"Les Yeux de Mona" : le phénomène littéraire qui donne envie de courir au musée

  • il y a 7 mois
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 28 Février 2024)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Transcript
00:00 * Extrait de « Les Matins de France Culture » de Guillaume Erner *
00:06 « Les Matins » en compagnie de Thomas Schlesser.
00:09 Bonjour Thomas.
00:10 Bonjour Guillaume.
00:11 Vous avez publié « Les yeux de Mona », un roman aux éditions Albain Michel.
00:16 Ce roman a eu énormément de lecteurs, mais je dois dire que j'étais l'un des premiers
00:22 parce que j'aime énormément qu'on me parle de peinture, qu'on m'explique la peinture
00:28 et je crois que tout le monde en ce moment a envie et peut-être même besoin de beauté
00:33 tout simplement parce que l'actualité est lourde.
00:36 Donc, nous avons décidé, j'ai décidé de faire une pause et de vous inviter pour
00:41 parler de ses chefs-d'œuvre.
00:43 Alors, quelques mots sur ce roman « Les yeux de Mona ».
00:46 C'est un roman d'apprentissage entre un grand-père et sa petite-fille, Mona.
00:53 Mona qui est menacée par une maladie qui lui ferait perdre la vision et avant que ceci
01:01 ne se produise, avant que l'irréparable ne se produise, son grand-père décide de
01:07 lui prodiguer une thérapie, une thérapie adaptée, autrement dit de l'emmener dans
01:12 des musées, dans des musées parisiens, autrement dit dans le musée d'Orsay et le centre
01:17 Pompidou pour voir de ses yeux qu'il voit encore 52 chefs-d'œuvre et il va lui décrire
01:28 ces chefs-d'œuvre et il va lui expliquer.
01:31 Et ce qu'il y a de fascinant, c'est que vous mettez ainsi à la portée du plus grand
01:37 nombre la lecture des œuvres, l'histoire de l'art, une discipline qui n'est pas
01:44 nécessairement extrêmement accessible au travers d'œuvres aussi différentes que
01:49 Duchamp, Botticelli et puis bien sûr, la Joconde, les yeux de Mona, ce sont aussi les
01:58 yeux de Mona Lisa.
01:59 Comment avez-vous choisi ces 52 chefs-d'œuvre Thomas Schlesser ?
02:04 Quand j'ai commencé le roman, lors de l'été 2013, il y a plus de 10 ans, ça a été un
02:10 très long travail, j'avais posé sur le papier une centaine d'items, des artistes,
02:19 des périodes, très librement.
02:21 C'était d'ailleurs très ouvert, il y avait à la fois l'après-histoire, le Moyen-Âge,
02:25 l'art extra-occidental et puis au fur et à mesure de l'élaboration du livre, c'est
02:30 plutôt le personnage Henri qui a fait les choix en fonction des trames narratives.
02:36 Vous avez raison Guillaume Erner, c'est un livre qui parle énormément d'histoire
02:41 de l'art, mais c'est un roman, c'est un roman avec ce qui est dicté par un déroulement
02:48 dramatique et donc en fait, l'affinement s'est fait au fur et à mesure avec quand
02:53 même un souhait de ma part, c'est qu'il y ait une bonne alternance entre des œuvres
02:58 très iconiques, des artistes très iconiques, Frida Kahlo, Vinci, Jean-Michel Basquiat,
03:03 des artistes que tout le monde connaît et puis d'autres qui sont beaucoup moins connus,
03:07 y compris des spécialistes.
03:08 Des gens comme Julia Margaret Cameron, extraordinaire photographe du 19ème siècle, Anna Huch et
03:15 d'autres encore.
03:16 Les yeux de Monard, c'est aussi un roman sur le fait d'apprendre à voir.
03:22 Est-ce que ça veut dire que finalement nos sens, avec quelque chose d'a priori aussi
03:28 évident que la vue pour ceux qui voient, est-ce qu'il faut apprendre à voir, Thomas
03:32 Klesser ?
03:33 C'est exactement ce que dit Léonard de Vinci, c'est le « saper vedere », le savoir
03:36 voir, qui est en fait une clé de connaissance du monde.
03:40 Ce n'est pas simplement un ravissement contemplatif et esthétique, c'est une façon d'avoir
03:46 accès à une modélisation de ce qui fait notre univers, de pouvoir mieux l'encoder
03:52 et le décrypter.
03:53 Savoir voir, c'est savoir comprendre, c'est savoir entendre.
03:56 Il y a cette phrase que j'adore de Paul Cézanne qui est à la toute fin du livre,
04:00 « il faut aller au Louvre par la nature et revenir à la nature par le Louvre ».
04:04 Qu'est-ce que ça signifie ?
04:05 Ça signifie qu'au fur et à mesure que nous apprenons à regarder le monde environnant,
04:12 nous nous donnons des outils pour mieux regarder les œuvres des musées et au fur et à mesure
04:16 que nous regardons les œuvres des musées, nous voyons mieux le monde.
04:19 C'est ce qu'on appellerait en physique une boucle de rétroaction positive, une symbiose
04:24 si vous voulez.
04:25 Et c'est évidemment tout à fait essentiel.
04:27 Mais alors, est-ce que ça veut dire que je ne suis pas capable d'apprécier une œuvre
04:30 pleinement si je n'ai pas appris à regarder ?
04:33 C'est la grande question, vous avez raison.
04:35 En fait, je pense que tout le monde en a fait l'expérience.
04:38 Avec une œuvre, il y a un appel.
04:40 Cet appel fait que pour des raisons qui sont un peu sensuelles, un peu intellectuelles,
04:45 on va vers elle.
04:46 Et puis, il y a des choses que l'on reconnaît, qui nous sont familières, d'autres qui
04:49 le sont moins.
04:50 Et va naître un mélange un peu confus entre émotion et intellect.
04:54 Mais cet appel, il va être face à un ensemble qui est plein de trous.
04:57 C'est-à-dire qu'il y a plein de choses qui nous échappent.
04:59 Un symbole, un mouvement, une particularité esthétique, etc.
05:06 Et là, la connaissance va jouer son rôle.
05:08 Moi, je ne fais pas partie des gens qui considèrent qu'il y aurait ce…
05:11 Moi, je pense que c'est un lieu commun toxique d'imaginer qu'il y aurait l'émotion
05:15 directe, naïve, authentique et pure.
05:18 Et de l'autre côté, l'intellect.
05:19 Bien sûr que non.
05:20 C'est une communication permanente entre ces deux aspects de notre être.
05:25 L'un nourrissant l'autre, l'autre nourrissant l'un, de façon absolument simultanée.
05:31 Moi, j'adore la peinture à la radio et je suis particulièrement amoureux des mots
05:38 de Daniel Arras.
05:39 On va l'entendre évoquer la Joconde.
05:43 Daniel Arras, une grande voix de France Culture.
05:46 Il y a beaucoup de choses qu'on ne voit pas dans le tableau, qui pourtant sont là.
05:49 Si on a la reproduction à côté de soi ou si on va au musée, on verra mieux d'ailleurs
05:53 dans la reproduction qu'au musée.
05:54 Mais on va voir par exemple que, effectivement, la Joconde est assise dans une loggia.
06:00 Qu'est-ce que ça veut dire une loggia ? Ça veut dire qu'il y a des colonnes de
06:02 part et d'autre.
06:03 De part et d'autre de la Joconde, à droite et à gauche, au bord du tableau, Leonardo
06:06 da Vinci a pris la peine de peindre deux colonnes avec la base de la colonne et puis le muret
06:11 qui joint les deux colonnes.
06:12 Donc, elle est dans une loggia, tournant le dos au paysage et un paysage très, très
06:17 lointain.
06:18 Ensuite, elle est assise.
06:20 Mais où et sur quoi est-elle assise ? Elle est assise sur ou dans un fauteuil.
06:24 Comment le sais-je ? Je le sais uniquement parce que le bras gauche de la figure est
06:28 appuyé parallèlement au plan de l'image sur un accoudoir.
06:31 Mais cet accoudoir est la seule trace du fauteuil.
06:34 Il n'a pas de dossier, par exemple.
06:36 Il aurait dû peindre un dossier, il n'y a pas de dossier au fauteuil.
06:37 Donc, étrange.
06:39 Ensuite, le paysage à l'arrière-plan.
06:41 Le paysage à l'arrière-plan est étrange, effectivement, puisque c'est un paysage
06:46 qui est fait uniquement de rochers, de terre et d'eau.
06:52 Le grand-père de Mona lui explique, comme Daniel Arras vient de le faire, la joconde.
07:00 Qu'est-ce qu'il y a à voir dans la joconde ? Il y a une forme de tristesse, de mélancolie,
07:05 dit-il Thomas Schlesser.
07:06 Oui, qui est en particulier, particulièrement dû au fait aussi que les vernis ayant vieilli,
07:12 il y a cette espèce de voile qui a recouvert la joconde.
07:16 Théophile Gautier, dès le 19ème siècle, le remarquait.
07:18 Il disait que sans doute, la joconde, si on la nettoyait, les bleus réapparaîtraient.
07:22 Mais ce ne serait plus tout à fait la joconde.
07:24 Dès le 19ème siècle, il y avait cette conscience.
07:26 Mais ce qui est extraordinaire avec ce tableau, tellement iconique qu'on a du mal à le
07:31 voir, c'est en effet ce contraste entre cet arrière-plan qui est quasiment fantastique
07:37 avec cette vibration du monde dans une atmosphère aux limites de la désolation et du désertique
07:45 et ce sourire tellement infime, tellement discret, qui est une invitation à sourire
07:52 à la vie.
07:53 Il y a chez Léonard de Vinci l'ambition de l'imitation réflexe de la part du regardeur,
07:58 c'est-à-dire de se mettre au diapason de ce modèle énigmatique et exceptionnel qu'est
08:05 la joconde.
08:06 Donc le message qui se dégage de cette œuvre, c'est un message qui peut sembler un peu
08:10 mélancolique mais qui est aussi très positif, Alain dirait que ce serait un acte politique,
08:17 un acte citoyen, celui d'éprouver une forme de conscience de l'autre et de mobiliser
08:25 sa volonté pour lui sourire.
08:27 Pourquoi ce tableau est-il le plus connu, l'un des plus connus au monde ? Est-ce mérité
08:32 Thomas Schlesser ?
08:33 Je n'ai absolument aucun doute sur le fait que la joconde est un chef d'oeuvre parmi
08:37 les chefs d'oeuvre.
08:38 Il a à la fois une histoire matérielle tout à fait extraordinaire, il a été peint
08:45 par un homme comme il y en a trois, quatre par civilisation et c'est un tableau absolument
08:54 bouleversant.
08:55 Mais je le répète, ce qui est très complexe avec la joconde, c'est que c'est maintenant
08:57 un tableau que nous avons tellement vu que son destin est de décevoir.
09:01 Donc j'essaye modestement dans le livre de le réactiver, de le réanimer.
09:05 Je ne dis pas que j'y arrive, je ne le sais pas, en tout cas j'essaye.
09:10 Mais c'est vrai que c'est plus facile d'activer, de rendre inflammable une oeuvre que l'on
09:18 connaît moins, qu'aujourd'hui de parler de la joconde.
09:21 Je vais vous donner un exemple simple.
09:23 Au Louvre, il y a une acquisition récente d'un tableau d'une femme qui s'appelle
09:27 Marguerite Girard qui est l'élève intéressante.
09:29 C'est un tableau absolument remarquable et c'est beaucoup plus facile là évidemment
09:35 de mobiliser les émotions et l'intellect de regardeurs qui ont un oeil un peu plus
09:39 vierge.
09:40 L'une des questions, vous avez en partie répondu à cette question, Thomas Chlesser,
09:43 mais c'est la question de la transmission.
09:45 Là c'est la transmission qui se fait du grand-père à la petite-fille.
09:50 Pourquoi d'ailleurs ne s'agit-il pas de la mère, du père à la…
09:55 Mais pour une raison simple, c'est qu'il y a entre grands-parents et petits-enfants
09:58 un lien exceptionnel qui n'existe pas entre parents et enfants.
10:01 Entre parents et enfants, vous avez un rapport où il y a beaucoup plus de pression.
10:05 Pression des parents sur les enfants et des enfants sur les parents.
10:07 Moi, je fais partie d'une génération qui a eu la chance de bien connaître ses grands-parents.
10:10 On est peut-être la première génération à les avoir autant connus.
10:12 Je les ai adorés.
10:13 J'ai adoré ma grand-mère qui m'a en partie élevé.
10:16 Et entre grands-parents et petits-enfants, entre ce grand-père Henri et cette petite-fille
10:21 Mona, il y a une générosité, il y a une liberté, il y a une largesse qui n'y a
10:25 pas entre parents et enfants et qui n'y a pas à l'école.
10:28 La transmission, la Joconde par exemple, comment a-t-elle été vue avant ?
10:33 Est-ce que l'on sait comment Léonard de Vinci voulait qu'on la regarde ?
10:36 Même si vous nous avez expliqué que les glacis avaient évolué depuis l'achèvement de cette peinture.
10:45 Il est évident que le cadre intime dans lequel on voit une œuvre provoque bien d'autres
10:51 choses que la vision collective dans les musées.
10:54 C'est très difficile de se mettre dans le corps et la position d'un regardeur.
10:59 Mais je renvoie chacun à sa propre expérience chez soi avec même simplement un poster qu'on
11:04 peut avoir quand on est adolescent.
11:06 Quelque chose de tout simple mais dans lequel le rapport quasiment de corps à corps dans
11:13 un univers beaucoup plus resserré permet d'avoir accès sans doute à beaucoup plus de soi-même
11:21 à travers les œuvres qu'on regarde.
11:23 C'est vrai, la Joconde est maintenant tellement partagée qu'elle en finit peut-être par
11:27 être un petit peu diluée, je le reconnais.
11:29 Ça devait être extraordinaire de pouvoir la regarder dans un cadre intime avec Léonard
11:34 de Vinci sous François 1er au début du 16e siècle.
11:36 On va évoquer d'ailleurs des œuvres moins connues comme par exemple l'« Élève intéressante »
11:42 de Marguerite Gérard, c'est à la fin du 18e ou d'autres œuvres connues, des Rembrandt,
11:49 des Vermeer… Avec vous dans une vingtaine de minutes, Thomas Schlesser, « Les yeux
11:53 de Mona », c'est votre roman publié aux éditions Albain Michel.
11:57 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
12:05 Parenthèse, parenthèse dans cette actualité, avec vous Thomas Schlesser, vous êtes historien
12:09 de l'art, directeur de la fondation Artung Bergman à Antibes, professeur à l'école
12:15 polytechnique et on vous doit un roman, un roman de transmission « Les yeux de Mona »
12:21 aux éditions Albain Michel, l'histoire d'une petite fille qui risque peut-être
12:26 de perdre la vue.
12:28 Son grand-père décide, sous forme de thérapie, de lui présenter 52 chefs-d'œuvre de l'art
12:36 occidental.
12:37 On vient de parler de la guerre dans le biais politique de mon camarade Jean Lemari.
12:42 La guerre est un motif de peinture que l'historien de l'art connaît.
12:49 Si vous voulez, les artistes ont longtemps aimé la guerre, ils l'ont beaucoup peinte.
12:55 Il y a un moment très étonnant au moment de la Révolution française où les artistes
13:01 prennent conscience que, encore naguère, c'est-à-dire vraiment jusqu'à la fin
13:07 du 18e, il n'y avait pas suffisamment de sujets pour beaucoup d'artistes.
13:13 Et avec l'accélération de l'histoire que représente la Révolution française,
13:16 comme si l'histoire et l'actualité venaient à se confondre, il n'y a plus suffisamment
13:20 d'artistes pour représenter toutes les guerres, toutes les batailles, tous les conflits
13:26 qui adviennent avec la Révolution française.
13:28 Changement en fait vraiment de paradigme où c'est comme si l'histoire envahissait
13:35 le présent.
13:37 Intéressant aussi de voir comment certains artistes ont traité la guerre avec une mise
13:41 à distance.
13:42 Goya, bien sûr, a été parmi les premiers à dénoncer les méfaits de la guerre.
13:49 Il l'a fait non seulement avec son célèbre 13 des maillots, cette exécution absolument
13:53 abominable par les troupes de Napoléon d'Espagnol résistant, début 19e, mais il l'a fait
14:01 aussi par exemple avec une nature morte qu'on trouve dans le roman et que le grand-père
14:05 Henri va présenter à sa petite fille Mona qui est une œuvre du Louvre, une nature morte
14:10 bouleversante où c'est en fait un animal découpé et d'ailleurs dans une goutte
14:17 de sang, il y a la signature de Goya comme si celui-ci avait véritablement fait corps
14:23 avec les horreurs de son siècle.
14:29 Et où en effet dans les symboles, dans quelques symboles que ce soit, peut se nicher ce sentiment
14:38 de désarroi total devant le tragique de l'histoire.
14:42 Ce tragique peut avoir aussi la forme d'autres cataclysmes, cataclysme écologique en tant
14:48 qu'historien de l'art.
14:49 Vous êtes penché là-dessus Thomas Chlesser.
14:52 C'est vrai, j'ai beaucoup travaillé sur des questions qui relient arrêt politique,
14:58 société, j'ai fait un livre sur la censure et la liberté d'expression.
15:03 J'ai fait également un livre qui s'appelle "L'univers sans l'homme" en 2016 qui
15:07 traitait de la façon dont les artistes projetaient un avenir un peu noir avec non seulement des
15:17 anticipations des désastres environnementaux à venir mais également des anticipations
15:22 des effets de l'intelligence artificielle et de la combinaison des deux.
15:25 Dès 2016, je réfléchissais à travers les artistes à ces problématiques.
15:33 Une chose est la prise de conscience de l'importance du vivant dans lesquelles je pense que les
15:41 artistes ont joué un rôle énorme, vraiment énorme, parce qu'ils ont matérialisé
15:45 des grands enjeux de façon intuitive, main dans la main avec des scientifiques ou avec
15:49 des penseurs.
15:50 Ils ont vraiment joué un rôle énorme.
15:51 Maintenant, je vais vous dire une petite chose, attention à ce nouveau conformisme qui s'installe
15:57 et qui consiste pour beaucoup d'artistes, au fond, à s'emparer de la question environnementale
16:00 parce qu'on est sûr de ne pas se tromper.
16:03 Voilà.
16:04 Et donc, je vous avoue, je vous dis une petite chose personnelle, je commence à avoir une
16:08 forme de lassitude devant ce nouveau confort du conformisme de la contestation qui consiste
16:17 à dire à chaque fois, on va dire que la planète est en danger.
16:20 Oui, je vous le confirme, la planète est en danger, mais bon, il n'y a pas besoin
16:26 de bataillons immenses d'artistes pour le répéter, on le sait.
16:29 Vous venez de prononcer le mot noir.
16:32 Le noir est très présent, hélas, dans l'actualité.
16:35 Et puis, parmi les 52 chefs-d'œuvre qui sont présentés à Mona, il y en a un qui
16:41 présente justement une croix noire sur un fond blanc.
16:45 C'est l'œuvre de Malevitch qui est présentée au Centre Pompidou, Thomas Schlesser, et
16:51 une œuvre justement où il est particulièrement utile d'avoir un historien pour nous apprendre
16:55 à la voir.
16:56 Je vais vous dire une première chose.
16:58 Malevitch, c'est extraordinaire.
17:01 C'est extraordinaire.
17:03 C'est un artiste fondamental, fabuleux, essentiel.
17:07 C'est la première chose.
17:08 Et évidemment, ça rentre en décalage avec l'a priori que l'on a, puisque Malevitch
17:13 est connu pour son carré noir sur fond blanc, son carré blanc sur fond blanc, qu'on réduit
17:18 souvent, comme on le fait avec Marcel Duchamp, à des espèces de provocations un peu dérisoires.
17:24 C'est tout sauf cela.
17:26 Dans le roman, ce que le grand-père apprend à sa petite-fille, c'est souvent des contextes.
17:32 Et pour Malevitch, il est indispensable de savoir quel est le contexte de production.
17:35 C'est-à-dire celui de l'Empire russe du début du XXe siècle.
17:38 Avec un artiste qui revisite toutes les avant-gardes entre 1900 et 1914.
17:44 Et qui à un moment donné va pousser la logique de l'abstraction extrêmement loin, avec
17:51 des formes pures qui vont être définies comme suprématistes.
17:56 C'est-à-dire le suprême pouvoir de la couleur intérieure, en réalité.
18:00 Et parmi ces formes pures, il y en a une qu'il va faire plusieurs fois, qui est une croix.
18:06 En l'occurrence, une croix noire sur un fond blanc.
18:08 Il l'a fait en 1915.
18:10 Et cette œuvre, qui est une œuvre révolutionnaire dans le contexte qui va aboutir à l'insurrection
18:20 bolchévique, va peu à peu être une œuvre considérée avec beaucoup de mépris et même
18:27 avec beaucoup d'agressivité par le pouvoir soviétique.
18:29 Pourquoi ? Parce que les forces révolutionnaires de gauche progressiste vont finir par se
18:36 développer, par imposer une doctrine qui est celle du réalisme socialiste et vont
18:41 interdire, je dis bien interdire, à Malevitch de peindre de manière abstraite, de prodiguer
18:49 des théories sur l'abstraction.
18:51 Alors que chez Malevitch, l'abstraction, qu'est-ce que c'est ? C'est la liberté
18:55 individuelle.
18:56 C'est le fait qu'à l'intérieur de nous-mêmes, nous avons des formes et des couleurs qui
19:00 seraient comme notre essence et qui ne demandent qu'à se manifester afin de nous réinventer
19:06 et de nous émanciper sans cesse.
19:09 Malevitch, la clé de son esthétique, c'est l'autonomie.
19:14 Et dans le roman, c'est ce qu'explique Henri Amona, évidemment les auditeurs de
19:17 France Culture le savent toutes et tous, mais autonomie c'est nomos et auto, la loi que
19:23 l'on se donne à soi-même.
19:24 D'où une leçon très simple avec Malevitch qui est « autonome-histoire ». C'est
19:28 une grande leçon de liberté.
19:29 Dans votre roman « Les yeux de Mona », qui est un roman donc, vous proposez malgré
19:35 tout, Thomas Schlesser, une histoire de l'art.
19:38 Il y a eu une multitude d'histoires de l'art.
19:41 Il y a eu celle de Kandinsky, il y a eu celle de Gombrich, il y a eu celle de Malraux,
19:48 les Voies du silence qui mêlaient l'art occidental et les arts qui ne sont pas occidentaux.
19:55 Pourquoi vous êtes-vous limité à l'art occidental ?
19:58 Il y a plein de raisons à cela.
20:02 La première c'est qu'en effet, comme vous l'avez dit, c'est un roman avec un
20:08 personnage qui va faire le choix de trois musées pour des raisons d'unité de lieu
20:13 dans le roman.
20:14 Il y a une unité de temps, 52 semaines, et une unité de lieu qui est Paris avec le Louvre
20:18 à Orsay et Beaubourg.
20:20 Je sais bien qu'au Louvre à Orsay et à Beaubourg, il y a également de l'art extra-occidental
20:24 ou de l'art du Moyen-Âge et donc on aurait pu tout à fait avoir quelque chose qui soit
20:29 un peu plus large.
20:30 Vous auriez pu aller au Quai Branly en face ?
20:35 Absolument, mais si vous voulez, il n'y a déjà pas suffisamment de 10 000 pages
20:41 pour parler de Botticelli.
20:42 C'était impossible dans le cadre d'un roman de parler de tout.
20:47 Et surtout, ce que Henri propose comme message permanent à sa petite-fille, c'est que
20:51 par le biais de ses œuvres, il y a tous les horizons qui doivent s'ouvrir.
20:57 Et ensuite, ce sera à Mona de s'en emparer si elle le souhaite ou non.
21:01 Mais il y a déjà tellement, tellement de choses dans le peu d'œuvres qui sont dans
21:05 ce livre.
21:06 Il n'y en a que 52 que je crois que l'ouverture est déjà présente.
21:15 Après, si vous le permettez, Guillaume Erner, que le livre rencontre une attention à l'étranger.
21:24 Il en est prévu quelques traductions.
21:27 Et dans des pays qui sont le Japon, les pays arabes, la Turquie, l'Estonie.
21:35 Oui, je crois qu'on en est à 33 traductions.
21:39 La 33e, c'était…
21:40 C'est ça, c'est ça.
21:41 C'est pas pour dire…
21:42 Non, non, mais je le dis à votre place.
21:43 C'est gentil.
21:44 Non, mais c'est pour vous dire, en ayant eu des échanges avec les éditeurs et les
21:51 traducteurs à travers le monde, je me rends compte que cet art qui va de Botticelli à
21:58 Pierre Soulages, il rencontre un écho universel absolument extraordinaire.
22:03 Mais justement, est-ce qu'aujourd'hui, on pourrait parler d'universel, de là,
22:08 le fait qu'il n'y ait plus de civilisation en art ? Est-ce que c'est quelque chose…
22:12 Vous parliez de Soulages, peut-être pourrait-on d'ailleurs s'arrêter sur cette peinture
22:17 que vous présentez qui est le 52e chef-d'œuvre que va évidemment voir Mona et qu'elle
22:24 va voir décrite ?
22:25 Alors, c'est très émouvant parce qu'à chaque fois, dans le roman, il y a une petite
22:34 leçon de vie, un petit précipité philosophique qui accompagne les œuvres.
22:37 Et à chaque fois, c'est un précipité philosophique qui échappe à l'histoire
22:44 de l'art en tant que tel pour ouvrir vraiment sur la vie.
22:47 J'en sais rien par exemple, devant un tableau de Rosa Bonheur, ça va être l'animal
22:50 et ton égal, devant Jean-Michel Basquiat, sort de l'ombre, etc.
22:58 Et devant Soulages, pour la seule fois du livre, c'est une leçon d'histoire de
23:04 l'art, mais qui est aussi une leçon de vie, c'est « Le noir est une couleur »,
23:08 qui était évidemment le grand message de Soulages et qui annonce peut-être ou non
23:14 ce que va être le destin de Mona à la fin, aveugle ou pas.
23:18 Je dirais plusieurs choses sur Soulages.
23:21 La première, c'est qu'il a été l'incarnation d'une sorte de trésor vivant pendant de
23:27 si longues années.
23:28 C'était mérité, c'était un artiste d'une radicalité intéressante parce qu'au
23:34 fond, il parlait à tout le monde avec un principe assez simple « Je suis le peintre
23:37 du noir ». Soulages n'a pas fait du tout que cela.
23:40 Mais on en a une représentation assez directe.
23:43 La deuxième chose, c'est que les œuvres de Soulages sont l'exemple même de la
23:50 surabondance de détails et de nuances qu'on peut trouver dans un dispositif dont on croit
23:57 qu'il en manque.
23:58 On se dit tout de suite devant un tableau de Jérôme Bosch que ça va fourmiller de
24:01 détails et de symboles.
24:02 En revanche, devant une œuvre abstraite, on peut avoir la sensation que c'est très
24:06 aride.
24:07 Et en réalité, avec un Soulages, c'est très facile de faire l'expérience de ces
24:11 effets de luminescence, de scintillement, de matière.
24:15 C'est une clé d'entrée formidable pour comprendre la complexité et toute la richesse
24:20 de l'art abstrait.
24:21 La dernière chose, c'est ce qui se passe dans le roman.
24:23 C'est que le noir est un formidable moteur à projection, à fantasme.
24:29 C'est-à-dire, comme disait Caspar David Friedrich, à fermer l'œil du corps pour
24:34 ouvrir l'œil de l'esprit.
24:35 Et dans la dernière leçon, c'est Mona qui prend les rênes et qui va expliquer à Henri,
24:40 en somme, devant un Pierre Soulages, tout ce qu'elle y voit des leçons de l'histoire
24:45 de l'art passé.
24:46 Car, je le précise, ce roman ouvre sur le moderne et le contemporain à l'aune de
24:52 l'art ancien.
24:53 Ce qui permet, je pense, pour ceux qui sont moins familiers avec cette période plus récente,
24:58 de la connaître beaucoup plus facilement, de façon plus accessible.
25:01 - Justement, parce que c'est ça qui est intéressant.
25:04 Il y a une cassure dans le roman qui arrive probablement au 35e ou au 36e chapitre, autrement
25:12 dit là où vous commencez à parler de Kandinsky ou de Duchamp.
25:17 Des moments où finalement, l'art ne peut plus être séparé de son contexte.
25:22 Est-ce que c'est un ajout ou est-ce que c'est une perte, Thomas Schlesser ?
25:25 - Si vous permettez, Guillaume Herner, l'art ne peut pas être séparé de son contexte
25:31 non plus quand vous voyez des Christs en croix.
25:34 C'est impossible.
25:35 Pensez à une chose toute simple.
25:36 Jusqu'à la découverte, au début du 19e siècle, des anthalgiques, nos corps étaient
25:42 sans privilège de classe.
25:45 Nos corps étaient sans arrêt des corps souffrants.
25:47 Sans arrêt.
25:48 Il y avait, comme dit l'historien Robert M.
25:51 Shemley, le cri des organes permanents.
25:52 Il est évident que quand vous avez ça en tête, vous comprenez mieux la puissance empathique
25:59 qu'il pouvait y avoir entre quelqu'un sur une croix en train de souffrir et des regardeurs.
26:04 C'est le cas également pour l'art moderne et contemporain mais c'était déjà le
26:10 cas avant.
26:11 - À une nuance près, quand même, vous racontez cette anecdote.
26:14 Lorsque l'oiseau dans l'espace de Brancuzi a été expédié par avion, le douanier s'est
26:20 dit que ça n'était pas une structure et qu'il fallait le taxer comme une marchandise.
26:25 Si j'envoie un manet par l'avion, le douanier n'aura absolument aucun doute sur le fait
26:32 qu'il s'agit d'une peinture.
26:33 C'est ça en fait le besoin de contexte.
26:35 - Mais détrompez-vous, ce n'est pas tout à fait vrai ce que vous dites.
26:37 Pour les impressionnistes, en 1875, je ne parle pas de la première exposition impressionniste,
26:44 en 74, au moment où il y a eu une vente aux enchères à Droux, pendant que les artistes
26:48 étaient vivants, du public s'est pressé dans la salle pour pourrir les enchères afin
26:54 d'empêcher la reconnaissance de ces tableaux comme œuvre d'art.
26:59 On connaît quantité de caricatures qui montrent à quel point les impressionnistes ont été
27:03 déconsidérés dans leur statut même d'artiste.
27:06 Je vous assure, je comprends ce que vous dites, je pousse le bouchon un peu loin, mais je
27:10 vous assure que ça ne date pas du XXe siècle.
27:12 C'est ça que je veux vous dire.
27:13 - Bon, alors, mettons ça de côté.
27:15 Justement, Guillaume Bernard, pour préciser, par ailleurs, Brancouzy a fini par gagner
27:19 son procès contre les États-Unis qui ont reconnu juridiquement l'Oiseau dans l'espace
27:25 comme une œuvre d'art à part entière.
27:26 - Bon, alors, je reformule dans ce cas-là ma question et je vais vous demander brutalement
27:30 qu'est-ce qui s'est passé avec Kandinsky ou avec Duchamp pour qu'il y ait une telle
27:35 cassure finalement dans cette liste de chefs-d'œuvre que vous proposez ?
27:39 - Marcel Duchamp et Kandinsky sont deux artistes d'abord d'une intelligence exceptionnelle.
27:48 Ce sont vraiment des… En particulier Duchamp, le titre c'est « Mets le bazar partout »
27:54 mais je ne veux pas laisser penser, ça c'est dans le cadre du roman, je ne veux pas laisser
27:56 penser que Duchamp était simplement un agitateur provocateur.
28:00 C'était quelqu'un d'une intelligence absolument exceptionnelle.
28:03 Et leur démarche qui est à la fois mystique et intellectuelle chez Kandinsky, qui est
28:09 plus intellectuelle voire scientifique chez Marcel Duchamp consiste à dire qu'au fond,
28:15 l'art peut s'emparer de tous les domaines de la vie.
28:18 De tous les domaines de la vie.
28:21 Et qu'il faut casser la rupture entre ce qui est de l'ordre de la représentation
28:27 et de ce qui est de l'ordre de notre vie en commun.
28:30 Qu'on va pouvoir réinventer la vie à travers l'art.
28:35 Alors attention parce que ça, ça peut donner le pire.
28:36 Ça peut donner le pire.
28:38 Politiquement ça peut être redoutable, réinventer artistiquement la vie.
28:41 C'est aussi une ambition qu'on trouve dans les dictatures, qu'on trouve dans le
28:45 nazisme.
28:46 Vous comprenez ? Mais ce n'est pas parce que le pire a existé à travers des usages
28:51 épouvantables de l'esthétisation de la vie que pour autant il faudrait voir derrière
28:56 Kandinsky ou Duchamp un fasciste qui s'ignore.
28:58 Ce serait totalement aberrant.
28:59 Donc en effet, Kandinsky, Duchamp, replacent au fond l'idéal de Léonard de Vinci au
29:08 cœur du jeu.
29:09 L'art comme cause mentalée, comme chose mentale.
29:12 Vous êtes par ailleurs, en tant qu'historien de l'art, un spécialiste de Courbet.
29:17 Courbet qui a une dimension picturale évidente, une dimension politique tout aussi évidente
29:26 pour les spécialistes, mais probablement moins présente pour ceux qui le connaissent
29:31 moins.
29:32 Quel est finalement le destin politique de Courbet selon vous, Thomas Schlesser ?
29:36 Alors, déjà juste une petite chose amusante.
29:38 Dans le livre, la leçon qui préside à Courbet est tirée par le grand-père de Mona, de
29:44 ce que disait le grand-père de Courbet à Courbet.
29:46 « Crie fort et marche droit ».
29:48 Alors, « crie fort et marche droit », qu'est-ce que ça veut dire ?
29:52 C'est évidemment l'intransigeance.
29:54 Une intransigeance qui, chez Courbet, est un cri de la peinture, qui est le cri du réalisme.
30:00 C'est-à-dire, je représente le monde sans recours à l'imagination et sans concession.
30:05 Et avec, sur le plan pictural, une peinture qui est souvent très dense, voire empâtée.
30:13 Donc, une sorte d'immolation de la réalité.
30:14 Peut-être quelques mots sur l'enterrement à Ornans, qui est donc une œuvre extrêmement
30:20 importante du milieu du XIXe.
30:21 Thomas Schlesser.
30:22 On voit, en fait, sur un format monumental, des habitants de la petite ville d'Ornans,
30:28 qui est au fond du Jura, très jolie ville au demeurant, d'où est originaire Courbet.
30:33 On voit un ensemble de villageois pour un enterrement qui est un enterrement d'une
30:38 grande banalité, comme malheureusement la vie nous en profile régulièrement.
30:45 Et Courbet donne des dimensions extraordinaires à ça, dans des tonalités de noir en plus.
30:50 Et donc, évidemment, le public de l'époque, qui est celui de la Seconde République, qui
30:57 est progressivement en train de devenir le Second Empire, puisqu'on est sous la transition
31:02 de Louis-Napoléon Bonaparte à Napoléon III, donc un contexte politique de restriction
31:06 des libertés.
31:07 C'est très important de le préciser.
31:09 Eh bien, Courbet va avoir ce geste extrêmement provocateur, à tel point qu'on va soupçonner
31:16 en Courbet un agitateur politique socialiste, au sens du socialisme rouge de l'époque,
31:25 qui avance masqué comme artiste.
31:28 Et Courbet va par ailleurs être plus tard un grand acteur de la Commune de Paris, acteur
31:34 pacifiste d'ailleurs.
31:35 Pour le coup, ce n'était pas un rouge sang.
31:38 C'est quelqu'un qui en appelait toujours à l'harmonie et à la paix, mais il était
31:44 là aussi totalement intransigeant avec son utopie d'une grande concorde sociale.
31:50 Justement, comment la politique se traduit-elle dans les œuvres de Courbet ? Puisque "Cris
31:57 fort et marche droit", c'est un slogan entre le politique et le militaire.
32:01 C'est ça qui est incroyable avec Courbet.
32:03 C'est ça qui est vraiment incroyable.
32:04 C'est que ses œuvres, à proprement parler politiques, sont relativement rares.
32:08 Courbet est d'abord un grand peintre de nature mort, de paysage et de portrait.
32:12 Et ça a été d'ailleurs l'objet de mon intérêt intellectuel quand j'ai fait
32:17 ma thèse il y a longtemps maintenant, que j'ai commencé en 2002, soutenue en 2006.
32:21 C'est comment est-ce qu'un artiste qui, au fond, a produit aussi beaucoup de sujets
32:27 qui sont relativement consensuels, a engendré chez ses contemporains autant de discours
32:33 extrêmement animés et contradictoires, polarisés et idéologiques.
32:41 C'est fascinant.
32:42 Ce qu'il y a de fascinant dans votre livre "Thomas Schlesser, les yeux de Mona",
32:48 c'est la manière dont vous mettez à la portée du plus grand nombre une culture cultivée
32:54 et une lecture de l'histoire de l'art qui va donc, de ce que vous avez dit sur Malevich,
32:59 à Franz Gall, puisqu'il est aussi question de Franz Gall qui, à ma connaissance, en
33:03 tout cas n'a pas peint, mais en revanche a chanté Cézanne.
33:06 Oui, en fait le livre cherche aussi à montrer qu'il n'y a pas que la culture savante
33:13 qui permet de décrypter l'essentiel d'un artiste.
33:17 En effet, devant Frida Kahlo, je fais appel à Nietzsche, ce qui ne tue pas rend plus
33:21 fort, devant Camille Claudel, à Platon, mais devant Cézanne, le grand-père de Mona lui
33:29 parle à la fois de Rilke, chaque point du tableau à conscience de tous les autres,
33:33 mais il est question aussi de Cézanne peint, chanson de Franz Gall absolument fabuleuse
33:38 je trouve.
33:39 Pourquoi ?
33:40 Évidemment, c'est de la variété.
33:41 Moi j'aime la variété.
33:42 Vous voyez, je sais que Franz Gall c'est Nido Bussi et Lucie Satie, mais j'adore
33:49 la variété.
33:50 Ça peut être merveilleux une belle chanson de variété.
33:51 Mais indépendamment de ça, est-ce qu'elle avait raison de…
33:55 Dans son Cézanne peint, il y a deux ou trois paroles qui sont un peu maladroites.
34:00 Elle dit « si le bonheur existe, c'est une épreuve d'artiste ». Mais le mot épreuve
34:06 à mon avis n'est pas très bien choisi.
34:07 Ça c'est la première chose.
34:09 Je trouve qu'en revanche dans sa chanson « Résiste », « Résiste, viens, bats-toi,
34:14 signe et persiste », quand on sait ce qu'a été le trajet de Cézanne, qui s'est battu,
34:19 y compris contre les cercles impressionnistes, puisque Durand-Ruel prend les impressionnistes
34:24 sauf Cézanne, je me dis mais au fond, ça correspond exactement à ce qu'a été cette
34:28 ténacité, reconnue simplement pour Cézanne à partir des années 1890.
34:32 J'ai cru comprendre que « Les yeux de Mona » allait devenir un film.
34:36 Votre roman publié aux éditions Albin Michel, peut-être qu'il y aurait aussi une comédie
34:40 musicale ? Je ne sais pas, quelque chose à faire ?
34:42 Je ne sais pas si votre question est sincère, passive-agressive ou… Dites-moi, une comédie
34:48 musicale ?
34:49 Non, une comédie musicale, puisque vous parlez de Cézanne.
34:51 Si vous voulez l'adapter, cher Guillaume Erner…
34:53 Écoutez, là, dans ce cas-là, ce serait très agressif, parce que si c'est moi qui
34:56 fait les chansons, je pense que ce ne serait vraiment pas un cadeau.
34:59 Mais en tout cas, un bon cadeau que l'on peut faire, c'est votre livre.
35:03 Thomas Chlesser, « Les yeux de Mona » aux éditions Albin Michel.

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