LIVRES - André Comte-Sponville est l'invité de Yves Calvi

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Regardez Le débat du 22 décembre 2023 avec Yves Calvi.
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00:02 7h, 9h
00:05 RTL matin. Il est 8h19. Bonjour André Comtes-Ponville. Bonjour. Merci beaucoup d'être avec nous ce matin. Vous êtes philosophe, écrivain, enseignant et vous publiez
00:13 "La clé des chants" et autres impromptus aux presses universitaires de France. Je vous cite des textes brefs qui s'adressent au grand public
00:19 d'une tonalité quelque peu grave ou mélancolique.
00:22 Qu'est ce qui vous rend si grave et mélancolique
00:24 André Comtes-Ponville ? Il y a sans doute une part peut-être de tempérament de naissance et puis il y a le poids de l'enfance. C'est à dire que
00:31 moi j'ai vécu une enfance
00:34 grave, anxieuse, un peu malheureuse. Pourquoi malheureuse ? Parce que ma mère était malheureuse. Un petit garçon
00:41 aimant comme j'étais ne peut pas être heureux quand sa mère est malheureuse et ma mère était malheureuse
00:47 en couple déjà parce que
00:50 pour l'enfant que j'étais c'était la faute de mon père évidemment. J'ai compris plus tard que c'était un peu plus compliqué que ça mais
00:56 mon père avait bien sûr sa part de restabilité. Ma mère était dépressive et la conjonction du malheur en couple et de la dépression ça a produit des effets
01:05 évidemment délétères et forcément déstabilisants pour le petit garçon que j'étais. Alors c'est le dernier chapitre de votre livre il s'intitule très simplement
01:11 "Maman" et vous écrivez que toute votre enfance donc a été marquée par ce malheur, les faux semblants de votre mère dépressive,
01:17 elle ne savait pas être heureuse.
01:19 C'est surprenant qu'un philosophe nous entretienne de choses aussi intimes non ?
01:23 Oui et d'ailleurs c'est un peu une commande bizarre de
01:26 lecteur et plus souvent de lectrice qui après m'avoir vu à la télévision ou répondant aux questions de François Bunel en l'occurrence
01:32 j'avais parlé un peu de mon enfant, beaucoup de lectrices m'ont écrit des mails pour me dire "mais dans quel livre avez-vous parlé de ça ?"
01:39 Oui. Je ne répondais pas dans aucun livre, je répondais aux questions, je ne l'ai pas écrit et plusieurs m'ont dit "écoutez,
01:44 écrivez-le" et ça m'a paru une bonne idée parce que bien sûr la philosophie c'est un travail de pensée mais toute pensée s'en
01:49 racine dans du vécu et le vécu principal évidemment c'est l'enfance et donc il me paraissait
01:54 légitime d'en parler. Et quel enseignement pour nous, nous lecteurs ? Que vouliez-vous nous transmettre ?
01:59 Ce que j'ai compris
02:02 David, ma mère, c'est que ma mère toute malheureuse et dépressive qu'elle fut avait bien sûr des moments de
02:07 gaieté, de joie, de bonheur au moins apparent sauf que lorsqu'elle était gaie ça sonnait faux. On sentait qu'il y avait une part de théâtre, de cinéma
02:15 distrioniste comme disent maintenant nos psychiatres. Et ça l'enfant le ressent ?
02:19 Au-delà de la comédie. Bien sûr, et il n'y a rien de plus angoissant pour un enfant que de sentir le mensonge, le faux semblant de sa mère.
02:26 Alors qu'à l'inverse quand elle était malheureuse, quand elle me pleurait dans les bras, ça sonnait
02:30 tragiquement vrai. C'est bien que dans ma petite tête d'enfant j'en avais conclu que la joie était du côté de l'illusion
02:37 et qu'à l'inverse la vérité était du côté de la tristesse et donc j'étais mal parti dans l'existence.
02:42 Heureusement que la philosophie m'a appris l'inverse, à savoir qu'au contraire c'est l'illusion qui rend malheureux parce que toute illusion
02:49 dévoue sur une désillusion, tout espoir vainc finit par être déçu.
02:54 Alors que c'est la vérité, pas toujours qui rend heureux, mais qui permet de prendre sa vie en main, de se battre et parfois de se
03:00 rapprocher d'un vrai bonheur. Je l'exprime simplement, premier enseignement, on ne ment pas aux enfants.
03:04 Oui mais c'est plus simple, c'est plus difficile que ça. Ma mère pouvait mentir parfois mais surtout elle jouait sa vie.
03:11 Sa vie entière était une forme de cinéma. C'est pas qu'elle me mentait spécialement à moi, c'est qu'elle se mentait aussi à elle-même.
03:18 Et pour un enfant vivre... Au fond moi j'ai grandi dans le malheur et le théâtre de ma mère.
03:26 Et donc il m'a fallu beaucoup de temps, de philosophie, puis un peu de chance peut-être, de santé,
03:32 pour échapper aux deux, échapper au malheur de ma mère et puis échapper à son théâtre perpétuel.
03:37 - Vous l'avez aimé cette mère ?
03:38 - Je l'aime passionnément, elle est morte maintenant parce qu'elle a fini par se suicider.
03:41 Mais bien sûr que je l'ai aimé et que je l'aime toujours.
03:44 - Alors, les pessimistes sont moins dangereux que les optimistes qui se prennent au sérieux. Mieux vaut une vraie tristesse qu'une fausse joie.
03:50 Dites-vous, c'est pas si grave d'être triste ? On peut être heureux avec sa mélancolie ?
03:54 - Oui parce que c'est assumé le tragique de la condition humaine.
03:58 J'ai découvert récemment une formule d'Alphonse Allais, l'humoriste que vous connaissez, début XXe siècle,
04:03 qui dit exactement ceci, "Nous nous prenons pas au sérieux, il n'y aura pas de survivants."
04:09 Il a évidemment raison à la lettre, si vous voulez. Et ce mélange, vous voyez, d'humour et de tragique, j'adore ça.
04:16 C'est un peu comme Pierre Desproges annonçant son cancer au public sur une scène de théâtre,
04:20 disant "Plus cancéreux que moi, tu meurs."
04:23 Ce moment-là où on rit du tragique de la condition humaine, ça fait partie des trésors de l'esprit humain.
04:29 Il ne s'agit surtout pas de s'enfermer dans le malheur, au contraire, il s'agit d'en sortir.
04:33 Mais pour sortir du malheur, arrêtons de faire semblant d'être heureux, assumons plutôt ce qu'il y a en effet de tragique et de merveilleux dans la condition humaine.
04:42 La vie est à la fois difficile et bouleversante et miraculeuse.
04:47 Alors à ce stade André Kondsmanville, j'ai quand même besoin de votre perception, de votre avis sur le scandale qui touche Gérard Depardieu.
04:52 Ses amis parlent de chasse à l'homme, que nous dit le philosophe ?
04:55 Le philosophe dit qu'il ne se prononce pas sur les dossiers dont il ignore à peu près tout.
05:01 Donc il y a une justice qui fera son travail, mais c'est vrai que je ne m'associe pas à la chasse à l'homme.
05:08 En plus j'ai vu l'émission de télévision qui a un peu relancé le scandale.
05:13 C'était tellement affligeant que sincèrement on a plus de pitié pour ce qui est devenu Gérard Depardieu que de haine ou de colère.
05:23 Encore une fois c'est la justice qui décidera sur le fond, vous voyez.
05:26 Pour dire ce qu'il a dit, sachant qu'il est filmé, ça suppose une espèce de dégénérescence, si j'ose dire.
05:32 De désinhibition au minimum.
05:34 Oui mais c'est pire que ça.
05:36 On sent que soit l'âge, soit l'alcool, soit je ne sais quoi ont détérioré son état mental.
05:42 Et donc j'ai effectivement, sans approuver en rien évidemment ni ses propos ni son éventuel comportement,
05:47 mais je n'ai pas envie de participer à une chasse à l'homme contre un homme qui m'inspire pour l'instant plus de pitié que de colère.
05:55 Avant-hier notre président de la République lui a livré un soutien appuyé, sans un mot pour les victimes.
06:00 Ça vous choque ? C'est choquant ? Enfin je ne sais pas.
06:03 Moi j'arrête de me choquer, je ne suis pas là non plus pour juger en permanence le pauvre Emmanuel Macron.
06:08 Quoi qu'il fasse ou qu'il ne fasse pas, on le lui reproche si vous voulez.
06:12 Eh bien écoutez, il a le droit d'avoir ses avis et de le dire, même si je pense que ce n'est pas sur ce genre de question
06:17 qu'un président de la République doit tenir l'essentiel de ses propos.
06:21 Mais reconnaissons que les médias le poussent un petit peu dans cette direction-là et que c'est dommage.
06:26 Est-ce que le commentaire permanent justement vous gêne, vous dérange ?
06:31 Puisque voilà, on est dans une société qui est dans le commentaire permanent surtout.
06:35 Oui, il y a trop de mots.
06:36 J'ai même envie de vous dire, on n'a plus le temps de penser.
06:38 On n'a plus le temps de penser, on n'a plus le temps de se taire.
06:42 Et puis ces débats médiatiques où un sujet chasse l'autre, si vous voulez.
06:45 Moi le plus souvent j'ai effectivement envie de ne pas en parler parce que ça ne me passionne pas.
06:50 Donc pensez, l'histoire de Depardieu, dans 50 ans, qui ça va intéresser ?
06:54 Et même le projet de loi actuel, enfin la loi actuelle sur l'immigration, même dans 10 ans, à qui ça intéressera ?
07:00 Oui, mais en même temps c'est normal de se tourner vers vous dans ces moments-là pour peut-être y mettre autre chose.
07:04 Oui, mais voilà, si vous vous tournez vers moi, je vais vous dire que le dérèglement climatique est tellement plus important
07:10 que la question Gérard Depardieu ou que la dernière loi sur l'immigration.
07:15 Parlons un peu moins de ces débats politiques tellement réducteurs et tellement dérisoires finalement,
07:21 et un peu plus de ce qui est vraiment important.
07:23 La question du règlement climatique est autrement importante que les débats actuels.
07:28 On va revenir à l'essentiel, André Comte-Tonville, peut-on jamais se remettre de son enfance ?
07:32 Jamais tout à fait, vous savez, moi j'ai été très touché par une formule de Jean-Paul Sartre
07:37 dans un texte qu'il a écrit à la mort de son ami Merleau-Ponty, grand philosophe.
07:41 Sartre écrivait "Merleau-Ponty ne s'est jamais remis d'une enfance heureuse".
07:46 Et ça m'a frappé parce que j'avais le sentiment de ne jamais remis d'une enfance malheureuse.
07:51 J'en tire la conclusion qu'heureuse ou malheureuse, on ne se guérit jamais tout à fait de son enfance,
07:56 on s'en guérit un peu et c'est ce qu'on appelle grandir.
07:59 Un vœu pour 2024 ?
08:01 Un peu de sérénité, moins de haine, parce que je parlais du réglement climatique,
08:07 mais ce qui se passe en Ukraine, ce qui se passe en Palestine est absolument atroce.
08:10 Nous vivons à une époque extrêmement difficile, extrêmement angoissante.
08:16 Profitons de vivre dans un pays qui est en paix, parce que j'appelle que la France est un pays en paix.
08:20 Profitons de vivre dans une démocratie, parce que la France est une démocratie.
08:24 Arrêtons de faire des scandales sur tout, arrêtons d'ajouter de la haine à la haine,
08:28 de la colère à la colère, du mépris au mépris.
08:31 Profitons de la chance formidable que c'est de vivre en France en ce moment.
08:36 Je sais qu'il y a de la misère, je sais qu'il y a des injustices.
08:39 Battons-nous pour les réduire, pour les supprimer si on peut.
08:42 Mais de grâce, arrêtons de pleurer alors qu'il y a tellement pire à vivre que ce qu'on vit nous en France.
08:50 [SILENCE]

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