4211 KM c’est la distance qui sépare Paris et Téhéran, mais c'est aussi le nom de la pièce de la dramaturge Aila Navidi. Fille de réfugiés politiques iraniens, elle a fait de son histoire une pièce à succès ! Elle est ce matin l'invitée de Mathilde Serrell.
Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00 9h50, les nouvelles têtes Mathilde Serrel, ce matin, une dramaturge franco-iranienne
00:05 qui tient à rester plusieurs.
00:07 Aïla Navidi est dans notre studio.
00:10 Portrait sonore.
00:11 « Monsieur Khomeini, d'abord, il avait dit que les femmes sont tout à fait égales
00:16 aux hommes, mais aussitôt qu'il est arrivé ici, il a commencé à parler comme quelqu'un
00:22 de moyen âge, on peut dire.
00:25 Maintenant, j'ose dire que l'Iran d'aujourd'hui, sous Khomeini, est politiquement et socialement
00:32 exactement comme l'Europe de moyen âge. »
00:36 En 1979.
00:38 Elle n'est pas encore née lorsque ce témoignage d'une femme iranienne est diffusé sur Antenne
00:44 2.
00:45 Son père, journaliste, sa mère, prof de philo, n'ont pas encore fui l'Iran, sa nouvelle
00:49 république islamique et son ayatollah, Khomeini.
00:52 Elle voit le jour 4 ans plus tard à Paris et grandit dans un studio du 13ème arrondissement
00:56 où l'on parle farci et où l'exil est forcément provisoire.
01:00 « J'adore l'estège, le coup de courant, moi je le vois, le bordel.
01:05 J'adore l'estège, l'amour des deux premières, yeah ! »
01:09 Et oui, comme les enfants de son âge, elle regarde les dessins animés du club Dorothée.
01:14 Chez elle, on parle politique 24h/24 et dans les goûters d'anniversaire, elle cite Karl
01:20 Marx.
01:21 Elle décide de s'offondre dans le moule option école de commerce pour défier la
01:25 reproduction sociale et rassurer ses parents jusqu'à ce premier déclic.
01:29 « Le théâtre est fait pour raconter des histoires vraies, même imaginaires mais vraies.
01:34 Mais témoigner c'est aussi faire l'histoire.
01:38 Quand un spectacle raconte une histoire vraie et importante, c'est pas seulement un témoignage,
01:46 c'est aussi une participation à l'histoire.
01:48 » Une pièce d'Ariane Mouschkin au Théâtre
01:52 du Soleil et un son de cet art réveillent son besoin de transmettre son histoire.
01:58 Après avoir quitté son boulot de conseil dans l'audiovisuel et le cinéma, elle fonde
02:02 la Compagnie du Nouveau Jour.
02:03 C'est la naissance de sa fille qui la précipite dans l'écriture de ce spectacle impérieux.
02:08 « Elle va s'appeler Peria parce que Monique de la Mairie aura décidé que ma fille s'appelle
02:12 à nom Peria.
02:13 Tu n'as pas compris ce que ce nom représente pour moi ? C'est ma vie ce nom Edouard.
02:19 C'est mes racines ce nom.
02:20 C'est mon grand-père ce nom, c'est synonyme d'amour.
02:24 C'est symbole de la liberté, c'est leur combat.
02:27 C'est ma mémoire. » Sa pièce, 4211 kilomètres comme la distance
02:33 qui sépare Paris de Téhéran est un succès.
02:35 Le récit fragmenté d'une enfant d'exilé qui voulait rentrer là où elle n'était
02:40 jamais allée.
02:41 Aïla Navidi, bonjour.
02:42 On a entendu l'extrait de 4211 kilomètres, le début précisément de cette pièce.
02:48 C'est prolongé en ce moment au studio Marigny.
02:50 Vous irez ensuite à Avignon.
02:52 Le déclencheur de la pièce, c'est comme ce qu'on voit sur les planches.
02:56 C'est ce moment d'inscription de votre fille au registre de l'état civil et la
03:00 peur que votre nom disparaisse.
03:02 « Je pense que c'est effectivement la naissance de mon enfant qui fait que je me
03:07 rends compte ou que je me pose les questions de l'héritage et où je me demande ce qui
03:11 va rester.
03:12 Je pense qu'avec la naissance de mon enfant, j'ai réalisé aussi que la mort de mes
03:16 parents allait arriver.
03:17 Et qu'avec la mort de mes parents, je me suis posé la question de qu'est-ce que
03:20 moi j'allais léguer et qu'est-ce qui allait rester dans les générations futures.
03:23 Et ça a été un déclenchement et une urgence de raconter cette histoire pour laisser une
03:28 trace.
03:29 » Cette histoire, c'est la vôtre.
03:30 C'est aussi celle de beaucoup d'exilés iraniens.
03:33 On suit Mina et Feridoun, venus se réfugier en France après une révolution qu'on leur
03:37 a volée.
03:38 Et leur fille Yalda, qui ne porte pas votre nom dans la pièce, qui est dans cet en-attendant
03:44 permanent parce qu'en fait vous avez grandi pendant 40 ans avec l'idée que vous alliez
03:49 revenir même si vous n'étiez jamais allé en Iran.
03:51 Oui, je dis souvent revenir parce que ça montre à quel point, enfin en fait c'est
03:56 instinctif, mais ça montre à quel point ça a été un héritage.
03:59 C'est-à-dire qu'en fait j'ai grandi avec cette idée tous les jours qu'en fait
04:02 on était arrivés ici, on avait posé nos valises le temps de… parce qu'à aucun
04:07 moment en fait la génération de mes parents n'a pensé que Khomeini allait rester.
04:11 En fait ils étaient encore dans cette pulsion de révolution de 79.
04:15 Et on a attendu ce retour qu'on attend encore.
04:17 C'est-à-dire qu'ils vont se battre contre la monarchie, la dictature du Shah.
04:23 Et puis on leur promet évidemment un État démocratique, les élections libres sont
04:26 organisées.
04:27 Et là, la république islamique arrive et soudain toutes les libertés sont supprimées
04:32 les unes après les autres.
04:33 C'est pour rappeler ce récit-là.
04:34 Alors pour rectifier, ils ont continué même quand l'ayatollah Khomeini est arrivé.
04:38 Ils étaient aussi contre l'ayatollah Khomeini.
04:40 Mais effectivement, il avait une force de frappe financière qui était assez énorme.
04:45 Et donc du coup, les personnes qui avaient fait la révolution et qui beaucoup venaient
04:50 d'une classe ouvrière ou agricole, se sont laissées porter par cette nouvelle vague
04:56 qu'avait amenée Khomeini.
04:58 Jusqu'à ce que ça se referme comme au Moyen-Âge, le dit ce témoin iranien.
05:04 Il dit que votre père ne veut pas la nationalité française car il pense qu'il va toujours
05:07 rentrer en Iran.
05:08 C'est pour ça qu'il la refuse jusqu'au bout.
05:09 Vous, vous allez donc au moment de votre bac devoir prendre cette nationalité française.
05:14 Là, on a une scène d'administration française vraiment incroyable.
05:17 On vous aime bien parce que vous êtes iranienne, vous n'êtes pas comme les autres arabes.
05:20 Déjà, c'est toujours sympa ce moment.
05:22 On n'arrive toujours pas à prononcer votre nom.
05:25 C'est cette identité complexe dans un monde binaire, la pièce de théâtre que vous proposez
05:30 aussi Ayla Navidi.
05:31 Oui, en fait, c'était important pour moi de raconter cette partie administrative parce
05:36 que je pense que ça fait partie d'un parcours.
05:38 Et en fait, avoir la nationalité française à 18 ans, ça raconte quelque chose sur notre
05:43 intégration et ce que ça raconte sur les 18 années qui sont passées.
05:47 C'est-à-dire que pendant 18 ans, on vit en France dans une école publique où on
05:51 nous apprend toutes les valeurs de la République.
05:53 Et à ce moment-là, moi, j'avais un statut qui était le statut de fille de réfugié
05:56 politique.
05:57 Donc, comment on se construit aussi avant et quel est ce point de bascule où du jour
06:01 au lendemain, je voulais le raconter parce qu'à l'époque, on m'avait demandé
06:04 de changer de prénom.
06:05 Oui, on vous donne un carnet de prénom pour choisir.
06:07 Voilà, et en fait, ça a été extrêmement violent pour moi parce qu'en fait, pendant
06:11 18 ans, on n'est pas française.
06:13 On ne sait pas ce qu'on est.
06:14 Et puis, en fait, à 18 ans, on nous propose, moi, on m'avait proposé entre autres de
06:17 m'appeler Aline.
06:18 Et ça a été, je pense, un vrai choc à ce moment-là pour moi et pour la suite aussi.
06:24 À partir du moment où je suis française, comment est-ce que je dois m'inscrire dans
06:28 cette société et comment je dois me construire pour pouvoir être acceptée ou avoir le meilleur
06:32 chemin ? Et c'est ce que je voulais aussi pour mes parents, pour les rendre fiers et
06:35 faire en sorte de répondre aussi à tous les sacrifices qu'ils avaient faits pour
06:38 qu'on y arrive, nous, notre génération en tout cas.
06:40 D'où l'école de commerce.
06:41 Et ensuite, c'est vraiment ce spectacle d'Anne Mouchkine qui vous ramène au théâtre
06:45 à sa nécessité.
06:47 Et puis, comment on quitte son boulot pour se lancer dans le théâtre ?
06:50 Alors, on quitte son boulot avec le soutien de son conjoint, déjà.
06:55 Mais oui, non, en fait, ce qui s'est passé, c'est que les pièces d'Ariane Mouchkine
07:00 en général, dans la façon dont elle les raconte et dans la façon dont elle a construit
07:05 le Théâtre du Soleil, a quelque chose d'extrêmement collectif et d'extrêmement politique.
07:10 Même si elle va utiliser des classiques.
07:12 Et je pense que c'est en ça que je me suis retrouvée parce qu'il y avait énormément
07:14 de parallèles avec la vie que j'avais en Iran.
07:18 Alors, d'un mot, je dirais qu'on se plonge dans votre méthode de travail puisque c'est
07:21 une pièce par fragments, à la fois parce que vos parents ne vous ont pas tout raconté
07:25 de l'emprisonnement, des tortures, de la fuite.
07:27 C'est venu par fragments.
07:29 Et aussi, vous, par odeur, par musique, vous avez recomposé votre histoire.
07:33 On va écouter un peu de musique iranienne.
07:35 Et je voudrais que vous me disiez comment ça vient ? Quelles sont les images ? Qu'est-ce
07:43 qui se précipite ?
07:44 En fait, la musique a bercé notre enfance à tous.
07:48 Et du coup, c'est vrai que réécouter cette musique-là, Roydeh, a une voix extrêmement
07:56 puissante.
07:57 Et en fait, quand elle chante, je pense qu'elle permettait à ceux qui ne parlent pas, c'est-à-dire
08:04 à ma famille, aux proches de ma famille, de pleurer à travers ces musiques.
08:10 Et je pense que c'est ça qui était très puissant.
08:13 C'est qu'en fait, on exprimait peu de choses dans nos familles et dans nos proches.
08:18 Et la musique, elle a cette force-là de l'exprimer à notre place et de collectivement écouter
08:24 quelque chose qui vient penser nos plaies, je pense.
08:27 Et cette musique me rappelle des moments de vie extrêmement forts.
08:32 Parce qu'en fait, parfois, on se retrouvait et on écoutait cette musique ou on chantait
08:35 cette musique collectivement, ou ces musiques-là.
08:37 Et elle rappelle des moments forts de nos vies, comme les décès qu'on a eus en exil,
08:43 comme des moments où on a appris des personnes à se faire exécuter.
08:47 Et en fait, au fur et à mesure, c'est un fil rouge dans notre vie.
08:52 Merci Aïlan Havidi.
08:54 Il faudra voir ce grand récit, ce spectacle 4211 km de racines.
08:59 C'est en ce moment au studio Marigny, prolongé jusqu'au 14 avril et bientôt à Avignon
09:02 et même à La Réunion.