Le débat économique :Emmanuel Macron à La Sorbonne : un tournant pour l'Europe ?

  • il y a 5 mois
Le débat éco de ce vendredi 26 avril avec Dominique Seux et Thomas Porcher : Emmanuel Macron à La Sorbonne : un tournant pour l'Europe.
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00:007h46, et comme chaque vendredi, on retrouve Thomas Porchet et Dominique Seux, bonjour
00:05messieurs.
00:06Bonjour à tous.
00:07Sorbonne, saison 2, on va revenir avec vous sur l'intervention du Président de la République,
00:13une heure trois quarts consacrée à l'Europe, le Président français présentait sa vision
00:17donc au même endroit qu'il avait prononcé le premier discours programmatique, on a retenu
00:23une formule, l'Europe peut mourir, mais ce discours comporte aussi des propositions,
00:29quelques semaines maintenant du scrutin européen, d'abord votre impression générale, le projet
00:35s'appuie sur un bilan, le bilan européen d'Emmanuel Macron, depuis sept ans, est-il
00:39conséquent Thomas ?
00:40Alors déjà sur l'impression, la première impression que j'ai eue, moi j'ai écouté
00:45très religieusement le discours à 1h49, je l'ai même lu sur le site de l'Elysée,
00:49et vraiment sur l'organisation des discours européens, moi qui en ai écouté beaucoup,
00:54j'ai vraiment l'impression d'être dans une série Netflix, il y a une organisation
00:57qui est propre à chaque discours, tous les discours européens depuis 20 ans commencent
01:01par le constat alarmant, alors là l'Europe peut mourir, l'Europe est en danger, l'Europe
01:07est à un carrefour, on l'a eu il y a à peu près 24 ans, et puis après il y a les
01:10défis de l'Europe face à un monde qui change, alors ça on l'a toujours, et puis la dernière
01:15chose c'est l'Europe doit changer, alors quand vous suivez ces discours comme moi,
01:18la première fois vous dites ah c'est intéressant, la deuxième fois vous y croyez à moitié,
01:23la troisième fois vous dites j'ai déjà entendu, j'ai déjà vu ça, donc moi je
01:26vais vous résumer le discours, il y avait une phrase, moi je me souviens du ministre
01:29des Pays-Bas sur la stratégie de Lisbonne, au début de l'année 2000, Wincok il avait
01:32dit ça parle de tout et donc de rien, et le discours de Macron c'est ça hier, ça
01:36parle de tout et donc de rien.
01:37Mais vous n'avez pas parlé du bilan, Dominique Seux.
01:40Non mais moi ce qui m'a frappé puisque vous posez la question sur l'impression générale,
01:45c'était clairement un discours de président plus qu'un discours de soutien à la liste
01:51de son camp, donc ce n'était pas un discours très sur la vie concrète des Français,
01:57c'était un discours plus de vision.
01:58Rationnel, pas dans l'émotionnel et probablement, à mon avis c'est un bilan et un constat
02:08qui est très juste, on verra les limites évidemment, mais le constat juste c'est
02:12l'Europe est encerclée et c'est nouveau, elle est encerclée évidemment par une Russie
02:17hostile, elle est encerclée par des Etats-Unis et une Chine qui sont très différents de
02:23ce qu'ils étaient il y a dix ans.
02:24Au fond, si je le dis en une phrase, Emmanuel Macron a acté la fin de l'Europe libérale
02:30et c'est une vieille vision française depuis, la France rêve de ça depuis, même si c'était
02:37avant Emmanuel Macron, Jacques Chirac, François Hollande, l'Europe doit être différente.
02:41Et en fait, le nom, d'une certaine manière, montre que la France a raison depuis une quinzaine
02:47d'années et donc il en est très satisfait, mais évidemment c'est très difficile de
02:53trouver les bonnes réponses et c'est pour ça que je ne suis évidemment pas d'accord
02:56avec Thomas Porcher.
02:57Alors naturellement, ce qui était frappant à l'oreille, c'est qu'il n'y a pas
03:01d'effet Wahou sur la campagne électorale.
03:03C'est l'opinion ce matin qui dit, oui mais de quoi les médias en continuant ont
03:11parlé hier de Kadi Jirac ? Ils n'ont pas parlé du discours parce qu'il n'y avait
03:14pas une formule qui clashe et donc évidemment, c'est la limite de ce discours, mais je
03:19pense que c'est un discours de très haute volée.
03:21Thomas Porcher ?
03:22La fin de l'Europe libérale, je n'ai pas entendu le président nous dire que c'est
03:26la fin du marché unique, parce que vous savez, le marché unique, c'est quand même
03:29la concurrence des états entre eux, la liberté des capitaux, il veut même renforcer ça
03:34puisqu'il a parlé d'un marché des capitaux unifié, c'est-à-dire d'une bourse européenne.
03:38Là, ce qui est assez marrant, c'est qu'il y a quand même un reste de son passage à
03:42Rothschild, parce qu'il dit qu'il veut financiariser l'Europe.
03:48Il veut une bourse européenne, il dit qu'on ne prend pas assez de risques, il dit qu'il
03:54faut que l'épargne, il confond vraiment l'investissement dans l'économie réelle
03:59et la financiarisation.
04:00Vous savez, on a vu en 2008 qu'il y avait une séparation entre l'activité de spéculation
04:05financière et l'activité réelle.
04:07Visiblement, lui, il croit encore qu'il y a des vases communiquants, et ça, ça me
04:11fait un petit peu peur.
04:12Mais il appelle à doubler les investissements publics pour éviter le décrochage de l'Europe.
04:15Oui, très bien, c'est pas la première fois qu'on le dit, mais ce qu'il faut rappeler
04:19sur le bilan, c'est qu'en fait, le bilan, c'est une parenthèse, il a fallu une des
04:25plus grosses crises sanitaires pour que l'on fasse de l'achat commun de vaccins, de l'endettement
04:30commun, etc.
04:31S'il n'y avait pas eu cette crise sanitaire, on en serait resté au même principe de l'Europe.
04:37Et aujourd'hui, cette parenthèse se ferme et le pacte de stabilité, avec les réductions
04:42des déficits et notamment du déficit structurel, ça revient en force.
04:45Et donc, l'Europe n'a pas tant changé que ça.
04:47Le monde a changé et l'Europe a changé.
04:50L'Europe, en fait, depuis 1945, s'est construite et ça a permis, on peut en dire
04:56de battre à l'infini, mais ça a réconcilié les peuples entre eux, ça fonctionne sur
05:01le commerce, un marché ouvert sur l'extérieur et la concurrence à l'intérieur du territoire
05:08européen pour donner du pouvoir à l'extérieur.
05:10Et ça, ça n'a pas changé.
05:11Et ces deux choses ont fondamentalement changé, c'est-à-dire que les Etats-Unis, la Chine
05:16et l'Europe étaient appelées à ça, à faire remonter les frontières extérieures
05:21et à arrêter la politique de contrôle des aides d'Etat pour essayer...
05:28Le monde de l'économie aujourd'hui, c'est plus de frontières, plus de subventions.
05:32Et c'est les trois blocs qui sont en train de faire ça.
05:35Et l'Europe est en train de changer et de fait, si on prend son...
05:38J'ai dit les limites de son discours, notamment en politique intérieure, mais si on prend
05:42le bilan depuis le discours précédent, évidemment, énormément de choses ont été entendues.
05:48L'emprunt commun, vous l'avez dit vous-même, vous l'avez dit vous-même, l'emprunt commun...
05:51C'est une crise sanitaire et je veux dire, ça s'est vite refermé.
05:54La politique des vaccins, la France qui a pris la main sur le refus des voitures, des subventions
06:04aux voitures chinoises, c'est des changements considérables.
06:07Je cite le président de la République, il disait hier, je suis favorable à la poursuite
06:11du marché unique, puisque vous en parliez Thomas, dans des secteurs qui étaient jusqu'à
06:15présent ignorés par celui-ci, l'énergie, les télécommunications et les services financiers.
06:21Déjà, je voudrais quand même rebondir un peu sur ce qu'a dit Dominique.
06:25Moi, j'aimerais bien prendre un élément comme ça et dire l'Europe a changé.
06:28Je veux dire, c'est comme si on disait en 2008, l'Europe a changé, il y a eu un plan
06:31de relance.
06:32Oui, il y a eu un plan de relance pour répondre à une crise financière et ça s'est tout
06:34de suite refermé.
06:35Il y a eu dix ans d'austérité après.
06:36Donc, vous voyez, c'est très simple de faire ça.
06:38Et puis, j'aimerais bien être aussi, moi, toujours dans le sens du vent, c'est-à-dire
06:40que la souveraineté, elle a été mise en avant il y a très longtemps par beaucoup
06:44de gens.
06:45Vous savez, quand il y a eu le non à la Constitution, il y avait un conseiller d'État, Yves Salès,
06:50qui était professeur à Sciences Po d'économie européenne, qui a écrit un livre pour une
06:55autre Europe, ou l'Europe que nous voulons, où là, il parlait de souveraineté, il parlait
06:58de créer des géants industriels face à l'agressivité des États-Unis.
07:01Et à l'époque, il y a beaucoup de gens et beaucoup de journaux qui disaient « Ouh
07:04là là, c'est un retour au nationalisme, etc. ». Et maintenant, les mêmes qui disaient
07:07ça vous disent « Ah oui, l'Europe est en train de changer, c'est génial ».
07:10J'aimerais bien, moi, parfois, rappeler qu'il y a des gens qui ont eu des pensées
07:14contra-cycliques à un moment, et que c'est toujours très simple d'être dans le sens
07:16du vent.
07:17Je ne vois pas très bien.
07:18Vous voulez…
07:19Si, vous voyez très bien, Dominique.
07:20Ben non, je ne vois pas très bien.
07:21Moi, ce que je regarde, c'est les commentaires des presses italiennes et allemandes ce matin,
07:26qui disent que, notamment la presse allemande, l'éditorialiste du Handelsblatt, Grégoire
07:31Wachensky, qui a écrit ce matin, « Manifestement, à Paris, il y a une vision de l'Europe
07:36que le chancelier Shultz n'a pas ». Le chancelier Shultz, dit-il, « est sur le
07:41monde d'hier, Emmanuel Macron est plutôt sur le monde de demain, malheureusement ».
07:45C'est-à-dire que, quand les États-Unis ne jouent plus le jeu du commerce mondial…
07:49Ils ne l'ont jamais joué, Dominique.
07:50Il y a une différence considérable.
07:51Il y a une différence absolument considérable.
07:55Ah bon ?
07:56Ah ben, attendez, écoute…
07:57Le Buy American Act, ça existe depuis un an ou ça a toujours existé ?
08:00Le Buy American Act, ça a toujours existé ?
08:02Vous avez le protectionnisme qui a été mis en place successivement par Donald Trump
08:07puis par Joe Biden.
08:08C'est un monde qui a changé.
08:09Quand la Chine ne se considère plus aujourd'hui comme un marché accessible au reste du monde,
08:14ça c'est nouveau.
08:15Vous connaissez ?
08:16Il y a 10 ans, tout le monde se précipitait vers la Chine, on se disait c'est un marché
08:21fantastique.
08:22Aujourd'hui, la Chine s'est refermée, donc l'Europe est en train de s'adapter
08:25à ça.
08:26C'est compliqué parce que Berlin et Paris n'ont pas la même opinion là-dessus, encore
08:30clairement.
08:31Evidemment, la puissance économique de la France n'est pas tout à fait celle de l'Allemagne,
08:35mais on voit bien qu'il y a des choses qui sont en train de changer.
08:38Alors, quand Emmanuel Macron dit…
08:40Non, mais il y a…
08:41En revanche, il y a quelque chose qui m'a surpris, et à mon avis, ça ne marchera pas
08:45quand il dit qu'il faut une préférence européenne pour les achats d'armements.
08:48Voilà, ça fait un petit peu de bruit, il faudrait que tous les pays européens achètent
08:51en gros les armements français.
08:52Là, on est à la limite de son raisonnement parce que, en gros, vis-à-vis de Donald Trump,
08:58s'il était réélu, c'est un permis de tuer l'OTAN.
09:00C'est-à-dire, Donald Trump pourra arriver à dire « vous voulez absolument qu'on
09:03achète des armements français et les pays européens ne vont plus acheter des armements
09:07américains, écoutez les amis, débrouillez-vous ! ». C'est ça qu'on va entendre.
09:11On est dans des contradictions, on est dans des limites.
09:13Alors, Macron a peut-être une vision française, si j'en crois Dominique, mais après, Bruno
09:19Le Maire, en tous les cas sur la réduction des déficits, il a une vision très allemande.
09:23Et ça, il faut le dire aussi qu'il y a quand même un écart entre les deux.
09:26Il y a Macron qui nous dit qu'il faut doubler les investissements, puis il y a Bruno Le
09:28Maire qui nous dit qu'il faut réduire les déficits, comme un malade.
09:31Donc là, je ne sais pas, il faudrait qu'ils s'accordent, parce que Bruno Le Maire fait
09:35partie du gouvernement d'Emmanuel Macron.
09:36La deuxième chose, c'est que sur les Etats-Unis, croyez-moi, il y a des mesures qui sont passées,
09:48qui sont plutôt à l'inverse de ce qu'a inventé Emmanuel Macron.
09:53La deuxième des choses, c'est sur les Etats-Unis.
09:54Les Etats-Unis, ils ont toujours été protégés.
09:56Il y avait un économiste qui s'appelait M. Fitoussi, je ne sais pas si vous l'avez vu,
09:59il était professeur de sciences po, très bon économiste.
10:01Dans les années 90, il a dit une phrase très intéressante, je vais vous la dire.
10:05Il a dit que les Etats-Unis sont les plus grands producteurs de doctrine au monde, mais
10:09à usage extérieur.
10:10Vous voyez ? Parce que les Etats-Unis ont toujours été protégés.
10:13Mais comment est-ce que vous avez reçu l'appel au protectionnisme lancé par Emmanuel Macron ?
10:17Mais moi, ça me fait toujours rire, les gens qui découvrent le monde.
10:21J'ai trouvé qu'il y avait une très grande naïveté.
10:23Par exemple, quand il a dit…
10:24Une naïveté de la part du président de la République.
10:26Oui, tout à fait.
10:27Je vais vous dire, quand il a commencé à nous dire déjà, nous avons cru que les
10:29matières premières étaient illimitées.
10:30Alors, je ne sais pas, ça fait 20 ans que les gens en parlent, des gens très intéressants
10:34comme Jean Covici, mais d'autres.
10:36Quand il a dit, nous découvrons qu'il y a une géopolitique des matières premières.
10:39Excusez-moi, la Chine a commencé à arriver en Afrique il y a plus de 20 ans.
10:42Naïveté.
10:43Tout le monde s'en est rendu compte.
10:44Alors lui, s'il s'en rend compte il y a 2-3 mois, je ne sais pas quoi dire, moi.
10:47Naïveté, Dominique Seux.
10:49C'est juste une question de débat.
10:51Je ne comprends pas très bien, Thomas, si vous reprochez à Emmanuel Macron d'avoir
10:54tort ou de venir tardivement sur vos propres positions.
10:58C'est légèrement contradictoire.
10:59Il faut choisir, c'est une position ou une autre position.
11:02Quel est au fond le reproche que vous lui faites ?
11:05On peut lui faire mille reproches, je n'ai aucun doute là-dessus.
11:07Mais le mot important, encore une fois, c'est que le monde est en train de changer à vitesse
11:14grand V.
11:15Quand vous dites le marché unique, il y a eu deux rapports importants, on ne va pas
11:20ennuyer les auditeurs avec ça, mais il y a eu deux rapports de deux Italiens, Mario
11:23Draghi et Enrico Letta, qui ont décrit les difficultés, les limites de notre marché
11:28unique avec un exemple extrêmement concret, là qu'il peut parler à tout le monde,
11:32c'est qu'aux États-Unis, vous avez 4 opérateurs téléphoniques, en France, vous
11:35en avez une cinquantaine ou une centaine.
11:37Et donc, la concurrence qui a poussé vers les prix toujours plus bas nous a empêché
11:42de construire des géants industriels qui soient capables de rayonner dans le monde
11:47entier, dans un certain nombre de secteurs.
11:49Et donc, c'est un changement de pied, c'est un changement de pied qui est en train de
11:53se produire.
11:54C'était intéressant de voir le président de la République dire qu'il fallait déroger
11:57à l'orthodoxie financière et budgétaire.
12:00Vous parliez de Bruno Le Maire, ce vendredi, Fitch et Moody's doivent noter la France,
12:06ce sera le verdict des agences de notation à propos de la dette, du déficit, ça vous
12:10inquiète ? Votre pari ?
12:12Dégradée ou pas, la France reste encore très attractive.
12:16Après, je vais dire une dernière chose quand même pour finir, c'est que, vous savez,
12:20les grands discours comme ça, heureusement qu'il y a encore des gens comme Dominique
12:22qui y croient.
12:23Moi, je me souviens de la stratégie de Lisbonne, vous savez c'est quoi la stratégie de Lisbonne
12:27en 2000 ? Les conclusions de la stratégie de Lisbonne ? Écoutez ça, vous allez tous
12:30rire ! L'Europe doit devenir en 2010 l'économie de la connaissance la plus compétitive au
12:36monde, capable d'une croissance durable, du plein emploi et d'une grande cohésion
12:40sociale.
12:41C'était l'objectif 2010.
12:42Donc, quand je vois les objectifs 2030, excusez-moi, j'ai envie de rigoler.
12:45Dominique Seux, pour le coup, vous pouvez répondre à la question du verdict des agences
12:50de notation ? Votre pari ?
12:52Mon pari, mais je n'ai pas d'informations, c'est qu'il y aura effectivement une baisse
12:57de la note, on va passer de 17 à 14 et demi, quelque chose comme ça, sur 20, on va passer
13:03à A+, en fait, on n'en sait strictement rien.
13:06Les taux d'intérêt, hier soir, j'ai regardé sur la dette publique française à 10 ans,
13:10c'était 3,10.
13:12C'est vrai que ça a augmenté ces dernières semaines, les autres ont aussi augmenté.
13:16C'est plus un enjeu politique qu'un enjeu financier.
13:19Verdict tout à l'heure.
13:21Merci messieurs, merci Thomas Porchet, Dominique Seux.

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