Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare]
Le 28 juin 1914, un jeune étudiant rentre chez lui. Raoul Villain habite une chambre dans un petit hôtel meublé de la rue d’Assas, à Paris. Il vient de réussir son examen de l’Ecole du Louvre grâce… à l’indulgence du jury. Il faut dire qu’il passe plus de temps avec des militants ultras d’extrême droite que sur les bancs de l’école. Alors que les tensions avec l’Allemagne sont de plus en plus vives, Raoul Villain déteste les “Boches”, comme il les appelle, ainsi que tous les pacifistes comme Jean Jaurès qui tentent d’empêcher la guerre. Jean Jaurès, député socialiste, fondateur du journal L’Humanité, met toute son énergie à éviter un conflit mondial. Son engagement met en danger sa vie et il en a pleinement conscience : “je ne serais pas étonné d’être la première victime”, dit-il. “Mais celui qui me tuera, je lui pardonne. Les coupables, ce seront ceux qui l’auront armé”. Le 31 juillet 1914, il est assassiné alors qu’il dîne au café du Croissant à Paris. La Première Guerre mondiale va durer jusqu’en 1918. Raoul Villain sera jugé devant les assises de Paris en 1919. Personne n’imagine alors le sort qui lui sera réservé… Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire, qui mêle fiction et réalité, dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare]
Le 28 juin 1914, un jeune étudiant rentre chez lui. Raoul Villain habite une chambre dans un petit hôtel meublé de la rue d’Assas, à Paris. Il vient de réussir son examen de l’Ecole du Louvre grâce… à l’indulgence du jury. Il faut dire qu’il passe plus de temps avec des militants ultras d’extrême droite que sur les bancs de l’école. Alors que les tensions avec l’Allemagne sont de plus en plus vives, Raoul Villain déteste les “Boches”, comme il les appelle, ainsi que tous les pacifistes comme Jean Jaurès qui tentent d’empêcher la guerre. Jean Jaurès, député socialiste, fondateur du journal L’Humanité, met toute son énergie à éviter un conflit mondial. Son engagement met en danger sa vie et il en a pleinement conscience : “je ne serais pas étonné d’être la première victime”, dit-il. “Mais celui qui me tuera, je lui pardonne. Les coupables, ce seront ceux qui l’auront armé”. Le 31 juillet 1914, il est assassiné alors qu’il dîne au café du Croissant à Paris. La Première Guerre mondiale va durer jusqu’en 1918. Raoul Villain sera jugé devant les assises de Paris en 1919. Personne n’imagine alors le sort qui lui sera réservé… Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire, qui mêle fiction et réalité, dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare
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00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 En France, la plupart des villes, pour ne pas dire toutes les villes, ont une rue ou une avenue Jean Jaurès.
00:18 Personne ne s'en étonne. Il est en effet normal qu'un des plus grands hommes politiques soit ainsi célébré.
00:26 Personne ne s'en étonne. Pourtant, on peut se poser une question.
00:31 Quel est le Jaurès dont le nom est gravé sur les plaques de nos boulevards ?
00:37 Le professeur agrégé de philosophie ? Non.
00:40 Le député socialiste vice-président de la Chambre ? Non.
00:44 Le fondateur du journal de l'Humanité ? Non.
00:47 Bien que Jaurès ait rempli toutes ses fonctions, et bien d'autres encore,
00:52 ce n'est pas ce Jaurès-là qui mérite le plus d'être admiré. Ce n'est pas lui dont on se souvient.
00:59 Qu'on soit de ses amis ou pas, qu'on partage ou non ses idées, et les ennemis de Jaurès l'estimer,
01:06 celui dont on se souvient est l'homme.
01:10 Le seul homme peut-être qui, en 1914, a mis toute son énergie, tout son talent,
01:16 à essayer d'empêcher le massacre, la guerre. Oui, seul contre tous.
01:23 Jean Jaurès a eu ce courage, mettant son existence en jeu, car il était conscient du risque qu'il prenait.
01:32 Il disait "Nous aurons la guerre dans six mois".
01:36 Alors, je ne serai pas étonné d'être la première victime, mais celui qui me tuera, je lui pardonne.
01:45 Les coupables, ce seront ceux qui l'auront armé.
02:09 Le 28 juin 1914, à Paris, un étudiant, Raoul Villain, rentre chez lui.
02:17 Il habite une chambre dans un petit hôtel meublé rue d'Assas, la chambre numéro 12.
02:24 Sa logeuse, Mme Rouard, l'interpelle.
02:27 "Alors, M. Raoul, cet examen ?" "Je suis reçu."
02:30 "Ah, alors voilà une bonne nouvelle. Vous devez être content."
02:34 "Vous savez, c'est surtout mon père qui sera content. Il faut que je lui envoie un télégramme."
02:39 Mais Raoul Villain ne dit pas qu'il vient d'être reçu à l'école du Louvre avec l'indulgence du jury.
02:46 Il n'a jamais été très assidu au cours, passant le meilleur de son temps soit au siège de la ligue des jeunes amis d'Alsace-Lorraine,
02:54 une ligue d'extrême droite, soit à courir les réunions politiques comme celles qui se tiennent salles des sociétés savantes
03:00 où les jeunes ultras vont conspuer les orateurs, j'aurais surtout leur bête noire.
03:07 "De toute façon, M. Raoul, ça y est, vous lavez votre parchemin, c'est l'essentiel. Bien sûr, mais...
03:13 "Voyez-vous, Mme Rouard, j'aimerais autre chose." "Quoi donc ?"
03:17 "Eh bien, par exemple, que... qu'Andréas fasse mes chaussures."
03:22 "Il ne les fait pas ?" "Il s'y refuse obstinément, uniquement pour me larguer. Vous croyez ? J'en suis sûr."
03:29 "Votre valet de chambre, cher madame, est un Allemand. De plus, il lit l'Humanité. Si vous ne le saviez pas, je vous la prends."
03:39 "Cela pourrait vous attirer des ennuis, surtout en ce moment, n'est-ce pas ? Vous comprenez."
03:45 "M. Villain, je lui dirais de faire vos chaussures. J'y compte bien."
03:51 Raoul Villain a pris en grippe ce domestique d'origine allemande, lecteur du journal que dirige Jean Jaurès,
03:57 et il refuse de lui donner la pièce comme le font les autres clients de l'hôtel.
04:01 Alors le domestique lui refuse aussi de cirer ses souliers.
04:04 Cette bonne guerre, si l'on peut dire, en ce début des grandes vacances 1914,
04:09 drôles de vacances qui vont durer quatre ans, et incendier l'Europe.
04:13 Le dimanche suivant, à la Kermesse paroissiale de Sèvres, l'étudiant,
04:18 enfin si je peux continuer à l'appeler ainsi car il a 29 ans, et on se demande s'il terminera jamais ses études,
04:24 enfin l'étudiant Raoul Villain de 29 ans s'arrête à un stand de tir.
04:29 Son ancien professeur du collège Stanislas, l'abbé Calvé, l'accompagne.
04:34 "Vous faites un carton avec moi, M. l'abbé ?"
04:37 "Tu as déjà fait je ne sais combien, une bonne douzaine au moins. Tu veux encore améliorer tes performances ?
04:42 On ne s'exerce jamais assez. Bon, allons-y."
04:46 "Non, non, pas avec des carabines, au pistolet !
04:49 Voyez-vous, mon bon maître, ce n'est pas sur des cartons que j'aimerais tirer, mais sur les boches,
04:54 et sur ceux qu'il paie en France pour nous démolir."
04:58 "Écoute, ne dis pas n'importe quoi, Raoul, je t'en prie."
05:02 "Je pense ce que je dis, M. l'abbé."
05:05 "Vous pariez avec moi que les événements me donneront raison ? Vous avez lu les journaux ?"
05:11 L'abbé Calvé déclarera plus tard que Raoul Villain a passé presque tout l'après-midi de ce dimanche au stand de tir.
05:19 Une performance de maniaque, dira-t-il.
05:22 Quant aux journaux, c'est vrai, à la veille de la guerre, la presse entretient une psychose belliqueuse,
05:28 et son point de mire est toujours le même homme, le pacifiste Jean Jaurès.
05:32 Dans le cri de Paris, un dessin représente une Alsacienne baïonnée par un huland, un cavalier allemand.
05:39 "Ecoutez, Jaurès s'écrit, vous le voyez, messieurs, l'Alsace elle-même ne dit rien."
05:45 Le Figaro, lui, écrit "M. Jaurès a rêvé en allemand toute la nuit."
05:50 Ce que confirme l'action française Charles Maurras, qui pourtant plus tard réprouvera l'attentat contre le leader socialiste.
05:56 Il ose écrire "Chacun le sait, M. Jaurès, c'est l'Allemagne.
06:00 Or, quand il fait du patriotisme à la chambre, il n'y a personne dans les travées, dans les tribunes,
06:06 pas un collègue, pas un journaliste, pas un huissier, pour lui jeter les pommes cuites auxquelles a droit ce misérable."
06:13 Paris Midi va encore plus loin.
06:16 Le général qui commanderait à quatre hommes et un caporal de coller au mur le citoyen Jaurès
06:22 et de lui administrer à bout portant le plomb qui lui manque dans la cervelle,
06:27 pensez-vous que ce général ne ferait pas son plus élémentaire devoir ?
06:33 Que reproche essentiellement l'opinion publique au début des Jaurès ?
06:37 Ses idées socialistes, non.
06:39 Péguy l'accuse même de trahir le socialisme.
06:42 On lui reproche de ne pas souhaiter la guerre contre l'Allemagne,
06:45 la revanche de 70, la reconquête de l'Alsace-Lorraine par les armées
06:49 et de vouloir voter le retour au service militaire de deux ans, deux ans au lieu de trois.
06:54 Pourtant les experts militaires sérieux pensent qu'un service de deux ans
06:58 mettrait l'armée française dans une position plus forte en permettant de mieux organiser les réserves,
07:02 de mieux prévoir la défense du pays.
07:04 Mais pour le grand public en 1914, il ne s'agit pas de se défendre,
07:08 il s'agit d'attaquer, de passer la frontière d'Ark Berlin.
07:13 Le 20 juillet 1914, Raoul Wiener reçoit de mauvaises nouvelles, sa grand-mère est mourante.
07:20 Il part aussitôt pour Reims car il l'aime énormément.
07:24 Elle a un peu remplacé sa mère internée dans un asile de chalons sur Marne,
07:27 mais la vieille dame souffre elle-même de troubles mentaux.
07:31 Depuis l'âge de 30 ans, elle vit cloîtrée dans sa chambre à demi-nu, dialoguant avec la Sainte Vierge.
07:37 Sa mort le 24 juillet désespère Raoul et le révolte.
07:41 A la sortie du cimetière, ils discutent politique.
07:45 « Tu crois que nous allons avoir la guerre ? » lui demande son frère Marcel.
07:48 « Oui, et j'en suis bien content. »
07:51 Un témoin précisera même l'avoir entendu dire
07:53 « Il y a des politiciens à l'heure actuelle qui mériteraient la mort car ils font le jeu de l'Allemagne. »
07:59 Son père, greffier en chef du tribunal civil de Reims,
08:02 lui conseille de rester quelques jours en famille, de se reposer,
08:04 puisqu'il doit d'ici peu rejoindre le centre mobilisateur de Bar-le-Duc.
08:08 « Non père, je dois rentrer à Paris. »
08:11 « Ce n'est pas raisonnable, pourquoi ? »
08:13 « Je suis déjà resté une semaine. »
08:15 « J'avais besoin de votre affection. »
08:17 « Mais maintenant je vous assure, n'assistez pas, il faut que j'aille à Paris. »
08:22 Raoul Villain est vraiment déterminé à agir.
08:25 Son deuil n'est peut-être pas étranger à la fermeté de ses décisions.
08:29 La souffrance mène ainsi parfois à l'exaltation.
08:32 Le jeune homme a été entouré de l'affection des siens.
08:34 Il a reçu, en quelque sorte, la bénédiction paternelle avant de partir au combat.
08:40 Un combat qui ne commence pas à Bar-le-Duc, mais à Paris.
08:44 Faubourg-Montmartre, rue du Croissant.
08:48 Le combat de la France
08:52 A la fin du mois de juillet 1914, la France se prépare à faire la guerre à l'Allemagne dans enthousiasme.
09:02 Les photographies des réservistes qui rejoignent leur régiment,
09:05 comme un peu plus tard après la mobilisation générale, celle des Poilus partant pour le front,
09:10 sont des images de joie, de bonheur.
09:12 L'armée française a le sourire aux lèvres et la fleur au fusil.
09:15 Or, n'oublions pas que cette armée est celle de la nation,
09:18 et que par conséquent, elle reflète l'opinion publique.
09:21 Oui, la majorité du peuple est favorable à la guerre.
09:24 Évidemment, cela paraît curieux aujourd'hui.
09:27 En 1914, c'est naturel.
09:29 En dépit de quelques manifestations ouvrières contre, la plupart des Français sont pour.
09:34 Être pacifiste à l'époque, pacifiste militant comme Jean Jaurès, c'est aux yeux des patriotes un crime.
09:42 Le 29 juillet, dans le train qui le ramène de Reims à Paris,
09:45 Raoul Villain peut donc lire dans l'Action française, page 3, ses lignes étonnantes.
09:51 Arrivé à 20 heures, gare de l'Est, Villain saute dans un autobus en direction de Passil,
10:10 se rend à 8, impasse de la tour, le domicile de Jaurès.
10:14 Comment le connaît-il ? Le dossier ne nous le dit pas.
10:19 Et personne au procès ne s'en étonnera.
10:22 Bref, Jean Jaurès est absent.
10:24 Il assiste à Bruxelles, à la réunion du Bureau socialiste international, groupant 14 nations.
10:29 Il essaie d'obtenir des représentants de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie,
10:32 une démarche auprès de leur gouvernement, pour arrêter la guerre, s'il en est encore temps.
10:38 Raoul Villain, qui espère voir rentrer le député chez lui, attend donc inutilement.
10:43 Il a dans sa poche un petit revolver prêté par un ami, Bourrières.
10:48 Le lendemain, le jeudi 30 juillet, il se rend dans la matinée chez un armurier
10:53 et achète une arme plus importante, un Smith & Wesson de calibre 32.
10:58 Puis il va chez le dénommé Bourrières, afin de lui rendre l'autre revolver le plus petit,
11:02 mais Bourrières n'est pas là.
11:05 Où le jeune homme passe-t-il ensuite l'après-midi ? Encore une des lacunes du dossier.
11:10 Villain descend la rue Montmartre et se dirige vers l'immeuble du journal l'Humanité.
11:15 À 22h, Jaurès, rentré de Bruxelles, quitte son bureau et, accompagné de quelques amis,
11:20 va se rafraîchir au café du Croissant.
11:23 Raoul Villain accroche un passant.
11:25 « Je vous demande pardon, c'est bien M. Jaurès, là-bas, qui vient de traverser la rue et d'entrer au café ?
11:30 Ah oui, bien sûr, c'est lui, vous ne le connaissez pas.
11:33 Si, mais je le croyais plus âgé. »
11:36 Villain s'approche du café.
11:39 Par la fenêtre, il voit le député assis juste en face de lui et qui parle, qui parle.
11:46 Cette gaffe a réveillé toute la passion bestiale qui dorme au cœur de l'Humanité.
11:51 Il faut s'attendre à être assassiné au coin des rues.
11:54 Mais Villain ne l'entend pas.
11:57 Il regarde fasciner cet homme qui, pour lui, représente le mal, celui qui, croit-il, veut empêcher les Français de se battre.
12:05 Villain a deux revolvers dans sa poche.
12:08 Il regarde Jaurès.
12:11 Mais ne tire pas.
12:13 Il rentre chez lui.
12:16 Le lendemain matin, vendredi 31 juillet, le jeune homme reste à son hôtel où il démarque son linge.
12:23 Il songe donc à s'enfuir.
12:26 Puis, il va se promener au Jardin du Luxembourg et assister à un concert de musique militaire.
12:31 Descend le boulevard Saint-Michel, entre à Notre-Dame où il allume un cierge devant une statue de Jeanne d'Arc.
12:37 Va chez un coiffeur, rue de Verneuil, où l'un des garçons, tout comme à son hôtel, est Allemand.
12:42 Pourquoi va-t-il justement chez ce coiffeur ? Mystère.
12:46 De retour à 19 heures dans sa chambre, il reçoit une visite.
12:50 Troisième lacune importante du dossier, on ne saura jamais.
12:55 Qui est venu voir Raoul Villain trois heures avant qu'il ne commette sans cri.
13:01 À 20 heures, il est au restaurant Pocardy, boulevard des Italiens, où contrairement à ses habitudes frugales,
13:07 il s'offre un bon dîner arrosé d'une bouteille de Chianti.
13:11 À 21 heures 10, il achète trois journaux.
13:15 Dans la liberté, il lit sur la manchette "Mobilisation des troupes de couverture".
13:20 Il se dirige directement vers les locaux de l'Humanité et demande à la concierge "Est-ce que M. Jaurès est arrivé ?"
13:26 "Non, il n'est pas là, il doit être encore à la chambre des députés."
13:30 "Ah bon, merci, je reviendrai."
13:33 Il se souvient alors du café du Croissant où, la veille, il a vu Jaurès en compagnie de ses amis.
13:38 Ils s'y rendent aussitôt.
13:40 "Regarde par la fenêtre." "Oui."
13:42 Jaurès est là.
13:44 Mais cette fois, il est de dos.
13:48 Il ne le regarde pas.
13:52 Alors, sans hésiter, Raoul Villain sort son revolver et tire.
13:59 Dans la rue, le meurtrier ne cherche pas à s'enfuir.
14:02 Un agent l'arrête. La nouvelle de la mort de Jaurès est répandue dans la foule qui veut lyncher l'assassin.
14:07 "Protégez-moi, M. l'agent, protégez-moi !"
14:10 "Pourquoi avez-vous fait ça ?"
14:12 "Mais pourquoi ?"
14:14 "Parce qu'il a voté contre la loi de trois ans !"
14:19 A l'intérieur du café du Croissant, Jaurès a été étendu sur deux tables mises bout à bout.
14:24 Des curieux se bousculent pour l'approcher.
14:28 Certains, avec des ciseaux, lui coulent des mèches de cheveux.
14:33 Arrive son fils spirituel, le capitaine Gérard.
14:37 Il se penche sur le mort, lui embrasse le front.
14:40 Lui, il détache la légende d'honneur qu'il porte sur son uniforme et l'épingle sur la poitrine de Jaurès.
14:47 A l'Elysée, le président Poincaré, prévenu par le préfet de police, interrompt le conseil des ministres extraordinaires qu'il préside de nuit en raison de la tension internationale.
14:56 Après un silence qui n'en finit pas, le premier ministre Viviani rédige un communiqué.
15:03 "M. Jaurès, le grand orateur qui illustre la tribune française, a été lâchement assassiné.
15:10 Je me découvre personnellement et au nom de mes collègues devant la tombe sitôt ouverte du républicain socialiste qui a lutté pour de si nobles causes
15:18 et qui, en ces jours difficiles, a dans l'intérêt de la paix soutenu de son autorité l'action patriotique du gouvernement.
15:25 L'assassin est arrêté. Il sera châtié."
15:31 Personne n'en doute ce 31 juillet 1914. Même l'extrême droite.
15:36 "L'action française réprouve hautement l'attentat qui vient d'être commis. C'est plus qu'un crime, c'est une faute grave contre la patrie."
15:43 Quant à Maurice Barrès, il écrit à la famille de Jaurès,
15:47 "J'aimais votre père alors même que nos idées nous opposaient l'un à l'autre.
15:52 L'assassinat dans lequel il a succombé soulève un deuil national."
15:58 "L'assassin sera châtié."
16:02 Pour l'instant, il est oublié l'assassin. La guerre éclate et ce n'est pas comme on s'y attend une promenade jusqu'à Berlin.
16:09 C'est d'abord une cavalcade héroïque dans le sens contraire jusqu'à la Marne,
16:13 puis un lent et pénible calvaire dans la boue des tranchées où chaque maître de terrain doit être conquis et reconquis.
16:19 Comme on est loin des rêves de juillet.
16:22 Raoul Villain, du fond de sa prison, essaie par tous les moyens une nouvelle vie.
16:26 Il faut le reconnaître d'être envoyé sur le front.
16:29 Il écrit au président de la République, "J'ai une préoccupation continue et fixe,
16:33 rejoindre mon frère, ceux de mes parents, de mes amis qui versent leur sang."
16:38 Il ne reçoit pas de réponse.
16:41 "Il restera détenu pendant toute la durée de la guerre pour raison d'état."
16:46 On pourrait dire que cette détention ressemble étrangement à une lettre de cachet.
16:51 Mais l'extraordinaire de cette affaire n'est pas encore atteint.
16:55 Raoul Villain compare enfin devant les assises le 24 mars 1919.
17:00 Le procès remet en valeur l'image fausse de Jaurès telle que la presse conventionnelle de 1914 l'avait dessinée.
17:08 Curieux portrait.
17:10 Celui que des journalistes appelaient "Sir Jaurès" après "Fachoda" ou encore "Herr Jaurès" après les accords du Congo.
17:17 Jaurès le Boche.
17:19 C'est aberrant.
17:21 La France maintenant est victorieuse.
17:23 La chambre est bleu horizon.
17:25 A Bruxelles, la ville où in extremis Jaurès était venu tenter de sauver la paix quand un officier français entre dans une brasserie, les clients se lèvent pour lui rendre honneur.
17:37 Aux assises, le jury composé de 12 hommes ne comporte qu'un seul salarié à un employé de commerce.
17:43 Tous les autres jurés sont des petits bourgeois.
17:46 Ils appartiennent à ce que nous appelons aujourd'hui la majorité silencieuse.
17:51 A la fin des débats Raoul Villain s'écrit "Monsieur le Président, je demande pardon à la victime".
17:58 Le Président pose les deux questions traditionnelles.
18:03 L'accusé est-il coupable d'avoir le 31 juillet 1914 commis un homicide volontaire sur la personne de Jean Jaurès ?
18:11 Réponse du jury.
18:13 Écoutez bien.
18:15 Non.
18:17 Deuxième question. Le dit homicide volontaire a-t-il été commis avec préméditation ?
18:24 Réponse.
18:26 Évidemment après la première.
18:28 Non, également.
18:30 Raoul Villain est acquitté.
18:33 Le public applaudit.
18:36 Madame Jaurès paiera les frais du procès.
18:41 Et ce n'est pas tout.
18:45 Il reste encore dans ce dossier quelque chose d'extraordinaire, un de ces événements incroyables qui dans l'histoire des hommes,
18:52 de leurs erreurs, de leurs faiblesses, voire de leurs crimes laissés impunis, donnent à penser à la justice immanente.
18:59 Raoul Villain s'est installé au baléar dans la ravissante île d'Ibiza.
19:04 Il vit à San Vicente dans une maison bizarrement décorée avec des colonnes, une tourelle, des trappes, des lucarnes en trompe-l'œil, une sorte de folie d'artiste.
19:13 Le dimanche 13 septembre 1936, l'Espagne est en pleine guerre civile.
19:18 L'aviation franquiste bombarde Ibiza.
19:21 Des soldats républicains patrouillent dans l'île.
19:23 Un sous-officier entre à l'auberge de San Vicente.
19:27 « Il y a un étranger qui habite ici. »
19:29 « Oui, un Français. »
19:32 « Comment s'appelle-t-il ? »
19:33 « Raoul Villain. »
19:35 « Ah, c'est bien ça. Vous connaissez sa maison ? »
19:37 « Oh, elle est facile à reconnaître. Attendez, je vais vous montrer. »
19:41 L'aubergiste renseigne la patrouille.
19:45 Le lendemain matin, des pêcheurs retrouvent sur la plage le corps de Raoul Villain.
19:53 Il a été abattu de deux balles, une dans la gorge, une dans la poitrine.
20:00 [Musique]
20:18 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
20:22 Un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
20:27 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
20:31 Production, Sébastien Guyot.
20:34 Direction artistique, Xavier Joli.
20:36 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
20:42 Remerciements à Roselyne Belmar.
20:44 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
20:49 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.