Le débat économique : "Contrôleurs SNCF, les revendications sont-elles légitimes ?"

  • il y a 7 mois
Le débat éco de ce vendredi avec : Dominique Seux et Thomas Porcher. Thème du jour : Contrôleurs SNCF, les revendications sont-elles légitimes ? Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique/le-debat-eco-du-vendredi-16-fevrier-2024-9247045

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00:00 Le débat éco du vendredi avec Thomas Porcher et Dominique Seux.
00:04 Bonjour messieurs.
00:05 Bonjour.
00:06 Bonjour à tous.
00:07 Cette semaine le thème de votre échange n'a pas été très difficile à trouver, c'est
00:10 la grève à la SNCF.
00:12 Grève qui a commencé hier soir à 20h et qui doit se prolonger jusqu'à lundi à 8h
00:17 du matin.
00:18 Ces dernières heures, on entend beaucoup parler de propositions politiques et notamment à
00:22 droite pour limiter le droit de grève.
00:24 On va en parler, vous entendiez la manière dont se déroule cette journée dans les différents
00:29 journaux mais comme les raisons de la colère des conducteurs, est-ce que vous comprenez
00:35 le mouvement de ces cheminots ? Colère également des contrôleurs.
00:38 On commence avec vous Thomas Porcher.
00:39 Moi je comprends la stratégie.
00:41 Parce qu'aujourd'hui si vous manifestez le lundi de 14h à 15h, personne ne vous entend
00:46 et la direction ne cèdera sur rien.
00:48 On l'a bien vu pendant les manifestations sur la réforme des retraites où Emmanuel
00:52 Macron, après de grosses manifestations, n'a même pas voulu recevoir les syndicats.
00:57 Aujourd'hui on est dans un contexte où on doit établir des rapports de force à forte
01:02 intensité pour avoir des résultats.
01:04 Ça a été le cas des agriculteurs, aujourd'hui les cheminots et peut-être demain un autre
01:07 corps de métier.
01:08 Quand bien même ça se passerait pendant les vacances et quand bien même ça viendrait
01:11 perturber la vie de nombreux citoyens ?
01:13 C'est ça le but recherché.
01:16 Comme je l'ai dit, une manifestation le lundi de 14h à 15h, je sais que le patronat rêverait
01:21 que des manifestations se fassent et que personne ne s'en rende compte mais si on faisait ça,
01:25 on n'aurait pas de résultat.
01:26 Donc le but c'est d'avoir un résultat.
01:28 Donc la stratégie, je la comprends.
01:30 - Dominique Seux ?
01:31 - Le maître de la direction de la SNCF dans le cadre du patronat me fait sourire.
01:35 - Pourquoi ?
01:36 - Je vais un léger sourire.
01:37 - Vous y étierez venu dans votre chronique de jeudi dernier.
01:39 - C'est une entreprise un peu particulière, quand même assez différente.
01:44 Le mot que vient d'utiliser Thomas et le vôtre c'est la gêne pour les usagers.
01:50 Il y a quand même quelque chose qui est frappant par rapport à il y a une dizaine ou une quinzaine
01:53 d'années, c'est que dans les grandes villes, notamment à Paris, il y a beaucoup moins
01:56 de gens qui ont des voitures et donc qui ont des alternatives.
02:00 A Paris, les gens ont moins de voitures, je ne sais plus quel est le chiffre, mais il
02:02 est très faible et donc il y a des problèmes d'organisation qui sont encore plus concrets
02:06 qu'à 15 ans.
02:07 Sur comprendre le mouvement, je note que le syndicat numéro 2 de la SNCF, l'UNSA, ne
02:13 comprend pas le mouvement, manifestement.
02:15 Le numéro 4, la CFDT, ne comprend pas le mouvement.
02:17 Donc il n'y a pas une unanimité.
02:18 - C'est la CGT et Sud Rail qui appellent les contrôleurs à faire grève.
02:21 On peut discuter à l'infini et on va le faire évidemment des raisons de la colère et du
02:27 mouvement, mais moi ce qui me frappe et ce qui saute aux yeux quand même, c'est que
02:30 c'est disproportionné.
02:32 C'est-à-dire qu'il y a dix jours, les agriculteurs étaient en mobilisation et l'État, le gouvernement,
02:40 a mis sur la table 400 millions d'euros pour 400 000 agriculteurs.
02:44 Là, on ne sait pas évidemment quel sera le bilan financier de cette grève des contrôleurs,
02:50 mais le dernier mouvement, en décembre 2022, avait coûté à l'entreprise 100 millions
02:54 d'euros.
02:55 8000 contrôleurs en grève, 100 millions d'euros.
02:58 400 000 agriculteurs, 400 millions d'euros.
03:01 C'est totalement disproportionné.
03:03 Ce rapport est insensé entre les inconvénients de cette grève, de ce mouvement et l'enjeu
03:11 qui est derrière.
03:12 - Thomas Porchet, il y a quelque chose de frappant évoqué par Dominique Seux cette
03:16 semaine à l'antenne d'Inter, c'est que la SNCF devrait dévoiler dans quelques jours
03:20 un profit de l'ordre de 2 milliards d'euros pour 2023.
03:23 Les syndicats donc réclament des augmentations de salaires.
03:27 Vous comprenez cette démarche ?
03:28 - La première chose déjà, c'est que vous savez, la SNCF, on essaie de nous faire croire
03:32 que c'est un service public comme une administration publique, où il y aurait des salaires dans
03:36 la direction, on gagnerait 6-7000 euros.
03:38 Je veux dire, les grands patrons de la SNCF, il faut voir leur salaire.
03:42 L'ancien M.Pépi ou Mme Borne, je pense qu'elle ressemblait plus à un grand patron du 440
03:49 qu'à un chef d'administration.
03:52 Florence Parly, quand elle était DG de SNCF Voyageurs, vous savez c'était quoi son salaire ?
03:55 52 569 euros net par mois.
03:58 Alors excusez-moi, ça ressemble plus au salaire d'un haut cadre dirigeant du 440 que d'une
04:03 administration publique.
04:05 La vraie question des bénéfices, c'est plutôt la hiérarchie des salaires.
04:09 C'est-à-dire qu'il y a une volonté, moi je crois, depuis un certain nombre d'années,
04:13 y compris à l'intérieur de la SNCF, à casser ce statut de cheminot.
04:16 Les cheminots, c'est un petit peu les mineurs de Margaret Thatcher.
04:19 C'est-à-dire que les gouvernements, mais aussi la direction de la SNCF, se dit que si
04:23 elle arrive à casser finalement ce statut de cheminot, après on peut y aller sur le reste.
04:28 Dominique ?
04:29 La rémunération de Jean-Pierre Farandou, c'est un dixième de la rémunération d'un
04:33 patron d'une entreprise privée de taille comparable.
04:35 Je ne veux pas dire que ça n'est rien non plus, évidemment.
04:39 Mais la question des salaires, elle est posée.
04:42 Elle est absolument posée.
04:43 Elle est posée parce que pour la période 2022-2024, l'évolution des salaires, même
04:48 pour les plus bas salaires, a été de +17% et même +21%.
04:51 C'est davantage que l'inflation.
04:53 Alors ce sont des chiffres qui ne sont pas contestés, à ma connaissance, par les syndicats.
04:56 C'est sur trois ans, +17%.
04:58 Les syndicats disent, après des années de gêne.
05:01 Et c'est vrai par rapport à l'ensemble des Français, +17%, +21% en trois ans, ça
05:07 n'est pas rien du tout.
05:08 Sur la question salariale, il faut toujours être une certaine humilité parce que ça
05:12 renvoie évidemment aux situations personnelles de chacun et on ne va pas distribuer des bons
05:18 ou des mauvais points.
05:20 Ce qui frappe quand même, quand on regarde un tout petit peu les chiffres, et on ne va
05:23 pas rester sur les chiffres des heures, mais la rémunération, il ne faut pas parler du
05:27 salaire, c'est la rémunération, salaire + prime, moyenne d'un contrôleur à l'SNCF
05:34 est supérieure à celle d'un professeur certifié fonctionnaire.
05:38 Alors chacun peut en penser ce qu'il veut, mais je sais que nous avons, je crois, on
05:42 me dit qu'il y a un certain nombre d'enseignants qui écoutent France Inter le matin.
05:45 Donc moi ça me frappe, en tout cas, voilà cette différence.
05:48 Après chacun peut en penser ce qu'il veut.
05:50 - Oui, parce qu'il y a malgré tout un métier avec des contraintes réelles.
05:55 - La vieille stratégie d'opposition, on va dire, des salaires qui n'ont pas bien évolué,
05:58 parce que le salaire des enseignants, je crois que ça fait 25 ans qu'il n'évolue pas.
06:01 Mais là où je rejoins Dominique, c'est qu'effectivement il y a une hausse de salaire très forte ces
06:05 deux dernières années qui est due à la grève de 2022.
06:07 Parce que s'il n'y avait pas eu cette grève, il n'y aurait pas eu de hausse de salaire.
06:09 Et là, il faut le dire, c'est d'idée.
06:11 Avant le Covid, pendant dix ans pratiquement, la productivité des cheminots a augmenté
06:16 plus vite que la moyenne de la productivité française.
06:19 Et les salaires n'ont pas suivi.
06:21 Vous voyez, c'est important de le rappeler.
06:24 Et puis une autre chose que je dirais, c'est que les raisons de la colère, elles sont où ?
06:28 C'est que vous aviez un collectif qui représentait 70% des contrôleurs.
06:31 Un collectif qui voulait rencontrer la direction justement pour qu'on prenne en compte les
06:34 primes dans le calcul de la retraite.
06:36 Et qu'est-ce qu'a fait la direction ?
06:37 Pour elle, elle ne reconnaît pas le collectif, elle a refusé de les rencontrer.
06:41 Elle a demandé à tous les directeurs de SNCF, parce que c'est plusieurs entités,
06:45 de stopper la communication avec eux.
06:46 Donc après, il ne faut pas s'étonner que les gens soient énervés.
06:49 Et quand on parle des salaires, il y a 25 à 30% de primes.
06:53 Quand on prend le salaire sans les primes, vous avez 60% des cheminots qui perçoivent
06:58 moins de 2200 euros.
06:59 Net.
07:00 Parce que dans les cheminots, il y a aussi des jeunes conducteurs de TER.
07:02 Il y a un entrée symbolique, oui, Dominique.
07:04 Je crois très important de ce qui a été dit par Thomas.
07:05 Est-ce qu'une direction d'entreprise, c'est bien nous de la SNCF, doit discuter avec des
07:10 collectifs qui se montent ?
07:11 Et effectivement, il y a un collectif qui s'est monté, qui représente 3000 sur Facebook,
07:15 et puis des groupes WhatsApp, 3500, 4000 contrôleurs.
07:18 Nous sommes dans un système de représentation.
07:21 Et de représentation, il est logique que les directions d'entreprise négocient avec
07:26 les syndicats.
07:27 Je suis étonné que Thomas Porcher considère qu'il faut bypasser les syndicats.
07:31 Ça me paraît un petit peu curieux.
07:32 Les contourner.
07:33 C'est la légitimité.
07:34 Alors, les syndicats, évidemment, sont un peu montés dans le bateau.
07:38 Sud Rail est un peu monté dans le bateau.
07:40 Même si dans les raisons de la colère, il y a un point.
07:43 Je reviendrai dans un instant sur la question des primes et de l'intégration des primes
07:47 dans le calcul de la retraite, qui est un point important.
07:49 Mais il y a quand même un éléphant dans la pièce, qu'il ne faut pas oublier.
07:53 C'est qu'il y a des élections au conseil d'administration de la SNCF exactement à
07:56 la fin du mois de mars et début avril.
07:58 Et un des leaders importants, Sud Rail, Fabien Vildieu, est au conseil d'administration
08:06 de la SNCF.
08:07 Et j'imagine qu'il entend bien le rester.
08:09 Ça fait sourire Thomas Porcher ?
08:10 Non, je ne connaissais pas cette information, donc je l'apprends.
08:14 Non, mais moi je regarde de quelle situation on part et pourquoi les gens sont énervés.
08:19 En fait, la SNCF, ça fait des années qu'on essaie de casser ce monopole public, qu'on
08:24 l'a séparé en entité homogène, SNCF réseau, SNCF mobilité, qu'on nous dit qu'on va
08:28 l'ouvrir à la concurrence, que l'exemple du système de retraite des cheminots a toujours
08:32 été mis en avant pour faire la promotion des réformes de retraite.
08:36 Même si l'Etat a effacé 35 milliards d'euros de dette de la SNCF et même si chaque année
08:41 l'Etat verse 20 milliards d'euros à cette entreprise.
08:44 Vous savez, tous les systèmes de transport ferré sont subventionnés, y compris ceux
08:50 où il y a eu une forte libéralisation.
08:52 Par exemple, le système allemand, l'Allemagne a racheté aussi une dette de 35 milliards
08:55 alors que le système était l'exemple de la Commission européenne en termes de libéralisation.
08:59 Donc la subvention du rail, elle se fait partout.
09:02 Et sur… Je reviens juste un instant sur…
09:05 Oui, et Thomas Porchat a évoqué un nom symbolique, c'est celui de Margaret Thatcher qui reste
09:08 évidemment dans les mémoires comme le symbole d'une dirigeante politique qui a brisé le
09:14 monopole des réseaux ferrés en Angleterre et qui a brisé également le statut protégé
09:21 de ceux qui y travaillaient.
09:22 Je vous fais une promesse Alice, c'est que dès que je serai sortie du studio, je vais
09:26 me précipiter sur les statuts de la SNCF pour voir si quelque chose m'a échappé et si
09:29 la SNCF a été privatisée pendant la nuit, ce que j'ignore.
09:32 La totalité de toutes les entités de la SNCF, sauf Geodis et Coyolis, appartiennent
09:40 à 100% à l'État.
09:41 Que ce soit SNCF Réseau, SNCF Voyageurs, etc.
09:44 Gare et Connexion, etc.
09:45 Mais alors qu'est-ce que vous répondez à Thomas quand il vous dit qu'on essaie
09:48 de briser le statut protégé de certains employés de la SNCF ?
09:51 J'ai du mal à comprendre en quoi nous allons vers une privatisation de la SNCF.
09:57 Là, je n'ai pas d'éléments qui me permettent, mais j'attends.
09:59 Je suis impatient.
10:00 Vous savez, ça commence souvent par l'ouverture à la concurrence.
10:03 Puis à la fin, on l'a bien vu sur d'autres entreprises publiques, par exemple comme GDF,
10:08 on a bien vu comme on a bradé une grosse partie de notre patrimoine.
10:11 EDF, l'État a décidé de le racheter parce qu'on s'est rendu compte que la libéralisation,
10:15 la casse du monopole d'EDF a été un fiasco.
10:18 Et je pense que sur la SNCF, on s'en rendra bientôt compte.
10:21 Vous avez parlé du modèle anglais qui a été l'exemple, encore une fois, en termes
10:25 de libéralisation et de privatisation.
10:26 - Mais quel est le rapport avec le modèle anglais ?
10:27 - Non, mais c'est important de le rappeler.
10:28 Il y a un rapport Rebuilding Rail qui a montré que depuis que ça a été privatisé en 20
10:33 ans de privatisation, il y a eu plus de retard.
10:34 Les billets ont augmenté de 117%.
10:37 Et pour les Britanniques, aujourd'hui, le coût est 7 fois plus élevé que pour la France
10:42 dans les déplacements de domicile de travail.
10:44 - Mais quel est le rapport avec le Royaume-Uni ?
10:46 - Le rapport, c'est que ça a souvent été un exemple de la libéralisation du rail au
10:49 Royaume-Uni dans les réformes qui ont été faites, notamment la casse du monopole public
10:53 de la SNCF.
10:54 - Alors, il y a trois lignes.
10:55 - Une question qui est posée et qui revient.
10:56 Oui, rapidement Dominique, parce qu'il y a une question importante malgré tout, une
10:58 question politique sur laquelle j'aimerais qu'on termine.
11:00 - Il y a très peu de lignes ouvertes à la concurrence.
11:01 Et la concurrence, généralement, favorise y compris les clients, ce qui n'est pas mal.
11:06 - Qu'est-ce que vous pensez des propositions de réformes du droit de grève ? C'est l'éternel
11:09 retour d'une vieille question, mais qui se pose avec acuité.
11:13 - Écoutez, je sais que c'est un rêve de briser les syndicats.
11:16 Vous savez, il y a une étude de la Dares qui est sortie.
11:17 - Pas les syndicats, du droit de grève.
11:19 - Oui, mais ça va souvent avec.
11:21 Il y a une étude de la Dares qui est sortie il y a quelques jours et qui explique bien
11:25 que partout où il y a le plus de grèves et une présence plus importante des syndicats,
11:30 les salaires sont plus élevés.
11:31 Et je vais vous dire, en Italie, le droit de grève a été encadré.
11:35 Vous savez, c'est quoi le résultat ? C'est qu'un contrôleur, il gagne quasiment deux
11:37 fois moins qu'en France.
11:38 - Dominique Seux.
11:39 - D'abord, je n'avais pas fini.
11:41 La prise en compte des accotés du salaire dans le calcul de la retraite est un point
11:48 important qui mérite de discuter.
11:49 Je l'ai compris d'ailleurs pour l'ensemble des fonctionnaires.
11:51 C'est un vrai sujet.
11:52 Sur le service minimum ou le droit de grève, on a beaucoup parlé d'Italie ces derniers
11:59 jours.
12:00 L'Italie, on sait qu'il y a 60 jours pendant lesquels il ne peut pas avoir de grève dans
12:05 le transport ferroviaire.
12:06 Le système allemand est très intéressant.
12:07 On n'en parle pas du tout du système allemand.
12:09 Le système allemand, c'est très simple.
12:10 Il y a un accord et pendant la durée de l'accord entre la direction de l'entreprise et les
12:16 syndicats, il n'est pas possible de se mettre en grève.
12:19 Quand l'accord est fini, il y a une nouvelle négociation et à ce moment-là, il y a éventuellement
12:23 une grève.
12:24 Je trouve que c'est un système qui pourrait inspirer un pays comme la France.
12:29 A condition évidemment que les syndicats respectent leur engagement de ne pas faire
12:34 grève pendant la durée de l'accord.
12:35 De quoi cette grève est-elle le symptôme, en un mot ?
12:37 Je le dis de rapports de force à forte intensité qui deviennent obligatoires pour se faire
12:44 entendre.
12:45 En un mot ?
12:46 D'un corporatisme exagéré, le cas présent.

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