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En soi, au fond de soi ? Ou hors de soi - hors de nous, dans la relation aux autres si importante pour les animaux sociaux que nous sommes ?

La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (16 Novembre 2024)
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Transcription
00:00Il est 9h moins 10, la question philo avec vous Charles Pépin et aujourd'hui Charles
00:05vous allez répondre à Sonia.
00:07Bonjour, j'ai une question pour Charles Pépin, je me demandais quand la force vient
00:12à manquer, quand on est découragé, abattu, très fatigué, comment retrouver la force ?
00:17Merci, une question pour Maître Yoda.
00:20C'est une question oui qui aurait pu être posée dans Star Wars mais en l'occurrence
00:24qui a aussi un sens philosophique.
00:26Alors où donc trouver la force Charles ?
00:28Très bonne question.
00:29En soi, au fond de soi, ou alors hors de soi, hors de nous, dans la relation aux autres
00:35si importante pour les animaux sociaux que nous sommes.
00:37Trouver la force en soi, l'idée est au premier abord stimulante.
00:41Peut-être avons-nous en effet au fond de nous des ressources insoupçonnées que nous
00:45pouvons mobiliser au cœur de la crise.
00:47Notre volonté par exemple, cette faculté qui ne se déploie jamais autant que face
00:52à une résistance et qui est d'après Descartes ce que nous avons en nous de divin, notre
00:56imagination aussi qui se nourrit des obstacles à contourner, notre instinct de survie qui
01:01attend peut-être l'épreuve de l'adversité pour se réveiller et se changer en énergie
01:05ou en force de résistance.
01:06Parmi ces ressources, au fond de nous, il y a peut-être aussi notre amour profond de
01:10la vie, notre confiance en l'existence car c'est précisément lorsque la vie est
01:14dure qu'il faut savoir les convoquer ou plus exactement les retrouver.
01:18Il y a un philosophe déterminant, Husserl, qui parle d'une confiance originaire, une
01:24confiance qui serait là dès le début de la vie et c'est ce dont vous parlez, c'est
01:29de cette confiance-là qu'il faut penser et qu'il faut retrouver.
01:34Voilà, c'est ça.
01:35Les moins à conquérir qu'à retrouver puisqu'en venant au monde, nous avons une
01:38confiance originaire, d'après Husserl, en ce monde qui est notre maison.
01:41Mais le plus souvent, nous avons besoin des autres pour trouver les ressources en nous,
01:45d'une belle relation d'amour ou d'amitié, de la rencontre d'un ou d'une thérapeute
01:49avec laquelle nous allons nouer une alliance thérapeutique et dans les cas les plus durs,
01:53de cette rencontre avec ce que Boris Cyrulnik, dans le sillage de la psychologue américaine
01:57Amy Werner, nomme un « tuteur de résilience ». Il s'agit alors, dans tous ces cas,
02:03de trouver la force dans les autres ou plutôt dans notre relation aux autres.
02:07Et parfois même, nous commençons déjà à nous sentir mieux quand nous cessons de
02:11croire que tout dépend de nous et que nous devons nous en sortir seuls, sans l'aide
02:16de personne.
02:17Souvent, c'est la principale entrave, cette idée que je dois m'en sortir seul.
02:21« La vraie vie est rencontre », écrit Martin Buber, un philosophe pas très connu,
02:25mais qui a pourtant influencé la plupart des philosophes de l'altérité au XXe siècle,
02:29Husserl, Lévinas, Sartre.
02:31Il est même des rencontres qui nous sauvent la vie.
02:34Des rencontres qui nous sauvent la vie.
02:36Trouver la force dans cette qualité de lien nous permet de comprendre qu'il faut parfois
02:41sortir de soi pour trouver la sortie.
02:43Enfin, évidemment, vous m'avez vu venir, sortir de soi, c'est s'ouvrir au monde,
02:48s'en remettre à lui.
02:49Trouver la force dans ces retrouvailles même, avec les forces du monde, le soleil, la nature,
02:56les fleuves, les arbres, l'énergie cosmique chez les stoïciens, les lois de la nature
03:00selon Spinoza, l'élan vital dont parle si bien Bergson.
03:04Et alors, comment est-ce qu'on fait ça ? Le cosmos, les stoïciens ont parlé, l'élan
03:09vital de Bergson, ça peut sembler très abstrait à ceux qui nous écoutent.
03:14Comment on fait ? Je vais vous répondre.
03:15On ouvre les yeux, on respire, on se promène en forêt, on embrasse les arbres, évidemment,
03:19on regarde passer les oiseaux migrateurs et on le sent bien, cet élan vital dans leurs
03:24ailes.
03:25On nage dans l'eau froide, on s'ouvre enfin à sa présence dans le monde et à la présence
03:29du monde.
03:30Et bien sûr alors, on prend soin de ce monde, puisqu'il est notre maison, souvenez-vous
03:34de Husserl.
03:35On arrête de le vider de ses ressources, car c'est notre maison que l'on détruit
03:38et qu'on laisse brûler en détournant les yeux.
03:41Comment voulez-vous avoir confiance en vous dans le monde si vous salissez le monde ?
03:45Contempler la beauté de la nature suffit parfois à nous consoler, voire à nous rendre
03:49de nouveau capables de consentir à notre vie, même imparfaite.
03:53Nos tourments nous semblent soudain bien différents, bien plus petits, moins scandalés aussi,
03:59quand nous réapprenons à habiter le mystère du monde, quand nous retrouvons le contact
04:02avec ce qui nous dépasse et nous traverse en même temps.
04:06Cette force alors, qui vient du monde comme celle que savent parfois nous donner les autres,
04:11entre alors en nous pour devenir la nôtre.
04:14Et les moments de fatigue nous rappellent ce que nous sommes tentés d'oublier dans
04:19les heures de gloire ou de triomphe.
04:20Nous ne sommes jamais autant nous-mêmes que lorsque nous savons nous ouvrir à ce qui
04:25n'est pas nous.
04:26Donc, quand Sonia vous demande où retrouver la force, il vaut mieux essayer de la trouver
04:31hors de soi que la chercher en soi ?
04:33Exactement, hors de soi, dans la rencontre avec les autres et le monde.
04:37Et les moments de fatigue dont vous parlez, comment est-ce qu'on fait pour les surmonter ?
04:42J'ai essayé de répondre, mais je vais rajouter une dernière idée.
04:44Peut-être en les acceptant, en entrant en relation avec eux, et en ne commençant pas
04:49par essayer d'en sortir tout de suite.
04:50Merci Charles Pépin, et on rappelle que la pièce « La Joie » se joue tous les soirs
04:55jusqu'à Noël au théâtre du Montparnasse, tiré de votre travail de philosophe.

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