• il y a 10 heures
Thème du jour : Que nous racontent les séries politiques ?
Avec : Pierre Schoeller, co-réalisateur avec Guillaume Senez de la série "Dans l’ombre", diffusée sur France 2 à partir du 30 octobre prochain. & Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille.

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Transcription
00:00Débat ce matin sur la série télé « Dans l'ombre » de Pierre Scholler, adapté du
00:07roman de l'ancien Premier ministre Edouard Philippe et de son fidèle conseiller l'eurodéputé
00:13Gilles Boyer.
00:14Bienvenue dans une mise en abyme troublante qui voit donc deux politiques de premier plan
00:21imaginer le scénario d'une présidentielle de fiction qui se déroulera en 2025 dans
00:28le camp de la droite républicaine.
00:31Une fiction, mais aussi un thriller serré et peut-être enfin une sociologie de la
00:38politique dont on va parler ce matin avec vous, Pierre Scholler, bonjour, réalisateur
00:44donc de cette série, disponible demain sur France.tv, on est bien d'accord.
00:51Vous aviez également, je le rappelle, réalisé l'exercice de l'État en 2011 qui était
00:58déjà un film et une méditation sur le pouvoir.
01:01Rémi Lefèvre, bonjour, professeur de sciences politiques à l'Université de Lille, grand
01:08amateur et spécialiste de séries, co-auteur de l'ouvrage collectif « Série politique,
01:14le pouvoir entre fiction et vérité » chez De Buck Supérieur.
01:18Merci d'être là, entrons un tout petit peu dans les détails sans trop en dévoiler.
01:25C'est la primaire de la droite, Paul Frankeur l'emporte d'un fil sur son adversaire Marie-France
01:32Tremont, il y a eu un bug informatique pendant le vote, mais Frankeur sera bel et bien le
01:38candidat à la présidentielle, accompagné par son fidèle conseiller César Casalonga,
01:44homme peut-être pas trouble, mais au minimum troublant.
01:48La série raconte la marche vers l'élection, avec tout ce qu'on peut imaginer comme embûches
01:54et retournements de situation.
01:55Dites-nous, Pierre Scholler, pour commencer, puisque c'est votre première série, si
02:01vous avez pris plaisir à travailler la matière politique, et puis aussi accessoirement, comment
02:07s'est passé le travail avec Edouard Philippe et Gilles Boyer ?
02:09Alors, j'ai pris beaucoup de plaisir parce que je me suis senti plus léger que lors de
02:15« L'Exercice de l'État », qui était un film à la fois sérieux et aussi risqué,
02:22à plein d'endroits.
02:23Et le fait d'avoir fait l'exercice, d'avoir laissé passer du temps et de revenir sur
02:28ces questions-là, avec des négociations, des scènes de conseillers, des scènes de
02:33pouvoir, etc.
02:34Je l'ai abordé de manière beaucoup plus légère et presque plus libre, d'une autre
02:39liberté disons, avec un traitement de l'humour, du spectaculaire un peu autrement, des décalages,
02:49un petit hommage à Raymond Depardonne, j'ai glissé comme ça pas mal de choses.
02:532011, « L'Exercice de l'État », 2024, « Dans l'ombre », la politique a changé ?
02:59Absolument.
03:00Il n'y a plus rien à voir ! C'est pour ça que la fiction, on est bien ! On est bien
03:07parce qu'on décide un peu de ce qu'on veut raconter et comment on le fait.
03:12Et aussi, par rapport au travail d'adaptation, il y a l'idée de projeter le livre qui
03:20datait un peu de ce qu'on vit et d'où l'irruption de la thématique des algorithmes
03:28et de la voiture intelligente et chaque épisode propose et explore une situation politique
03:36inédite.
03:37Avant de donner la parole à Rémi Lefebvre, un mot supplémentaire sur ce qu'ont fait
03:42les deux auteurs du livre adapté pour la série ?
03:46Déjà, ils ont écrit le livre de base, qui a été librement adapté.
03:50J'ai mené l'écriture et aussi la réalisation avec un co-réalisateur qui est Guillaume
03:56Sénèze.
03:57Et en fait, c'est assez simple, parce qu'on me pose beaucoup cette question.
04:01Edouard Philippe et Gilles Broyé sont venus avec un désir assez simple de dire « Nous,
04:09on a vu 4 fois, 5 fois La Maison Blanche, West Wing, et on se dit, ça nous intéresse.
04:13» Et je pense que, quelque part, leur travail à la série, c'est un hommage, c'est un
04:18tribute à La Maison Blanche.
04:20Rémi Lefebvre, on savait que les hommes politiques aimaient regarder des séries, comme tout
04:26le monde d'ailleurs.
04:27Mais là, on franchit un cran supplémentaire !
04:30Tout à fait.
04:31Là, effectivement, c'est carrément des hommes politiques qui, au départ, ne vont
04:36pas faire la série.
04:37Ils font un roman et puis après, ils adaptent la série.
04:41Donc, ils n'étaient qu'au scénariste, si j'ai bien compris.
04:43Ils étaient associés à l'écriture et de plus en plus, ils sont devenus qu'au scénariste.
04:47Ils n'étaient pas les seuls.
04:48Il y avait aussi la Marâthe, le prêtre Habib et Cédric Ranger.
04:50Donc, c'est assez fascinant comment, finalement, la politique nourrit la fiction qui nourrit
04:56la politique.
04:57On l'a vu récemment, Emmanuel Macron a fait référence à la série La Fièvre dans
05:02son discours d'annonce de la dissolution.
05:05C'est quand même assez stupéfiant de voir cette imbrication entre le réel et la fiction.
05:11Et donc là, effectivement, c'est des hommes politiques qui produisent de la fiction,
05:17qui d'ailleurs, dans leur discours, j'ai remarqué le discours de Gilles Boyer et d'Edouard
05:21Philippe, qui veulent avoir un droit imprescriptible aussi à la fiction.
05:25C'est-à-dire qu'ils disent, voilà, parce que comme ils ne veulent pas tomber dans le
05:27piège de...
05:28En gros, on va essayer de comprendre ce qui, dans la série, nous renvoie à nous.
05:33Ils veulent aussi...
05:34Au fond, ils s'émancipent aussi de la politique par la fiction.
05:37Donc, c'est assez fascinant ce jeu d'interdépendance, de résonance.
05:41Ça dit quoi, la politique, aujourd'hui ? Pierre Chalard disait qu'elle avait tellement évolué
05:46entre 2011 et 2020.
05:48On a aussi des ministres qui écrivent des romans.
05:51Oui.
05:52Mais peut-être que ça dit aussi une forme de crise du récit politique aussi.
05:56C'est-à-dire qu'il faut aller chercher le récit politique dans la série.
06:00Il faut jouer du miroir, en fait, de la série.
06:03Ça dit aussi, d'un certain point de vue, un entre-soi aussi.
06:08C'est-à-dire que finalement, il y a aussi un dialogue avec des spectateurs qui sont
06:13souvent des spectateurs aussi politisés.
06:15Aujourd'hui, les séries, c'est un outil de politisation.
06:18J'ai regardé deux épisodes de votre série.
06:20C'est aussi des questions politiques qui sont posées.
06:23Il y a des questions de fond qui sont évoquées.
06:25Il y a des enjeux qui sont évoqués.
06:26Donc, il y a plein de résonances.
06:28Les spectateurs, quand ils regardent des séries, ils voient dévoiler les coulisses.
06:34Parce que cette optique des coulisses est quand même très forte.
06:36Ça s'appelle « Dans l'ombre ».
06:37Il y avait une série déjà qui s'appelait « Les hommes de l'ombre ».
06:40Ça parle d'apparatchiks, d'assistants.
06:43Il y a beaucoup d'assistants et des entourages d'élus sont très souvent un des prismes des séries.
06:48C'est intéressant de montrer cet aspect-là de la politique.
06:51Oui, parce que c'est quelque chose qu'on ne voit pas et qui est déterminant.
06:54Un élu, c'est un être collectif.
06:56Ce n'est pas simplement un individu.
06:59Les entourages jouent beaucoup.
07:00Ce qui est fascinant, je pense aussi d'un point de vue dramaturgique, c'est qu'il y a des phénomènes
07:04de loyauté personnelle dans les entourages qui créent des dilemmes, qui créent des
07:08situations parfois assez tragiques.
07:11Vous jouez beaucoup de ça dans la série.
07:12C'est le cœur de la série.
07:14Le cœur de la série, c'est celui de la confiance, de la loyauté et presque une confiance aveugle.
07:19C'est-à-dire, moi je crois qu'il y a dans la fiction du contre-pouvoir.
07:23C'est là où j'ai pris aussi du plaisir.
07:27Je faisais une œuvre de fiction, il n'y a aucune référence à ce qu'on connaît
07:33actuellement dans le monde politique, mais je crois qu'il y a du contre-pouvoir un peu partout.
07:37Et la fiction offre ça.
07:40Expliquez-nous.
07:42C'est-à-dire qu'il y a dans la politique, dans la vie politique et dans la vie démocratique
07:46des points aveugles.
07:47Par exemple, le travail stratégique, le travail de négociation.
07:52On sait qu'il y a des négociations, mais comment elles se passent ?
07:55D'où on écrit des scènes de négociations.
07:58Dans des restaurants fermés avec Karine Viard et Mélanie Poupon.
08:02« Behind closed doors » comme on dit.
08:04Les discussions les plus intéressantes sont dans des ascenseurs fermés.
08:07Ce n'est pas pour dire qu'on est dans le secret, dans le sein des satires.
08:11C'est juste que la politique se passe aussi comme ça.
08:14Mais après, c'est vrai que les journalistes d'aujourd'hui s'intéressent aussi beaucoup
08:18aux coulisses.
08:19On sait très bien que les journalistes font du off.
08:22D'ailleurs, on le voit dans votre série, il y a des transactions entre les journalistes
08:25et les hommes politiques.
08:26Ce goût pour les coulisses, ce goût pour le dévoilement, il est aussi nourri du discours
08:34journalistique sur la politique.
08:35C'est peut-être un point négatif des séries, c'est qu'elles donnent une vision très stratégique
08:42de la politique.
08:43Et donc, peut-être qu'elles contribuent aussi à une forme de désenchantement de
08:48la politique.
08:49Même si concrètement, souvent, cette tension entre cynisme et idéalisme est aussi au cœur
08:55de beaucoup de personnages.
08:56On la retrouve dans votre série.
08:57On la retrouvait beaucoup dans « Baron Noir ».
08:58« Baron Noir », c'est pour ça que je trouve que c'est une excellente série.
09:01Effectivement, les personnages sont tiraillés entre le carriérisme, les coups politiques
09:08qu'ils portent, mais en même temps, le goût du pouvoir, le goût de changer.
09:11Et cette idée aussi, un peu, qu'on retrouvait très fortement dans votre film « L'exercice
09:15de l'État », du caractère tragique de la politique, de l'impuissance politique.
09:19Comment les hommes politiques se débattent dans cette impuissance ?
09:22C'est vrai, et j'aimerais votre réaction, Pierre Chaleur, que la pente naturelle de
09:27la série politique, je ne sais pas si vous en êtes un grand spectateur, c'est d'aller
09:33vers la combine, la magouille, « House of Cards » étant, de ce point de vue-là, l'exemple
09:39type, puisque même le président tue Yacine.
09:42Alors, moi, je ne peux pas écrire, mettre en scène, diriger, et après, on retrouve
09:47avec les images, de personnages que je n'estime pas.
09:49Donc, je ne prends pas cette pente-là.
09:51Plus la série avance, plus on est dans l'humanité et les tensions humaines et psychologiques
09:58et émotionnelles de la situation qui se développe dans les deux premiers épisodes.
10:02C'est-à-dire qu'il y a quelque chose qui s'affirme et qui devient presque… Il y
10:06a une scène qui, à chaque fois, m'arrache des larmes et je ne suis pas le seul, parce
10:09que, tout d'un coup, il y a une intensité émotionnelle dans un meeting qui est incroyable.
10:16Et là, vous l'avez dit, l'être collectif, c'est aussi l'être affectif, l'être
10:22commun, il y a un être commun affectif du candidat et de son entourage.
10:25Et étudier ça, d'un point de vue, avec des comédiens, quand même, que je trouvais
10:29exceptionnels, remarquables, Melville Poupeau, Swan Harlow, Karine Viard, Evelyne Brochu,
10:35Maude Wehler, etc., c'est une chance incroyable, en fait, si vous voulez.
10:39C'est vraiment une chance incroyable, sur la longueur.
10:42Parce que c'est ça, effectivement, la force des séries, c'est aussi d'avoir cette
10:45profondeur des personnages qu'on peut développer, et on peut développer dans leurs contradictions.
10:52Et donc, ces phénomènes de loyauté aussi que vous décrivez, je trouve que… Vous
10:57dites l'humanité, mais la politique, c'est pas aussi que… En politique, les personnages
11:02ne sont pas… Donc là, ça veut dire que vous avez une préférence pour certains types
11:06de personnages.
11:07C'est pour ça que les séries ne sont pas la réalité, quand même.
11:11Nous, en tant que politiste et sociologue, je suis toujours frappé par la véracité
11:16des séries qui sont produites.
11:17Votre série, elle est très réaliste, mais en même temps, ce n'est pas un documentaire.
11:21Il y a des droits inalénables de la fiction, et donc, c'est aussi des aventures humaines,
11:26des passions humaines.
11:27C'est autre chose qu'une simple série politique, qu'une simple politique.
11:32Oui, c'est une exploration d'un homme qui, tout d'un coup, à un moment donné,
11:39lors d'une promenade, se dit « je vais diriger ce pays ». Qu'est-ce que ça veut
11:42dire ? Et qu'est-ce que ça veut dire d'aller vers ça, intérieurement ? Et il ne le fait
11:47pas seul.
11:48Et c'est une implication.
11:50César Casalanga, le personnage du conseiller, est fascinant, je trouve, magnétique.
12:00Merci pour lui.
12:01On dit « visage d'un sphinx ».
12:03C'est le regard principal, c'est le point de vue principal, c'est le regard principal.
12:08C'est lui qui vous a passionné, dans cette aventure ?
12:12Je crois que la série doit beaucoup à Gilles Boyer, qui a cette relation de travail avec
12:21Édouard Philippe, et qui était déjà dans le livre, on a récupéré ça.
12:25Et il y a une position, je pensais à ça aussi, il y a un consentement au pouvoir,
12:34de sa part.
12:35C'est-à-dire qu'il y a dans le pouvoir, ça implique une relation de subordination,
12:40et donc la relation de subordination, qui n'est pas si simple, parce qu'il y a un
12:44devoir de vérité du conseiller aussi, il y a un devoir de lucidité.
12:47Donc qu'est-ce que c'est, le moment où il doit dire la vérité à cet homme ?
12:51Comment vous l'avez vu, ce personnage ?
12:53C'est intéressant, c'est devenu une figure un peu sérielle, le collaborateur.
12:58Alors là, il s'auto-définit comme « apparatchik ». Et donc, il y a plusieurs apparatchiks
13:03dans la série.
13:04Effectivement, on avait vu ce type de personnage avec Cyril Balsan dans Baron Noir, c'est-à-dire,
13:11là on est sur, pas les hommes politiques, mais ceux qui sont derrière, qui conseillent,
13:18parfois qui deviennent des hommes politiques, parce que Gilles Boyer, il est à la fois
13:22député européen et conseiller.
13:24Et on sait d'ailleurs, très souvent aussi, c'est d'ailleurs un ressort, c'est ça
13:28qui crée de la déloyauté, c'est que souvent, les collaborateurs veulent devenir élus.
13:32Moi, je dis souvent, les collaborateurs, c'est des dominants dominés, c'est-à-dire qu'ils
13:38font partie, ils sont proches du pouvoir, mais en même temps, ils sont dominés parce
13:41qu'ils sont corvéables à Merci, ils sont au service d'une ambition qui n'est pas
13:44la leur.
13:45Et très souvent, c'est le fait d'être au service de cette ambition qui leur donne
13:49l'envie de passer de l'autre côté.
13:51Et donc, il y a beaucoup aussi de trahisons des collaborateurs qui s'expliquent par cette
14:01misère de position.
14:02Donc, c'est des personnages, évidemment, fascinants, parce qu'ils sont à la fois
14:06dans le jeu et en même temps, c'est-à-dire que dans le machiavélisme, il y a une très
14:12belle citation.
14:13César, à un moment donné, il définit sa fonction en disant qu'il démine les situations,
14:20il doit voir les trains qui arrivent et essayer de les dévier.
14:23Donc, il est là pour anticiper les problématiques, mais en même temps, il aime la politique.
14:30Il est ému par des convictions.
14:31Donc, il y a toujours cette ambiguïté, cette ambivalence.
14:34Bien sûr.
14:35Après, moi, je pense qu'il y a une aristocratie des conseillers.
14:36L'aristocratie, c'est ceux qui ne vont pas se faire élire.
14:40Oui, il y en a qui ont le goût du pouvoir quand même.
14:44Merci infiniment, Mathieu.
14:46Merci à vous.
14:47Merci messieurs.
14:48Dans l'ombre, votre série Pierre Cheddaer, en ligne demain sur France.tv, série politique
14:56Le pouvoir entre fiction et vérité, le livre dont vous êtes le co-auteur, Rémi Lefèvre.
15:02Merci beaucoup d'être venu au micro d'Inter pour dialoguer.
15:07C'était passionnant.

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