Rendre à Alain de Benoist ce qu’il nous a donné. François Bousquet, rédacteur en chef de la revue Eléments, publie "Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite". Voilà ce que cet homme a fait, voilà ce qu’il a dit, voilà ce qu’on a dit de lui. Quels risques a-t-il pris ? Comment se distingue-t-il des intellectuels politiques de son temps ? Pourquoi son théâtre d'opération est l'Europe ? Pourquoi s'est-il engagé contre le libéralisme ? Quelle est la doctrine de sa Nouvelle Droite ? Est-il optimiste face à l'avenir ? Au bilan, c’est une entreprise intellectuelle hors norme, tant individuelle que collective.
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00:00 Quelques jours, quelques petits jours avant le 31 pour inverser la tendance.
00:05 C'est maintenant que tout se joue pour TVL.
00:07 Emporter l'adhésion de nos téléspectateurs
00:09 ou se retrouver en septembre avec à la place de nos programmes, cela.
00:13 Notre modèle économique garant de notre liberté est difficile et exigeant
00:21 parce que sans votre aide à tous, tout s'arrête.
00:24 Mais tout cela ne peut pas s'arrêter, c'est notre certitude
00:27 et j'espère que c'est aussi la vôtre.
00:29 Alors aidez TVL, mobilisez-vous, mobilisez vos proches, aidez TVL
00:33 parce que forcément, la liberté a un prix.
00:37 [Musique]
01:00 Bonjour à tous, bienvenue dans notre Zoom, aujourd'hui en compagnie de François Bousquet.
01:05 Bonjour monsieur.
01:06 Bonjour Pierre Dajereau.
01:07 François Bousquet, rédacteur en chef de la revue "Eléments",
01:10 directeur de la nouvelle librairie "11 rue de Médicis" à Paris.
01:14 Vous êtes également présent sur TV Liberté dans les émissions "Le Plus d'éléments"
01:18 cette année-là et vous publiez cet ouvrage dans les éditions de la nouvelle librairie
01:24 "Alain de Benoît, un demi-siècle de nouvelle droite"
01:28 à retrouver comme d'habitude sur la boutique de TV Liberté.
01:31 Alors, du philosophe Alain de Benoît, par 11 ans,
01:34 vous dites qu'il est un ovni d'abord dans son parcours.
01:38 Quel est justement le parcours d'Alain de Benoît ?
01:41 Le parcours, il est inhabituel pour un mandarin, pour un intellectuel,
01:45 il n'est pas passé par la case universitaire.
01:48 Il a fait quelques années de droit en enseignement supérieur, mais c'est tout.
01:52 Donc ovni, parce qu'inclassable, lui qui aime beaucoup classer,
01:56 il est d'abord inclassable, hors normes, hors cadre, difficilement situable,
02:00 savoir encyclopédique, un périmètre de curiosité qui semble énorme
02:07 à la mesure de sa bibliothèque dont TV Liberté a diffusé un magnifique documentaire
02:11 "Le chêne et les cluses", 100 000 bouquins, il y a 100 000 bouquins,
02:14 c'est une des plus grandes bibliothèques privées d'Europe, peut-être la plus grande,
02:17 en tout cas de chercheurs.
02:19 Tout ça le fait pas rentrer sur la case vide du tableau de Mendeleïev.
02:23 Il y a une case vide que Alain de Benoît occupe,
02:26 c'est ce qui me fait dire qu'il est le premier parmi ses pairs intellectuels
02:29 à cause de cette place singulière, iconoclaste,
02:34 qu'il occupe dans le champ intellectuel français.
02:37 - Comment vous vous êtes rencontré avec Alain de Benoît ?
02:40 Est-ce que ça a fait tilt tout de suite ?
02:42 - Tout de suite, oui, on peut le dire.
02:43 J'étais à l'époque éditeur aux éditions L'Âge d'Homme,
02:45 qui avait son siège parisien dans le 6e, place Saint-Sulpice,
02:49 et il est venu avec un livre, là aussi, qui est un ovni dans sa bibliographie,
02:53 parce que c'est un livre très personnel,
02:55 sûrement un de ses livres les plus personnels avec l'exil intérieur,
02:57 c'était dernière année, et il me l'a confié.
03:00 Donc j'ai été le premier lecteur de ce livre-là au sein des éditions L'Âge d'Homme.
03:03 Ça a été un coup de cœur immédiat, parce que sa personnalité s'est révélée en creux.
03:07 C'est un personnage plein de pudeur, donc il en dit toujours moins que plus,
03:11 mais il n'empêche, il n'empêche, il apparaissait comme une ombre.
03:15 Et le personnage m'a séduit, et après j'ai découvert l'œuvre,
03:18 et après nous sommes devenus amis, et après je suis devenu un rédacteur régulier d'Eléments,
03:22 donc en l'occurrence journaliste, avant de prendre la direction,
03:25 je suis le chef de la rédaction d'Eléments, il y a quelques années de cela.
03:28 Donc oui, c'est une amitié au long cours.
03:30 Je crois que l'aventure de La Nouvelle Droite,
03:32 puisque c'est La Nouvelle Droite dont on parle, et dont Alain de Benoît est le chef de file,
03:35 est d'abord une aventure amicale.
03:37 Benoît a l'habitude de dire qu'il y a deux types de relations,
03:40 verticale et horizontale.
03:42 Verticale, c'est souvent la famille, horizontale, c'est souvent les amis.
03:45 Pour ce qui le concerne, et pour ce qui me concerne, oui, c'est l'amitié, le coup de cœur.
03:50 C'est un personnage qui a été beaucoup décrié.
03:53 Une des raisons pour lesquelles j'ai écrit ce livre-là,
03:56 c'est pour essayer de rétablir, de remettre Alain de Benoît à l'endroit.
04:00 Un de ses plus grands livres, c'est "Les idées à l'endroit".
04:02 C'est devenu une émission sur TV Liberté.
04:04 Donc remettre Alain de Benoît à l'endroit, dans une époque qui est de plus en plus tordue,
04:07 de plus en plus à l'envers, par sentiments de justice,
04:10 et pour restaurer une forme d'équilibre,
04:12 et remettre de Benoît quasi à la première place des intellectuels
04:15 dans le paysage français depuis une cinquantaine d'années.
04:18 Un intellectuel plus de l'écrit que de l'oral, Alain de Benoît.
04:21 Il est beaucoup plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral.
04:23 Oui, ça, il en convient régulièrement.
04:25 Encore qu'il a animé, pendant quelques années, sur TV Liberté,
04:30 donc "Les idées à l'endroit", qu'il est souvent intervenu dans des colloques,
04:33 dans des conférences.
04:34 Mais de fait, oui, c'est un amoureux du livre,
04:38 c'est un amoureux de la chose écrite.
04:39 Nous le sommes tous, plus ou moins, mais peut-être que lui l'a un peu plus que nous,
04:42 puisque sa passion s'est traduite par cet empilement,
04:45 quasiment de la compilation.
04:47 Une collectionnite sur aiguë, qui s'apparente à des formes de fétichisme,
04:51 autour du livre, de ce parallépilède, qui est le livre.
04:54 Donc d'abord l'écrit, avant tout l'écrit.
04:56 Vous qualifiez Alain de Benoît d'intellectuel engagé.
05:00 Quel risque a-t-il pris dans sa vie, dans sa carrière d'intellectuel ?
05:04 Alors, il a pris des risques comme militant et activiste, dans les années 60.
05:08 Mais c'est autre chose.
05:09 C'était avec François d'Orcival, à l'époque de la Fédération des étudiants nationalistes,
05:12 et surtout avec cette personnalité exceptionnelle que fut Dominique Wehner,
05:16 à travers l'aventure d'Europe Action,
05:18 c'est les années 1960 jusqu'à 1976, sauf un de ma part.
05:22 Ce sont des risques physiques, mais également des risques sociaux,
05:25 que vous prenez en tant que militant, dans un univers politique qui vous est hostile.
05:29 Quels sont les risques qu'il a pris en tant qu'intellectuel ?
05:31 Tous les risques, je crois.
05:34 A commencer par celui de la mort médiatique, et de la mort sociale.
05:37 Il a été tué, médiatiquement parlant et socialement parlant, à plusieurs reprises.
05:41 Si vous voulez bien vous souvenir des polémiques qui ont entouré la Nouvelle-Droite
05:44 sur 30 à 40 ans d'histoire, la polémique de 1979,
05:48 qui l'a emporté et qui va se clôturer par l'attentat de la rue Copernic.
05:52 Donc on imputera à la Nouvelle-Droite, évidemment à tort, on le savait d'emblée,
05:55 première mort sociale, après il y a le complot rouge-brun.
05:58 Dès qu'on a pu le tuer socialement et médiatiquement, on l'a mis à mort.
06:02 Et qu'est-ce qu'on lui reprochait ?
06:04 On lui reprochait d'être un ennemi du système.
06:07 Raison pour laquelle on le catégorise sous ce syntacle minfamment et stigmatisant,
06:14 avec toutes les guillemets d'usage qui est l'extrême droite.
06:17 C'est le dernier bouquin de Mathieu Bocoté sur le...
06:19 L'ami du système mais d'extrême droite ?
06:21 Ah non, il ne l'est pas ami du système, justement.
06:23 C'est le système qui très précisément nous cornerise.
06:26 Le système a deux à trois recours pour nous tuer socialement.
06:29 L'invisibilisation, c'est la conjuration du silence.
06:32 La diabolisation, c'est la conjuration de la malveillance,
06:35 la démonisation, ce qu'on a fait avec Alain de Benoît,
06:38 pour ce qui est des électeurs de Marine Le Pen,
06:40 mais je parle d'autre chose, et de Donald Trump,
06:42 c'est l'infériorisation. Ce sont des abrutis, en gros.
06:45 Donc oui, de Benoît, en tant qu'adversaire du système,
06:48 sinon même ennemi, c'est comme ça qu'il est perçu,
06:50 a été à plusieurs reprises détruit, donc il a survécu à ses morts sociales,
06:54 mais de fait, il a pris beaucoup de risques.
06:56 La plupart des intellectuels ne prennent pas de risques.
06:59 Sinon, de publier une tribune dans le monde, où est le risque ?
07:02 Il ne travaille pas au CNRS, quoi.
07:04 Il travaille avec tout l'appareil d'État,
07:06 tout l'appareil institutionnel, quel qu'il soit,
07:08 c'est-à-dire la culture, la télévision, le CNRS que vous évoquiez,
07:11 encore qu'il aurait toute sa place, comme au Collège de France, du reste.
07:15 Mais il est inconcevable qu'un tel personnage puisse être élu
07:18 par ses pairs au Collège de France.
07:20 Ce n'est pas possible dans l'univers mental, idéologique,
07:23 qui est le nôtre, de même qu'il soit à la tête de Radio France
07:26 ou de France Culture. C'est inconcevable.
07:28 Donc les risques me semblent évidents.
07:32 – Je crois que le seul média, la seule émission de grand public
07:36 où j'avais vu Alain De Bonneau pour la dernière fois,
07:38 c'était dans l'émission "Ce soir ou jamais" avec Frédéric Taddeï,
07:41 c'était il y a plus de 10 ans.
07:43 – Taddeï l'a invité après sur RT,
07:46 mais Taddeï est vraiment un personnage à part dans l'univers médiatique.
07:50 D'abord, c'est lui-même un intellectuel, plutôt de gauche,
07:53 mais qui ne nous strasisse pas.
07:55 Moi, il m'a régulièrement invité, Taddeï.
07:57 Il nous a régulièrement invités, je crois qu'il nous connaît bien,
08:00 j'ai nos idées, la question n'est pas là,
08:02 mais il fait vivre le débat et la controverse,
08:04 ce qu'on attend d'un journaliste dans l'univers des idées.
08:08 – Parmi les philosophes politiques de son temps,
08:11 on peut citer Régis Debray, Edgar Morin, Marcel Gaucher, Jean-Claude Michéa,
08:16 qu'est-ce qui fait sa particularité parmi ces gens-là ?
08:20 – Il leur ressemble étrangement.
08:22 Pour certains d'entre eux, je pense au plus ancien Régis Debray,
08:25 c'est la même génération, donc ça veut dire que depuis un demi-siècle,
08:29 ce sont des têtes d'affiches intellectuelles,
08:31 Gaucher aussi n'est pas loin d'avoir le même âge qu'Alain de Benoît, 80 ans,
08:35 Morin, Morin est centenaire, donc Morin c'est encore plus,
08:39 il était encore antérieur, je crois que c'est un père intellectuel.
08:42 – C'est des hommes plutôt de gauche, Debray, Morin, Gaucher, Michéa.
08:46 – Alors moi, je nuancerais ça, je pense que la survie sociale
08:49 de Régis Debray et de Marcel Gaucher, et j'ajouterais également Alain Finkielkraut,
08:52 c'est de continuer à se dire de gauche,
08:54 alors qu'ils ne sont plus de gauche depuis très très longtemps,
08:56 ils le savent dans "Le secret des urnes",
08:59 mais il suffit de les lire pour savoir qu'ils ne sont plus de gauche,
09:01 mais stratégiquement…
09:03 – Michel Offray par exemple, continuer à dire qu'il est de gauche,
09:06 certains lui disent "mais non, vous n'êtes pas de gauche".
09:08 – Alors Michel Offray, j'en parlerai juste après,
09:10 parce qu'il a une singularité par rapport au personnage qu'on va évoquer,
09:13 comme Alain de Benoît, là ce sont des intellectuels,
09:15 ce qui est Alain de Benoît, mais Alain de Benoît,
09:18 non seulement un intellectuel, mais il a créé un courant de pensée,
09:20 lui et quelques autres, donc c'est à la fois,
09:22 ce qu'il me fait dire, c'est à la fois un intellectuel individuel,
09:24 et un intellectuel organique, et un intellectuel collectif,
09:27 ce que ne sont pas les gens que vous avez cités, Gaucher, Debré, etc.
09:30 Debré certes, il y a la médiologie, mais c'est une aventure éphémère,
09:33 qu'on ne pourra aucun cas comparer à "La Nouvelle Droite",
09:36 qui est une aventure qui s'inscrit dans le demi-siècle,
09:38 et qui a un règlement intellectuel qui me semble très supérieur
09:40 à l'aventure, à l'épisode médiologique,
09:42 dont des plaisent aux aficionados de Régis Debré.
09:45 Donc ce qui le distingue et qui le démarque,
09:47 c'est qu'il est individuel et collectif,
09:49 le seul à qui on peut le comparer, et qui prend tous les risques,
09:52 à la différence, moi me semble-t-il, j'écarte Finkielkraut,
09:55 mais de Régis Debré, qui me semble parfois très prudent,
09:58 quand je pense à Régis Debré, je pense toujours au mot de Charles Péguy
10:01 sur Emmanuel Kant, je le rappelle aux auditeurs et téléspectateurs,
10:04 voilà le mot, c'est que le comtisme a les mains pures,
10:07 mais il n'a pas de mains. Le Régis Debréisme a les mains pures,
10:10 mais il n'a pas de mains, parce qu'il n'ose pas affranchir le Rubicon.
10:13 Rubicon qu'affranchit Michel Onfray allègrement,
10:16 ce qui le rend assez libre, on peut contester ses positions,
10:19 mais ne pas lui conseiller que désormais il s'affranchit du système
10:22 me semble difficile. Et Onfray, à cette particularité,
10:25 c'est qu'il a créé l'université populaire.
10:28 Donc lui, comme Debenoît, a cherché à élargir son cercle de curiosité,
10:33 son périmètre de curiosité, en s'adressant au grand public.
10:37 Donc c'est les deux, je crois qu'Onfray et Debenoît,
10:40 il y a beaucoup de points communs, d'abord leur intérêt pour Jésus,
10:43 pour le critiquer, mais c'est ainsi, après on peut en débattre,
10:47 il est souvent intervenu dans "Eléments", et je trouve que depuis 10 ans,
10:50 il a accompagné notre développement. Donc oui, Debenoît est un cas à part,
10:55 Primus inter pares, ce premier parmi ses pairs,
10:57 peut-être qu'Onfray rentre dans cette catégorie-là.
11:01 Qui sont les intellectuels de référence d'Alain Debenoît,
11:04 ceux qui l'ont influencé au plus profond de lui-même ?
11:08 Difficile de répondre à cette question, parce que c'est l'homme de 100 000 livres,
11:11 Debenoît, il ne les a pas tous lus, de fait.
11:13 C'est aussi parallèlement un auteur sans biographie.
11:16 Il n'a pas mis en avant sa vie, il a écrit ses mémoires,
11:19 mais ce sont des mémoires intellectuelles, mémoires vives.
11:22 Donc l'essentiel de sa vie s'est déroulé dans son cabinet,
11:25 et dans sa bibliothèque.
11:27 Donc peut-être que le vrai portrait d'Alain Debenoît,
11:29 ce sont les livres qu'il a lus, parmi ses 100 000 livres,
11:31 qui permettraient de dégager le portrait robot, ou l'hologramme d'Alain Debenoît,
11:35 je le crois, fondamentalement, je pense que pour rentrer dans son œuvre,
11:39 il faut quasiment avoir lu non seulement ce qu'il a publié,
11:41 mais également ce qu'il a lu, les grands auteurs qu'il a lus.
11:43 Alors quels sont-ils, ces grands auteurs ? Difficile.
11:46 Peut-être les auteurs qu'il aime le plus lire.
11:49 Alors, et bien étonnant, alors il y a Michéa, bien sûr, parmi les contemporains.
11:53 C'est un auteur dans lequel il s'est retrouvé.
11:55 Michéa me fait penser aux mots de Jean-Paul Bessé,
11:57 qui disait "comment cesser d'être progressiste sans devenir réactionnaire ?"
12:01 Et Debenoît, c'est l'inverse.
12:02 "Comment cesser d'être réactionnaire sans devenir progressiste, si vous me permettez."
12:05 Donc il y a une convergence entre les deux, indiscutablement.
12:08 Mais quitte à surprendre, moi, il aime beaucoup des auteurs
12:10 comme Druella Rochelle, Henri de Monterlant,
12:12 mais de fait, je trouve qu'il cite beaucoup plus souvent Bernanos.
12:15 Georges Bernanos parmi les auteurs français, mais sinon c'est Heidegger,
12:18 c'est Louis Dumont.
12:19 Louis Dumont est le grand théoricien de l'avènement de l'individualisme en Europe,
12:23 qui est une de nos spécificités.
12:25 C'est Nietzsche, c'est la révolution conservatrice allemande,
12:28 qui a une importance considérable pour elle,
12:31 pour les auditeurs qui ne la connaissent pas.
12:33 Il suffit de penser, chez nous en France, aux anti-modernes.
12:36 Il y a un gros parallélisme à faire entre les anti-modernes,
12:38 qui ont été théorisées par Antoine Compagnon,
12:40 qui est professeur au Collège de France,
12:42 ça va de Joseph de Maistre à Roland Barthes.
12:44 Il en a fait un livre, les anciens.
12:46 Il en a fait un livre qui est remarquable, passionnant,
12:48 et qui dégage, je pense, une partie du caractère et du tempérament français.
12:51 Et bien, outre Reims, cette révolution des anti-modernes,
12:54 c'est plutôt la révolution, ce qu'on a appelé la révolution conservatrice,
12:57 dont l'auteur phare est Ernst Junger,
13:00 l'auteur d'"Orage d'acier",
13:03 qui est le titre qui nous a inspirés pour l'émission qu'on présente
13:06 sous le pavillon de TV Liberté, "Les orages de papier".
13:09 C'est Ernst Junger, le grand auteur de la révolution conservatrice.
13:12 Mais de Benoît, je vous le redis, il y a 100 000 livres.
13:15 C'est vraiment l'ovni. Il est très difficile de synthétiser,
13:18 de condenser ces 100 000 livres.
13:20 C'est des centres d'intérêt très très larges, les Indo-Européens,
13:23 l'Antiquité gréco-latine, la vie de Jésus, sur lequel il y a une bibliographie vertigineuse,
13:26 Kurt Schmitt, le grand auteur de la révolution conservatrice,
13:29 Nietzsche, Heidegger, les Celtes, l'économie, la psychologie.
13:34 Donc il faudrait... moi je renvoie les spectateurs avec le documentaire
13:39 que vous avez produit et diffusé il y a quelques jours,
13:41 "Le chêne et l'enclume", que je trouve superbe.
13:43 - Et "L'écluse". - Et "L'écluse".
13:46 Politiquement, on vous le dit, dans une interview récente,
13:51 la droite classique, elle est tournée vers les Etats-Unis,
13:53 la gauche, elle est plutôt tournée vers l'Afrique.
13:56 Son théâtre d'opération, Alain de Benoît, c'est l'Europe.
13:59 Qu'est-ce qui se joue pour lui sur notre continent ?
14:02 C'est l'héritage très largement de Dominique Wehner.
14:06 Quand Dominique Wehner lance Europe Action,
14:08 il essaie d'imaginer un nationalisme européen,
14:11 qui est difficile à accoucher, qui est sinon impossible à accoucher.
14:14 C'est en tout cas l'aveu que fera Dominique Wehner.
14:17 Mais il l'empêche. Il y a d'emblée chez Dominique Wehner,
14:20 et puis chez Alain de Benoît, une projection dans le théâtre
14:23 des opérations européennes, parce que c'est un français,
14:25 c'est un européen de langue française, c'est un français,
14:28 moi je dis que c'est un galop européen,
14:30 pour reprendre l'image de Régis Debray sur les galopricains,
14:33 parce qu'il y a une unité de civilisation,
14:35 je crois qu'il est l'un des premiers à avoir parlé,
14:38 avec Dominique Wehner, d'avoir parlé de l'idée
14:41 qu'il y a un bloc civilisationnel européen,
14:44 qui nous lie depuis 1500 ans, 2000, 2500 ans.
14:48 Donc c'est vraiment l'espace géographique, l'espace mental, spirituel,
14:53 dans lequel la Nouvelle Droite s'est déployée depuis un demi-siècle,
14:57 à telle enseigne que je crois qu'on est le seul courant de pensée
15:00 à avoir donné naissance à ce qu'on appelait jadis,
15:03 dans les monastères, à des sœurs.
15:06 On a le Landende à des sœurs en Italie, en Allemagne,
15:10 dans les Flandres, en Espagne, jusqu'en Amérique latine, certes,
15:13 mais c'est par le canal espagnol jusqu'en Russie.
15:17 Donc c'est constitutif de notre façon d'envisager les choses,
15:23 ce qui fait que De Benoît c'est un intellectuel en tant que tel,
15:26 soit un intellectuel collectif, mais aussi je pense un intellectuel européen.
15:30 – Comment vous expliquez justement que l'Europe soit autant boudée
15:33 par les intellectuels contemporains ?
15:36 – Parce qu'ils sont souvent auto-centrés,
15:39 quoi qu'il arrive, malheureusement, il y a une forme de parisianisme,
15:43 qu'on n'observe pas chez un Michéa, parce qu'il est vraiment à la marge,
15:47 qu'on n'observe pas chez des commentateurs type Sainte-Marie ou Christophe Guillouis,
15:51 mais oui, il y a toujours une dimension germanoplatine.
15:54 Et puis regardez les autres publiés par Grasset,
15:57 La famille en Thauvaine, Père et fils, et Bernard-Henri Lévy,
16:00 c'est la rue des Saint-Père, on est vraiment au cœur de ce faubourg Saint-Germain,
16:04 qui est une plaie pour nous, puisqu'on a l'impression que c'est Paris
16:08 et le désert français, donc on n'en sort pas.
16:12 Je pense que c'est à tort, la formule, vous savez,
16:15 nul n'est prophète en son pays, on peut vérifier ou pas d'ailleurs,
16:19 je crois que ça ne pique pas à De Benoît, certes il n'est pas prophète en France,
16:23 mais vous n'imaginez pas le nombre de lecteurs qu'il a à l'étranger,
16:26 dans les rues en Italie, je ne dis pas que c'est une star,
16:29 mais enfin, il est arrêté par des gens, donc si nul n'est prophète en son pays,
16:33 ce qui est la vérité pour Alain De Benoît, on ne peut pas le dire,
16:36 il a été prophète dans son continent, donc en Europe,
16:39 il est vraiment le prophète de notre civilisation, si je puis dire.
16:43 – Il est très tourné vers les idées politiques en Allemagne,
16:47 les idées en général, qu'est-ce qui l'attire à ce point en Allemagne ?
16:52 – Moi aussi, je vais donner le cas des anti-modernes,
16:56 j'adore lire De Mestres, j'aime beaucoup Bonald,
16:59 qui ne rentre pas dans la catégorie d'Antoine Compagnon,
17:02 Baudelaire aussi, tous les gens qui énumèrent,
17:05 mais de fait, oui, je préfère les grands auteurs de la Révolution conservatrice,
17:08 parce qu'ils ont transmué les orages d'acier en orages littéraires,
17:13 en orages philosophiques, le travailleur de Juncker, qu'on le veuille ou non,
17:16 Juncker va le répudier, mais quand vous lisez le travailleur,
17:19 c'est comme si vous receviez un coup de marteau de la part de Vulcain.
17:24 – Pourquoi ?
17:25 – Parce qu'il y a une énergie, l'énergie française,
17:30 l'énergie espagnole du siècle d'or, l'énergie française du grand siècle,
17:34 c'est déplacé en Allemagne, en Russie,
17:38 on peut dire la même chose des Russes, c'est parce que ça a été l'instant
17:44 où leur civilisation, aux uns et aux autres,
17:47 parce qu'on les évoque, mais russes,
17:50 a produit une efflorescence de génie invraisemblable,
17:53 mais on a eu la même chose, simplement c'est le grand siècle,
17:56 ou le 19ème pour Balzac, Hugo…
17:59 – Pourquoi tout ça c'est derrière nous, pour les Russes,
18:01 pour les Français, pour les Allemands, qu'est-ce qu'ils chassent ?
18:03 – Réveillons-nous, parce qu'on est accablés par un mal,
18:07 ce mal c'est le nihilisme, ce mal c'est la décadence,
18:10 ce mal c'est l'âne de soi, c'est la destruction progressive de tout ça.
18:13 – Ça vient de nous ou ça nous est inspiré par d'autres ?
18:15 – Et l'un et l'autre, il faut à la fois un virus,
18:19 et il faut également un sujet affaibli, ce qui est notre cas,
18:23 qui n'a pas d'immunodéficient, si vous préférez,
18:28 il faut à la fois un virus pour recourir à l'image du Covid,
18:32 mais on s'en moque du Covid, on sait à quelle part on a assisté,
18:37 mais pour reprendre à l'image, il faut un virus et un sujet immunodéficient,
18:41 le virus c'est le wookieisme aujourd'hui,
18:43 mais hier c'était le politiquement correct, c'était la pensée unique,
18:46 c'était le puritanisme, c'est le même virus sous des masques différents,
18:49 il est protéiforme en apparence, mais c'est le même mal.
18:53 – Qui s'attaque au christianisme européen, à la sagesse européenne.
18:57 – Oui, à l'univers mental des européens,
18:59 mais cet univers mental il est immunodéficient,
19:02 parce qu'il a traversé, pour reprendre l'image de Ernst Stoltz
19:06 et de Benny Veneer, la grande guerre civile européenne,
19:09 qui a épuisé notre continent,
19:12 donc nous, nous devons reconstruire sur des ruines,
19:15 oui, de fait, sur des ruines, ce soit quoi, nous employons à la Nouvelle-Droite,
19:18 avec Alain de Benoist, Elément, essayer de construire une alternative,
19:23 de déconstruire les déconstructeurs, dans un premier temps,
19:26 parce que c'est un prérequis.
19:28 – Et les déconstructeurs se déconstruisent eux-mêmes ?
19:30 – Oui, mais en même temps ils nous attablent, vous avez raison,
19:33 ils se suicident, à la fin ils se suicident, ils cirent une balle dans le pied,
19:36 mais avant ils nous auront tiré une balle dans le dos,
19:38 donc il faut tout faire précisément pour les attaquer,
19:42 pour les analyser, les critiquer, mais les critiquer sur le fond,
19:46 les renvoyer à leur contradiction,
19:48 et puis nous essayer de produire des anticorps,
19:51 pour poursuivre cette image épidémiologique,
19:54 et je crois que nous sommes malades,
19:56 moi j'ai toujours été frappé par un livre de Renaud Camus,
19:58 nous sommes éditeurs à Nouvelle-Libre,
20:00 qui est la seconde carrière d'Adolf Hitler, il faut le lire,
20:02 on dit que Camus est antisémite,
20:04 Camus est philosémite, la question se pose même pas,
20:06 et c'est clair dans ce livre là,
20:08 mais qui montre que la carrière d'Adolf Hitler,
20:10 après sa mort, est plus importante, presque, que de son vivant,
20:13 c'est que c'est comme un soleil noir,
20:15 comme un spectre qui accable les peuples d'Europe,
20:19 donc c'est ça dont il faut, c'est cette langueur,
20:22 cette fatigue, cette maladie de civilisation,
20:25 et dont il faut nous extirper, nous guérir,
20:28 pour redevenir ce que nous avons toujours été,
20:31 je n'ose dire une avant-garde,
20:34 mais enfin de fait, nous avons été une avant-garde continentale.
20:37 La nouvelle droite, vous l'avez évoquée,
20:39 Alain de Benoît en est le fondateur,
20:41 quelle est sa tournure d'esprit,
20:44 et dans quel contexte politico-économique est-elle née ?
20:48 Elle est née dans le contexte des années 1960,
20:52 1970 pardon, plutôt, puisqu'il faut attendre 1967,
20:57 le GRES, qui est la maison mère, la matrice,
21:00 le groupe en recherche et d'études sur la civilisation européenne,
21:03 avec l'acronyme GRES, comme la Grèce,
21:05 qui va devenir la nouvelle droite,
21:07 c'est ainsi qu'elle sera baptisée par ses adversaires politiques de gauche.
21:10 Les années 1970, c'est à ce moment-là qu'elle prend naissance,
21:14 il y a plusieurs âges au sein de notre famille de pensée,
21:17 c'est un âge pour nous, les années 1970, celui de la jeunesse,
21:20 un âge assez Nietzschéen, assez vitaliste, assez biologisant,
21:24 rappelez-vous l'époque, la biologie était un gros mot,
21:27 alors certes il ne faut pas se focaliser et tout réduire à la biologie,
21:31 ce que nous ne faisons plus,
21:33 mais il fut un temps où il fallait la remettre à l'ordre du jour,
21:37 ce que nous avons fait les années 1970.
21:39 Alors comment on définit notre courant de pensée ?
21:42 D'abord c'était un courant de pensée qui était vu de droite,
21:45 et puis peu à peu, Alain de Benoît,
21:47 comme je disais le mot de Jean-Paul Bessé,
21:49 commençait-il à être réactionnaire sans devenir progressiste,
21:52 a pris du champ, du recul, s'est intéressé à la gauche,
21:56 et a appris à emprunter le meilleur à ses deux traditions,
21:59 de gauche et de droite, en particulier une gauche socialiste,
22:02 donc anti-progressiste, qui nous ramène au XIXe siècle,
22:05 et puis une droite, celle de l'Ancien Régime.
22:08 Le rêve de Benoît, du reste politiquement,
22:10 alors ça va peut-être heurter certains spectateurs et téléspectateurs,
22:15 en 2017 en tout cas, parce qu'il a beaucoup changé depuis,
22:19 c'est que Marine Le Pen soit élue présidente de la République,
22:22 et que Jean-Luc Mélenchon soit son premier ministre,
22:25 c'est invraisemblable comme scénario,
22:27 surtout avec l'évolution de Mélenchon après 2017,
22:30 son islamisation, etc.
22:32 En 2017 c'était concevable.
22:34 Le premier point de la critique de la nouvelle droite
22:37 porte vraiment sur la religion de notre temps,
22:42 c'est-à-dire les droits de l'homme,
22:44 c'est-à-dire la philosophie de l'individu,
22:47 c'est-à-dire la philosophie libérale.
22:49 L'ennemi principal, pour le dire,
22:51 et moi je l'adresse en particulier aux libéraux conservateurs,
22:54 c'est la cohérence idéologique du libéralisme,
22:57 qui entraîne les maladies de fascination que j'évoquais tout à l'heure,
23:00 et qui nous accablent, relève à beaucoup d'écarts,
23:03 de cette philosophie individualiste libérale.
23:06 On avait interviewé d'ailleurs Alain Debenois
23:08 sur son ouvrage génial "Contre le libéralisme,
23:11 la société n'est pas un marché",
23:13 il disait de cette idéologie qu'elle est avant tout une erreur anthropologique.
23:17 Oui, oui, il le dit avec un théologien anglican,
23:20 qui s'appelle John Milbank,
23:22 qui a été publié par Decker et Brouwer en France.
23:24 Oui, c'est une erreur anthropologique,
23:26 puisque de toute évidence, l'homme ne fonctionne pas
23:29 de la manière dont la philosophie libérale dit qu'il fonctionne.
23:32 Si moi je m'en tiens à cette philosophie-là,
23:34 eh bien je suis mu principalement par mes intérêts,
23:37 par un calcul d'intérêt, par un calcul utilitariste,
23:40 ce qui n'est manifestement pas le cas,
23:42 même au travail, du reste, au travail,
23:44 je ne fais pas que maximiser mon intérêt,
23:46 je m'intéresse à ce collectif qui est une société,
23:49 plus largement au collectif qui est une communauté,
23:51 comment voulez-vous expliquer la nature du don et du contre-don
23:55 qui se déploient dans les univers amicaux, associatifs, familiaux,
23:58 en recourant à la philosophie du libéralisme ?
24:00 Ça ne tient pas, c'est une philosophie de l'agent rationnel.
24:03 Or, de fait, moi je reprends le mot de Pascal,
24:05 le cœur a des raisons que la raison ignore,
24:08 ça vaut pour la rationalité,
24:10 la rationalité a des raisons que la rationalité ignore.
24:14 Nous sommes beaucoup plus grands que ce à quoi nous réduit
24:16 ce réductionnisme libéral.
24:18 Le mot magnifique, je trouve, le 11e commandement,
24:22 détourné par Dany Robert Dufour,
24:24 qui a beaucoup travaillé sur cette philosophie libérale,
24:28 c'est que c'est "plus aime ton prochain",
24:30 aujourd'hui c'est "baisse ton prochain".
24:32 Alors évidemment, les libéraux conservateurs
24:34 ne veulent pas l'admettre parce qu'ils pensent
24:36 qu'il y a un bon libéralisme, comme il y a un bon cholestérol,
24:38 comme il y a des bons champignons et des bons cucurbitacés.
24:41 Oui, certes, non, pour le champignon...
24:44 Oui, la somme des intérêts individuels
24:46 ne se toucherait sur un bien collectif.
24:48 Alors déjà, là, ça c'est contestable,
24:49 c'est pour ça que c'est une erreur anthropologique.
24:51 Comment des vices individuels pourraient se transformer
24:53 en vertus collectives ?
24:55 Parce que la théorie du gène égoïste,
24:56 comment des gènes égoïstes, elle ne tient pas à cette théorie,
24:59 peuvent produire, c'est la main invisible,
25:01 la main invisible fonctionne là-dessus,
25:03 comment l'avarice, comment le désir sans limite,
25:05 parce que c'est ça aujourd'hui, c'est du désir sans limite,
25:08 donc individuellement c'était les sept péchés capitaux.
25:11 Comment les sept péchés capitaux peuvent se transformer,
25:14 comment le vice, en l'occurrence, peut se transformer en vertus ?
25:17 C'est le tour de passe-passe qui relève de la magie,
25:20 ou de la chimie, du libéralisme.
25:22 Mais c'est avant que je disais que ça,
25:23 les libéraux-conservateurs ne veulent pas l'admettre.
25:26 Ils veulent concevoir qu'il y a un bon libéralisme.
25:29 Et ils préhentent ce mot libéralisme
25:31 en disant que c'est nous qui sommes porteurs des libertés.
25:33 Non, il y a eu des libertés avant le libéralisme.
25:35 Les libertés médiévales étaient fantastiques,
25:37 c'était des libertés au pluriel, des libertés concrètes,
25:40 qui ne relevaient pas du tout de la sphère du libéralisme.
25:43 On peut très bien imaginer demain des formes de liberté
25:46 qui ne relèvent pas du libéralisme.
25:48 Donc on n'a pas besoin du libéralisme pour être libre.
25:51 On l'était avant lui, on le sera après lui.
25:54 Donc c'est ce que je voudrais dire aux libéraux-conservateurs,
25:58 c'est qu'il y a une cohérence philosophique,
26:00 c'est ce que montre Michel,
26:02 une androgynie philosophique entre le libéralisme économique,
26:05 qui est plutôt défendu par la droite,
26:07 et le libéralisme sociétal, qui est plutôt défendu par la gauche.
26:10 Les deux convergent.
26:12 Ils convergent à travers la figure de Macron en France.
26:15 Pas besoin de Macron pour l'illustrer.
26:17 Mais il y a vraiment une unité philosophique fondamentale
26:19 des deux libéralismes.
26:20 Si on ne veut pas l'admettre,
26:22 c'est qu'on s'enfonce dans les contradictions culturelles
26:24 qui finiront par se retourner
26:26 contre ceux qui se réclament du libéralisme,
26:28 en voyant une société de plus en plus décliner,
26:31 de recourir aux drogues,
26:33 à toutes les formes possibles imaginables de suicide,
26:35 d'anomie sociale,
26:36 de comportement destructeur ou autodestructeur.
26:39 – Au début du XXème siècle,
26:41 certains syndicalistes révolutionnaires
26:44 sous l'égide de Sorel
26:46 et des monarchistes sous l'égide de Maurras
26:49 avaient créé ce qu'on appelait le cercle proudhon.
26:51 Est-ce que vous vous revendiquez, en quelque sorte,
26:54 du travail de ces gens-là ?
26:57 Ça n'a pas duré longtemps,
26:58 je crois que ça s'est terminé avant la Première Guerre mondiale.
27:01 – Oui, alors encore que,
27:02 enfin, sous le pavillon AF, ça n'a pas duré longtemps.
27:05 Mais un des grands initiateurs côté actions françaises
27:07 de ce rapprochement entre le syndicalisme révolutionnaire,
27:10 donc en l'occurrence Sorel que vous évoquiez,
27:12 c'est Georges Valois.
27:13 Valois, alors, va être un des dissidents d'Action française.
27:16 Oui, on s'y reconnaît,
27:18 puisque De Benoist a fait plusieurs livres,
27:21 a réédité les cahiers du cercle proudhon,
27:24 avec une préface, qui est une préface livre en réalité,
27:26 sur l'aventure des cercles proudhons.
27:29 Également un livre sur Édouard Berthe,
27:31 qui était le grand disciple de Georges Sorel.
27:33 Donc il a beaucoup écrit sur le sujet.
27:35 Un des soucis majeurs de la Nouvelle Droite,
27:37 c'est d'ouvrir, de casser l'arc,
27:40 le clivage droite-gauche,
27:42 et de réunir les radicaux, au sens étymologique du terme,
27:46 des deux rives.
27:47 – Peut-être c'est de voir le paysage politique comme une ligne,
27:50 mais comme un cercle.
27:51 – Voilà, comme un cercle, et non pas un demi-cercle,
27:54 comme la Chambre, mais un cercle.
27:55 Vous avez raison.
27:56 Ou alors de le voir de manière verticale,
27:58 c'est ce que dit aussi De Benoist dans le moment populiste.
28:00 Le clivage horizontal, c'est gauche-droite, etc.
28:02 Et un clivage vertical, élite, peuple,
28:05 on peut imaginer,
28:07 en tout cas c'est ce à quoi nous employons
28:09 dans la Revue Éléments et la Nouvelle Droite,
28:13 à œuvrer, à coucher de nouveaux cercles proudons.
28:17 Un petit mot peut-être sur l'action française, si j'ai le…
28:21 – Oui, vos divergences, vos convergences.
28:24 – Je pense que les deux grandes aventures intellectuelles,
28:27 à droite, alors évidemment, vous me direz,
28:29 De Benoist ne se reconnaît pas dans le clivage droite-gauche,
28:31 et je viens de parler du cercle proudon.
28:33 Le cercle proudon, c'était aussi l'action française.
28:35 En tout cas la première, qui était la plus audacieuse politiquement.
28:38 Après, je trouve que l'action française, après guerre,
28:40 en tout cas après 14-18, va un petit peu s'embourgeoiser.
28:43 Le premier Maurras, qui était un Maurras assez proche d'Alain De Benoist,
28:46 un Maurras fédéraliste, provençal, martic bien sûr,
28:51 qui chantait avec Mistral le génie.
28:54 – Pauvre peut-être.
28:55 – Alors je ne sais pas si c'est…
28:56 Oh, je ne crois pas qu'il y avait une dimension Benalchimie,
28:58 il faut j'en sortir.
28:59 – Oui, mais peut-être qu'il était jeune, il n'était pas encore embourgeoisé.
29:02 – Oui, alors peut-être.
29:03 Je pense que ce qui nous menace, nous journalistes, nous, école de pensée,
29:10 c'est ce qui menaçait Charles Péguy.
29:12 Péguy l'avait dit pour "Les cahiers de la quinzaine",
29:14 qui était sa grande aventure journalistique.
29:17 On va en sortir beaucoup de livres de Péguy,
29:20 mais c'était d'abord du journalisme, c'était une revue.
29:22 C'est que de temps en temps, il faut se fâcher avec une partie de ses lecteurs,
29:26 de ses auditeurs, etc. pour le renouveler.
29:29 Il ne faut pas trop se fâcher, puisqu'après on s'y d'approche.
29:32 Et puis il y a une proximité de fait avec notre public.
29:36 Mais il ne faut pas se laisser commander,
29:38 c'était le reproche qu'on pouvait adresser au deuxième Maurras,
29:41 par les attentes de ses lecteurs.
29:43 Donc ce que je parlais du fédéraliste,
29:45 le lecteur de Mistral, du mouvement Philippe Rige,
29:48 eh bien il va devenir ce qu'on appelait le Jacobin blanc.
29:51 On n'aurait pas pu imaginer le jeune Maurras
29:54 devenir ce qu'il est devenu à la fin de sa vie, ce Jacobin blanc.
29:57 Et il n'empêche, les points de comparaison entre l'AF et l'AND,
30:00 donc Action Française et Nouvelle Droite,
30:02 sont nombreux, me semble-t-il.
30:04 C'est les deux écoles politiques les plus ambitieuses à droite,
30:07 ces deux écoles politiques qui se sont inscrites dans la durée à droite,
30:10 qui sont difficilement situables dans la lecture que nous donne René Raymond,
30:14 légitimiste, Maurras c'est aussi du positivisme,
30:17 c'est difficile de raccrocher ça au légitimisme.
30:20 L'Orléanisme, qui est une famille qui est autant étrangère à l'Action Française
30:23 qu'à la Nouvelle Droite.
30:25 Et le Bonapartisme, difficile de dire que la Nouvelle Droite est bonapartiste.
30:28 Moi je pourrais l'être, François Bousquet, je suis plutôt populiste,
30:31 et d'origine poujadiste, j'aime bien ce mouvement-là, mais l'AND non.
30:34 Donc les points communs sont très nombreux,
30:36 surtout l'inscription dans la durée, dans le renouvellement et le dépoussiérage
30:39 d'un corpus d'idées qui avait tendance à se pétrifier,
30:43 en tout cas à droite, et à être relayé dans le passé.
30:46 Donc on a essayé de le remettre sur le devant de la scène intellectuelle.
30:49 Rapidement pour terminer, François Bousquet,
30:52 est-ce qu'Alain de Benoît est optimiste pour l'avenir de notre pays ?
30:56 Il recuse cette grille de lecture optimiste-pessimiste.
31:01 Moi je lui ai souvent demandé, cher Alain de Benoît,
31:04 pourquoi es-tu, nous nous soyons, n'es-tu pas plus pessimiste que ça ?
31:08 Moi à ta place, je le saurais, je serais Alceste.
31:10 Après tout le tort et tout le mal que le système m'a fait, je serais comme Alceste,
31:13 un misanthrope, et j'irais me réfugier au fond des bois ou de ma campagne.
31:17 Il me dit non, non, avec une équanimité surprenante,
31:21 on continue à faire face, qu'à cela ne tienne, on continue.
31:25 Ni l'un ni l'autre, de fait, on traverse un interrègne
31:29 qui n'est pas satisfaisant, qui n'est pas gratifiant pour nous,
31:32 parce qu'on voit le niveau s'effondrer, entre autres le niveau de notre pays.
31:36 Mais des jours meilleurs, on travaille, on oeuvre à des jours meilleurs.
31:40 Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il est comme Dominique Wehner,
31:42 qu'il attend l'imprévu dans l'histoire, il l'attend comme Dominique Wehner.
31:46 Et là je réponds à votre question en bottant en touche.
31:50 Comme Wehner, il attend l'imprévu, mais il ne sait pas si l'imprévu sera positif pour nous.
31:54 Il sera peut-être sombre, mais il attend l'imprévu.
31:58 Alain Debenois, Alain Droit, un demi-siècle de Nouvelle Droite,
32:02 c'est sur la boutique de TVL, comme d'habitude.
32:05 Merci François Bousquet.
32:06 Merci Pierre.
32:07 (Générique)