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Charles Pépin répond chaque samedi aux auditeurs philosophes d'Inter. Et ce matin, à la question que pose Philippe : "Pourquoi la croyance nous fait-elle perdre la raison ?"

La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (25 Mai 2024)
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Transcription
00:00 Il est 9h10 sur Inter, la question philo, Charles Pépin, le samedi vous répondez aux auditeurs philosophes
00:06 et ce matin à la question que vous pose Philippe.
00:08 Comment un esprit sensé, intelligent, cultivé peut-il perdre instantanément tout sens commun,
00:14 devenir naïf, voire primitif lorsqu'il aborde le domaine de sa croyance ?
00:19 Voilà, bonne question, question profonde.
00:21 Pourquoi est-ce que la croyance rend fou si on résume ?
00:23 Un peu.
00:24 Eh bien, il y a bien en effet, cher Philippe, une façon de croire qui fait perdre la raison et devenir naïf, fanatique.
00:29 C'est bien sûr cela que l'on entend derrière votre question.
00:32 Mais ce n'est pas la seule façon de croire.
00:33 Pourquoi ? Parce qu'il y a plusieurs manières de croire.
00:36 Oui, on va en distinguer deux.
00:37 D'abord, mais rappelons le sens général du verbe croire.
00:40 Croire, c'est accorder du crédit à un objet dont l'existence n'est pas certaine.
00:44 Exemple ?
00:44 Croire en Dieu, par exemple, c'est accorder du crédit à l'hypothèse de son existence, même si la chose n'est pas assurée.
00:50 Croire en sa bonne étoile, c'est accorder du crédit à quelque chose qui ici encore n'est pas prouvé.
00:54 Et d'ailleurs, c'est ça qui est beau de croire alors que ce n'est pas sûr.
00:57 Mais alors, quelles sont les différentes façons de croire ?
00:59 On va distinguer la croyance qui se sait croyance, qui est pour moi la véritable croyance.
01:04 La croyance qui se sait croyance.
01:05 On sait qu'on croit.
01:06 Voilà. Et la croyance qui se prend pour un savoir, qui s'oublie comme croyance et que je vais appeler la foi.
01:12 Dans le premier cas, la croyance donc, on penche d'un côté, on croit, on sait en même temps que la chose n'est pas certaine.
01:19 Et donc, cette manière de croire incorpore une dimension de doute.
01:22 On peut très bien croire en Dieu en ce sens, comme une espérance.
01:25 Et cette manière-là de croire ne rend ni naïf, ni fanatique.
01:28 Elle peut même donner des ailes, aider à s'orienter dans ce monde en donnant un horizon, une perspective.
01:33 Les plus grands théologiens, juifs, chrétiens, musulmans, ont tous avancé que croire, c'était douter, savoir douter et même savoir supporter le doute.
01:42 Savoir supporter le doute en soi permet de plus de mieux supporter le doute chez l'autre et donc, accessoirement, de ne pas l'agresser et de le respecter.
01:49 Donc ça, c'est la croyance.
01:51 Qui se sait croyance ?
01:52 La deuxième dimension, donc la foi.
01:54 On pourrait dire ça comme ça, que la foi est une croyance qui oublie qu'elle est une croyance et qui se prend pour un savoir.
02:00 Croire en Dieu revient alors à considérer son existence comme certaine et cela, je crois, est dangereux.
02:05 Donc dans la foi, la foi qui n'a pas de doute, c'est ce qui fait le danger ?
02:10 Je crois, car ne pas douter du tout de quelque chose dont la réalité est objectivement hypothétique, ça ressemble quand même beaucoup à de la folie.
02:18 D'ailleurs, cette personne qui croit s'en douter, elle doute sûrement quand même un peu.
02:22 Elle est sûrement en train de se persuader qu'elle ne doute pas.
02:25 Et au fond, peut-être qu'elle doute comme tout le monde, mais qu'elle ne supporte pas le doute en elle.
02:29 Et c'est peut-être cela qui la rend violente, agressive, notamment face au doute des autres,
02:34 dans la mesure où le doute des autres la renvoie au doute qui est en elle et qu'elle ne supporte pas.
02:39 Ce serait d'ailleurs une lecture du fanatisme.
02:42 Alors expliquez-nous un peu mieux ce que ça veut dire, en tout cas pour simplifier.
02:45 Oui, c'est une seule lecture du fanatisme, mais on pourrait dire que comme tout le monde doute et que c'est normal de douter,
02:50 que ce qui fait le fanatique, c'est qu'il ne supporte pas le doute en lui et que ce conflit intérieur le rend violent.
02:56 Mais nous pouvons, soyons rassurés, cher Philippe, croire autrement.
03:00 Croire non seulement en supportant le doute en soi, mais même en l'aimant.
03:05 Par exemple, je crois en Dieu, je n'en suis pas sûr, mais croire son existence possible, simplement possible, donne un horizon, un sens à ma vie.
03:14 Alors ça c'est la croyance religieuse, c'est croire en Dieu.
03:17 Mais on peut prendre d'autres exemples.
03:18 Je crois en notre sursaut écologique collectif et cette possibilité me guide pour changer mes habitudes.
03:26 Autre exemple, je crois que nous allons nous aimer longtemps, peut-être même toute la vie, je n'en suis pas sûr.
03:31 Malgré ce qu'on dit Karine.
03:33 Je n'en suis pas sûr, malgré les chiffres, j'en doute parfois, mais c'est ça qui est l'élément clé,
03:40 je supporte ce doute en moi et c'est même ce doute qui me donne envie de faire tout mon possible pour que cette possibilité se réalise effectivement.
03:48 Voilà donc, cher Philippe, une manière de croire qui ne fait pas perdre la raison, mais vient au contraire la nourrir, la booster.
03:55 En conclusion, il est beau de croire comme il est beau de savoir, mais à la condition de savoir que croire n'est pas savoir.
04:02 C'est beau comme conclusion, savoir que croire n'est pas savoir.
04:07 C'est plus compréhensible que ce qu'on imagine en premier lieu.
04:11 Merci Charles Pépin et merci à Philippe pour sa question.

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