Ali Baddou reçoit Yasmine Belkaid, immunologiste et chercheuse, nouvelle directrice de l’institut Pasteur depuis janvier 2024.
15' de plus par Ali Baddou sur France Inter (19 Avril 2024)
Retrouvez toutes les chroniques d'Ali Baddou sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/15-de-plus
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00:00 * Extrait de France Inter *
00:09 15 minutes de plus et j'ai l'honneur ce vendredi de recevoir l'une de nos grandes scientifiques,
00:14 chercheuses immunologistes, spécialistes du microbiote.
00:18 Nos systèmes immunitaires n'ont pas de secret pour elle, ou en tout cas pas beaucoup.
00:23 Elle a dirigé le Centre d'Immunologie des National Institutes of Health aux Etats-Unis,
00:30 fondatrice d'un programme dont elle va nous parler.
00:33 Elle vient d'être nommée en janvier Directrice Générale de l'Institut Pasteur,
00:37 l'un des centres de recherche les plus prestigieux au monde.
00:41 Et c'est un miracle pour la France, pour reprendre les mots d'Alain Fischer,
00:45 le Président de l'Académie des Sciences.
00:47 Sa parole est rare et elle est la bienvenue ce matin dans notre studio.
00:52 Bonjour Yasmine Belkaïd.
00:53 Bonjour.
00:54 Et bienvenue.
00:55 On va parler de beaucoup de choses avec vous parce que c'est finalement une autre manière
01:00 de nous regarder, de nous comprendre et de comprendre la façon dont notre corps vit
01:06 avec son environnement.
01:07 Comme chaque semaine, on va commencer par une expérience de pensée.
01:11 Les émoticônes de nos téléphones les représentent souvent comme des petites boules vertes avec
01:16 des antennes.
01:17 On a l'impression qu'elles sont visqueuses.
01:20 Il faut s'imaginer dans la peau d'un microbe.
01:22 On s'attaque à un être humain, à son organisme.
01:25 On est fait pour ça.
01:26 Un microbe c'est un combattant ?
01:27 C'est un combattant, oui.
01:30 C'est une forme de combattant.
01:32 Mais c'est bien plus que ça.
01:33 Les microbes ne sont pas que des combattants.
01:35 La grande majorité des microbes autour de nous ne sont que des passagers ou parfois
01:38 des inzèdes.
01:39 Alors justement, la première ligne de défense c'est notre système immunitaire.
01:43 Alors ça c'est une vision qui est partiellement vraie.
01:47 Le système immunitaire a beaucoup été vu comme un système de défense.
01:50 Mais la réalité c'est qu'il est aussi beaucoup plus que ça.
01:52 C'est un système de régulation.
01:54 C'est un système de régulation de la façon dont le corps fonctionne.
01:58 Ça régule aussi le métabolisme, la réparation tissuaire.
02:01 Donc c'est un des éléments de défense.
02:03 Alors justement, la métaphore guerrière, j'ai l'impression qu'elle a ses limites.
02:07 Exercice de définition professeur.
02:09 De quoi est-ce qu'on parle quand on parle de microbes ? On parle de bactéries ? Est-ce
02:13 qu'on parle de virus ?
02:14 On parle de tout.
02:15 On parle de virus, de bactéries, de protozoaires, de fungi.
02:20 En fait, d'une grande communauté de microbes.
02:24 Il y en a énormément.
02:25 Une communauté vous appelez ça ?
02:26 Oui, une communauté.
02:27 On est un microbe, on s'attaque à l'organisme humain.
02:30 Qu'est-ce qui se passe ? Et surtout, comment a-t-on pu en arriver là ?
02:33 Déjà, comment on a pu en arriver là ? Nous sommes un conglomérat de microbes.
02:37 Je veux dire, nous étions déjà des microbes qui se sont attachés les uns aux autres.
02:40 Dans notre cellule, il y a des mitochondries qui sont des vestiges de bactéries.
02:44 Dans nos gènes, il y a des virus.
02:45 Donc, en fait, si on réfléchit, nous sommes des gros microbes attachés les uns aux autres,
02:50 qui font quelque chose comme un être humain.
02:51 C'est une belle leçon d'humilité.
02:53 On est donc un microbe, on s'attaque à l'organisme humain.
02:56 Il y a quelque chose qui peut sembler paradoxal, Yasmine Belkaïd, en tout cas pour nous les
03:00 profanes qui n'avons pas apercé les mystères de ces micro-organismes.
03:03 Comment est-ce qu'un microbe peut résister dans notre système immunitaire alors que
03:08 par définition, notre corps, notre organisme est censé le combattre ?
03:13 Notre organisme n'est pas censé le combattre.
03:15 La grande majorité des microbes qui vivent avec nous, vivent avec nous.
03:18 Par exemple, ceux qui sont dans notre intestin, dans notre peau.
03:20 Donc, en fait, il y a très peu de microbes qui vraiment sont des pathogènes, ceux qui
03:24 créent des maladies.
03:25 Donc, en fait, c'est quelque chose de très rare, l'infection.
03:28 C'est très rare.
03:29 Vous dites que la question qui vous taraude depuis toujours, c'est comment les microbes
03:35 peuvent-ils persister dans notre organisme malgré le système immunitaire dont nous
03:40 a doté l'évolution ?
03:41 Toute votre vie a été consacrée à essayer de répondre à cette question ?
03:45 Oui.
03:46 Oui ?
03:47 Oui, parce que c'était un paradoxe.
03:48 Et c'est pour ça que cette métaphore de l'attaque ne fonctionnait pas.
03:51 Parce que si vraiment c'était un système d'attaque, cette espèce de capacité de
03:54 persister dans l'autre ne marchait pas.
03:56 Donc, en fait, plutôt que de parler d'attaque, il faudrait parler de compromis.
04:00 De compromis.
04:01 De compromis avec les microbes.
04:03 C'est un compromis qui se fonde sur quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
04:07 Le système immunitaire est un système extraordinaire qui permet justement de combattre, dans certains
04:12 cas, les infections, mais aussi qui peut nous tuer.
04:13 Je veux dire, une grande majorité des infections nous tue non pas à cause de l'infection,
04:18 mais à cause d'une réponse trop excessive du système immunitaire.
04:20 Donc, en fait, il y a des moments où il y a un compromis, où le système immunitaire
04:24 arrête d'attaquer parce qu'en fait il peut détruire l'organe et dans lequel il
04:28 y a une coexistence.
04:29 C'est une forme de traité, de compromis entre le microbe et le système immunitaire.
04:32 De traité de paix ou en tout cas d'armistice.
04:35 Mais on est inégaux justement devant la résistance aux microbes.
04:39 Le paradoxe, c'est qu'on peut être, comment dire, malade parce qu'on réagit trop bien.
04:46 Oui ? Oui.
04:47 Non mais ça paraît totalement contre-intuitif.
04:49 Complètement.
04:50 Et en fait, une grande majorité de ceux qui nous tuent après les infections ne sont pas
04:54 souvent les microbes eux-mêmes.
04:55 Mais c'est le système immunitaire qui en fait n'arrête pas d'attaquer et qui devient
04:59 en fait un élément de destruction du corps.
05:02 Est-ce que ça a encore un sens de parler de normal et de pathologique alors que ces
05:08 microbes, vous dites très bien qu'ils font partie de la vie de nos organismes ?
05:12 Je pense qu'il faut plutôt regarder le contexte de l'existence des microbes avec l'autre.
05:17 Il y a des microbes en fait qui chez vous vont causer une infection et qui chez moi
05:20 en fait vont être capables d'être complètement éliminés ou même des fois de persister
05:23 sans infection.
05:24 Donc en fait, les microbes se comportent de façon très très différente en fonction
05:28 des individus et des circonstances.
05:29 Vous avez fait une découverte majeure lorsque vous étiez en thèse.
05:33 Il va vraiment falloir nous aider à comprendre et faire preuve de beaucoup de pédagogie.
05:39 Un microbe, ce qu'on appelle un pathogène, déjà définition ?
05:43 Un pathogène sera un microbe qui peut causer une maladie.
05:45 Donc un microbe pathogène peut recruter, j'insiste sur le mot, une protéine anti-inflammatoire
05:53 dans le système immunitaire de leur hôte.
05:55 Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
05:58 C'est pas l'empreinte à l'embauche ?
06:00 Non, donc en fait si on pense à nos systèmes immunitaires, il y a dans nos systèmes immunitaires
06:03 des cellules qui arrêtent justement ce côté excessif des cellules immunitaires.
06:08 Des cellules qui régulent et des molécules qui régulent.
06:10 Donc il y a certains microbes, certains pathogènes qui ont évolué pour en fait attirer ces
06:15 éléments à leur avantage.
06:17 Donc en fait ils se cachent.
06:18 Ils se cachent en utilisant les mêmes systèmes que nous utilisons nous-mêmes pour ne pas
06:21 réagir contre le soi.
06:23 Le soi ?
06:24 Oui.
06:25 Mais si on devait prendre une image, c'est une forme de collaboration avec l'ennemi ?
06:29 Oui.
06:30 Est-ce qu'on peut vraiment appeler ça l'ennemi ou une coexistence ?
06:33 Alors notre système immunitaire, il n'est pas figé.
06:36 Vous insistez là-dessus.
06:38 Il peut évoluer notamment en fonction, notamment notre régime alimentaire.
06:42 C'est extrêmement important et ça c'est ce que vos travaux notamment ont révélé.
06:47 Expliquez-nous en quoi ?
06:48 Donc d'abord, notre système immunitaire est très différent en fonction de notre
06:50 âge, en fonction de notre… par exemple si on est une femme ou un homme, il est très
06:53 différent en fonction de nos circonstances, nos gènes, mais aussi notre alimentation.
06:58 On peut en fait changer très rapidement notre système immunitaire en changeant notre diète.
07:02 Et en fait on a publié un papier récemment qui montre que même deux semaines de changement
07:06 alimentaire peut en fait changer notre système immunitaire.
07:08 Alors il peut agir, interagir directement avec un autre système immunitaire.
07:14 On va écouter un son.
07:15 Écoutez-le bien.
07:16 Qu'est-ce qu'on entend là ?
07:17 On entend le cœur d'un enfant dans le ventre de sa mère.
07:23 L'infection d'une femme enceinte peut avoir des conséquences sur l'immunité
07:26 future de l'enfant ?
07:27 Oui.
07:28 En fait, ce qui est extraordinaire et en fait très important à comprendre, c'est
07:31 que tout ce qui se passe pendant la grossesse, et les infections en particulier, peuvent
07:35 avoir des conséquences à long terme sur l'enfant.
07:37 Donc l'alimentation par exemple d'une femme enceinte ou une infection dont est l'objet
07:43 une femme enceinte peut avoir des conséquences sur l'immunité future de l'enfant ?
07:47 Sur l'immunité future et en fait, bien entendu, et l'inflammation et des maladies
07:51 à long terme.
07:52 Deuxième expérience de pensée, Yasmine Belkaïd, il faut imaginer qu'on est dans
07:55 trois lieux différents.
07:57 Le corps humain, la forêt, l'océan.
07:59 Quoi de commun entre ces trois espaces qui, a priori, sont extrêmement éloignés les
08:05 uns des autres ?
08:06 Ce sont tous des écosystèmes.
08:07 Nous sommes un écosystème.
08:08 Nous sommes un écosystème.
08:10 C'est curieux parce que vous avez rempli le mot « soi ». Nous sommes non pas des
08:16 subjectivités, des sujets, mais des écosystèmes.
08:20 Nous sommes multiples.
08:21 Donc, « je » est un autre ?
08:23 Oui.
08:24 Il y a plus de microbes en nous qu'il n'y a de cellules.
08:26 Yasmine Belkaïd, il y a une bactérie que vous appelez le deuxième cerveau.
08:30 J'aimerais que vous nous expliquiez ce que c'est le microbiote.
08:33 Vous l'avez beaucoup étudiée.
08:35 Elle est présente dans notre organisme.
08:37 En quoi est-ce qu'elle est liée à notre système immunitaire et pourquoi est-ce qu'on
08:41 l'appelle le deuxième cerveau ?
08:42 Ce microbiote, en fait, il a plus de cellules de microbes que de cellules humaines et ça
08:47 dirige énormément d'éléments physiologiques.
08:50 C'est un système immunitaire qui est contrôlé par le microbiote.
08:52 Mais aussi, il a été démontré que notre comportement, l'anxiété, peut être aussi
08:56 influencée par les microbes qui vivent en nous.
08:58 Sans qu'on en ait conscience ?
08:59 Sans qu'on en ait conscience.
09:00 Mais alors, qu'est-ce que notre microbiote dit de nous ?
09:02 Qu'est-ce qu'il dit de nous ?
09:04 Oui.
09:05 Je ne sais pas ce qu'il dit de nous, mais je ne sais pas ce que nous disions de ces
09:08 microbes.
09:09 C'est une coexistence.
09:10 Nous sommes nécessaires à leur survie.
09:12 Nous sommes la maison de ces microbes.
09:13 Vous avez plusieurs vies et plusieurs métiers.
09:16 Je disais que vous étiez à la tête de l'Institut Pasteur, que vous avez mené des recherches
09:20 de pointe, que vous continuez d'ailleurs à pratiquer votre métier de scientifique.
09:26 Comment est-ce qu'on appelle d'ailleurs les pasteuriens et les pasteuriennes, les membres
09:30 de l'Institut Pasteur ?
09:31 Est-ce qu'un institut comme l'Institut Pasteur peut se battre à armes égales avec
09:36 d'autres instituts beaucoup mieux dotés en argent, comme par exemple la fondation
09:42 Bill et Melinda Gates ou d'autres fondations qui ont plus de moyens ?
09:47 Qu'est-ce qui fait que l'Institut Pasteur reste un lieu d'excellence ?
09:50 Pasteur est unique parce que c'est un environnement dans lequel la science est faite d'une façon
09:55 très multidisciplinaire.
09:56 Pasteur a une expertise extraordinaire en maladies infectieuses.
10:00 Il a vraiment une place unique dans l'écosystème international.
10:04 Il a une place unique ?
10:05 Oui.
10:06 Qu'est-ce qu'on y cherche ? Qu'est-ce que là, pour le coup, vous avez, vous, l'intention
10:10 de découvrir ?
10:11 Moi-même, j'ai continué à explorer.
10:13 Découvrir, je ne sais pas, mais continuer à l'explorer certainement.
10:15 Continuer à explorer la relation entre le système immunitaire de la mère et de l'enfant,
10:20 l'impact des infections sur les maladies à long terme.
10:23 Sur les maladies à long terme, c'est les Etats-Unis, la France, deux espaces si différents
10:29 pour exercer son métier de chercheur ?
10:31 Très différents, mais en fait très complémentaires.
10:34 En quel sens ?
10:35 Dans le sens dans lequel il y a en fait des chercheurs qui font des choses de façon différente.
10:39 Il y a un écosystème dans lequel, par exemple, beaucoup de plus de maladies infectieuses
10:43 sont explorées à Pasteur dans le contexte du network.
10:45 La façon dont on trouve la science peut être différente.
10:47 Et je pense qu'il y a quelque chose au milieu de ces deux cultures qui fait que la science
10:51 peut vraiment fonctionner.
10:52 Il y a juste, si vous pouvez nous l'expliquer, quelque chose sur lequel vous avez travaillé
10:57 et que je trouve absolument fascinant.
10:59 C'est un stage postdoctoral en biologie des parasites intracellulaires au laboratoire
11:05 des maladies parasitaires.
11:07 Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire Yasmine Belkaïd ?
11:10 Il faudrait peut-être que les scientifiques, on arrive à simplifier notre jargon.
11:14 Parasite, un parasite est un microbe qui vit à l'intérieur de l'être humain.
11:18 Donc en fait, ça va être généralement l'hechmaniasis ou bien la toxoplasma.
11:21 Ce sont des parasites.
11:22 Mais en fait, en réalité, tous les microbes qui vivent dans l'être humain peuvent être
11:26 considérés comme des parasites.
11:27 Ce sont des éléments qui utilisent l'autre à leur avantage.
11:30 Comment est-ce que vous percevez le moment Covid et depuis que la pandémie s'est installée
11:36 où une forme d'hygiénisme a été demandée, exigée de chacun d'entre nous de nous laver
11:44 les mains avec du gel alcoolique et ce moment où le microbe, où les germes sont devenus
11:51 les ennemis.
11:52 En fait, on doit apprendre à vivre avec eux.
11:55 Ça ne sert à rien de toute façon d'essayer de s'en débarrasser.
11:58 On ne peut pas s'en débarrasser.
11:59 Et puis de toute façon, ils ont toujours été avec nous.
12:01 Je pense que le Covid a rappelé à l'humanité qu'ils étaient là, mais ils ont toujours
12:05 été là dans les maladies, dans les environnements dans lesquels il y a par exemple la malaria,
12:09 la tuberculose qui sont encore très prédominantes.
12:11 Dans les pays à haut niveau, on a peut-être oublié que ces pathogènes étaient là.
12:15 Mais ils ont toujours été là et ils seront toujours là.
12:17 - Quelle est la morale de l'histoire Yasmine Belkaïd ?
12:19 - Laquelle ?
12:20 - Il ne faut pas avoir peur de toutes les bactéries ?
12:23 - Bien sûr que non.
12:24 Il faut vraiment se rappeler que nous sommes un écosystème et comme tout écosystème,
12:28 il est fragile et que nos microbes sont importants et que si on les perturbe, on perturbe le
12:32 système.
12:33 - Merci infiniment d'avoir été notre invitée Yasmine Belkaïd.
12:36 C'était passionnant.
12:37 Merci professeur, merci pasteurienne.
12:41 Je vous souhaite une excellente journée.