Le débat du 7/10 : les droites en France et en Europe

  • il y a 5 mois
Notre débat du jour : les droites en France et en Europe. Avec Thomas Legrand, éditorialiste à Libération et producteur de l'émission "En quête de politique" sur France ainsi qu'Alexandre Devecchio, rédacteur en chef au Figaro.

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Transcription
00:00 Débat ce matin sur les droites en France et en Europe, à trois semaines des élections européennes.
00:05 Les grands partis d'extrême droite européens étaient réunis le week-end dernier en Espagne,
00:10 à l'invitation du parti Vox, même s'ils ne siégeront pas dans le même groupe au Parlement européen.
00:18 En France, dans les sondages d'intention de vote, le RN est toujours crédité de 30%,
00:24 très loin devant les autres listes de droite, sous la barre des 10%.
00:29 Alors comment analyser la cartographie de ces droites ?
00:33 On va poser la question à Alexandre Devecchio, rédacteur en chef du service Débat du Figaro et du Figaro Magazine,
00:40 auteur des Nouveaux Enfants du siècle aux éditions Lectio,
00:45 et à Thomas Legrand, chroniqueur politique à Libération, producteur de l'émission Enquête de politique sur France Inter.
00:52 Bonjour à tous les deux.
00:53 Bonjour Nicolas.
00:54 Et merci d'être à ce micro pour commencer ce congrès organisé par le parti espagnol post-franquiste Vox.
01:03 But de l'événement, selon le président de Vox, préparer, je le cite,
01:07 « une alliance globale entre les patriotes européens ».
01:11 Une telle alliance vous semble-t-elle possible, Alexandre Devecchio ?
01:15 Alors qu'on sait, je le rappelle, que ces mouvements s'opposent parfois, et ne siègent pas, en tout cas,
01:22 dans le même groupe au Parlement européen.
01:26 Je pense que ça montre d'abord l'importance relative du Parlement européen.
01:30 C'est la commission qui a le pouvoir d'initiative.
01:33 Et moi, je pense que si il y a alliance entre ces parties-là, ce sera dans le cadre d'État à État.
01:40 Si vous voulez, Mélanie peut faire alliance avec Victor Orban,
01:46 sans pour autant siéger dans le même parti au Parlement européen,
01:51 même si apparemment ils vont siéger là dans le même parti.
01:54 La vérité, c'est qu'il y a une très grande porosité idéologique entre les deux groupes,
01:59 que ce soit ECR ou ID.
02:01 Il y a des différences, mais à la marge, l'un est plus conservateur que l'autre,
02:07 plus porté sur les questions sociétales.
02:10 C'est notamment le cas du groupe ECR.
02:13 Mais ce sont des partis souverainistes, identitaires, anti-immigration,
02:18 qui ont quand même beaucoup plus de points communs que de points de divergence.
02:21 « Alliance globale entre les patriotes », Thomas Legrand, cette expression vous fait sourire.
02:26 Et vous parlez ce matin dans Libération du formidable potentiel bordélisateur de ces mouvements.
02:33 Expliquez-nous.
02:34 Oui, parce que s'ils ont beaucoup de choses en commun,
02:38 le principal élément qu'ils ont en commun, c'est d'être nationalistes.
02:41 Donc c'est d'être cocardier, nationaliste.
02:44 Et pour l'intérêt de leur nation d'abord.
02:49 Et quand on est nationaliste, on n'est pas enclin à s'allier avec d'autres pays pour des projets collectifs.
02:56 Vous parliez de Mélanie d'un côté et des Polonais de l'autre.
03:02 Je disais Orbán, mais surtout Mathieu, les Polonais.
03:04 Je pense que ce sera de chef d'État à chef d'État.
03:08 De chef d'État à chef d'État, ils se rencontreront et ils seront d'accord sur pas grand-chose.
03:11 En tout cas, sur pas grand-chose qui est du ressort européen.
03:14 Parce que, par exemple, vis-à-vis de la Russie, Orbán et Mélanie sont diamétralement opposés.
03:20 Mélanie est une fan de l'OTAN et veut combattre la Russie.
03:25 On est dans l'Ukraine.
03:26 C'est exactement le contraire que veut faire Orbán.
03:29 Donc ils sont d'accord sur une tribune avant les élections pour dire non à l'immigration,
03:34 oui à plus d'identité, mais oui à plus de... pas une identité européenne.
03:38 Et d'ailleurs, heureusement que les droites et les extrêmes droites européennes ne sont
03:42 pas pour une identité européenne.
03:43 Parce que quand elles sont pour une identité européenne, elles sont pour la blanchité,
03:48 la chrétienté et donc ces porteurs de racisme.
03:51 Là, elles sont pour des identités nationales.
03:53 Donc ça va s'affronter.
03:55 Vous l'avez dit, mais ça dépend aussi de la conception de l'Europe.
03:59 Est-ce que l'Europe, c'est un marché unique, technocratique, régi par le droit ?
04:05 Ou est-ce que c'est un ensemble de souveraineté nationale avec chacune leur identité nationale ?
04:11 Je crois qu'effectivement, c'est leur vision.
04:14 Ils sont dans une vision de coopération état par état, point par point, enfin dossier par dossier.
04:22 Effectivement, il peut y avoir des divergences notamment sur la Russie.
04:25 - Mais quand Marine Le Pen dit ce week-end "les vrais défenseurs de l'Europe, c'est nous,
04:30 les faux soyeurs, ce sont eux", comment analysez-vous ?
04:35 - Je l'analyse, ça dépend de la vision qu'on a de l'Europe.
04:40 Je crois qu'il y a clairement deux visions qui s'affrontent.
04:43 Quand Emmanuel Macron parle de souveraineté européenne, en réalité, il fait un pas vers le fédéralisme
04:49 ou une Europe supranationale, gérée plutôt par des fonctionnaires.
04:54 Il y a une autre vision qui est une vision, à mon avis, plus démocratique,
04:59 qui est une Europe des peuples et des nations et pas de supranationalité.
05:05 Si vous voulez, ça se gère, c'est des coopérations état par état.
05:09 - Si on parle de souveraineté européenne, c'est justement pour que l'Europe ne soit pas gérée par des fonctionnaires.
05:17 Mais la souveraineté va avec la légitimité et donc avec la démocratie.
05:20 Il y a un gros problème en ce moment en Europe.
05:21 - Alors à ce moment-là, il faut être fédéraliste officiellement.
05:23 - Oui, il faut être plus fédéraliste officiellement.
05:25 C'est le problème d'Emmanuel Macron qui défend une sorte de souveraineté française quand il parle aux agriculteurs.
05:30 Et il suffit d'écouter le discours de Gabriel Attal, où il n'était question que de souveraineté nationale, notamment en agriculture.
05:37 Et puis, parallèlement, il y avait le discours d'Emmanuel Macron sur souveraineté européenne.
05:41 Les souverainetés ne se superposent pas vraiment.
05:45 Mais ce que je voulais dire, c'est que quand vous parlez de l'Europe des nations,
05:50 c'est vrai qu'il y a ce mythe de l'Europe des nations.
05:52 Vous savez, on a fait Airbus, on a fait le Concorde, on a fait des tas de choses avec des accords entre nations.
05:59 Mais à chaque fois, c'était à une époque où l'Europe s'intégrait de plus en plus, où l'Europe devenait de plus en plus européenne.
06:07 Donc l'Europe des nations, c'est simplement la fin de l'Europe.
06:11 - Vous partagez ce point de vue ?
06:14 - Non, je ne crois pas.
06:16 L'Europe des nations, c'était l'avis tout défendu par le général De Gaulle, qui, souvenez-vous, était contre toute forme d'intégration.
06:22 Parce que l'intégration, ce n'est même pas le fédéralisme.
06:24 Je vais vous dire, à la limite, fédéralisme, c'est s'il y a des peuples européens qui élisent un président européen qui a une légitimité devant le peuple.
06:31 Là, il n'y a pas ce système-là.
06:34 On confie effectivement l'intégration.
06:35 C'est confier dossier par dossier.
06:37 La défense, par exemple.
06:39 Emmanuel Macron veut aller plus loin, justement, sur les questions stratégiques, en passant au vote à la majorité qualifiée.
06:48 Donc on va toujours plus loin dans une logique d'intégration.
06:51 Et c'est donc confier à des fonctionnaires un peu neutres des pouvoirs très importants.
06:57 Donc c'est deux logiques, si vous voulez, qui s'affrontent.
06:59 Et je crois que la logique de l'Europe des nations est pas la mienne.
07:02 Effectivement, ce n'est pas une logique fédérale.
07:05 Ce n'est pas une logique du grand bon en avant.
07:07 Mais c'est un système plus souple qui, à mon avis, peut mieux fonctionner, être plus proche des peuples et des aspirations populaires.
07:13 - Allez, on passe à la France.
07:16 Je donnais les chiffres.
07:17 Le RN a 30% dans les intentions de vote.
07:20 La liste LR, crédité de 7-8%.
07:24 Les chiffres sont éloquents.
07:25 Comment les analysez-vous, Alexandre de Vecchio ?
07:29 Est-ce que ça veut dire que la droite, aujourd'hui, c'est le RN ?
07:32 - Ça fait longtemps que moi, je ne me situe plus dans le clivage droite-gauche, ni d'ailleurs extrême droite-extrême gauche.
07:38 Je crois qu'il y a une trépartition de la vie politique avec une gauche qui est appelée à être sans doute plus radicale.
07:45 On voit que, même si aux européennes, Glucksman fait un score important, c'est quand même la France insoumise qui domine, notamment chez les jeunes.
07:54 Ensuite, il y a un bloc central qui rassemble le centre-gauche et le centre-droite.
08:00 Et un bloc, je crois, national.
08:03 Et aujourd'hui, effectivement, c'est ce bloc national qui domine.
08:07 Parce que je crois que précisément, on parlait du sujet européen tout à l'heure, il y a une demande à la fois d'identité et de souveraineté des peuples européens.
08:14 - Mais où sont passés les électeurs LR, on va dire, ceux de la droite traditionnelle, des FRPR, Thomas Le Grand ?
08:22 - Pour les élections départementales, régionales, municipales, ils continuent à élire des maires LR.
08:28 Et des maires PS, d'ailleurs.
08:30 C'est-à-dire que quand il s'agit de gérer les choses auprès du peuple, auprès de la population,
08:37 les électeurs de la droite classique continuent à élire des maires et des conseils régionaux et départementaux LR.
08:46 Là, il s'agit d'élections, finalement, européennes.
08:50 On sait qu'à l'issue de ces élections, ça ne changera absolument rien pour notre vie quotidienne.
08:54 Donc, c'est des élections pendant lesquelles on peut se lâcher.
08:57 Et donc, tous ceux qui veulent, c'est-à-dire, on peut voter selon... Il n'y a pas de vote stratégique.
09:01 On vote pour qui on veut.
09:03 À gauche, on n'a pas besoin de sauver la République en votant Emmanuel Macron.
09:06 Et à droite, finalement, on peut donner un petit coup de pied dans la fourmilière en demandant un peu plus d'autorité,
09:10 un peu plus d'identité, parce que c'est une aspiration qui monte, c'est vrai.
09:14 Et donc, le flou politique de Marine Le Pen, je rappelle qu'on attend toujours son programme économique,
09:21 qui est toujours remis à plus tard, ne l'embarrasse pas.
09:25 C'est-à-dire que les électeurs s'en fichent un peu.
09:27 Ils vont voter contre Emmanuel Macron.
09:29 Ceux qui veulent voter pour Marine Le Pen, ils vont voter contre Emmanuel Macron.
09:33 Et à gauche, comme il n'y a pas besoin de sauver la République, encore une fois, ils vont voter plus largement pour...
09:40 Raphaël Guggeman, en fait, votre prépartition où vous espérez une gauche plutôt radicale,
09:44 elle ne se démontre pas en ce moment dans les sondages.
09:49 En réalité, je pense qu'il y a aussi un bouleversement démographique.
09:52 C'est-à-dire que la droite et la gauche classique et les RELPS étaient des partis
09:58 qui dépendaient beaucoup de la génération du baby-boom, qui avait un poids,
10:01 qui a toujours un poids électoral important, mais de moins en moins important mécaniquement.
10:05 Et je constatais juste que chez les jeunes, le Rassemblement National fait plus de 40%
10:10 et chez les insoumis, ils prennent quasiment le reste.
10:14 Donc on voit bien que les partis traditionnels sont plus que des partis de retraités et encore de retraités âgés.
10:21 Un peu de cadre pour Emmanuel Macron.
10:23 Donc il y a un véritable bouleversement sociologique dont il faut tenir compte.
10:26 Et je pourrais être d'accord avec Thomas Legrand,
10:28 si les résultats étaient uniquement des résultats dans les élections intermédiaires.
10:32 Or, on voit dans les élections nationales, le PS a fait moins de 2%.
10:36 Il faut quand même le dire. Et LR, 4%.
10:38 Donc je crois qu'il y a un...
10:40 - Et comment voyez-vous l'avenir de l'exécution locale ?
10:43 - Il y a une recomposition politique très profonde.
10:46 Et s'ils résistent un peu aux élections locales, c'est précisément parce que ce sont des syndicats d'élus.
10:50 Vous avez dit "ce sont des élus", mais qu'est-ce qui les unit ?
10:53 - LR, c'est ça pour vous aujourd'hui ?
10:54 - Aujourd'hui, c'est plus qu'un syndicat d'élus.
10:56 Et on ne comprend pas très bien ce qui les unit idéologiquement.
10:59 On voit bien qu'ils ont une tête de liste, François-Xavier Bellamy,
11:02 qui pourrait d'ailleurs rejoindre le Bloc National,
11:04 qui est un candidat plutôt souverainiste, plutôt identitaire, plutôt conservateur.
11:08 Et d'autres sur la liste qui sont plus proches d'Emmanuel Macron.
11:12 Et donc ça, c'est la contradiction des LR qui explique leur difficulté.
11:15 Et peut-être demain, leur disparition du champ politique.
11:18 - Thomas Legrand ?
11:19 - C'est vrai qu'en ce moment, les électeurs de droite,
11:23 ceux qui sont attachés à l'Europe, à une forme de libéralisme
11:27 et de dynamisme économique, sont plutôt avec Emmanuel Macron.
11:31 Et ceux qui sont plutôt attachés à la sécurité, à l'identité,
11:35 vont plutôt du côté de Marine Le Pen.
11:37 Et il n'y a pas d'utilité à voter pour François-Xavier Bellamy.
11:41 C'est un peu dramatique pour lui.
11:43 Mais une fois que le macronisme aura disparu,
11:46 quand Emmanuel Macron aura disparu parce qu'il ne peut pas se représenter,
11:49 il n'est pas sûr du tout...
11:51 - Vous parlez au futur, pas au conditionnel.
11:52 - Au futur, bien sûr.
11:54 - C'est ce qui nous oppose.
11:55 C'est précisément la thèse de mon livre "Les nouveaux enfants de siècle".
11:58 C'est que les nouvelles générations, c'est ce que je disais tout à l'heure,
12:00 sont beaucoup plus polarisées que les précédentes.
12:03 Et qu'il y a aussi un changement de...
12:04 - Polarisées et volatiles d'ailleurs.
12:06 Elles peuvent passer d'un corps à l'autre.
12:07 - Les dernières élections, les deux dernières,
12:09 si les retraités n'avaient pas voté,
12:12 on aurait eu un second tour Mélenchon-Le Pen.
12:15 - Il se trouve que les retraités votent beaucoup.
12:17 Et c'est à partir de 60 ans.
12:18 - Les retraités votent beaucoup.
12:20 Mais c'est ce que je vous disais.
12:21 Il y a un changement démographique.
12:23 Et après, il y a un changement historique, je crois,
12:24 dont il faut tenir compte.
12:25 C'est-à-dire que le LR et le PS,
12:28 c'était la génération des 30 glorieuses,
12:31 puis de la mondialisation heureuse.
12:33 Là, on a une génération qui est née après la chute du mur de Berlin,
12:36 qui vote et qui a vu tous les problèmes identitaires,
12:40 les bouleversements migratoires,
12:42 qui a vu que l'Europe, qui était une autopie d'avant,
12:43 ne fonctionnait pas.
12:44 Et je crois qu'il y a cette recomposition.
12:46 - La gauche écologique et social-démocrate peut,
12:49 avec l'écologie, trouver de quoi se renforcer.
12:51 - Il faut qu'elle se réinvente.
12:52 - Elle se réinvente.
12:53 Peut-être qu'elle commence un petit peu avec Raphaël et Luxman,
12:55 et avec aussi les écologistes.
12:58 La droite, en revanche,
13:00 on attend toujours cette droite qui réclame moins d'impôts,
13:04 qui réclame moins de déficits.
13:06 Et celle-là, on n'en entend plus, c'est vrai.
13:08 - Merci à tous les deux.
13:09 Thomas Legrand, Alexandre Devecchio.
13:11 Alexandre, le titre de votre dernier livre,
13:14 "Les nouveaux enfants du siècle", publié chez Lectio.
13:17 Merci d'avoir été à ce micro.

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