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Florence Bergeaud-Blackler, docteur en anthropologie, chargée de recherche au CNRS et autrice de l'ouvrage "Le Frérisme et ses réseaux" aux éditions Odile Jacob, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils reviennent sur l'influence des Frères Musulmans qui inquiète les autorités en France et sur l'appel au "sursaut" lancé par Gérald Darmanin.
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Florence Bergeaud-Blackler, docteur en anthropologie, chargée de recherche au CNRS et autrice de l'ouvrage "Le Frérisme et ses réseaux" aux éditions Odile Jacob, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils reviennent sur l'influence des Frères Musulmans qui inquiète les autorités en France et sur l'appel au "sursaut" lancé par Gérald Darmanin.
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NewsTranscription
00:00 - Et 7h11 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin
00:03 l'anthropologue spécialiste des Frères Musulmans, Florence Bergeau-Blackleur.
00:07 - Bonjour Florence Bergeau-Blackleur.
00:09 - Bonjour monsieur.
00:10 - Bienvenue sur Europe 1. L'heure est-il venue de la riposte face aux Frères Musulmans ?
00:15 C'est le message lancé hier dans le journal du dimanche par Gérald Darmanin.
00:18 Il veut, le ministre de l'Intérieur, convaincre les Français, les institutions, les élus locaux aussi
00:23 de la menace que représente cette confrérie des Frères Musulmans
00:27 dont vous êtes l'une de nos spécialistes, Florence Bergeau-Blackleur.
00:30 Vous êtes chargée de recherche au CNRS, vous avez publié l'an dernier
00:34 "Le frérisme et ses réseaux" chez Odile Jacob.
00:37 Vous l'attendiez, vous, Florence Bergeau-Blackleur, cette riposte annoncée par le ministre ?
00:42 - Je pense que je ne faisais pas que l'attendre, je l'espérais.
00:46 Alors c'est vrai qu'il y a eu un certain nombre d'enquêtes déjà faites sur le sujet.
00:50 On pense à la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste
00:54 qui a été rapportée par Jacqueline Eustache-Brignaud.
00:57 Évidemment, il y avait eu des mesures prises dans le cadre de la loi séparatisme,
01:02 la surveillance des prêches, on a eu des fermetures de mosquées, etc.
01:06 Mais ce qui est en effet nouveau et intéressant, c'est de s'attaquer cette fois-ci
01:11 à l'idéologie des Frères Musulmans.
01:14 Alors qu'est-ce que c'est que les Frères Musulmans ?
01:16 C'est une confrérie née il y a un peu moins d'un siècle,
01:19 un mouvement politico-religieux missionnaire
01:22 et non pas politique au prétexte du religieux.
01:27 Les Frères Musulmans ont produit une idéologie
01:31 qui s'est parfaitement adaptée à nos sociétés libérales sécularisées.
01:36 Et j'ai apprécié le fait que le ministre reprenne ma formule de charia-compatibilité
01:43 parce que c'est très important.
01:45 C'est l'objectif des Frères Musulmans, rendre la société française charia-compatible.
01:49 Je pose plusieurs questions très simples qui me viennent à l'esprit.
01:51 Est-ce qu'on ne pourrait tout simplement pas les interdire
01:53 s'ils représentent, comme le dit le ministre, une menace ?
01:56 Alors justement, c'est là que la notion de charia-compatibilité intervient quand je l'utilise.
02:03 Ce n'est pas l'objectif la charia-compatibilité, c'est le moyen.
02:06 L'objectif c'est bien d'instaurer et de façon très progressive
02:10 une société mondiale et mondialisée qui soit sous la gouvernance islamique.
02:16 C'est-à-dire que les Frères Musulmans sont des théocrates.
02:19 Et la charia-compatibilité, c'est cet espace intermédiaire
02:23 qui doit amener nos sociétés européennes, devenues charia-compatibles
02:28 dans la mesure où elles prennent des mesures, ou s'habituent à des cultures,
02:33 ou produisent des lois qui soient compatibles avec les lois islamiques.
02:39 Et peu à peu, c'est ce que les Frères espèrent,
02:42 parce que ce n'est pas un mouvement violent en tant que tel,
02:46 c'est un mouvement missionnaire.
02:48 Il peut utiliser la violence, mais ce n'est pas privilégié.
02:52 Donc ce qu'ils espèrent, c'est que les sociétés européennes
02:55 viennent naturellement à se convertir.
02:59 J'ai lu que certains disent que l'objectif des Frères Musulmans,
03:03 c'est de ré-islamiser.
03:05 Est-ce que ces Frères Musulmans, c'est un retour aux sources de l'islam
03:09 qu'ils recherchent, Florence Bergeau-Blackler ?
03:12 Ce n'est pas un retour, c'est une avancée vers la société califale
03:18 et sur la base d'un islamisme qu'on appelle le salafisme,
03:21 c'est-à-dire un islamisme fondamentaliste,
03:24 qui est à la fois littéraliste, collé au texte,
03:28 qui est dogmatique et qui est intégraliste.
03:30 C'est une conception particulière de l'islam.
03:33 Il ne faut pas confondre les mouvements islamistes avec l'islam en général,
03:37 qui s'est déployé sous diverses formes.
03:40 Les Frères Musulmans sont des salafis à l'origine,
03:43 c'est-à-dire des gens qui veulent revenir à l'islam,
03:46 ou aux conceptions de l'islam telles que le prophète les avait fait descendre.
03:53 C'était le Coran, qui est la parole de Dieu, et puis toute sa tradition.
03:58 Mais ce n'est pas pour revenir au temps du prophète,
04:00 c'est pour utiliser le texte, le texte coranique, le texte de la Sunna,
04:06 comme modèle, comme guide de vie au quotidien.
04:09 - Mais alors très concrètement, Florence Bergeau-Blackler,
04:13 est-ce qu'il y a une méthode Frères Musulmans ?
04:16 Comment les reconnaître ?
04:18 Est-ce qu'on sait aussi combien la confrérie compte de membres en France ?
04:22 - Alors ça c'est très difficile à savoir.
04:25 Personnellement je ne le connais pas,
04:29 on parle de dizaines de milliers,
04:31 mais il faudrait vérifier ça, parce qu'il y a les affiliés,
04:34 il y a les membres actifs, les membres assermentés,
04:37 il y a différentes grades même à l'intérieur de la confrérie,
04:42 et la confrérie est parfaitement secrète.
04:44 Sa méthode c'est l'infiltration, l'entrisme, la discrétion,
04:49 ce sont des moyens très très lisses d'emprise à la fois territoriale et sectorielle,
04:56 c'est-à-dire qu'on veut infiltrer, colorer en fait, de cet ADN frériste,
05:03 les différents secteurs, ça peut être la justice, la police même,
05:09 mais c'est surtout d'ailleurs...
05:11 - Mais le combat pour le voile par exemple,
05:13 le combat pour le droit de porter le voile à l'école,
05:16 le combat pour le halal à la cantine,
05:19 le fait de pouvoir porter le hijab pour les femmes qui font du sport,
05:23 tout ça, il faut voir la main des Frères Musulmans,
05:25 d'ailleurs c'est cet activisme ?
05:27 - Alors de toute façon tous les groupes salafistes ont envie d'imposer ce type de normes,
05:32 mais ce qu'il faut voir chez les Frères, c'est l'intelligence qui est derrière,
05:36 c'est-à-dire la cohérence, la mise en harmonie, la mise en musique de tous ces éléments de salafis.
05:44 Vous avez donc des salafistes qu'on appelle des wahhabites,
05:48 qui sont plutôt des orthodoxes, des gens qui veulent vivre selon l'islam,
05:53 mais qui n'ont pas de velléité politique ou de missionnaire,
05:58 en tout cas qui ne souhaitent pas nécessairement renverser la table pour imposer leur...
06:03 Tandis que les Frères Musulmans, ce qu'ils font, c'est qu'ils utilisent,
06:07 ils réfléchissent, ils théorisent,
06:09 et ils essayent de mettre en marche l'ensemble des composantes de l'islamisme.
06:16 - Si je vous ai bien compris, Florence Bergeau-Blackler,
06:18 l'objectif des Frères Musulmans, c'est pas le séparatisme,
06:21 c'est pas de faire sécession de la société française,
06:23 c'est de la transformer de l'intérieur.
06:25 - C'est ça. Le séparatisme sert à faire pression,
06:29 mais l'objectif c'est la transformation de l'intérieur,
06:31 pour qu'à terme, sur peut-être des décennies, des siècles,
06:35 le monde devienne musulman. C'est un projet missionnaire.
06:39 - Est-ce que vous les voyez enregistrer beaucoup de succès ?
06:41 Est-ce que vous trouvez que cette méthode Frères Musulmans fonctionne,
06:44 quand vous regardez la société française, l'évolution du débat national ?
06:48 - Oui, elle fonctionne d'autant mieux que nous ne la voyons pas agir.
06:52 Et tant que nous ne la voyons pas agir, nous ne savons pas nous protéger.
06:56 C'est pour ça qu'en effet, ce rapport d'enquête serait...
07:00 D'ailleurs, ce n'est pas un rapport d'enquête.
07:02 Il faut préciser que, quand j'ai lu, parce que j'ai appris par la presse,
07:05 comme tout le monde, de la lancée de ce rapport,
07:09 c'est d'abord un rapport public sur, dit le ministre, je crois,
07:13 ce qu'on connaît déjà, et qui n'avait pas été rendu public.
07:16 - Mais c'est faire oeuvre de pédagogie, finalement.
07:18 - L'objectif, ce serait convaincre les institutions, les élus locaux et les décideurs.
07:23 Et ça, c'est une bonne idée, je crois, parce qu'on a effectivement
07:26 beaucoup de connaissances sur ce sujet, mais des connaissances relativement théoriques
07:30 pour les quelques universitaires, la poignée d'universitaires qui travaillent sur ce sujet.
07:36 Et aussi, on a beaucoup d'éléments pratiques, de connaissances, de terrains,
07:41 grâce aux différents services de renseignement.
07:43 Maintenant, il faut communiquer sur tout ça, et réarmer intellectuellement
07:49 les élus locaux qui sont confrontés à ça, les entreprises, les universités,
07:53 qui sont un lieu d'entrisme particulièrement efficace,
07:58 et pas seulement les étudiants, je voyais les enseignants aussi.
08:02 Donc, il faut remettre un petit peu de connaissances,
08:06 et pouvoir ensuite prendre des mesures.
08:09 - Voilà, et on pourra commencer par vous lire.
08:11 Merci beaucoup, Florence Bergeau-Blackler, je redonne le titre de votre ouvrage
08:14 paru l'an dernier, tellement d'actualité, "Le frère Ism et ses réseaux",
08:18 paru chez Odile Jacob. Merci à vous, Florence Bergeau-Blackler.
08:21 - Merci à vous.