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Charles Pépin répond aux auditeurs d'Inter tous les samedis. Et aujourd'hui, il a choisi la question de Pauline : "L’homme est-il un animal comme les autres ?"

La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (30 Mars 2024)
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Transcription
00:00 La question philo avec vous Charles Pépin, comme tous les samedis vous répondez à la
00:04 question d'un heureux auditeur d'Inter et aujourd'hui c'est Pauline.
00:08 Bonjour Charles, ma question est la suivante, l'homme est-il un animal comme les autres ?
00:13 Merci !
00:14 Charles Pépin.
00:15 L'homme est-il un animal comme les autres ? Eh bien assurément non, mais pas nécessairement
00:18 pour les meilleures raisons.
00:19 L'homme est par exemple le seul animal capable de détruire son propre environnement, le
00:24 seul animal capable de s'auto-détruire comme espèce, le seul animal capable de faire le
00:28 mal de manière délibérée et à très grande échelle parfois industrielle.
00:32 Bon on a compris l'accroche, mais il n'y a pas quelque chose qui serait le propre de
00:37 l'homme et qui serait positif, quelque chose qui pourrait nous élever au-dessus de ce
00:42 qu'on appelle les bêtes, la conscience par exemple, l'altruisme, que sais-je ?
00:46 Oui, toute l'histoire de l'Occident a été marquée par cette recherche du propre de
00:50 l'homme et chacune des pistes retenues a été invalidée par les progrès de l'éthologie.
00:54 On va les prendre une par une, celles que vous avez nommées.
00:56 La conscience, on sait aujourd'hui que les animaux en ont une et que la différence entre
01:00 eux et nous n'est que de degrés, non de nature.
01:02 Le langage, c'était évidemment avant de connaître les raffinements dans la communication
01:06 entre abeilles, fourmis, baleines ou même entre les arbres.
01:09 Enterrer les morts.
01:11 Le respect des morts, voilà.
01:12 Aristote évoquait déjà dans l'histoire des animaux ses dauphins par exemple, refusant
01:16 d'abandonner un de leurs congénères morts et le portant longtemps sur leur dos, comme
01:20 d'ailleurs le font les fourmis.
01:21 L'amour, on sait que les oies par exemple vivent en couple pour la vie et on a vu souvent
01:26 le jarre se laisser mourir de chagrin après la mort de son noix.
01:30 Bon foie gras si vous aimez ça.
01:31 Le pouvoir, mais les oiseaux migrateurs ont beaucoup à nous apprendre sur cette question
01:36 du pouvoir, sur la gestion collégiale douce, tournante, ultra-efficace du pouvoir.
01:41 Vous parliez de l'altruisme, vous m'avez dit ?
01:42 Laissez-moi vous parler du cratérope écaillé.
01:44 Le cratérope écaillé, qu'est-ce que c'est que ça ?
01:47 C'est un oiseau altruiste qui propose ses services de gardien de nuit aux autres espèces
01:52 d'oiseaux, pendant que la mer est partie chasser et que les petits oisillons pourraient
01:56 se faire dévorer par des prédateurs.
01:57 Lui, garde le nid et ne demande en échange rien.
02:01 Une sorte de nounou ?
02:03 Nonou altruiste et gratuite.
02:06 Et je pourrais continuer cette liste longtemps d'un propre de l'homme introuvable, ajouté
02:11 d'ailleurs comme le fait la philosophe Elisabeth de Fontenay dans son sublime ouvrage
02:15 « Le silence des bêtes », qu'à chaque fois qu'on définit un propre de l'homme,
02:19 non seulement on échoue à distinguer l'homme de l'animal, mais en plus on réussit à
02:23 exclure des hommes de l'humanité.
02:24 Si par exemple le propre de l'homme est la parole, alors le muet n'est pas un homme.
02:28 Si le propre de l'homme est la raison, alors le fou n'est pas un homme.
02:31 Mais alors donc, il faut renoncer définitivement à définir un propre de l'homme ou est-ce
02:36 qu'il y a quelque chose qui permettrait de nous distinguer des animaux ou des bêtes ?
02:40 Peut-être, mais d'abord, reconnaissons que les philosophes ont longtemps semblé ne même
02:43 pas regarder l'animal en face, peut-être parce que cet animal était en fait à l'intérieur
02:47 d'eux-mêmes.
02:48 « L'animal est pauvre en monde », écrit ce pauvre Heidegger, pour dire que nous avons
02:53 un rapport au monde plus riche et plus complexe que celui de l'animal.
02:56 Mais quand je songe à l'aigle royal planant dans les hauteurs ou aux relations de jeux
03:00 ou de pouvoir entre grands singes, je n'ai pas l'impression qu'il soit pauvre en
03:04 monde.
03:05 Et il me semble plutôt au contraire que quand je vois l'animal humain en train d'obéir
03:09 à des process dans son open space, que c'est lui qui est pauvre en monde.
03:12 Là où on vous suit.
03:13 On comprend mieux en tout cas pourquoi les sceptiques de l'Antiquité, qui voulaient
03:16 faire douter leurs contemporains de toute leur certitude, utilisaient précisément
03:20 cette question de la différence homme-animal.
03:22 Et après eux, Gilles Deleuze et tous les antispécistes qui écrivent que l'homme
03:27 qui souffre est une bête, tandis que la bête qui souffre est humaine.
03:31 Reste que, malgré tout, même si les bêtes sont si proches de nous et nous ressemblent
03:35 tant, elles constituent en même temps une irréductible altérité.
03:40 Elles restent extérieures à nous.
03:42 Extérieures tout en nous ressemblant étrangement.
03:44 Et c'est là le mystère.
03:45 Cet animal si proche et si loin à la fois.
03:48 Car malgré tout ce que je viens de vous dire, il reste évident que quelque chose résiste
03:53 et que nous ne sommes pas des bêtes.
03:55 Alors je vous propose ce week-end, en regardant votre chat dans votre appartement, ou une
03:59 vache dans un champ, ou les oiseaux dans le ciel, et en essayant en même temps de regarder
04:03 en face l'animal au fond de vous, d'essayer au moins, tout simplement, de vous tenir devant
04:10 ce mystère.
04:11 Bon week-end !
04:12 Merci Charles Pépin et merci à Pauline qui vous a posé cette question.
04:16 J'espère qu'elle sera satisfaite de votre réponse.

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