À 9h05, les débatteurs du jour sont Jean-Noël Jeanneney x Laurent Lafon. Ils évoquent la question de la réforme de l'audiovisuel public (Radio France, France Télévisions, France Médias Monde) qui sera évoquée devant le Sénat et l'Assemblée nationale à partir de la fin du mois de mai. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-29-avril-2024-2557776
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00:00 Débat ce matin sur l'avenir de l'audiovisuel public.
00:03 Une réforme est attendue dans les prochaines semaines à l'Assemblée nationale.
00:07 C'est une proposition de loi soutenue par Rachida Dati qui apporte projet de fusionner
00:13 Radio France, France Télévisions, France Média Monde et Lina en une seule entité
00:19 qui pourrait porter le nom de France Média.
00:21 Les choses pourraient aller très vite si la loi est votée avec la mise en place d'une
00:27 holding au 1er janvier prochain.
00:30 Pour en débattre ce matin, Laurent Laffont, sénateur Union centriste du Val-de-Marne,
00:36 président de la Commission Culture du Sénat, membre du Conseil d'administration de Radio
00:42 France et auteur de cette proposition de loi.
00:45 Et Jean-Noël Janenet, historien, ancien PDG de Radio France et de RFI, producteur de l'émission
00:53 Concordance des temps chez nos amis de France Culture.
00:57 Bonjour à tous les deux.
00:58 - Bonjour.
00:59 - Et merci d'être au micro de France Inter ce matin.
01:03 Laurent Laffont, vous êtes favorable à cette holding.
01:07 Jean-Noël Janenet, vous, au contraire, dans une tribune au Monde, vous avez fait part
01:13 de votre inquiétude face à ce projet.
01:16 Qu'est-ce qui vous inquiète ?
01:18 - Je pense que ce n'est pas une bonne action et que l'idée que l'Union fait la force
01:25 est probablement une idée trop simple.
01:27 Alors je passe vite sur deux points autour duquel nous sommes d'accord, monsieur le
01:31 sénateur, c'est-à-dire l'extrêmement bonne santé de l'audiovisuel public et de Radio
01:36 France notamment, je le dis avec plaisir ici, et d'autre part le mauvais coup qui a été
01:42 porté en supprimant l'ardevance.
01:44 Je vois que le sénateur est très préoccupé de la pérennité de nos ressources.
01:47 Sur ce point nous pouvons donc passer vite.
01:49 Mais c'est un socle important, je crois, pour notre débat.
01:52 A partir de quoi ? Je pense que l'idée de faire une fusion, alors vous parlez de holding,
01:58 la ministre est très très claire, elle a l'idée d'en faire une fusion, ce sera une
02:03 gouvernance commune.
02:04 L'idée de regrouper les différentes sociétés de l'audiovisuel public pour une meilleure
02:08 efficacité, je crois que c'est une pétition de principe et que c'est une mauvaise idée.
02:13 Si nous fabriquions des automobiles, on peut imaginer que deux usines d'automobiles se
02:17 rapprochent et soient plus efficaces.
02:19 En l'occurrence, ces sociétés sont des chevaux légers, ce n'est pas une unité puissante
02:24 et raide.
02:25 Il faut que nous puissions continuer d'être différents, d'être spécifiques.
02:29 Pour cela, l'idée de se rapprocher me paraît très malvenue.
02:33 J'ajoute que tout le monde sait bien que le fonctionnement de la machine serait extrêmement
02:39 alourdi.
02:40 Dans le feuilleté des pouvoirs, on va faire un niveau supplémentaire.
02:45 Il y aura des présidents, des directeurs généraux et tout cela va marcher avec des
02:50 débats, des discussions de pouvoir, d'influence.
02:54 On passera énormément de temps à se disputer l'autorité alors qu'il me paraît qu'aujourd'hui,
03:01 toute l'énergie de nos maisons doit être dirigée au service d'un seul but, c'est-à-dire
03:06 l'adaptation.
03:07 Vous avez commencé ici à Radio France de le faire magnifiquement, c'est-à-dire de
03:10 s'adapter au nouveau décor que les technologies contemporaines nous proposent.
03:16 Concentrons notre énergie à cela et non pas à...
03:18 Laurent Laffont, vous entendez les inquiétudes de Jean-Noël Jeannet, qu'est-ce que vous
03:21 lui répondez ?
03:22 J'entends bien sûr les inquiétudes.
03:25 D'abord, je voudrais rajouter un troisième point aux deux points d'accord.
03:28 C'est que d'abord, nous sommes l'un et l'autre défenseurs du service public.
03:31 Et il y a en dehors de ce studio des personnes qui ne le sont pas forcément.
03:35 Et toute ma démarche à moi, c'est de renforcer ce service public.
03:38 Qu'est-ce qui se passe ?
03:39 L'environnement du service public a changé depuis un certain nombre d'années.
03:43 Il y a eu des évolutions technologiques dont certaines sont en cours et d'autres ne sont
03:49 qu'au balbutiement.
03:50 Je pense pour les évolutions en cours, le développement du numérique et pour celle
03:54 à venir, de l'intelligence artificielle.
03:56 Et puis, il y a de nouvelles pratiques que nous connaissons tous.
03:59 On n'écoute plus la radio ou la télévision.
04:01 On ne regarde plus la télévision comme on le faisait il y a dix ans, il y a vingt ans.
04:05 Les phénomènes de replay, de numérisation font que les pratiques, notamment chez les
04:11 jeunes, ont totalement évolué.
04:13 Et en plus, il y a de nouveaux acteurs qui ne sont pas des acteurs français.
04:16 On n'est plus dans un schéma de concurrence franco-française.
04:19 On est dans un schéma de concurrence à une toute autre échelle.
04:24 Quand je pense aux nouveaux acteurs, je pense évidemment aux plateformes américaines.
04:27 Nous, ce que nous disons, c'est que pour continuer le travail de qualité qui est fait
04:32 dans le service public, compte tenu de ce que je viens de décrire très rapidement,
04:38 il faut rassembler les différentes entités du service public pour réunir les forces.
04:45 C'est un constat qui n'est pas uniquement fait par le Sénat ou par la Commission de
04:50 la culture que je préside, mais qui est fait dans d'autres pays.
04:53 Puisque quand on regarde les modèles audiovisuels publics partout, pratiquement en Europe, il
04:57 y a ce travail de réunion des forces qui est déjà opéré.
05:02 C'est un travail qui est en partie partagé par les différentes entités d'audiovisuel
05:06 public.
05:07 Quand on regarde les réflexions stratégiques, que ce soit ici, ou à France Télévisions,
05:14 ou à Lina, ou à France Média Monde, partout on dit qu'il faut renforcer les coopérations
05:19 entre les acteurs.
05:20 Nous en sommes.
05:21 Est-ce que vous espérez des programmes de meilleure qualité, des économies de personnel
05:27 ?
05:28 Quel est fondamentalement le projet derrière la fusion ?
05:32 Si on parle des métiers de l'audiovisuel, produire de la télévision, faire de la radio,
05:40 quel est le projet éditorial ?
05:41 A quoi cela va-t-il servir dans la qualité de ce qui est donné au public ?
05:47 D'abord, je ne parle pas de fusion, je parle d'une holding.
05:50 C'est différent, on va revenir à ces questions-là.
05:52 Mais je pense que la question de principe est importante.
05:56 L'enjeu, c'est d'aborder ensemble les évolutions d'usage et les évolutions technologiques
06:02 auxquelles vous êtes confrontés, pour lesquelles individuellement vous travaillez actuellement.
06:07 Je pense à la question de l'IA par exemple.
06:09 On en est au balbutiement.
06:11 Quel est l'impact de l'intelligence artificielle sur vos métiers, sur la façon de faire de
06:16 la radio, la façon de faire de la télévision ?
06:17 On sait bien que tout cela va non pas se confondre, mais il y a des convergences qui vont se mettre
06:25 en place.
06:26 Par exemple, indépendamment de l'IA, la question des podcasts qui est en train de se développer.
06:31 On voit bien que dans le podcast, vous avez à la fois du son et de l'image.
06:35 Il y a un travail de coopération qui peut se mettre en place.
06:38 Il existe des podcasts vidéo, effectivement, mais pas toujours.
06:39 Jean-Noël Janet, sur cet argument principal tout de même, qui est de dire que la fusion
06:47 c'est face aux énormes plateformes numériques, que ça permet d'avoir un audiovisuel plus
06:53 fort sur les questions de lutte contre la désinformation et d'usage dévoyé de l'intelligence
06:59 artificielle.
07:00 Quelle est votre position ?
07:01 Je me permets d'abord de répondre à la question de l'argument de la comparaison avec d'autres
07:05 pays.
07:06 Vous nous dites que tous les pays voisins, j'ai entendu la ministre le dire aussi, ont
07:10 procédé à ce genre de fusion.
07:12 Parce que holding ou fusion, ce sera évidemment la même chose.
07:14 Si vous prenez le cas de la BBC, que l'on vende toujours, il y a un exemple tout à
07:18 fait intéressant, c'est qu'en avril 2022, on a voulu fondre la chaîne d'information
07:23 intérieure et la chaîne d'information internationale parce qu'on avait diminué de 500 millions
07:31 de livres le budget de la BBC.
07:33 On en revient, car on constate que c'est absurde.
07:36 Il faut préserver la différence.
07:37 C'est un vieux slogan de Radio France.
07:40 Écoutez la différence.
07:41 Écoutez la différence, bien sûr.
07:42 Et donc ces arguments de comparaison ne paraissent pas du tout valides.
07:46 La vérité c'est que vous allez avancer vers une fusion qui obligera tout le monde
07:52 à passer sous la toise et qui du coup fera perdre tout à fait de vue la spécificité
07:57 de chaque entreprise.
07:58 Nous sommes à Radio France ici.
07:59 Nous sommes à Radio France et nous savons que le cas est tout à fait spécifique.
08:03 J'ajoute que chaque fois qu'on a essayé de rapprocher la radio et la télévision,
08:09 c'est toujours la radio qui a souffert.
08:11 Car du côté de la télévision, il y a plus de moyens, il y a plus de narcissisme, il
08:15 y a quelque chose comme une condescendance souvent à l'égard de la radio.
08:19 Vous me permettrez d'évoquer un souvenir personnel.
08:21 Lorsque je dirigeais cette maison, effectivement, au début de 1983, on a détaché les radios
08:27 des stations de FR3 en région, on les a détachés de la télévision.
08:33 Elles étaient malheureuses, elles étaient méprisées, elles étaient maltraitées.
08:37 Et nous avons vu, en les intégrant dans un système de radio local public, tout à coup
08:42 elles ont refleuri à peu près comme une plante qu'on arrose.
08:45 Donc je crois vraiment qu'il faut insister sur l'originalité de chacune de nos actions,
08:50 garder ce côté libre, souple, et puis multiplier si on veut les coopérations.
08:55 C'est le rôle du gouvernement de pousser dans les accords, dans les conventions d'objectifs
09:01 et de moyens.
09:02 - Laurent Lafond, sur ce sentiment que la radio sera la grande perdante d'une fusion, qu'avez-vous
09:10 à répondre à Jean-Noël Jannet ? Parce que pour le dire clairement, les gens qui travaillent
09:15 à la maison de la radio se défoncent pour faire la meilleure radio possible et ils craignent
09:20 d'être absorbés par la télé.
09:22 Est-ce que vous entendez cette crainte alors même que les français plébiscitent les
09:27 différentes radios de Radio France et écoutent massivement les podcasts de Radio France ?
09:32 - Juste un mot avant de vous répondre, sur cette notion de préserver les différences,
09:39 ce que j'aime beaucoup, et moi je dirais que la première différence à préserver, c'est
09:43 la différence entre le service public et le service privé.
09:45 Et c'est bien le sens de la démarche que j'ai entrepris avec cette proposition.
09:49 Pour vous répondre sur la spécificité de la radio, la spécificité de Radio France,
09:56 moi j'y suis très attaché.
09:57 C'est pour ça que je fais une différence entre la holding et la fusion.
10:00 Parce que la holding permet de renforcer les coopérations, les travaux en commun, sans
10:06 pour autant nier le passé, les spécificités de chacune des entités.
10:13 Après, on voit bien aussi que cette cloison qui était très stricte, notamment pour des
10:21 raisons technologiques, il y a quelques années, entre le son et l'image, ces cloisons sont
10:25 un peu en train de s'effacer.
10:27 Elles ne vont pas disparaître totalement, c'est pour ça qu'encore une fois il faut
10:29 garder les entités existantes.
10:31 Mais on ne peut plus vivre dans deux mondes complètement clos en disant que l'image
10:35 et le son...
10:36 Notre débat est filmé, mais ça n'en fait pas de la télévision pour autant.
10:41 Ça n'empêche pas que la majorité de ceux qui nous écoutent, nous écoutent par le
10:45 son.
10:46 Et que le son continue de dominer.
10:47 Et que l'image est simplement à l'appui.
10:49 Mais je ne vois pas pourquoi le rapprochement entre ces différents modes de communication
10:53 impliquerait des conséquences administratives avec toutes les formidables lourdeurs que
10:58 cela représenterait.
10:59 Beaucoup vont nous écouter, non seulement à travers la radio, mais aussi à travers
11:04 leur iPhone en regardant l'image comme le son.
11:06 Donc on voit bien que les choses évoluent.
11:08 Pourquoi ne continuent pas les coopérations comme on le fait actuellement ?
11:12 Parce qu'on le voit bien à travers les conversations d'objectifs et de moyens que vous avez indiqués
11:17 tout à l'heure.
11:18 Parce qu'on voit bien que ça avance difficilement, que c'est compliqué, que c'est assez chronophage
11:22 d'ailleurs au point de vue temps, parce que finalement ces coopérations ne sont pas structurées,
11:26 organisées.
11:27 C'est tout le sens de la démarche.
11:28 C'est d'arriver à mieux s'organiser pour que ça soit plus fluide.
11:32 Vous vous êtes favorable à la holding.
11:35 Il semblerait que Rachida Datier et Emmanuel Macron penchent plutôt pour la fusion.
11:40 Ça, vous pouvez nous le confirmer, Laurent Lafond ?
11:43 Oui, écoutez, c'est un secret pour personne.
11:46 Effectivement, il y a un débat.
11:47 Et ce serait une erreur d'aller à la fusion ?
11:49 Moi, je pense que ce serait une erreur de confondre vitesse et précipitation.
11:53 Donc vous nous dites que finalement, vitesse et précipitation, la vitesse conduira un
11:58 jour évidemment à faire une fusion.
12:00 Franchement, vous croyez sérieusement qu'on va s'arrêter à la holding quand il y aura
12:03 une gouvernance commune ?
12:04 Je n'en sais rien.
12:05 Je ne connais pas l'histoire.
12:06 Vous qui êtes un historien, vous savez que l'histoire n'est pas écrite par avance.
12:11 Je ne connais pas l'histoire.
12:12 Je dis qu'il faut avancer dans le sens des coopérations et qu'il faut créer cette
12:16 holding.
12:17 Ce n'est pas une idée nouvelle, encore une fois.
12:19 Ça fait plusieurs années qu'on y réfléchit, qu'on y travaille.
12:22 Je sens que le fruit est mûr sur cette holding.
12:25 Et je dis attention, n'allons pas trop vite.
12:28 La question de la fusion ne se pose pas aujourd'hui.
12:30 Et le fait que cinq anciens ministres de la culture, dont Roselyne Bachelot et Rima Abdulmalak,
12:36 se soient opposés à cette réforme devant l'Assemblée nationale, ça ne vous pose
12:42 pas question, Laurent Laffont ?
12:43 Non.
12:44 Ils et elles se sont exprimés dans le cadre du débat et c'est tout à fait normal qu'ils
12:50 le font aussi.
12:51 J'ai trouvé d'autres ministres de la culture qui eux sont favorables à l'holding.
12:55 Je pense en particulier à Franck Riester qui avait déposé un projet de loi assez
12:59 proche de la proposition de loi que je défends.
13:01 La Covid a permis d'un triomphe.
13:03 Quelque chose, malheur et bon.
13:05 La période du Covid est terminée.
13:07 C'est pour ça qu'on peut reprendre le sujet maintenant.
13:09 Et vous pensez, Jean-Noël Janet, que ce projet va se faire ? Parce qu'effectivement, Laurent
13:15 Laffont le dit à l'instant, c'est un vieux serpent de mer.
13:19 Il y a une bibi ici à la française, comme on dit maintenant.
13:23 Ça va se faire ?
13:24 Comme M.
13:25 Laffont vient de le dire, c'est un économètre qui parle à un historien.
13:29 Peut-être n'est-ce pas un hasard d'ailleurs que vous soyez économètre.
13:33 C'est une vision plus abstraite des choses que l'historien qui a tendance à voir la
13:37 réalité.
13:38 Qui est peut-être mieux à même de voir la réalité profonde des individus, des comportements,
13:43 des sociologies.
13:44 Et à cet égard, je ne sais pas du tout quel est l'avenir.
13:47 Mais je suis très inquiet.
13:48 Parce que quand on aura passé un cran, alors je crois que le boulevard s'ouvrira vers
13:53 cette chose très néfaste qui sera l'arrasement des différences.
13:57 La fin des spécificités qui font encore une fois la force de nos maisons.
14:02 Qu'elles travaillent ensemble bien sûr, mais qu'elles travaillent séparément, avec
14:06 énergie, avec leur enthousiasme propre.
14:08 J'ajoute que la gestion même des personnels sera différente.
14:12 On passera tous dans l'obligation d'un système commun alors qu'il vaut beaucoup mieux s'adapter
14:19 aux spécificités originales de chaque entreprise.
14:21 Toujours une question de souplesse.
14:23 Ça marche bien, ne cassons pas les choses.