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Emmanuel Hirsch, professeur émérite d'éthique médicale à l'université Paris-Saclay et auteur de "Devoir mourir, digne et libre", répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils s'intéressent au débat sur la fin de vie.
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Emmanuel Hirsch, professeur émérite d'éthique médicale à l'université Paris-Saclay et auteur de "Devoir mourir, digne et libre", répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils s'intéressent au débat sur la fin de vie.
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NewsTranscription
00:00 7h, 9h, Europe 1 Matin.
00:02 Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le professeur émérite d'éthique médicale Emmanuel Hirsch.
00:09 Bonjour Emmanuel Hirsch, bienvenue sur Europe 1, membre de l'Académie nationale de médecine.
00:14 N'est-ce qu'une question de temps, de semaines, avant que l'on ne légalise en France le droit à une aide médicale active à mourir,
00:22 le droit de choisir sa mort, de manière anticipée, quelles qu'en soient les modalités.
00:27 En tout cas, un cran plus loin que la loi actuelle, la loi Claes-Leonetti.
00:31 Le Figaro révélait hier Emmanuel Hirsch les contours du futur projet de loi sur la fin de vie voulu par Emmanuel Macron.
00:37 Avant de rentrer dans les détails, une question un peu large.
00:41 D'après vous, qui travaillez depuis des années sur ces questions, qui avez beaucoup écrit sur ce thème-là,
00:46 pourquoi ce sujet de la fin de vie, Emmanuel Hirsch, c'est une litote bien sûr pour ne pas parler de la mort en fait, la fin de vie,
00:52 pourquoi ça revient si souvent dans le débat public ?
00:54 - Ce qui revient aujourd'hui de manière marquante, c'est d'en parler dans un contexte laïque et d'un point de vue politique.
01:00 Pas uniquement la question de la fin de vie. C'est une question que chacun se pose, c'est quel est notre vie, quel est le sens de la vie,
01:06 et quelle est aussi la médicalisation de la vie, puisque finalement, les questions actuelles se posent dans un contexte où parfois,
01:13 notamment avec la réanimation, on l'a vu dans les années 70, on avait l'impression que la médecine allait trop loin,
01:17 et avait un pouvoir démesuré sur la personne. Donc il y a toute l'idéologie de s'approprier.
01:22 Et c'est important, c'est l'autonomie de la personne malade, un pouvoir sur sa vie, y compris lorsqu'on se retrouve dans des impasses thérapeutiques,
01:29 et qu'on est confronté à la question de la douleur et de la souffrance psychologique.
01:33 Donc le débat depuis une trentaine d'années est plutôt un débat très intéressant, ça touche à nos valeurs, aux valeurs de fraternité, de solidarité.
01:40 La vraie question c'est quel type de réponse on apporte aujourd'hui lorsqu'on nous parle d'aide à mourir ?
01:45 On ne parle plus d'aide active à mourir, je pense que d'abord la première aide c'est l'aide active à vivre.
01:50 Et ce que les professionnels voient sur le terrain, c'est des malades qui aujourd'hui, des personnes, disent
01:54 "j'aimerais déjà vivre ma vie, y compris lorsque j'ai une maladie évolutive".
01:57 Et derrière ce débat, il ne faut pas être stigmatisant.
02:00 Il y a des personnes atteintes de maladies chroniques, des personnes atteintes de maladies neuro-évolutives,
02:05 des personnes, on a évoqué souvent la sclérose latérale amyotrophique,
02:08 leur finalité dans l'existence ce n'est pas les conditions de mourir, c'est d'abord du bien vivre et de disposer des soins les meilleurs.
02:15 - Alors on va se refaire un petit peu le film des événements, cette question de la fin de vie,
02:18 Emmanuel Macron la met sur la table pendant la campagne présidentielle l'an dernier, il dit
02:22 "je veux un texte là-dessus", il se pose cette question "est-ce que ma mort m'appartient ?"
02:27 C'est quand même une sacrée question.
02:29 Alors il y a cette idée d'un projet de loi, il y a le comité consultatif national d'éthique
02:34 qui rend un avis l'année dernière favorable à l'ouverture de la pratique de l'euthanasie,
02:39 une convention citoyenne est mise en place qui va nourrir le débat avec des propositions
02:43 à partir du mois d'avril, et puis on en est là, aujourd'hui tout ça est passé au second plan,
02:49 et il y a cet avant projet de loi dont le Figaro a révélé les grandes lignes hier,
02:55 en fait on en est où actuellement Emmanuel Hirsch ?
02:57 - D'abord depuis 1999 on a eu une loi sur les soins palliatifs et c'est la question fondamentale,
03:02 n'oublions pas qu'il y a quelques jours au niveau du Parlement,
03:06 on a voté une résolution favorable à l'accès à tous aux soins palliatifs,
03:09 ça c'est le premier point, c'est pas uniquement la question de la fin de vie et l'euthanasie,
03:13 et le droit à la dignité, puisque finalement les évolutions aujourd'hui
03:17 c'est en termes de revendications d'un droit qui nous serait confisqué.
03:20 - Je vais le dire un peu brutalement Emmanuel Hirsch,
03:22 en fait on a l'impression qu'aujourd'hui si on veut une loi sur l'euthanasie,
03:24 sur le suicide assisté, c'est parce qu'en fait on trouve pas de moyens suffisants,
03:31 il n'y a pas de structure suffisante pour traiter la douleur,
03:33 la perte d'autonomie, parce que la fin de la vie c'est difficile aujourd'hui.
03:36 - Tout est difficile et c'est pas la loi qui va apporter une réponse à notre trouble personnel
03:41 pour soi ou pour un autre d'être confronté à notre mort,
03:43 et surtout à notre souffrance, parce que ce que les gens voient surtout
03:47 c'est pas la question de mourir avec l'euthanasie ou les soins palliatifs,
03:50 c'est de ne pas souffrir.
03:51 La vraie énigme aujourd'hui c'est qu'on a une réponse fondamentale,
03:54 ce sont les soins palliatifs.
03:56 Alors dans la loi on nous parle de soins d'accompagnement,
03:58 et l'accompagnement c'est pas uniquement un accompagnement médical,
04:01 mais c'est un accompagnement social, c'est-à-dire vivre en société sa vie jusqu'à son terme.
04:05 Regardons la relégation des personnes très âgées ou des personnes même en situation de maladie.
04:10 - Vous avez dit devant l'Assemblée nationale, je vais donner la phrase car je l'ai trouvée très forte,
04:13 vous avez dit "vous savez messieurs les députés, c'est le sentiment de mort sociale
04:17 qui incite bien souvent à préférer anticiper sa mort".
04:21 - Aujourd'hui si on nous parlait du droit à vivre sa vie dans la dignité,
04:25 je suis sûr, Dimitri, qu'on partagerait des valeurs plus fortes que les conditions,
04:30 et c'est tout le débat sur ce texte qui a été rendu public.
04:34 C'est-à-dire effectivement en octobre, Agnès Fermin-Lebaudeau devait remettre sa copie au président de la République,
04:39 et on a un texte depuis le 6 octobre, en tous les cas celui auquel on se réfère aujourd'hui,
04:44 qui est un texte d'une grande complexité.
04:46 J'observe quand même que la Belgique, qui nous est considérée comme un modèle,
04:50 avait légiféré le 28 mai 2002 sur une loi sur l'euthanasie.
04:56 C'était clairement sur l'euthanasie, relative à l'euthanasie,
04:59 et quelques semaines plus tard c'était une loi relative aux soins palliatifs.
05:02 Là on a quelque chose qui est très ambigu.
05:05 A la fois on nous parle de l'accompagnement des droits de la personne, et de l'aide à mourir.
05:11 En fin de compte, je pense qu'il faudrait déjà, par méthodologie,
05:14 distinguer ce qui relève du droit aux soins palliatifs, qui devrait être sanctuarisé,
05:19 et la convention citoyenne la porter comme un inconditionnel.
05:22 Et après qu'on débatte des questions de l'aide à mourir, c'est une autre question.
05:27 - Donc d'abord ne pas souffrir, c'est ça l'idée des soins palliatifs ?
05:30 - D'abord exister, appartenir, donc être accompagné par la société à tous les moments de cette existence,
05:35 socialement, humainement, et c'est pas qu'une question médicale.
05:38 Notez que dans le rapport qui a été rendu public il y a quelques jours,
05:41 de Franck Chauvin, qui est le rapport sur la décennale sur les soins palliatifs,
05:46 on parle de maison d'accompagnement. Donc il peut y avoir tout un ensemble d'éléments importants.
05:50 Là où le texte qu'on évoque, qui est le texte sur lequel réfléchit aujourd'hui le président de la République,
05:55 et merci au président de ne pas se précipiter, c'est sur l'euthanasie.
05:59 Puisque c'est un texte sur l'euthanasie.
06:01 - Alors regardons ce qui est dans le texte justement.
06:02 On va prendre les termes qui sont employés, de créer une aide à mourir.
06:07 Je note que les termes de suicide assisté et d'euthanasie sont soigneusement évités.
06:14 Donc euthanasie ça signifie un rôle actif du médecin, c'est lui qui assène la mort.
06:19 Et on les a vu ces médecins dire à nous, c'est pas notre rôle, nous sommes des soignants,
06:22 nous sommes pas là pour délivrer la mort sur ordonnance ou d'une autre, Emmanuel.
06:29 - Alors monsieur vous posez une question fondamentale.
06:31 Ce que le gouvernement n'avait pas prévu, c'est l'arraisonnement du débat par les sociétés de soins pédiatrices,
06:37 les sociétés savantes de gériatrie, de consérologie, c'est-à-dire tous ces médecins qui disent "nous ne sommes pas là".
06:42 - Le gouvernement s'y attendait pas ?
06:43 - Je pense qu'il ne s'y attendait pas à ce type de réaction.
06:45 Il s'imaginait que ce serait plutôt des gens un peu traditionnalistes qui allaient nouveau sortir dans la rue.
06:49 N'oubliez pas que François Hollande avait aussi tenté en 2012 d'avoir cette loi,
06:53 et il avait été bloqué par la manif pour tous.
06:55 Ce qui est important pour moi en tant que professeur d'éthique médicale qui m'émeut,
06:59 c'est comment des professionnels ont dit "notre rôle, notre fonction, ce n'est pas d'aider à tuer les gens,
07:04 c'est plutôt d'être présent jusqu'au bout, ce que font les soins pédiatrices,
07:07 et d'apporter le dispositif le plus approprié".
07:09 Et encore dans un récent communiqué, la Société française d'accompagnement et de soins pédiatrices
07:14 dit que chaque jour, 400 personnes meurent en France sans pouvoir bénéficier des soins d'accompagnement.
07:19 Ça c'est le point numéro un, c'est le droit génial.
07:22 - Il y a 400 personnes qui meurent pas bien en France, qui meurent mal.
07:24 - Oui, et c'est le premier RCL. Je ne sais pas si on meurt bien ou pas bien,
07:26 mais en tous les cas qui ne bénéficient pas d'un environnement qui leur permet d'être dans le confort,
07:30 dans l'apaisement et dans la relation.
07:32 Parce que ce qui est aussi important en fin de vie, ce n'est pas la rupture,
07:34 c'est comment on quitte le monde et avec quel type d'environnement.
07:38 - Mais qu'est-ce que ça change concrètement d'un point de vue éthique ?
07:42 Si dans la loi on a introduit la possibilité, on tient compte du fait que les médecins ne veulent pas délivrer la mort,
07:47 mais de la possibilité d'un suicide assisté,
07:49 c'est-à-dire légalement de pouvoir prendre une substance qui met fin à vos jours, Emmanuel Hirsch.
07:53 Ça n'est pas rien quand même.
07:54 - D'abord, le suicide c'est un acte personnel, un acte autonome.
07:58 On peut tout faire pour prévenir le suicide.
08:00 Et j'observe dans mes fonctions actuelles que depuis qu'on débat de la fin de vie,
08:05 de l'aide active à mourir, il n'y a jamais eu autant de demandes de suicide.
08:08 Parce qu'il y a aussi quelque chose de la symbolique.
08:11 L'interdit n'est pas un interdit uniquement répressif,
08:14 ça dit aussi la valeur de la vie.
08:16 Mais pour répondre à votre question, je pense que ce qui est très ambigüe dans le texte qu'on évoque aujourd'hui,
08:21 c'est que ce n'est pas de suicide assisté,
08:23 ce n'est pas véritablement d'une formule à l'horregon dont on parle.
08:28 C'est véritablement d'euthanasie.
08:30 Puisque le médecin pourrait d'une certaine manière ne pas avoir à intervenir,
08:34 sauf pour suivre le parcours,
08:37 mais une tierce personne pourrait être désignée pour permettre à la personne d'ingérer le produit.
08:42 Bref, on est véritablement dans l'euthanasie.
08:44 Et vous avez été, comme beaucoup, attentif à une formule,
08:48 vous savez, ce "sucorisme" inversé d'une certaine manière.
08:52 - Sucorisme à l'envers.
08:54 - Mais c'est inversé au niveau philosophique.
08:56 C'est-à-dire, si la personne se trouve en difficulté en ingérant le produit, par exemple,
09:00 le médecin peut intervenir pour précipiter le mouvement.
09:02 On est dans quelque chose qui est tellement ambivalent, tellement complexe,
09:05 que je me permets de prendre comme référence, finalement, la loi de 2002 de la Belgique.
09:12 Elle est beaucoup plus claire, là on a une espèce de construction,
09:15 et je l'amènerai en disant que je rends hommage au président de la République de ne pas se précipiter.
09:19 Si c'est pour avoir ce texte demain,
09:21 je dirais que, d'une certaine manière, notre société sera beaucoup fragilisée,
09:25 les plus vulnérables parmi nous seront encore plus menacés.
09:27 Donc il faut savoir ce qu'on défend.
09:28 Est-ce qu'on défend nos valeurs, ou est-ce qu'on est prêt à céder, finalement,
09:32 à des compromissions pour des raisons électoralistes et un peu démagogiques.
09:35 - Merci Emmanuel.
09:36 - Hier, je suis d'être venu se nous voir ce matin, professeur émérite d'éthique médicale.
09:40 Je rappelle votre dernier ouvrage, précisément, sur la question dont on vient de parler,
09:43 "Devoir mourir digne et libre",
09:45 c'est paru aux éditions du CERF.
09:47 Bonne journée à vous.