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00:00 Voici la Docteur Audrey McMann.
00:03 [Musique]
00:17 Bonsoir Docteur, bienvenue à Tout le monde en parle.
00:19 Vous êtes pédopsychiatre, vous rentrez à Montréal après avoir travaillé pendant 14 mois à Gaza
00:25 et en Céjordanie, vous étiez basé à Jérusalem-Est.
00:28 Depuis octobre 2023, à la suite d'une attaque du Hamas, Israël bombarde la bande de Gaza
00:34 où vivent 2 millions de Palestiniens.
00:36 L'armée israélienne aurait tué plus de 33 000 personnes, dont 14 000 enfants.
00:42 Les enfants de Gaza subissent la destruction de leur environnement,
00:45 la mort de leurs proches, des blessures et des mutilations,
00:49 et la complète absence de sécurité. Peuvent-ils encore être des enfants?
00:55 C'est une bonne question. Je pense que les enfants ont cette capacité incroyable à rester des enfants.
01:05 Ils nous enseignent beaucoup, même à Gaza. Ils continuent de jouer, ils continuent d'essayer de jouer.
01:11 Il y a des enfants qui n'arrivent plus à jouer et c'est là que ça devient grave.
01:16 Des enfants qui n'arrivent plus à parler parce qu'il y a sincèrement plus de mots à utiliser pour décrire ce qui se passe.
01:24 Des enfants qui ont vécu des atrocités inimaginables.
01:28 Dans nos cliniques de Médecins sans frontières, on a eu plusieurs enfants qui ont dû être amputés,
01:33 au début de la guerre, souvent sans sédation.
01:37 À froid?
01:38 Complètement à froid.
01:39 C'est un cauchemar.
01:40 Absolument. Je pense que c'est quelque chose qu'on a rarement vu dans notre temps récent,
01:47 et qui parle de l'atrocité de cette situation.
01:51 Les Palestiniens se sentent abandonnés, il y en a même qui vont jusqu'à dire qu'ils se sentent dépouillés de leur humanité.
02:00 Qu'est-ce que ça veut dire et comment peut-on retrouver cette humanité-là?
02:06 Beaucoup de nos collègues à Gaza, collègues palestiniens, nous disent qu'ils se sentent abandonnés par le monde,
02:15 puis qu'ils questionnent même leur appartenance à l'humanité.
02:20 Pas qu'ils ne se sentent pas eux humains, mais par la réponse globale, qu'ils se sentent complètement mis à port.
02:28 Il y aurait 76 000 blessés, dont 13 000 enfants jusqu'à maintenant à Gaza.
02:33 C'est quoi la capacité d'opération de Médecins sans frontières à ce moment-ci sur place?
02:40 Elle est très limitée. Comme vous le savez, l'aide humanitaire est très compliquée à faire rentrer.
02:47 On était dans un siège depuis 16 ans à Gaza, on est dans un siège encore plus sévère depuis octobre.
02:55 Donc c'est très difficile de faire rentrer notre matériel pour pouvoir offrir des soins.
03:01 Tout ce qu'on offre, c'est sincèrement, j'ai envie de dire même pas minimal, tout ce qu'on parle d'aide humanitaire,
03:09 réalistiquement, à Gaza, c'est une illusion honnêtement.
03:12 Et comment concrètement, parce que pour soigner les gens, il faut que vous, vous puissiez boire, manger, il n'y a pas d'eau potable.
03:18 Comment vous faites concrètement?
03:20 En fait, Médecins sans frontières fournit une certaine quantité d'eau.
03:26 Dans les camions qu'on réussit à faire rentrer, on rentre un minimum de choses pour le staff international,
03:34 mais aussi pour le staff national, qu'on soutient comme on peut.
03:39 Et on avait d'autres organisations qui fournissait de la nourriture, qui nous aidait nous aussi sur le terrain,
03:47 et qui ont dû cesser leur activité dernièrement.
03:49 Donc en fait, c'est vraiment à chaque jour, on y va au jour le jour, puis à chaque jour, on ne peut pas prévoir ce qui s'en vient, sincèrement.
03:56 Vous avez une collègue palestinienne à Gaza qui a accouché d'un jumeau.
04:01 Racontez-nous comment ça s'est passé.
04:03 Donc quelques mois avant le début, avant octobre, elle est finalement tombée enceinte.
04:11 Ça faisait des années qu'elle essayait.
04:13 Elle a appris quelques semaines avant que c'était des jumeaux.
04:17 Elle a accouché de manière prématurée, parce qu'on sait qu'il y a environ 50 000 femmes enceintes à Gaza actuellement,
04:24 et évidemment avec le stress des bombardements constants, le manque de sommeil,
04:29 donc elle a accouché de manière prématurée au mois de novembre, sous les bombardements.
04:35 Les bébés qui ont dû rester à l'hôpital près de Nasser, dans le sud de la bande de Gaza.
04:40 Nasser qui a été entourée par la suite, et elle était sortie quelques heures avant,
04:44 donc elle a été séparée des bébés pendant au moins deux semaines avant, sans savoir ce qui leur arrivait.
04:51 Elle m'a raconté qu'un jour, elle n'en pouvait plus, elle a demandé à son mari d'aller les chercher coûte que coûte.
04:59 Les bombardements sont réellement constants.
05:02 Elle me racontait que son mari a réussi à aller les chercher,
05:06 et qu'elle l'attendait sur un coin de rue qui était un peu plus sécuritaire, pour ce que ça peut être.
05:13 Elle m'a dit que quand elle l'avait arrivée avec les deux bébés dans les bras, c'était le plus beau jour de sa vie.
05:19 Vous recevez beaucoup de messages de vos collègues palestiniens qui sont à Gaza,
05:23 et vous nous avez proposé d'en lire un extrait ce soir.
05:27 Ça c'est une collègue médecin de Gaza qui m'envoie ici.
05:31 J'ai quitté Gaza pour l'inconnu, je me sens perdue, je n'ai pas de maison.
05:37 Ma maison et ma ville ont été détruites, chaque endroit où j'avais des souvenirs est détruit.
05:42 C'est comme si je n'avais jamais existé. Nous avons été anéantis.
05:47 Notre passé est effacé, notre avenir est détruit.
05:50 Je veux juste que la guerre se termine, je veux retourner à Gaza, je veux récupérer ma belle Gaza.
05:58 Une collègue palestinienne à Gaza vous a raconté que c'est son fils maintenant,
06:04 qui la console le soir alors qu'au début des bombardements, c'était elle qui rassurait ses enfants.
06:09 La guerre, c'est le monde à l'envers.
06:13 Il y a énormément de trauma, le trauma est constant.
06:19 Mais à travers tout ça, il y a aussi la transmission de ce qui permet de rester en vie.
06:26 Au début de la guerre, elle disait que son petit garçon avait 5 ans et qu'il avait très peur.
06:34 Elle lui disait dès les premiers jours qu'il ne fallait pas s'en faire
06:38 parce que c'était des gros, gros oiseaux qui faisaient beaucoup de bruit,
06:41 mais que ça allait s'arrêter bientôt.
06:43 Évidemment, ça ne s'est pas arrêté.
06:45 Il y a quelques semaines, elle me racontait qu'elle pleurait,
06:48 qu'elle était assez découragée, pas capable de trouver de la nourriture, de l'eau.
06:52 Son enfant lui a dit « Mais maman, pourquoi tu pleures? »
06:56 Elle a dit « J'en peux plus des bombardements, on n'arrive pas. »
06:59 Elle lui a partagé un petit peu et lui a dit « Mais maman, fais-toi en paix
07:02 parce que c'est des gros oiseaux méchants, mais bientôt ils vont s'arrêter. »
07:07 Quels sont les impacts de la situation à Gaza sur les Palestiniens qui vivent en Céjordanie?
07:13 L'impact est énorme. La situation est différente.
07:18 Mais il faut se souvenir que la Palestine est sous occupation depuis énormément d'années.
07:24 Le traumatisme est constant, l'humiliation est constante, la discrimination est constante.
07:30 Ils sont face depuis octobre à une intensification de ce qui se passait déjà avant.
07:37 Il n'y a rien de prévisible, même pour nous quand on se déplaçait.
07:43 Mais le matin, pour ceux qui doivent passer des checkpoints de la maison au travail
07:48 ou pour aller porter les enfants à l'école, ils ne savent jamais ce qui va se passer.
07:51 Et depuis octobre, il y a une intensification très très grande de la violence des colons
07:56 qui fait que c'est encore plus dangereux. L'angoisse est constante, peu importe où on est en Palestine.
08:03 Médecins sans frontières est une organisation qui est neutre sur le plan politique.
08:08 La situation de Gaza et d'Israël est hautement polarisée.
08:11 Il y a même des espaces de médecins sans frontières qui ont été attaqués à Gaza.
08:16 Comment vous composez avec ça?
08:21 Effectivement, en médecins sans frontières, on traite tout blessé qui nous arrive.
08:26 Je peux mentionner qu'après le 7 octobre, on a offert nos services à Israël
08:32 qui a décliné parce qu'ils ont un système de santé très développé et avancé, donc ils n'en avaient pas besoin.
08:38 Je pense que dans cette situation-là, notre travail c'est d'être avec les enfants, les gens qui sont dans le besoin.
08:48 On offre des soins médicaux et quand on n'est pas capable de les offrir,
08:53 quand on n'a pas ce qu'il faut pour les offrir et quand on voit des atrocités, c'est un carnage à Gaza.
09:01 C'est de notre responsabilité de dénoncer.
09:04 Et vous, en tant que médecin, ça doit vous marquer? Ça marque à vie tout ça?
09:08 C'est pas travailler à l'urgence sur un accident de moto, quelqu'un qui a un problème.
09:13 Vous êtes capable d'avoir des traitements psychologiques? Est-ce qu'entre vous, vous en parlez? Comment ça fonctionne?
09:19 Pour répondre à votre question, j'ai envie de surtout souligner le travail absolument surhumain
09:27 que nos collègues Gazaouis font depuis octobre.
09:32 Ils sont chez eux et avant d'être médecin, avant d'être infirmier, avant d'être travailleurs sociaux, ils sont Gazaouis.
09:40 Ils n'ont pas mangé, ils ont faim, ils ne dorment pas.
09:46 Et ils viennent quand même travailler tous les jours parce qu'ils croient à ce qu'ils font, parce qu'ils veulent servir leur population.
09:54 Et ça, je crois que ça mérite tout l'honneur du monde.
09:59 On entend que c'est des héros. Ils le sont certainement.
10:03 Mais je pense que c'est extrêmement important de dire que ce n'est pas un choix.
10:07 Ils sont en survie. C'est le choix qu'ils font de continuer à travailler.
10:11 Mais c'est quoi le choix alternatif?
10:15 La population de Gaza est en détresse psychologique. Est-ce que ça existe, une thérapie collective?
10:23 La thérapie collective, c'est le feu qui est immédiat, qui n'est pas quand ça va être pratique, mais qui est maintenant.
10:30 C'est le feu qui va être durable, parce qu'il n'y a pas de pause temporaire possible.
10:37 C'est un droit d'accès à l'aide humanitaire sans entrave, qu'on puisse offrir des besoins de base.
10:46 Et c'est surtout un arrêt d'attaque de manière absolument aveugle, indiscriminée, généralisée,
10:54 sur une population entière où on sait qu'il y a un million d'enfants, des femmes enceintes et aussi des hommes innocents.
11:02 On a l'impression que c'est un rêve inaccessible.
11:07 On ne peut pas se permettre de perdre espoir.
11:10 Israël et l'Iran se sont mutuellement attaqués la semaine dernière. Qu'est-ce que vous craignez le plus pour la suite?
11:20 Je pense que toutes les attaques qu'on a déjà vues, c'est des attaques contre l'humanité, contre notre humanité commune.
11:30 On a déjà perdu beaucoup. J'ai peur qu'on perde plus encore.
11:35 J'espère que ceux qui sont en position de pouvoir vont faire des choix pour qu'on préserve cette humanité-là.
11:41 Je pense vraiment que c'est notre responsabilité à tous d'être gardiens de cette humanité partagée qu'on a tous.
11:52 Gaza est en train de nous montrer sincèrement les failles de notre système.
11:58 Merci docteur pour votre témoignage, pour soutenir Médecins sans frontières.
12:03 Rendez-vous sur le site qui apparaît à l'écran. Merci madame.