L'ancien ministre des Affaires étrangères était l'invité du 8h30 franceinfo, vendredi 5 janvier 2024.
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00:00 - Bonjour Pierre Védrine. - Bonjour.
00:02 - Voilà bientôt trois mois que la guerre fait rage entre Israël et le Hamas.
00:06 Hier soir, le ministre israélien de la Défense a présenté un plan pour l'après-guerre dans Gaza,
00:12 plan selon lequel il n'y aurait ni Hamas, ni administration civile israélienne en place dans l'enclave.
00:18 Est-ce que, selon vous, ça pourrait être un début de solution politique ?
00:21 - C'est le début de la bataille de l'après.
00:24 N'oubliez pas que le gouvernement israélien est un gouvernement extrémiste.
00:28 Les gens l'oublient parfois. Ils sont beaucoup plus extrémistes que la Hongrie,
00:31 par exemple, que les Européens condamnent sans arrêt sur plein de sujets.
00:36 Et le point commun de ce gouvernement depuis Netanyahou,
00:39 il y a chaque nouveau gouvernement Netanyahou, c'est encore plus extrémiste,
00:42 parce qu'il est des alliés de plus en plus extrémistes, c'est jamais d'État palestinien.
00:47 Ça n'a pas bougé depuis Begin avait répondu ça à Mitterrand, en mars 82.
00:51 Et c'est la grande différence. En Israël, il y a une bataille acharnée, comme chez les Palestiniens,
00:55 entre la minorité qui se résigne à ce qu'il y ait un État palestinien,
00:59 sous contrôle, et la majorité qui n'en veut pas, sauf à l'époque Rabin,
01:03 qui était leur grand homme, Rabin, Pérez, Solmer, etc.
01:07 Donc là, ce que vous voyez, c'est les débuts de la bataille sur l'après,
01:10 avec dans les extrémistes, il y a des nuances,
01:12 parce que celui que vous citez, le plan que vous citez,
01:16 ce n'est pas le pire des plans.
01:17 - Exactement. Alors justement, en parlant de nuances,
01:20 Yoav Galan, le ministre de la Défense, il ne mentionne pas,
01:23 enfin il corrige, il semble corriger certains ministres d'extrême droite,
01:26 qui eux, voulaient encourager la population palestinienne à immigrer
01:29 pour pouvoir recoloniser Gaza.
01:31 - Oui, bien sûr, ils font...
01:32 - Mais ça, c'est une hypothèse qui pourrait se réaliser ?
01:35 - On ne sait pas, c'est la bataille de l'après.
01:37 On est d'abord dans la suite de la guerre de Gaza.
01:40 Après, il y a une bataille sur est-ce que Netanyahou va rester ?
01:44 Selon qu'il reste ou pas, ça déclenche ou pas un nouveau processus de solution,
01:48 ce qu'espère Biden.
01:50 Mais pour le moment, ce sont les différentes nuances de la coalition Netanyahou qui s'expriment.
01:54 - Mais donc ça veut dire que...
01:54 - Alors les pires, ce sont des gens qui raisonnent,
01:56 comme les Américains face aux Indiens pendant la colonisation,
01:59 ils veulent les faire partir, en pratique.
02:01 Faire partir les 2 millions d'habitants de la Cisjordanie,
02:04 mettre la main sur Gaza, réinstaller des colons à Gaza,
02:07 ça c'est l'une des plus dures, parmi les plus dures.
02:09 - Mais donc ça veut dire que la pression américaine,
02:11 parce que Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine,
02:13 arrive en Israël aujourd'hui,
02:15 ça veut dire que la pression américaine ne sert à rien, n'a pas d'effet ?
02:18 - Il vit dans l'avion Blinken, il arrive, il repart, il est là tout le temps.
02:20 - Oui mais les Américains plaident pour une solution à 2 États,
02:23 ça veut dire qu'Israël n'écoute pas les Américains ?
02:24 - Ah ils plaident.
02:25 Ce qui était frappant de la part de Biden, au début,
02:28 alors qu'il n'y a pas du tout obligé pour des raisons de politique intérieure américaine,
02:31 c'est qu'il a évoqué une voie vers un État palestinien, au début,
02:35 avant même qu'aient toutes les manifs, par ailleurs, outrancières aux États-Unis.
02:39 Donc c'est un raisonnement politique.
02:40 Donc il a rejoint le raisonnement de certains Israéliens courageux,
02:44 camp de la paix, les tout petits minoritaires, qui disent
02:47 "il n'y aura jamais de sécurité vraie pour Israël tant qu'il n'y aura pas un État palestinien".
02:51 C'était étonnant que Biden dise ça depuis le début.
02:53 Blinken l'a redit aussi, Blinken dont vous parlez,
02:56 Jacques Sullivan qui est le principal conseiller de...
02:58 Alors maintenant, quels sont les moyens de pression sur Israël ?
03:01 Ce n'est pas évident.
03:03 Tant qu'il n'y a pas un changement de leadership
03:06 et qu'au sein du coude il n'y a pas une micro-révolution
03:08 pour aboutir à un autre ministre que Netanyahou,
03:11 qu'est sur cette ligne ? Jamais d'État palestinien.
03:13 Donc leur position sur Gaza, c'est une application
03:16 au cas particulier de Gaza de ce principe général.
03:19 Donc ils ne veulent pas qu'il y ait une autorité palestinienne reconstituée,
03:24 alors qu'ils ont tout fait pour qu'il n'y en ait pas,
03:25 pour pouvoir dire qu'il n'y avait pas d'interlocuteur.
03:27 Vous voyez, ça se crée dans ce cadre,
03:29 la déclaration qui est un début de bataille politique en fait.
03:33 - La bataille de l'après.
03:34 Vous avez publié récemment une tribune dans Marianne
03:36 dans laquelle vous préconisez vous une initiative autour des États-Unis
03:39 pour trouver un compromis territorial qui serait autour de la table.
03:42 Et pourquoi faire ?
03:44 - J'ai écrit ce papier à la demande de Marianne.
03:47 Ça aurait pu être un autre journal d'ailleurs.
03:49 Comme j'étais mêlé à beaucoup d'épisodes du protège de paix
03:51 que j'ai connu les Israéliens courageux et les Pnées courageux minoritaires,
03:55 mais qui s'était résigné dans les deux cas un compromis territorial.
03:58 Ce que la majorité dans les deux cas ne veulent pas.
04:01 J'ai raconté ça, pas pour raconter ma vie,
04:03 je l'ai raconté pour rappeler comment ça a été détruit, saboté, détruit.
04:07 Alors d'abord par l'assassinat de Rabin,
04:09 mais aussi par beaucoup d'attentats aveugles du côté palestinien
04:12 pour durcir les Israéliens parce que les extrêmes se renforcent,
04:16 ils se solidifient les uns les autres.
04:18 - Pourquoi c'est si compliqué ? Pourquoi chaque processus de paix ?
04:21 - Ça va recommencer si jamais Netanyahou est écarté
04:24 par une poignée de gens du Likoud,
04:26 il dirait "c'est plus tout à fait notre avenir, il y aura quelqu'un d'autre".
04:29 Les Américains espèrent le général Gantz,
04:31 que je ne connais pas, je ne sais pas ce que ça donnerait.
04:33 Donc les mêmes forces vont se déchaîner des deux côtés.
04:37 Donc les gens du Hamas vont essayer de garder le contrôle de tout
04:40 et qu'il n'y ait pas d'autorité palestinienne reconstituée,
04:43 alors que les Américains vont plutôt jouer l'autre carte.
04:45 Et du côté israélien, il y a une majorité qui veut simplement virer les Palestiniens.
04:50 Donc on est aux prémices de cette bataille-là,
04:52 à travers le plan que vous avez cité.
04:54 - C'est une bataille quasi éternelle.
04:56 On se souvient, par exemple, au début des années 2000,
04:59 vous-même, vous faisiez l'interlocuteur entre les Israéliens, les Palestiniens,
05:04 vous faisiez des allers-retours.
05:05 - J'étais ministre, c'était mon job.
05:07 - Vous étiez ministre des Affaires étrangères, effectivement,
05:08 et vous rencontriez ici Shimon Peres.
05:10 Là, il y a Sarah Rafat.
05:11 Et finalement, ces négociations, les contextes sont évidemment différents,
05:15 mais les discussions restent presque les mêmes.
05:18 - Non, pas les mêmes, parce qu'en Israël, il y a eu le...
05:21 Au début, les Israéliens disaient que les Palestiniens, ça n'existe pas.
05:24 Bon, après, il y a des Israéliens qui ont dit
05:25 qu'il y a quand même un problème à régler, qu'on ne peut pas régler que militairement.
05:28 C'est l'évolution d'Ilsac Rabin, qui était leur grand homme, si je puis dire.
05:32 Donc, il y a une dizaine d'années, processus d'Oslo,
05:35 parrainé par Clinton, très préfiguré par Mitterrand et puis par les Européens.
05:39 Et après, c'est fini, parce qu'au contraire, ils ont perdu les élections en Israël.
05:42 D'ailleurs, Clinton l'avait dit devant Jacques Chirac et moi,
05:45 depuis qu'il y a les Juifs russes, c'est fichu,
05:46 parce qu'ils sont plus extrémistes que les extrémistes.
05:48 C'est une question électorale.
05:49 Et comme ils ont un système de représentation proportionnelle intégrale,
05:53 c'est très, très compliqué de faire une majorité,
05:55 encore plus une majorité pour faire des compromis.
05:58 Donc, depuis une quinzaine d'années, c'est fini, ça.
06:00 Simplement, il se trouve qu'en Israël,
06:02 si vous regardez ce qui se dit par certaines ONG,
06:04 dans le journal Haaretz, ou bien Thomas Friedman,
06:07 qui n'est pas israélien, mais qui est un Juif new-yorkais brillant,
06:09 une des grandes figures du journalisme américain.
06:11 Thomas Friedman écrit il y a un mois et demi,
06:13 "La situation actuelle est le résultat de la politique des pires des Israéliens
06:18 et des pires des Palestiniens.
06:20 L'avenir ne pourrait être construit qu'avec les meilleurs des Palestiniens,
06:22 les meilleurs des Israéliens."
06:23 Et Barnavi, qui a été ambassadeur d'Israël à Paris, qui est un grand historien.
06:27 – Et vous croyez qu'une solution plus raisonnable peut être trouvée ?
06:30 – Et quelle autre ?
06:31 Alors, je sais bien que ça paraît impossible.
06:33 Mais sinon, c'est quoi, que les Israéliens virent tous les Palestiniens ?
06:37 C'est quand même inconcevable.
06:38 Que le monde arabe finisse par avoir la peau d'Israël, inconcevable.
06:41 Donc d'une façon ou d'une autre, moi je ne pense pas du tout,
06:44 ce n'est pas mon genre d'être idéaliste fumeux,
06:46 je crois que d'une façon ou d'une autre, une sorte de réalisme
06:49 autour du compromis territorial va se réimposer un moment ou un autre.
06:53 – Et pour cela, il faudrait aussi que Benjamin Netanyahou ne soit plus au pouvoir
06:56 et pour l'instant il s'accroche au pouvoir.
06:58 Il pourrait réussir peut-être à sauver sa peau.
07:00 – Mais peut-être que ça n'aura pas lieu et qu'on va s'enferrer
07:03 dans des situations de pire en pire.
07:05 On va y revenir dans un instant juste après le Fil info à 8h40, Diane Ferchit.
07:10 [Générique]
07:11 – De nombreux dirigeants européens attendus aux Invalides ce matin
07:14 pour l'hommage à Jeph de Laure.
07:16 Il aura présidé pendant 10 ans la Commission européenne.
07:19 L'ancien ministre des Finances socialiste disparu la semaine dernière à 98 ans
07:23 au mage national présidé par Emmanuel Macron à partir de 11h.
07:28 À quoi ressemblera l'après-guerre à Gaza ?
07:30 Le ministre israélien de la Défense a dévoilé la nuit dernière un premier plan
07:34 pour gérer l'enclave avec ni le Hamas ni une administration israélienne.
07:38 Selon lui, ce sera à des entités palestiniennes de se charger de la gestion
07:43 à condition qu'il n'y ait aucune action hostile contre l'État d'Israël.
07:47 Après une nouvelle réunion avec les repreneurs,
07:50 l'intersyndicale du groupe Casino indique qu'Auchan reprendra un tiers
07:54 des 313 magasins CD, le reste ira à Intermarché.
07:57 Pour connaître le détail, syndicats et salariés vont devoir attendre
08:00 le 24 janvier prochain.
08:02 Le début des 32e de finale de la Coupe de France de football
08:05 avec 6 matchs au programme.
08:07 L'affiche du jour, c'est le déplacement de Clermont à Metz.
08:10 Coup d'envoi à 20h45.
08:12 Toujours avec Hubert Védry, l'ancien ministre des Affaires étrangères.
08:23 La tension est encore montée un cran au Proche-Orient
08:26 après la mort dans une frappe au Liban du numéro 2 du Hamas attribué à Israël.
08:30 Pour le moment, le Hezbollah menace mais ne riposte pas.
08:34 Est-ce qu'on est à deux doigts d'une escalade régionale selon vous ?
08:38 Je ne crois pas, mais on n'est jamais sûr dans ces domaines.
08:41 Mais il ne semble pas que l'Iran, qui est derrière le Hezbollah,
08:44 beaucoup plus encore que derrière le Hamas,
08:46 veuille escalader trop.
08:48 Ils aiment bien utiliser les différents chiites ou les groupes
08:51 qui sont derrière eux sur l'ile dure, mais pas en s'exposant trop.
08:55 Donc oui, il peut y avoir des échanges, il peut y avoir des tirs,
08:58 des petites représailles, mais l'escalade régionale générale, non, je ne crois pas.
09:01 Emmanuel Macron, après cette frappe, a appelé Israël
09:04 à éviter toute attitude escalatoire, notamment au Liban.
09:07 Vous le disiez tout à l'heure, vous étiez notamment avec François Mitterrand
09:11 en Israël en 1982 pour la première visite d'un président français sur place.
09:15 La voix de la France a-t-elle déjà pesé dans ce conflit ?
09:18 La voix de personne ? La voix de qui ?
09:22 Si même la voix des États-Unis avait fonctionné,
09:24 il y aurait un petit État palestinien depuis 30 ans,
09:27 qui serait d'ailleurs associé à mon avis à Israël et la Jordanie
09:31 dans une confédération régionale dynamique.
09:33 Donc la voix de qui ?
09:35 Donc il y a un phénomène israélien, évidemment il y a des horreurs du côté,
09:39 on ne va pas revenir là-dessus, du côté Hamas, c'est évident ça.
09:43 Mais historiquement, il y a un problème israélien,
09:46 et les seuls Américains qui ont les clés, parce qu'ils fournissent
09:48 des finances, des armes, etc., les seuls qui ont essayé
09:52 de contraindre un peu Israël dans leur intérêt,
09:54 c'est il y a très très très longtemps, le président Eisenhower,
09:56 à l'époque de Suez, et puis plus récemment,
10:00 le président Bush le père, avec James Baker,
10:02 ils ont obligé les Israéliens à entrer dans le processus
10:06 dit de la Conférence de Madrid, préfiguré par Mitterrand à la Knesset,
10:09 préfiguré par les Norvégiens, processus d'Oslo, etc.
10:12 Sinon, les présidents américains lisaient leur mémoire,
10:15 ils expliquent ce qu'ils auraient dû faire,
10:17 et pourquoi ils ne l'ont pas fait, en général.
10:19 Donc il n'y a pas tellement de levier,
10:21 donc ce n'est pas spécialement la France en particulier.
10:23 Et même quand la France elle dit des choses, à mon avis, justes et courageuses,
10:26 ça n'a pas eu d'effet, il aurait fallu que ce soit relayé par les États-Unis
10:29 et par l'ensemble des Arabes, etc.
10:31 Ça n'a pas eu lieu, sinon on n'en serait pas là.
10:33 – Et c'est là qu'on comprend que les prochaines élections américaines
10:35 seront très importantes pour l'ensemble du monde.
10:37 À 11h… – Sur tous les plans.
10:39 – Sur tous les plans. À 11h, un hommage national aux Invalides
10:41 sera rendu à Jacques Delors, ancien ministre,
10:44 ancien président de la Commission européenne décédée la semaine dernière.
10:47 Qu'est-ce que vous, vous retenez de Jacques Delors ?
10:49 – Alors, moi je dissocierais, je ne veux pas dissocier, mais je distingue l'homme.
10:54 Il y a un hommage formidable à l'homme, c'est un homme magnifique,
10:56 c'est un très beau parcours, peut-être encore plus sur le plan humain
11:00 et social que sur le plan européen.
11:02 Donc c'est un parcours magnifique depuis l'origine.
11:05 Mon père et lui étaient amis dans des associations
11:08 ou des groupes, disons de chrétiens de gauche dans les années 50.
11:12 Je connais bien l'origine de Jacques Delors par rapport à ça.
11:15 Il était un formidable ministre, mais est-ce que c'est transposable
11:20 à l'Europe d'aujourd'hui ? Est-ce qu'on peut en tirer des leçons précises,
11:23 immédiates, politiques ? C'est moins évident.
11:25 Donc comme figure, hommage, oui, figure…
11:27 – C'est-à-dire que le marché unique aujourd'hui, l'euro, etc.,
11:29 ce n'est pas tellement ce qu'il y a de vent en poupe aujourd'hui
11:31 dans les différentes capitales européennes.
11:33 – Oui, par ailleurs, mais les différences, ce n'est pas ça.
11:35 Ce que je veux dire, c'est que Jacques Delors est devenu président de la Commission
11:39 dans une Europe à 8, 10, 12, 15, ça n'a rien à voir avec aujourd'hui,
11:45 par une décision conjointe de Mitterrand et Kohl.
11:48 À l'époque, il y avait un couple franco-allemand.
11:50 – Il y avait une volonté du couple franco-allemand de s'avancer.
11:53 – Il y avait un couple, il y a eu de Gaulat-Denauer, Giscard-Schmidt,
11:55 Mitterrand-Kohl, ce qui a disparu après la reunification,
11:58 ce n'est pas un drame, c'est comme ça, il n'y en a plus après la reunification.
12:01 Donc ils ont décidé à Fontainebleau, à Fontainebleau,
12:05 alors j'ai lu que Mitterrand poussait chez son,
12:07 que Kohl avait imposé, Delors, c'est tout à fait faux,
12:09 c'est une décision au Conseil européen de Fontainebleau en juin 1984,
12:13 et Mitterrand a dit devant son équipe qui était là,
12:16 c'est-à-dire Attali, Bianco, Guigou, Nallet et moi,
12:19 il va très bien s'entendre avec Kohl, ce sont des démocrates chrétiens,
12:22 c'était la formule de l'époque.
12:24 Et après, pendant son mandat de président, Delors a été formidable,
12:28 il y a une nostalgie géante parce qu'il n'y a eu aucun président de la Commission
12:31 qui ait fait aussi bien depuis.
12:32 – Et qu'est-ce que vous retenez justement de ce mandat ?
12:34 – Il s'appuyait précisément sur Kohl et Mitterrand, tout le temps,
12:38 donc il n'a pas été élu président de l'Europe,
12:41 il n'a pas été chef d'État, il n'a pas été président, il n'a pas été candidat,
12:44 il a été nommé par Kohl et Mitterrand président de la Commission,
12:47 il avait un travail magnifique en s'appuyant sur Mitterrand et sur Kohl,
12:50 ou sur les deux, ce n'est pas transposable.
12:52 – Et que retenez-vous essentiellement de ce bilan ?
12:54 – Ce n'est pas du tout la même situation d'aujourd'hui.
12:56 – Ce n'est pas la même situation, mais qu'est-ce que vous retenez néanmoins
12:58 comme héritage aujourd'hui de Jacques Delors au niveau européen ?
13:00 – Encore une fois, c'est ce que je suis en train de dire,
13:02 ce n'est pas un héritage qui soit politiquement transposable, de façon mécanique.
13:05 – Donc Emmanuel Macron, il ne peut pas par exemple, pour aujourd'hui,
13:07 revendiquer son héritage ou prétendre être son héritier ?
13:09 – Si, il peut, parce que c'est un héritage intellectuel,
13:11 intellectuel, politique, une inspiration, un esprit européen,
13:15 qui est contre les nationalismes étroits, contre les égoïsmes étriqués,
13:19 on peut ça, tout à fait, il va le faire, certainement, il aura raison de le faire.
13:22 Mais est-ce qu'on peut transposer le Jacques Delors,
13:25 que nous regrettons que nous salions aujourd'hui et j'ai mis à ceci,
13:28 est-ce qu'on peut le transposer à l'Europe à 27,
13:31 qui va peut-être devoir s'élargir à 35,
13:33 confronter à des problèmes très très compliqués que vous avez en tête,
13:37 avec des populations qui sont très souvent eurosceptiques,
13:40 pas au sens des médias, c'est-à-dire pas hostiles,
13:42 pas euros hostiles, mais sceptiques.
13:44 Oui c'est bien, moi je n'aime pas trop ce que ça devient,
13:46 oui, entre les deux, il faut récupérer ces populations,
13:49 et moi je pense ça, depuis le référendum Maastricht,
13:52 en France, qui n'était passé qu'à un point d'écart,
13:55 moi je pense que la priorité pour l'Europe,
13:57 c'est une sorte de réconciliation élite-peuple, par rapport à ça.
14:01 Alors, dans l'Europe d'aujourd'hui 2024, je veux dire,
14:04 c'est pas évident, bien sûr qu'on est inspiré par Delors,
14:06 mais ça ne peut pas, il n'y a pas la solution miraculeuse,
14:09 automatique, c'est ça que je veux dire.
14:11 - Jacques Delors qui incarnait aussi l'espoir de la gauche,
14:13 notamment en 95, et le 11 décembre 94,
14:16 - Ah bah oui, je ne l'ai pas présenté.
14:18 - Face à Anne Sinclair, à la surprise générale,
14:19 il dit qu'il n'est pas candidat.
14:20 Est-ce qu'à l'époque vous aviez compris sa démarche ?
14:23 - À l'époque, oui, je savais très bien,
14:26 j'étais secrétaire général, je parlais avec le président tous les jours,
14:30 mais Jacques Delors ne voulait pas se lancer,
14:33 je crois, dans une bataille politique féroce,
14:35 il était, je crois, il n'était pas sûr des soutiens qu'il aurait obtenus.
14:39 Bon, c'était un démocrate chrétien, enfin un homme de centre-gauche,
14:43 donc par rapport au grand rassemblement de la gauche
14:47 que Mitterrand a fabriqué avec son génie particulier,
14:49 c'était pas évident par rapport à ça,
14:51 il aurait eu ses frondeurs, enfin plein de choses.
14:53 Donc je pense qu'il a anticipé sur tout ça,
14:55 maintenant je ne suis pas dans sa tête,
14:56 je ne le connais pas intimement,
14:58 il faudrait savoir ce qu'en pense sa fille,
15:00 mais en tout cas, il a confirmé ce qui n'a pas étonné tout le monde,
15:04 ça n'a pas étonné Mitterrand, par exemple,
15:06 que Jacques Delors n'y aille pas, vous voyez ?
15:08 Donc il était entre les deux,
15:10 mais je crois que l'attente par rapport à lui était gigantesque,
15:12 et qu'il a eu, en conscience, parce que c'est un homme très droit,
15:16 il a dû estimer qu'il ne serait pas en mesure
15:18 de répondre aux attentes qui se levaient autour de lui.
15:22 C'est ma thèse.
15:24 - Notamment parce qu'il était clivant, à gauche pour certains,
15:26 c'est l'homme de la rigueur, d'autres disent au contraire
15:28 qu'il était simplement réaliste
15:30 et que c'était ce qui manquait au Parti Socialiste,
15:32 vous êtes d'accord avec ce que vous dites ?
15:34 - Rigueur, c'est un faux procès,
15:36 Jacques Delors, il n'y a pas que Jacques Delors,
15:38 c'est Pierre Moroy qui a convaincu François Mitterrand
15:40 au moment de mars 83,
15:42 quand Mitterrand a pesé le pour et le contre
15:44 entre les différentes politiques.
15:46 C'est évidemment du côté de Moroy,
15:48 mais c'est Moroy qui a dit au Président
15:50 qu'on ne peut pas continuer comme ça,
15:52 on a appliqué les promesses des 110 propositions,
15:54 très bien, mais on a des déficits géants,
15:56 il faut corriger, donc Mitterrand
15:58 fait un choix raisonnable, rationnel,
16:00 très encouragé par Delors.
16:02 Mais Delors pensait, comme d'ailleurs Berrugovoy,
16:04 d'une autre façon, qu'avec une vision sociale,
16:07 il fallait commencer par avoir des comptes équilibrés,
16:09 parce que quand on était avec des déficits exagérés
16:12 ou d'inflation exagérée,
16:14 c'est les plus pauvres qui payent, en fait,
16:16 par rapport à ça. Donc pour lui, il n'y avait aucune...
16:18 Il était très mindaiciste, donc c'était une sorte de lien
16:20 là-dessus entre Mindaice et Mitterrand, vous voyez.
16:22 Donc le procès de la rigueur alimenté
16:24 par une extrême gauche,
16:26 on va dire, démagogique,
16:28 ça n'a pas de portée, c'est pas convaincant.
16:30 - S'il s'était présenté,
16:32 cela aurait peut-être changé le visage
16:34 de la social-démocratie aujourd'hui de la gauche ?
16:36 - D'abord, ça aurait changé l'histoire
16:38 de la France politique récente, bien sûr,
16:40 mais je ne sais pas comment ça serait passé après.
16:42 - Merci beaucoup Hubert Védrine,
16:44 ancien ministre des Affaires étrangères.
16:46 Merci beaucoup d'avoir été ce matin l'invité du 8.30 France Info.