis toujours limité par qui je suis.
32:08 - Et vous pensez justement que vous avez une image qui empêche
32:10 certains rôles, qui vous empêche une forme de mobilité ?
32:13 - Sûrement, comme tous les acteurs.
32:14 Je pense qu'on est tous...
32:15 De toute façon, on est tous...
32:16 C'est un peu bateau, mais on est tous limités par le désir
32:19 qu'on provoque chez les autres.
32:21 Donc, on est tous limités par des choses.
32:24 Moi, en tant que spectateur, je n'ai vraiment pas de chapelle.
32:26 Et quand quelque chose m'intéresse, que je découvre,
32:28 même si c'est à 50 ans, j'ai envie de l'explorer
32:30 et j'ai envie de réorienter les choses.
32:33 - J'ai eu la chance de jouer un premier rôle dans "Croque-Monsieur"
32:37 où le public est venu d'instinct, passer une soirée avec moi,
32:42 de gaieté et d'insouciance.
32:45 - De détente.
32:46 - Et de détente.
32:48 Là-dessus, m'ayant fait confiance comme ça,
32:51 je peux difficilement dire au public
32:53 "écoutez, bon, moi je vous ai fait ça, je vous ai fait une faveur,
32:55 maintenant écoutez-moi sérieusement, on plaisantait jusqu'à maintenant".
32:59 Non, je ne peux pas faire ça.
33:00 J'ai donc enchaîné sur la facture de Françoise Dorin
33:04 qui était de la même veine.
33:06 Ce public est revenu doublé d'autres publics,
33:10 enfin si vous voulez, ça s'est précisé.
33:12 Et je me pose la question souvent,
33:14 si je dois faire quelque chose en dehors des salles qui nous occupent,
33:19 comme le Palais Royal ou les Bouffes Parisiennes
33:21 qui ont quand même une étiquette, eux aussi,
33:23 je crois que je devrais le faire dans des théâtres d'expérience,
33:27 des jours de relâche ou des séries limitées
33:32 où je pourrais me faire voir à moi que je peux
33:35 et viendra qui voudra.
33:37 Mais non pas imposer à ce que j'appelle mon public maintenant
33:41 des choses où il n'y trouvera pas son compte.
33:44 Jacqueline Maillant sur l'ORTF, c'était le 3 juin 1971
33:49 dans une émission qui s'appelait "Images et visages du théâtre d'aujourd'hui".
33:54 Jacqueline Maillant, vous l'aimez aussi beaucoup.
33:56 Oui, énormément.
33:57 Laurent Laffitte.
33:58 Et alors là, pour le coup, c'est vraiment une figure populaire
34:00 et elle le dit très clairement.
34:01 "Je suis allée vers ça et en fait j'ai eu un public".
34:03 Et elle dit modestement "mon public", c'est celui-ci en fait.
34:07 Oui, elle peut parce que je pense qu'elle a magnifié les pièces qu'elle a jouées
34:13 qui n'étaient pas toujours, d'un point de vue littéraire en tout cas, de grande qualité.
34:18 Et elle, elle avait un tel tempérament comique,
34:20 un tel sens du rythme, de la rupture, une nature tellement dingue.
34:24 Elle n'est pas beaucoup reconnue.
34:26 C'est-à-dire que c'est une figure populaire,
34:28 mais qui paradoxalement, en fait, ne va pas être...
34:31 Oui, mais ça, c'est la comédie.
34:33 Quand on fait de la comédie, il faut accepter l'idée qu'on ne sera jamais un héros.
34:37 Et moi, c'est ça que j'aime bien et qui me touche beaucoup
34:40 chez les gens qui font de la comédie.
34:43 C'est cette espèce de...
34:45 Il y a une dimension un petit peu sacrificielle
34:48 dans le choix d'aller au bout de sa nature comique.
34:52 Et je trouve ça touchant, surtout avec Mayan,
34:57 qui a fait le conservatoire quand même.
34:58 Mais en même temps, c'est une femme qui a eu tellement l'intelligence
35:01 d'accepter sa nature d'actrice et d'aller là où elle allait être efficace
35:06 et heureuse.
35:08 Je pense qu'elle a une carrière qui l'a rendue heureuse.
35:10 Et quand elle s'en écarte un peu,
35:12 quand elle fait "Retour au désert" de Coltès avec Chérault,
35:15 là, c'est une surprise pour tout le monde.
35:17 Il dit "Tiens, Chérault, Mayan".
35:19 D'ailleurs, je crois que Chérault, au départ, ne voulait pas trop.
35:21 C'est Coltès qui avait eu cette idée.
35:23 Et Coltès emmène Chérault voir Mayan.
35:27 Je crois qu'elle jouait Lily et Lily à l'époque.
35:29 Enfin, il l'emmène voir.
35:31 - Une comédie de boulevard ?
35:32 - Moi, j'aurais voulu être dans la salle.
35:34 J'aurais voulu regarder Chérault.
35:35 - Le spectacle, c'était Chérault ?
35:36 - Oui, oui, c'était Chérault regardant Mayan dans une pièce de boulevard.
35:40 Mais j'adore cette rencontre et cette espèce d'envie de Mayan d'aller ailleurs,
35:48 de se déplacer, de se refragiliser.
35:52 - Et ça marchait bien ?
35:54 - Je crois que ça n'a pas été très bien accueilli.
35:57 Je crois que ça a été compliqué comme collaboration.
35:59 Mais je trouve que ça raconte bien les moments où un acteur, une actrice a envie de se déplacer,
36:07 d'aller sur un endroit un peu plus...
36:09 - Et vous, vous y arrivez à ça, justement ?
36:11 Quand on vous voit dans une comédie ou quand on vous voit à la Comédie française,
36:15 en fait, on n'est plus étonné, maintenant.
36:17 - Oui, j'essaye.
36:19 C'est vrai que j'ai cette chance-là de pouvoir passer d'un univers très différent.
36:25 Mais parce que j'admire autant Gérard Dessart dans l'Hamlet de Chérault, justement,
36:29 pour parler de lui, que Jacqueline Mayan dans Croque-Monsieur.
36:33 - Et c'est un risque à chaque fois ?
36:35 - Je ne sais pas. Moi, je pense que c'est une chance, un privilège, un risque. Je ne sais pas.
36:40 - On va se finir. On va arrêter, si on peut dire, sur ce. Je ne sais pas.
36:46 - Merci Laurent Laffitte. On peut donc vous voir en Cyrano de Bergerac à la Comédie française,
36:50 mis en scène par Emmanuel Domas. C'est jusqu'au 24 avril 2024 dans la salle Richelieu.
36:55 Il y a aussi Laurent Stoker, Nicolas Lormeau, Jennifer Decker, Anne-Roxane, on en a parlé.
36:59 Je précise qu'il y a des places qui sont disponibles là, sur le site.
37:03 - Oui, sur le site internet, c'est complet.
37:05 Tous les soirs, ce qu'on appelle au petit bureau, à partir de 19h, il y a plus de 50 places
37:09 qui sont mises à la vente.
37:11 Et le lundi soir, quand on joue le lundi, il y a 80 places gratuites pour le moins de 28 ans.
37:16 - Donc, allez-y.
37:18 - On va terminer Laurent Laffitte avec une chanson, soit sur Molière, soit une chanson sur Cyrano
37:23 que nous avons choisie. Laquelle voulez-vous écouter ? Molière ou Cyrano ?
37:27 - Une chanson sur... Ah ben non, sur Cyrano, ça m'intéresse. Enfin, Molière aussi, mais...
37:31 [Molière, Molière, Molière]
37:33 Pour pouvoir arriver à ce state hyper-trophique, j'y attendrais pas !
37:36 J'aimerais préparer un surmand después d'aider les Townstalks à l'amputer.
37:38 Il paraît à moi une 많이 utile réapparution.
37:41 Selon le commencent, on met ça à l'air, puis on lelace sur un verre.
37:45 Ou comme vous pouvez l'avouer,
37:48 à partir de son taille et Lean, je suppose qu'il適çoit des roues, des plages, un cat...
37:51 Han, non, une pé-ni-sula !
37:54 Ou également de nettoyer elle sera probablement un grand enjeu.
37:58 Je suppose que, une fois par an, vous avez un chibri-sweet qui va chantant et qui confie son équipe.
38:03 Up Cyrano, Cyrano, Cyrano, Cyrano, ta-da !
38:08 Pas tout le monde, je dois confier, est approprié ou non, est génieux !
38:12 Non, non, je joue comme ça sur un extrait...
38:15 Donc c'est Michael Chee, Lewis Cyrano, nos sangs, c'est la tirade du nez,
38:18 celle qu'on n'a pas pu entendre dans votre bouche.
38:21 Un grand merci à vous Laurent Laffitte, un grand merci à l'équipe des Midi de Culture
38:24 qui sont préparés par Aïssa Touendoy, Apolline Limosino, Cyril Marchand, Zora Vignier,
38:28 Théa Corlaire, Manon Delassalle, réalisation Nicolas Berger, prise de son Grégory Wallon.
38:33 Pour réécouter cette émission, rendez-vous sur le site de France Culture ou sur l'application Radio France.
38:38 Merci Nicolas, à demain !