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Annonces de Gabriel Attal sur le niveau scolaire des élèves, rapport Pisa : RTL reçoit Michel Desmurget, docteur en neurosciences, auteur de Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital".
Regardez L'invité de RTL du 05 décembre 2023 avec Amandine Bégot.

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00:02 RTL Matin
00:05 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin le docteur en neurosciences Michel Desmurgès.
00:11 Docteur en neurosciences, directeur de recherche Aline Serre, mais on se souvient de votre livre qui avait eu beaucoup de succès "La fabrique du crétin digital"
00:17 et bien vous publiez cette fois "Faites les lire" pour en finir justement avec le crétin digital, c'est aux éditions du Seuil.
00:24 Je le disais, on va beaucoup parler du niveau scolaire de nos enfants toute la journée.
00:28 On a aussi la publication du rapport PISA, ce rapport des pays de l'OCDE sur le niveau des enfants, ça c'est ce matin à 11h.
00:34 Et puis cet après-midi les annonces de Gabriel Attal. Pour vous Michel Desmurgès, la clé c'est la lecture.
00:39 Oui, l'une des clés fondamentales c'est la lecture, c'est-à-dire qu'il y a un lien très très fort entre la réussite scolaire et les capacités
00:45 en lecture des enfants. Il n'y a pas d'activité ou de compétence qui prédise la réussite scolaire
00:50 aussi bien que les compétences en lecture des enfants. C'est-à-dire que la lecture, pardon, elle nous sert,
00:55 on comprend qu'elle serve en français, en histoire, en philosophie, mais elle est aussi fondamentale
01:00 pour la compréhension, la réussite en mathématiques. Il y a une très forte corrélation entre la lecture et l'ensemble des matières scolaires.
01:05 Vous avez épluché la littérature scientifique dans tous les sens et vous écrivez "je n'ai pas trouvé meilleur antidote à l'abêtissement des esprits".
01:12 Le problème aujourd'hui, et on le dit
01:15 régulièrement, c'est que nos enfants lisent de moins en moins.
01:17 Oui, il y a un clair effondrement du temps passé à lire, c'est-à-dire qu'on était
01:22 à 35%. Le mot est horrible, je ne sais pas qui a inventé ce mot, mais de "gros lecteur". En fait, ce qu'il faut comprendre, c'est
01:27 qu'un gros lecteur, c'est quelqu'un qui lit une vingtaine de livres par an, c'est 20 à 30 minutes par jour. Donc, c'est quand même pas non plus
01:32 quelque chose de terrible. - C'est pas énorme ? - Non, des 20 à 30 minutes, les bénéfices sont
01:37 colossaux. On était à 35% il y a une cinquantaine d'années, on est maintenant à peu près
01:42 10% de gros lecteurs. Donc, il y a un effondrement. Et cet effondrement, dans la mesure où les capacités en lecture, elles dépendent
01:49 énormément du volume et du temps qu'on passe à lire, il y a aussi un effondrement qui est très très clair pour le coup des
01:55 compétences en lecture des enfants, avec des impacts majeurs sur le récit scolaire, oui. - Et tout ça, c'est à cause des écrans ?
02:00 - Une partie, c'est à cause des écrans. Une bonne partie, c'est à cause des écrans.
02:04 Parce que la relation est très claire entre, au niveau de la collectivité, la relation est très claire entre la pénétration des écrans. Plus les écrans,
02:11 ça a commencé avec la télévision, puis les jeux vidéo, puis maintenant les outils mobiles.
02:15 Donc, plus la pénétration des écrans a été importante et plus le temps passé à lire a diminué,
02:20 plus les enfants passent de temps sur les écrans et moins ils passent de temps à lire. C'est des études qui sont
02:24 extrêmement claires. Les journées, elles sont finies, notamment chez les jeunes enfants.
02:30 Voilà, on dit chez les très jeunes enfants, prendre une heure, c'est pas beaucoup, mais ça dort beaucoup un enfant. Donc, si vous prenez en plus
02:35 une heure sur le temps de veille et sur le temps disponible, c'est vite colossal. - Vous donnez quelques chiffres
02:40 terrifiants, Michel Desmurgés. Chaque année, les écrans
02:44 dévorent 112 jours de la vie d'un gamin de quatrième. 112 jours, ça veut dire 3,7 mois, presque
02:50 2690 heures, l'équivalent de trois années scolaires. La lecture, elle, n'occupe que l'équivalent de 0,2
02:58 années scolaires.
02:59 Vous parliez de ce lien, effectivement, entre la lecture et le niveau des élèves. Ceux qui font mieux, par exemple, dans le classement PISA,
03:06 ils lisent plus, les enfants ?
03:08 - Oui, par exemple, si on prend les pays asiatiques, notamment la Chine,
03:11 il y a plus de lecture, il y a un contrôle du temps d'écran.
03:13 - Il y a moins d'écrans en Asie, par exemple ? - Alors, il y a moins d'écrans dans les pays pour lesquels, moi, j'ai eu accès aux informations
03:19 qui sont en anglais. Donc, oui, la Chine, Taïwan, etc., c'est des pays où il y a moins de temps d'écran, il y a moins d'usage d'écran.
03:26 Et dans les familles, il y a un contrôle plus important du temps d'écran. Et il y a un temps passé à lire qui est plus important.
03:32 - En Chine, par exemple, les écrans, notamment le téléphone, enfin les smartphones, sont interdits au-delà d'une certaine heure
03:40 en dessous de 16 ans. Il faut aller jusque là, d'après vous ? - Alors, il y a un contrôle important, effectivement,
03:46 de diminution du temps d'écran. Je ne sais pas s'il faut aller jusque là, je ne sais pas si on peut, mais
03:53 il faudrait au moins informer les parents,
03:55 sincèrement, de l'impact que les écrans peuvent avoir sur le développement de l'enfant et sur sa réussite scolaire.
04:01 Mais la Chine, ce qu'il faut comprendre, ce n'est pas que le gouvernement. C'est-à-dire que, si vous prenez des parents chinois qui vont émigrer
04:06 aux États-Unis ou en Australie, qui vont avoir un enfant dans ces pays-là, leur enfant va conserver une aptitude scolaire
04:12 très supérieure aux enfants du pays dans lesquels ils sont arrivés,
04:17 parce que, justement, dans la famille, il y a un accent plus important qui est mis sur la lecture, sur l'effort, sur le
04:24 travail scolaire, et beaucoup moins sur le divertissement, les écrans, ce genre de choses. - Vous comparez le lobby des écrans à celui du tabac ?
04:31 - Oui, tout à fait. Les procédures sont les mêmes. Tous les grands problèmes de santé publique,
04:35 on s'aperçoit qu'il y a entre 20 et 30 ans, et c'est regrettable, entre la prise de conscience scientifique,
04:40 le quasi-consensus, et puis la prise de conscience
04:43 médiatique. On commence à dire que les gens qui disent ça, ce sont des malades mentaux, des psychopathes et des sociopathes, puis ensuite
04:50 on commence à nous dire que ce n'est pas vrai. Et puis, quand on ne peut plus nier qu'on en est à peu près là maintenant,
04:54 on commence à nous dire "oui, c'est vrai, mais ce n'est pas aussi important que ce qu'on pensait".
04:58 Les procédés sont les mêmes. Par exemple, le gouvernement américain,
05:01 le 41, je crois, procureur, ont lancé un procès contre META, Instagram et Facebook, en des termes d'une brutalité qu'il faut
05:09 réaliser. C'est-à-dire qu'ils accusent
05:11 ces gens-là d'avoir piégé les enfants à des seules fins de profit. Ils mettent en avant, dans l'acte d'accusation, le fait que ça
05:18 crée des dommages considérables sur la santé mentale et physique des enfants. Et quelle est la réponse de META ? C'est de nous faire des
05:25 pleines pages de pub dans les journaux et de prendre de la pub à tout va dans la publicité, dans les médias
05:32 audiovisuels, pour nous expliquer que ce n'est pas vrai, que c'est sympa, qu'on peut... - On n'a pas été assez ferme sur les écrans ?
05:37 - Non, oui, je pense qu'on n'est pas assez ferme. - Les politiques aussi ? - Oui, tout à fait. - Est-ce qu'on a distribué des tablettes dans tous les lycées,
05:43 dans tous les collèges ?
05:45 Tout ça, il faut revenir dessus ?
05:46 - À la distribution de tablettes, oui, clairement. Alors, s'il y a une chose dont on est absolument certains maintenant, c'est que
05:51 donner des tablettes aux enfants comme ça, toutes les études montrent que non seulement ça ne fait pas progresser la réussite scolaire, mais ça a des
05:56 effets négatifs pour une simple raison, c'est que les enfants n'utilisent pas ces outils pour ce pour quoi on voudrait qu'ils les utilisent, mais ils
06:02 les utilisent pour des outils de divertissement.
06:03 Il y a un programme, par exemple, qu'on appelle "One Laptop per Child", c'est-à-dire une tablette par enfant,
06:07 qui a été faite... La dernière étude est sortie en Catalone, par exemple, sur les enfants défavorisés. On s'aperçoit que les enfants qui ont reçu la
06:12 tablette ont vu leurs résultats scolaires chuter dans toutes les matières de 5 à 7 %.
06:16 Alors, on peut penser que ce n'est pas beaucoup, mais c'est quand même
06:19 important pour quelque chose qui est censé améliorer leur réussite.
06:21 - Et un certain nombre de pays, notamment les pays nordiques, qui avaient beaucoup développé l'usage du numérique
06:25 dans l'enseignement, ils reviennent ?
06:28 - Oui, ils commencent à reculer, notamment
06:30 la Suède, parce que la Suède a subi quand même un recul
06:34 assez colossal à PISA sur les dernières évaluations, et donc ils ont regardé les données et ils se sont aperçus que
06:41 la numérisation de leur système scolaire était partiellement en cause là-dedans. Mais les études PISA que vous avez citées montrent clairement que
06:48 les systèmes dans lesquels on a le plus numérisé sont les systèmes dans lesquels les enfants ont le moins progressé. En gros, plus les systèmes
06:54 numérisent et moins les enfants progressent et moins les résultats scolaires sont bons. Alors qu'on nous dise "on n'arrive pas à recruter d'enseignants
06:59 et des tablettes et ce genre de choses et ces outils-là,
07:01 c'est mieux que rien", je peux l'entendre, qu'on nous dise que c'est une plus-value pédagogique par rapport à des enseignants qualifiés, la réponse est non.
07:07 Et ce qui est fascinant, c'est qu'un enseignant qualifié plus ces outils, c'est vraiment pas très différent d'un enseignant qualifié tout seul.
07:14 Je voudrais juste qu'on donne deux petits conseils à tous ceux qui nous écoutent et qui ont des enfants. Le premier, c'est vous dites "il faut lire
07:20 avec ses enfants", la lecture partagée, et vous dites "il faut continuer même quand l'enfant sait lire".
07:25 Oui, c'est fondamental parce que ce qu'il faut comprendre c'est que
07:28 l'écrit et l'oral c'est deux langues différentes. Il y a beaucoup plus de richesse à l'écrit, il y a beaucoup plus de mots, la grammaire est différente,
07:34 elle est plus complexe et donc il faut...
07:36 J'avais un orthophoniste qui disait "ma fille elle est bilingue, orale, écrit". Et en fait c'est vrai. Et donc il y a plus de richesse
07:42 langagière dans un livre d'enfants d'école maternelle à qui on lit des histoires qu'il sait pas lire, qu'il y en a dans n'importe quelle discussion entre
07:47 adultes, film, série, programme télé, programme etc. de prime time. Et donc il faut acculturer les enfants à cette langue.
07:52 Si ces enfants n'apprennent pas cette langue, quand ils vont arriver au CP et qu'on les lâche avec des livres, ils arriveront pas à lire.
07:58 Et cette langue, elle s'acquiert doucement et on confond souvent lecture et décodage.
08:01 L'enfant au CP, il apprend à décoder sur des contenus simples. Et si on continue pas à lire avec lui pour développer cette langue
08:07 au-delà des contenus simples, quand on va lâcher
08:10 à bout de 2-3 ans, parce qu'en France on a besoin pour être suffisamment à l'aise avec le décodage, c'est une langue un peu compliquée
08:16 comme l'anglais, l'enfant il a besoin pour être
08:18 suffisamment autonome pour qu'on le lâche avec des vrais livres de 2-3 ans. Et si on fait pas ce travail, effectivement
08:23 l'enfant il va avoir les plus grandes difficultés. - Et on fait ça jusqu'à quel âge ?
08:26 - On fait ça aussi loin qu'on peut, mais au moins jusqu'à la fin du primaire de bulle collée.
08:30 Les anglo-saxons ont ce qu'ils appellent le crash du CM1, c'est-à-dire qu'ils ont mis l'accent sur le développement du décodage, ils se sont aperçus
08:36 qu'au CM1, quand ils arrivent au CM1, les enfants s'effondraient, simplement parce que si l'enfant il arrive à décoder
08:41 cocasse mais qu'il comprend pas le mot, il s'en sortira pas. Et il faut absolument développer cette langue, et cette langue-là elle passe par la
08:47 lecture partagée. Le plus longtemps possible, la lecture partagée c'est aussi le plaisir, c'est-à-dire que... - D'échanger...
08:51 - D'échanger... - Et on lit de tout juste d'un mot, la BD par exemple, oui/non ?
08:55 - Alors si encore une fois c'est bien de lire des BD, il vaut mieux ça que de regarder, je sais pas, des programmes de télé-réalité, cela étant dit,
09:02 la lecture, le développement de ce langage, c'est une question de volume, et il y a beaucoup moins de volume dans une bulle de BD qu'il y en a
09:07 dans un livre, et les études montrent clairement que pour développer le langage,
09:10 les capacités en lecture et l'impact sur la réussite scolaire, alors les livres ont un impact considérable positif,
09:15 la BD et les mangas malheureusement n'ont pas d'impact. Sur ces domaines-là, ça veut dire qu'ils n'ont pas d'autres impacts sur l'imagination,
09:20 mais sur ces domaines-là, il faut effectivement lire des livres pour développer ces compétences. - Merci beaucoup M. Démurger, c'est passionnant, il faut lire votre livre,
09:27 faites-les lire pour en finir avec le crétin digital, et je rassure tous les parents, c'est des
09:31 C'est culpabilisant aussi.
09:33 Merci.

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