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Gérard Conio, professeur de langue et de civilisation russe, nous livre à travers l'ouvrage "La Russie et son double" (Edition Perspectives libres) une lecture des terribles années 90 où la Russie a failli disparaître et explique à partir des éclairages de la grande culture russe comment du chaos post-soviétique, la Russie s’est tournée vers Vladimir Poutine.

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00:00 [Générique]
00:06 Chers amis, bonjour, heureux de vous retrouver sur TV Liberté.
00:10 Aujourd'hui, on va parler d'un thème que vous connaissez,
00:14 mais sous un an que vous connaissez peut-être moins.
00:16 Nous allons parler Russie.
00:19 On dirait que ça commence à faire un peu lourd depuis les débuts de l'opération spéciale.
00:24 Disons que parfois on aimerait se retirer du grand froid,
00:29 mais je pense que cet angle-là est un peu original.
00:33 Je voulais vous présenter quelqu'un, je voulais vous présenter Gérard Cognou.
00:36 Gérard Cognou, bonjour. – Bonjour.
00:38 – Alors Gérard Cognou, vous êtes l'auteur de ce livre
00:41 "La Russie et son double" aux éditions Perspectives Libres.
00:45 Il faut savoir que vous êtes un universitaire, traducteur, enseignant.
00:50 Vous êtes un passeur de culture entre la France et la Russie
00:54 et au-delà le monde du grand Est.
00:56 Vous traduisez également du polonais et si mes souvenirs sont bons,
00:59 du serbo-croate également.
01:01 – Moins, mais j'ai bien connu la Serbie, puisque j'ai collaboré à l'âge d'homme
01:06 dans l'éditeur et des serbes.
01:08 J'étais un grand ami et collaborateur de Dmitri Vich dans la Yougoslavie,
01:13 enfin surtout la Serbie, mais on a toujours été très proches.
01:17 – Et à travers ce livre, vous faites des coupes, si vous voulez,
01:24 dans la grande culture russe.
01:27 Vous voyez la notion de cosmos dans la pensée russe,
01:32 vous voyez Dostoïevski, vous voyez les grands auteurs,
01:34 vous voyez la notion de troisième rome, vous voyez énormément de choses.
01:37 Et qui nous aide, disons, à voir l'immensité de la civilisation russe.
01:44 – Alors, sûr, et en tant que traducteur et observateur de cette culture russe,
01:52 je voulais vous demander d'un point de vue culturel,
01:55 vous qui avez à la fois vécu et enseigné, même à l'époque soviétique,
02:01 si vous deviez dire comment la culture russe a évolué
02:06 de la fin de l'ère soviétique jusqu'à Vladimir Poutine inclus.
02:11 Si vous deviez en définir les grands traits, qu'est-ce que vous pourriez dire ?
02:15 – Je dirais que la culture à l'époque soviétique tenait une place énorme
02:21 dans la société, dans l'éducation.
02:25 Bien sûr, il y avait une politisation, mais il y avait en même temps
02:31 un respect réel de la culture en soi, n'est-ce pas ?
02:36 Et cela s'est traduit par un essor considérable.
02:39 Parce que, bon, on connaît les écrivains qui étaient dissidents, disons, surtout,
02:47 mais même les écrivains officiels avaient un métier, n'est-ce pas ?
02:53 Ils connaissaient le métier d'écrivain.
02:55 Il y avait ce sens, n'est-ce pas, d'un sort de perfectionnisme.
03:00 Et donc tout ça était inculqué, faisait partie, disons, de la formation, n'est-ce pas ?
03:10 Parce qu'à l'époque soviétique, ce qui primait, évidemment,
03:16 c'était la conscience collective.
03:18 Donc on pouvait parler d'un modèle de société, mais en même temps,
03:22 ce modèle de société était lié à un modèle humain, n'est-ce pas ?
03:28 La formation de l'homme lui-même.
03:30 Alors évidemment, je crois que chaque époque de mutation en Russie
03:37 a été le lieu d'une refonte totale, n'est-ce pas ?
03:45 Des structures mêmes de la société, de l'idéologie, évidemment.
03:53 Et donc on a assisté à plusieurs refontes, n'est-ce pas ?
03:56 Il y a eu la refonte qui a été l'œuvre de la révolution après le sarisme,
04:01 c'était quand même considérable, n'est-ce pas ?
04:03 C'est une transformation totale, n'est-ce pas ?
04:06 Donc on crée un homme nouveau, puis cet homme nouveau,
04:10 il est complètement détruit par l'effondrement de l'Union soviétique,
04:18 et j'ai assisté à cela, et c'est cela que je raconte dans mon livre, n'est-ce pas ?
04:22 J'ai assisté à cet effondrement, à ce séisme véritablement
04:27 de la conscience collective quand les Russes étaient possédés
04:34 par une sorte de haine de soi, n'est-ce pas ?
04:37 Ils se sont tournés vers l'Occident comme un modèle, n'est-ce pas, salvateur,
04:43 et ils ont rejeté en bloc tout ce qui les avait formés.
04:50 Ils se sont détruits eux-mêmes, voyez ?
04:52 C'est ça qui m'a...
04:54 Alors vous parlez de culture.
04:57 Cette culture soviétique donc a subi un choc à ce moment-là, n'est-ce pas ?
05:03 En même temps, il y a eu quand même des éléments positifs,
05:07 c'est-à-dire qu'il faut bien reconnaître qu'en dépit des conséquences épouvantables
05:12 de cette fausse démocratisation,
05:15 cette période et ceux qui l'ont vécue justement souvent,
05:20 surtout les jeunes, l'évoquent avec une certaine nostalgie
05:24 parce qu'elle a quand même apporté une liberté d'expression
05:28 et une liberté aussi dans l'édition.
05:31 On a vu fleurir une grande quantité de maisons d'édition, de revues,
05:35 et ça c'était surtout, il faut dire, sous Gorbatchev, n'est-ce pas ?
05:40 Donc c'est surtout dans l'époque de la transition.
05:43 Après, sous Yeltsin, évidemment, la culture a été, on pourrait presque dire, enterrée
05:48 parce que ce qui dominait c'était le règne de l'argent,
05:51 c'était le business, le rêve d'un jeune russe, c'était de devenir un businessman,
06:00 un homme d'affaires, de gagner beaucoup d'argent.
06:03 Il y avait évidemment à ce moment-là une corruption,
06:07 une sorte de narcissisme aussi, qui est apparu, qui n'existait pas du tout avant.
06:17 C'est-à-dire chacun pour soi, chacun un peu, un peu si vous voulez,
06:20 c'était aussi la marque de l'influence occidentale.
06:24 Mais c'était surtout une sorte de rupture, de coupure qui se comprend
06:30 parce que tout ce peuple avait subi des privations, n'est-ce pas ?
06:34 Avaient vécu dans la pénurie, donc il y avait une sorte de fascination
06:39 de la société de consommation, c'est ça ?
06:42 Et de la société de consommation.
06:44 Moins de la société du spectacle, bon, parce que les Russes
06:47 ne se sont pas trop axés là-dessus au fond, n'est-ce pas ?
06:51 Mais c'était surtout la société de consommation,
06:53 qui continue d'ailleurs à s'épanouir, il faut dire.
06:57 Bon, mais alors, on pourrait dire que cette période a été aussi
07:02 une sorte de cure de désintoxication, n'est-ce pas ?
07:05 De désintoxication de tout ce poids que l'idéologie communiste
07:14 faisait peser, n'est-ce pas, sur ces gens,
07:18 en leur inculquant la notion de devoir, de mission, n'est-ce pas ?
07:23 Le communisme quand même voulait sauver le monde,
07:26 il s'était substitué à la religion.
07:28 Alors la culture donc a évolué, n'est-ce pas,
07:31 dans le sens de l'individualisme, du subjectivisme,
07:38 disons, on a commencé à cultiver l'autobiographie, n'est-ce pas ?
07:44 Les écrivains se racontaient dans leurs œuvres,
07:48 ce qui n'était pas du tout le cas à l'époque soviétique, pas du tout.
07:52 La littérature par exemple avait été considérée toujours
08:00 comme surtout un moyen de répandre des idées, n'est-ce pas ?
08:05 Elle s'appuyait sur des idées, n'est-ce pas ?
08:08 Regardez Dostoevsky, c'est un immense romancier,
08:11 mais c'est aussi un philosophe, n'est-ce pas ?
08:14 Tous les grands romanciers russes étaient aussi des philosophes,
08:17 et ça a disparu.
08:18 Donc si vous parlez de l'évolution de la culture,
08:20 cette dimension a disparu dans la période de Yeltsin,
08:24 dans la période des réformes, des privatisations,
08:28 au cours de laquelle, je dirais,
08:30 la Russie a subi le pire traumatisme,
08:32 enfin le peuple russe a subi le pire traumatisme de son histoire.
08:36 Je pourrais citer, je l'indique, je le relate dans mon livre,
08:42 c'est un témoignage, mais il concorde avec le livre
08:46 que Solzhenitsyn a publié en 1998,
08:49 qui s'appelle "La Russie sous la valanche".
08:51 Et là, son constat est absolument, n'est-ce pas, désastreux.
08:58 – Il faut que je publie ce "Sous la période Yeltsin"
09:00 pour que nos téléspectateurs voient,
09:03 les Russes perdent en moyenne 7 ans d'espérance de vie par tête.
09:07 Les hommes russes perdent 7 ans d'espérance de vie par tête.
09:10 Les gens se terminent avec, à l'époque,
09:13 c'était à la vodka frelatée, faites chez soi,
09:16 des trucs qu'on n'imagine pas.
09:19 – La mortalité infantile, qui est quand même un signe, n'est-ce pas.
09:23 – Un signe lourd de défendre l'Europe.
09:25 – Tous les signes sont passés au noir, n'est-ce pas.
09:29 Et alors, c'est ce qui montre ce que, disons,
09:36 le règne de Poutine a apporté, il suffit de comparer les statistiques.
09:40 – Oui, à ce niveau-là, c'est très net.
09:42 – Olivier Vétheuil l'a fait très bien dans son livre "La défaite de l'Occident",
09:45 très très bien, il donne tous les chiffres,
09:47 et vraiment, on voit ce qu'il y a eu, un redressement rapide et extraordinaire.
09:52 Et donc, il y a eu une sorte de réveil, n'est-ce pas, chez les Russes.
09:57 Alors, évidemment, le régime de Vladimir Poutine,
10:05 on a dit qu'il était hybride, parce qu'à la fois,
10:10 évidemment, il porte les traces du passé soviétique auquel il appartient.
10:16 – Auquel il appartient, oui.
10:17 – Mais en même temps, il le rejette aussi, n'est-ce pas.
10:20 Et on a des paradoxes, vous voyez.
10:22 Mais ce qui quand même prime, c'est ce retour à des valeurs traditionnelles,
10:30 conservatrices, n'est-ce pas, la famille, la nation, la souveraineté,
10:37 l'indépendance de l'État, on pourrait dire, je ne dirais pas le culte,
10:43 mais en tout cas, le respect de l'État, n'est-ce pas.
10:47 C'est-à-dire, il y a eu un changement absolument radical
10:51 par rapport à l'époque de Yeltsin, où l'État avait disparu.
10:54 – Oui, oui, totalement.
10:55 – Il y a des éléments dits "au pouvoir",
10:59 et la Russie était devenue une colonie.
11:01 – Là encore, il faut des éléments de contexte,
11:04 il faut voir que ceux qu'on appelle les sept oligarques historiques
11:07 possédaient, à la fin d'hier Yeltsin, la moitié du pays béru.
11:11 C'est-à-dire, le pays béru appartenait à sept personnes,
11:13 ça fait quand même, dont beaucoup sont encore en vie aujourd'hui.
11:16 Abramovitch est encore en vie, ces gens-là sont encore en vie.
11:18 Berzovski est mort.
11:20 Mais c'est juste un élément de contexte, parce que la catastrophe russe,
11:26 que Jacques Sapir a appelée dans un ouvrage, à mon avis,
11:29 un des meilleurs sur la période, le chaos russe,
11:31 est quelque chose qu'on n'a pas vu dans un pays occidental,
11:36 hors période de guerre, on n'a pas vu d'effondrement de ce type-là.
11:42 On n'a pas vu d'équivalent de l'effondrement de la Russie.
11:46 – Oui, j'y ai assisté, grâce à une année sabbatique,
11:50 puis je suis, comme vous le savez, très lié à la Russie par ma femme,
11:53 nous avons un appartement à Moscou, donc j'y vais souvent.
11:56 J'y ai passé toute une année en 1996,
11:58 et c'est au cours de cette année que j'ai pris des notes, n'est-ce pas,
12:05 qui ont constitué le journal que je publie dans votre livre,
12:08 dans le livre que vous avez publié.
12:10 Et donc j'ai appelé "La Russie et son double",
12:13 parce que je considère qu'à ce moment-là,
12:15 la Russie a été vraiment confrontée à son double, n'est-ce pas.
12:19 Il y a eu une espèce de dédoublement, n'est-ce pas,
12:22 en voulant s'expurger, n'est-ce pas, de tout un passé
12:26 qui était devenu insupportable, il faut dire.
12:29 Et puis aussi un sentiment, disons, d'humiliation aussi
12:36 par rapport à cet Occident.
12:38 Les gens allaient là, quand ils voyageaient,
12:40 ils étaient absolument… ils piquaient des crises devant les magasins,
12:46 alors que chez eux, on manquait de tout.
12:49 Il y avait des queues, donc tout ça.
12:52 Mais en même temps, il y avait quand même un essor culturel,
12:56 et même, je dirais, spirituel très fort, n'est-ce pas.
13:00 Les gens se parlaient, on refaisait le monde dans les cuisines,
13:03 les gens avaient du temps, parce que la civilisation soviétique,
13:06 la civilisation communiste que j'ai connue dans tous les pays de l'Est,
13:09 c'était une civilisation des loisirs.
13:12 Il faut dire, les gens étaient pris en charge par l'État,
13:16 et je veux vous dire que très souvent,
13:19 les magasins fermaient, les ouvriers faisaient des pauses,
13:24 enfin, il y avait une espèce de… de laissé-aller,
13:29 c'était assez drôle d'ailleurs.
13:32 Donc c'est très particulier.
13:34 Mais en ce qui concerne la culture, il faut dire aussi
13:37 qu'il y a toujours eu des cercles, n'est-ce pas.
13:40 Moi, par exemple, j'ai appartenu, j'ai longtemps collaboré
13:44 avec une revue de cinéma, qui s'appelait…
13:48 le titre, c'est à peu près les équivalents des cahiers du cinéma,
13:51 qui était absolument formidable.
13:53 J'étais tellement enthousiaste que je voulais faire…
13:57 les traduire et faire connaître cette revue,
14:01 et qui était centrée surtout sur Eisenstein,
14:04 et grâce à eux et avec eux, j'ai découvert
14:07 que Eisenstein n'était pas seulement un immense cinéaste,
14:10 mais c'était un véritable philosophe de l'art,
14:13 qui a laissé une œuvre écrite considérable, n'est-ce pas,
14:16 une œuvre véritablement philosophique.
14:19 Et ça, c'est la marque aussi de la culture russe, vous voyez.
14:22 Cette tendance vers la métaphysique, vers la philosophie,
14:26 et la métaphysique.
14:28 Regardez Malevitch, grand peintre,
14:31 mais à un moment, il abandonne le pinceau
14:35 pour, dit-il, prendre la plume,
14:38 et il se transforme en philosophe,
14:40 et il écrit un traité de 700 pages, que j'ai traduit,
14:44 qui s'appelle "Le suprématisme, le monde sans objet,
14:47 ou le repos éternel".
14:49 Rendez compte, un peintre !
14:51 - Oui, oui.
14:52 - Et c'est ça qui est spécifique chez les Russes, n'est-ce pas.
14:55 C'est ça, il y a une espèce de dimension comme ça.
14:58 D'abord, ils sont portés vers la synthèse.
15:00 Le français est porté vers l'analyse,
15:02 le russe est porté vers la synthèse.
15:04 Il tend à tout englober, n'est-ce pas.
15:07 C'est cela.
15:08 Et alors, il y a toujours eu des cercles littéraires,
15:12 artistiques, n'est-ce pas,
15:14 qui ont vécu souvent difficilement,
15:16 parce qu'ils n'avaient pas de moyens,
15:18 mais qui quand même avaient des subventions,
15:20 et avaient des fondations, etc.
15:22 Donc, moi, j'ai collaboré avec plusieurs de ces cercles,
15:26 dans le domaine, puisque j'ai quand même
15:28 beaucoup travaillé sur l'art,
15:29 puisque j'ai introduit en France le constructivisme russe.
15:32 - Oui, oui.
15:33 - J'ai traduit tous les textes théoriques
15:38 de ce grand courant.
15:40 J'ai publié trois volumes à l'âge d'homme.
15:43 Et en fait, c'est vrai qu'il faut dire aussi
15:47 que ce qu'on ignore, c'est que...
15:49 On considère que la Russie, comme ça,
15:51 c'est un pays éloigné, n'est-ce pas,
15:55 qui au fond ne nous concerne pas.
15:57 Beaucoup pensent cela, n'est-ce pas.
15:59 Plus ou moins barbare, plus ou moins arriéré.
16:01 Alors qu'en réalité, une grande quantité de courants
16:05 de la modernité sont nés en Russie.
16:08 Il n'y aurait pas de structuralisme,
16:10 il n'y aurait pas les Vistros,
16:11 s'il n'y avait pas eu avant les formalistes russes.
16:14 Vous voyez.
16:15 Dans le domaine de l'art, regardez les écoles russes,
16:18 les écoles de théâtre, Stanislavski, Meyerhold.
16:22 Presque tout le théâtre et le cinéma moderne,
16:26 en grande partie, viennent de là.
16:28 N'est-ce pas.
16:29 En musique aussi.
16:30 Alors là, c'est considérable, n'est-ce pas.
16:34 Et alors tout cela, évidemment,
16:36 tout ce continent artistique, culturel, philosophique,
16:42 quand même s'est développé à l'époque soviétique
16:45 et a laissé des traces, n'est-ce pas.
16:48 Malgré tout, presque, je dirais, souterraines.
16:52 Et alors, à l'époque actuelle,
16:56 il faut...
16:58 Vous voyez, Vladimir Poutine a renoué
17:01 avec une tendance qui était apparue déjà
17:05 au début de la révolution,
17:07 c'est-à-dire une tendance qui consistait
17:10 à privilégier le savoir.
17:12 En russe, le mot "znani", n'est-ce pas.
17:14 C'était une revue, une maison d'édition
17:16 fondée par Gorky.
17:18 Poutine tient énormément à...
17:20 Il a créé, par exemple, la Sirius, n'est-ce pas,
17:24 un centre de formation des jeunes,
17:32 des étudiants surdoués,
17:34 dans tous les domaines, scientifiques, artistiques, n'est-ce pas.
17:38 Donc il y a cette tendance-là, n'est-ce pas.
17:41 Ce qui apparaît, ce qui me paraît d'ailleurs très positif,
17:44 c'est quand même la méritocratie, n'est-ce pas.
17:48 Le sens du mérite.
17:50 Et ça, évidemment, ça tranche sur la période précédente,
17:53 qui quand même avait complètement nié cette notion, n'est-ce pas.
17:58 On ne jugeait pas les gens selon leur mérite,
18:03 mais selon leur capacité de gagner de l'argent,
18:08 de faire des affaires, n'est-ce pas.
18:11 Voilà.
18:12 Donc ça, c'est nouveau.
18:14 Alors il y a évidemment des écrivains,
18:21 mais qui restent quand même, disons,
18:24 il n'y a pas d'école, il n'y a pas de mouvement, voyez.
18:28 Cette individualisation qui est née après la fin de l'URSS
18:35 se poursuit malgré tout.
18:38 Bien qu'il y ait dans la Russie actuelle quand même
18:42 une volonté d'unir, de réunir, n'est-ce pas, les gens,
18:46 dans un élan de reconstruction, n'est-ce pas,
18:53 qui va vers l'avenir.
18:55 Et Poutine joue un grand rôle là,
18:57 parce que c'est quand même quelqu'un
18:59 qui est sur tous les fronts, n'est-ce pas.
19:01 – Justement, c'est ce qui m'amène à ma dernière question,
19:05 c'est, on a l'Occident, bien plus qu'à l'époque soviétique,
19:13 à assimiler l'animosité qu'une partie de l'Occident a
19:20 vis-à-vis du régime russe à la culture russe.
19:24 C'est beaucoup plus le cas qu'à l'époque soviétique par exemple.
19:29 Comment l'interprétez-vous, disons,
19:33 cette russophobie culturelle aujourd'hui ?
19:37 – Je crois qu'il y a différents, on pourrait dire,
19:40 stades de la russophobie, n'est-ce pas.
19:42 Mais la russophobie n'a cessé de s'aggraver, de s'amplifier.
19:48 Par exemple, il y avait des…
19:50 moi, évidemment, je suis entouré, je dois vous dire,
19:53 d'anciens amis violemment russophobes,
19:57 et ce sont tous mes collègues, tous mes collègues.
20:01 – C'est ce qui est con quand on est professeur de civilisation.
20:04 – Je vous assure que parmi… je compte sur les doigts,
20:08 enfin même pas, les gens qui partagent mes convictions,
20:12 qui restent attachés à la Russie,
20:15 alors que c'est leur mission d'enseigner le russe,
20:19 de traduire le russe.
20:21 Mais ils détestent, ils détestent ce qu'ils font, vous vous rendez compte.
20:25 – Ça ne doit pas être compliqué, ça ne doit pas être facile tous les jours.
20:28 – C'est un phénomène, alors évidemment,
20:30 on peut attribuer cela à une espèce de moralisation,
20:34 de jugement moral, et puis aussi, quand même,
20:40 un peu un sentiment de supériorité, n'est-ce pas ?
20:45 Toujours cette… bien que ces gens la connaissent, la Russie,
20:53 ils restent toujours un peu, disons, au-dessus.
20:56 – Oui, bien sûr.
20:57 – Ils jugent, n'est-ce pas ? Ils donnent des points.
21:02 Donc il n'y a pas d'adhésion, et les Russes ont besoin de cela, n'est-ce pas ?
21:07 Le Russe, il ne vous acceptera que s'il y a, n'est-ce pas,
21:11 une confiance qui s'établit.
21:13 On le voit même en politique, regardez, Poutine, il s'est fait…
21:17 il a été trompé parce qu'il faisait confiance.
21:20 – Oui, oui, toute l'affaire de la Corme de Minsk reposait dessus.
21:23 – C'est ça, et ça, ça joue un rôle considérable dans la rupture.
21:27 Les Russes ont ressenti cela, bien sûr, d'une manière profondément négative
21:33 parce qu'ils se sont sentis floués, n'est-ce pas, et humiliés, n'est-ce pas ?
21:38 Parce qu'il y a une espèce de rejet, n'est-ce pas ?
21:41 Il n'y a même pas de dialogue, il n'y a pas de réponse, vous voyez ?
21:46 Alors j'ai du mal à expliquer, n'est-ce pas, l'importance de cette russophobie
21:55 qui est un phénomène, comme vous l'avez dit, absolument…
21:59 on pourrait presque dire qu'il n'a pas eu son équivalent dans l'histoire, n'est-ce pas ?
22:03 Regardez l'Allemagne, malgré tous les crimes épouvantables commis par Hitler,
22:09 eh bien la culture allemande n'a pas été traitée de cette façon ignominieuse
22:15 dont on traite aujourd'hui la culture russe.
22:17 – Tout à fait.
22:18 – Parce qu'on fait un amalgame, parce qu'on fait un amalgame.
22:21 Poutine ayant pris une telle importance, n'est-ce pas,
22:24 ayant réussi à réunir autour de lui, à souder autour de lui,
22:27 la grande majorité du peuple russe qui avait besoin de…
22:31 – De ce que ?
22:32 – J'ai passé un mois récemment à Moscou, mais vous savez, c'est tout à fait stupéfiant.
22:42 D'abord, on n'a pas du tout le sentiment que c'est un pays en guerre.
22:47 On parle très peu de la guerre.
22:49 Évidemment, il y a les jeunes qui partent au front.
22:51 Il y a en même temps un grand élan de patriotisme,
22:54 puisque toutes les troupes qui sont en même temps sur le front
22:59 sont constituées de volontaires, n'est-ce pas ?
23:03 Des jeunes qui vont se battre pour défendre ce patriotisme.
23:07 Alors ça, c'est aussi une composante permanente du caractère russe,
23:15 l'attachement à la terre, à la patrie, la patrie qui est la terre, qui est la mer,
23:21 vous voyez, on n'a pas ça chez nous.
23:24 Et d'où aussi la nostalgie des Russes qui doivent émigrer.
23:31 C'est pour ça même ceux qui partent, n'est-ce pas, en signe de protestation
23:36 ou en voulant vraiment trouver la poule aux œufs d'or à l'étranger, je ne sais pas.
23:42 Ils sont tous déçus et la plupart reviennent.
23:46 Ça, c'est aussi une marque.
23:48 Tandis que vous n'avez pas ça, par exemple, chez les Polonais.
23:51 Les Polonais s'adaptent, ils sont très bien, quand ils trouvent leur confort,
23:58 ils peuvent trouver des avantages, voilà, ils ne vont pas chercher plus loin.
24:04 Ils n'ont pas cette nostalgie, n'est-ce pas ?
24:06 Et ça, c'est très, très lié.
24:08 Ça aussi, c'est une...
24:10 Alors, cela aussi fait partie, vous voyez, de la culture russe.
24:13 Cela aussi, cet attachement, n'est-ce pas, à...
24:19 Regardez, il y a un phénomène qui est unique en Russie,
24:26 qu'on ne retrouvera jamais ailleurs, c'est le régiment immortel.
24:30 Vous vous rendez compte, le jour de la...
24:33 Vous avez des millions de Russes qui défilent avec des portraits
24:38 de leurs parents, qui sont morts à la guerre, etc.
24:41 Donc ça, ça assure une continuité, n'est-ce pas ?
24:44 Et cela avait été complètement supprimé
24:51 après l'effondrement de l'URSS, au moment de la démocratisation.
24:55 Le pays s'est complètement occidentalisé, dans le pire sens du terme.
25:00 Démocratisé, évidemment, alors que, comme vous le dites,
25:05 cette démocratisation se faisait uniquement...
25:08 – Elle a surtout apporté la plutocratie criminelle.
25:11 – Voilà, la plutocratie, l'obligo...
25:14 – Une oligarchie, une oligarchie des sens mafieuses, de surprenant.
25:17 – Des sens mafieuses, parce que c'était les bandits au pouvoir,
25:20 même qui existaient déjà à l'époque soviétique,
25:22 qui sont devenus les oligarques,
25:24 et qui ont tenu le haut du pavé pendant longtemps,
25:27 pour que Poutine les remette à sa place.
25:31 Et c'était eux qui gouvernaient la Russie.
25:33 Soviets-Alsines, quand j'étais à Moscou,
25:35 ils tenaient tout, les chaînes de télévision, n'est-ce pas ?
25:39 Et tout était, disons, manigancé, manipulé.
25:44 Donc la démocratie n'était qu'un leurre, absolument.
25:47 C'était une espèce de couverture, comme ça.
25:49 Il y en avait qui y croyaient, quand même.
25:51 Le seul avantage, je vous dis, quand même, il faut être objectif,
25:54 c'est qu'on pouvait disposer d'une liberté d'expression à peu près totale.
26:01 Cela ne veut pas dire que cette liberté d'expression n'existe pas aujourd'hui.
26:05 Mais elle est limitée.
26:07 Elle est limitée, n'est-ce pas ?
26:09 C'est-à-dire, il y a des… comme ça, Poutine dit,
26:12 "je suis pour la… j'accepte la critique si elle est constructive".
26:17 – Oui. – Voilà.
26:19 Donc, on retrouve quand même un autoritarisme qui vient…
26:23 – C'est l'indécent de la verticale du pouvoir.
26:25 – La verticale du pouvoir.
26:27 Mais la verticale du pouvoir fait la force aussi du pouvoir et la force…
26:30 – Et aujourd'hui, la force du pays.
26:32 – Du pays, c'est ça.
26:34 Et c'est ça, on pourrait dire, la supériorité des Russes.
26:37 – Et c'est, entre autres, l'un des grands apports de votre livre,
26:41 de voir, de se replonger dans cette époque yelsinienne jusqu'à nos jours,
26:47 parce qu'on oublie que si les Russes sont là où ils sont aujourd'hui,
26:53 c'est parce qu'ils sont tombés très bas
26:56 et qu'ils ont su se relever culturellement, économiquement, politiquement.
27:02 Et quoi qu'on pense de la Russie, de son président et autres,
27:07 c'est une leçon pour tout le monde et pour nous en particulier.
27:10 Gérard Cognon, merci beaucoup. – Merci beaucoup.
27:12 – Et je renvoie à votre livre "La Russie et son double".
27:15 Merci chers auditeurs de TV Liberté et peut-être à bientôt.
27:19 [Musique]

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