Nicolas Vodé, éditeur, et Rémi Carlu, rédacteur en chef adjoint du magazine L'Incorrect, présentent chez TVLibertés la traduction française de l'ouvrage de Sohrab Ahmari, "Tyrannie and Co". Dans cet essai, l'auteur irano-américain analyse les ressorts de la tyrannie du monde privé dans notre quotidien : prise de contrôle des temps de vie, politisation de la sphère de travail, production de règles en dehors de tout cadre démocratique... Rencontrant un vif succès outre-Atlantique, "Tyrannie and Co" pose les bases d'une réflexion critique du conservatisme libéral.
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00:00 [Générique]
00:06 – Bonjour à tous, bienvenue dans cette nouvelle édition du Zoom de TV Liberté.
00:10 Aujourd'hui, j'ai la joie de recevoir Rémi Carlu et Nicolas Vaudet.
00:14 Bonjour messieurs. – Bonjour.
00:17 – Rémi Carlu, vous êtes rédacteur en chef adjoint du magazine "L'Incorrect".
00:22 Nicolas Vaudet, vous êtes éditeur.
00:24 Votre maison, Salvatore, publie la traduction française d'un livre
00:28 rencontrant un vif succès outre-Atlantique "Tyranny & Co"
00:32 avec pour sous-titre "Les grandes entreprises contre la liberté".
00:36 L'auteur de cet essai passionnant, vraiment disponible
00:39 sur notre boutique en ligne tvl.fr est Sorab Amari.
00:44 Alors vous avez contribué à la diffusion en France,
00:48 à la publication en France de cet essai de Sorab Amari.
00:51 Pouvez-vous nous présenter l'auteur Rémi Carlu ?
00:54 – Oui, Sorab Amari est un journaliste américain qui est un membre,
00:58 en vue, si vous voulez, des sphères intellectuelles conservatrices américaines.
01:01 Il est notamment membre d'un groupe qui se nomme "Les Postes Libéraux".
01:05 Ils sont formés par quelques intellectuels américains plutôt catholiques
01:09 qui sont, si vous voulez, la matière grise du parti républicain en partie.
01:13 Ils ne suivent pas tout le parti, mais toute leur logique, si vous voulez,
01:19 c'est de réfléchir à une alternative à la société contemporaine
01:22 en critiquant l'orthodoxie libérale et notamment le fait que le libéralisme,
01:27 de par sa neutralité, refuse de poser la question du bien.
01:30 Et donc, eux, en tant que catholiques, évidemment, ça les gêne.
01:32 Donc ça, c'est l'axe de ce groupe.
01:34 Au sein de ce groupe, il y a plusieurs penseurs,
01:35 il y a des juristes, un spécialiste de philosophie politique, un télégène.
01:38 Et il y a Sorab Amari qui est lui journaliste et qui, avec ce livre,
01:42 devient un petit peu l'économiste en chef de la maison.
01:45 Alors Sorab Amari a un parcours, en plus, extrêmement intéressant
01:48 puisqu'il est d'origine iranienne, il a vécu sous le régime des ayatollahs.
01:53 Et puis avec sa famille, qui est issue de la bourgeoisie de Téhéran,
01:55 il a migré aux États-Unis.
01:57 Il a eu un parcours intellectuel un petit peu chahuté,
02:00 il a eu une période nichéenne, une période marxiste.
02:02 Et puis finalement, petit à petit, il s'est converti au catholicisme,
02:06 notamment au milieu des années 2010.
02:08 Il raconte tout ça dans un livre sur sa biographie intellectuelle.
02:11 Et puis par ailleurs, il a déjà publié un livre sur le wauquisme
02:14 et puis un autre livre pour défendre les vertus traditionnelles.
02:17 Donc ça, c'est son quatrième gros ouvrage intellectuel et analytique
02:22 qui pose effectivement la question d'une tyrannie privée.
02:26 – Nicolas Vaudet, à quelle sorte de tyrannie, justement,
02:30 Sorab Amari fait référence dans son ouvrage "Tyrannie et encoh".
02:34 – Eh bien, dans ce livre, il commence par rappeler
02:38 que quand on dit tyrannie en français, et en fait aussi en anglais,
02:42 dans le monde anglo-saxon, dans le monde occidental,
02:45 on pense "État".
02:47 Et on pense "État" parce qu'on considère que c'est l'État qui est capable
02:50 et qui est susceptible de forcer le citoyen à faire telle ou telle chose
02:57 qui ne lui serait pas agréable de lui-même.
03:01 La tyrannie des grandes entreprises, c'est exactement la même chose,
03:05 c'est simplement que c'est une grande entreprise qui le fait,
03:08 qui force le consommateur ou le travailleur à faire des choix
03:13 qu'il n'aurait pas du tout envie de poser, et ce par la pression économique
03:22 qu'applique un acteur lourd et puissant dans le marché,
03:25 dans la vie économique sur une personne qui est isolée
03:28 et qui a un nombre de choix beaucoup plus restreint.
03:30 Et donc c'est par cette pression que s'installe un rapport
03:34 complètement déséquilibré entre la grande entreprise d'une part
03:38 et un individu isolé d'autre part, et qu'on peut parler de tyrannie
03:44 parce que le résultat à la fin, c'est qu'il y a tout un tas de choses
03:47 que pourrait vouloir faire l'individu, qui lui sont totalement inaccessibles,
03:50 parce qu'encore une fois, il y a une sorte de barrière
03:52 qui est érigée par la grande entreprise.
03:55 Pour rentrer dans le concret, un exemple qu'on peut donner
03:59 et que Saurabha Marie donne dans ce livre,
04:01 c'est le fait que lorsqu'on a déménagé pour reprendre un nouveau poste,
04:07 qu'on a résilié son contrat avec un autre employeur,
04:11 qu'on a donc déménagé, qu'on a installé les enfants dans une nouvelle école,
04:14 que le conjoint a parfois changé de travail
04:15 ou même est encore au chômage en cherchant,
04:18 et qu'on se rend compte en arrivant devant la grande entreprise
04:20 et devant le contrat qu'il y a des choses comme
04:23 "vous nous donnez le droit d'exploiter Ad vitam aeternam,
04:27 votre voix, votre image, et c'est un titre qui n'est pas négociable".
04:33 L'idée un peu naïve qu'on apprend dans les cours d'économie,
04:39 c'est de dire, chacun peut dire "non, ça ne me convient pas, je m'en vais".
04:43 Quand on a déménagé, comme je disais, on est un peu obligé de signer.
04:46 Et ça, c'est une pression, c'est une des circonstances difficiles
04:51 dans lesquelles se trouvent plutôt les individus isolés
04:53 tandis que les grandes entreprises, elles sont capables de prendre les devant.
04:57 – Oui, cette fausse symétrie dans la négociation
05:00 entre le salarié et l'entreprise.
05:02 Sorabha Marie nous dit "nous avons succombé à un effort générationnel
05:07 soutenu par certaines des plus grosses fortunes mondiales,
05:10 des plus puissantes entreprises et de leur idéologie de recrutement
05:13 visant à nous faire oublier ce que nous tenions pour acquis,
05:16 que les acteurs privés peuvent mettre en danger la liberté
05:19 autant que les gouvernements trop ambitieux,
05:21 que le pouvoir incontesté des marchés peut nuire à nos droits et libertés,
05:25 qu'il existe donc bien des tyrannies et des tyrans dans le monde du privé".
05:30 Rémi Carlu, cette tyrannie, c'est aussi la violence idéologique
05:35 exercée contre les salariés en dehors de tout cadre démocratique
05:39 par de nombreuses entreprises.
05:41 – Oui, c'est effectivement un phénomène qui existe aux États-Unis,
05:45 dont Sorabha Marie a beaucoup parlé, c'est évidemment le cas,
05:48 on pense tous à la même chose, au wokeisme,
05:50 qui sont des idéologies qui sont diffuses dans les entreprises
05:53 avec des ateliers par exemple, plus ou moins de rééducation
05:58 de diversité et inclusivité.
06:01 – Le contre est a priori aussi des profils de candidats à un poste,
06:05 vérifiez si vous n'avez pas été militant dans telle ou telle organisation,
06:09 jugée infâme.
06:10 – Oui, après ce qu'explique Sorabha Marie dans ce livre,
06:15 c'est que, comment dirais-je, il y a une tyrannie
06:18 qui existe dans le milieu de l'entreprise,
06:19 et que cet aspect idéologique, notamment au woke, sur l'inclusivité, etc.,
06:23 c'est un vernis qui est utilisé par les entreprises
06:26 pour se donner une bonne conscience, pour montrer un affichage public
06:30 qui fasse bonne impression vis-à-vis de l'extérieur,
06:33 et qui soit en fait le moyen pour eux d'exercer une tyrannie interne.
06:37 Sorabha Marie donnait un exemple quand il était en France,
06:41 il parlait d'une entreprise alors qu'il devait vendre du matériel
06:44 dans l'entretien extérieur, et donc il y avait une annonce
06:48 où la femme qui faisait l'annonce expliquait qu'elle était une femme,
06:52 noire, handicapée, qu'en ce moment elle parlait depuis les terres
06:55 d'une ancienne tribu qui avait été chassée par les Américains
06:59 ayant fait la conquête de l'Ouest, et que la suite de son annonce
07:02 allait être d'expliquer aux salariés pourquoi il ne fallait pas se syndiquer.
07:05 Donc vous voyez bien la perversion…
07:08 – Ce sont des sortes de libertés, ou d'asservissements,
07:10 de consolation d'une certaine manière, Julien ?
07:12 – Si vous voulez, c'est un petit peu comme…
07:14 on parle souvent de greenwashing, par exemple sur les questions environnementales,
07:17 c'est-à-dire l'arrière-boutique n'est pas propre,
07:20 mais on essaie de donner un affichage très progressiste
07:23 pour avoir une bonne image extérieure, pour la communication,
07:27 pour être relié par les médias progressistes,
07:29 mais ça n'empêche pas d'exercer, sur les questions purement économiques
07:33 et sociales, des tyrannies qui sont incontestables.
07:37 – Et si je peux ajouter, ça donne d'autant plus de pouvoir,
07:40 en tout cas rhétorique, à l'employeur que l'employé
07:47 qui n'est pas content de sa situation se voit opposé que,
07:50 oui, oui, ton salaire est bas, il n'a pas été revu à la hausse
07:54 depuis des années, etc.
07:56 L'assurance maladie est catastrophique, quasiment inexistante,
07:59 mais les patrons qui se gavent sont toujours plus divers,
08:05 et donc comme des femmes noires handicapées peuvent accéder à des postes
08:09 où ils se gavent sur le dos des travailleurs, la société va bien.
08:12 Et ça, c'est presque un argument auquel on ne peut plus répondre aujourd'hui,
08:15 parce que c'est plus long que ça.
08:17 – Justement, une autre citation, messieurs,
08:19 sur laquelle je voudrais vous faire réagir,
08:21 Saurabha Marie nous dit "Si la Chine traitait ses ouvriers comme le fait Amazon,
08:24 si le Kremlin les forçait à assister au discours de Poutine,
08:28 et si le régime iranien soumettait les individus à une surveillance quasi totale,
08:32 les Américains seraient scandalés, notre département d'État
08:35 blâmerait les États en question, le Congrès tiendrait des auditions,
08:38 et des ONG occidentales souligneraient le sort des victimes
08:42 dans des campagnes de collecte de fonds, ça va m'en orchestrer.
08:45 Comment, peut-être Nicolas Vaudet,
08:47 comment expliquer la cécité complète des sociétés occidentales
08:51 face à la tyrannie qui se déploie en leur sein
08:55 et qu'elles sont toujours très promptes à identifier chez les autres ?
08:58 – Alors, il faut préciser que les trois exemples,
09:00 donc la Russie, la Chine et l'Iran,
09:02 ce sont trois exemples qui ont bien eu lieu aux États-Unis,
09:05 donc je laisse le lecteur découvrir pourquoi ça s'est présenté comme ça,
09:09 mais effectivement ce sont trois choses qui arrivent aux États-Unis
09:12 et qui arrivent bien dans le cadre d'une entreprise
09:17 dans laquelle ces choses-là ont été exigées ou imposées aux travailleurs.
09:23 Je pense que la raison pour laquelle on ne voit pas
09:28 en quoi cela relève de la tyrannie, c'est qu'encore une fois,
09:33 l'orthodoxie acceptée, notamment dans l'enseignement de l'économie,
09:39 c'est vraiment que la tyrannie, l'oppression ne peut être qu'entre l'État et l'individu
09:45 parce que le marché est réputé libre, l'économie est faite d'acteurs
09:50 qui sont censés être tous égaux au sens où, encore une fois,
09:54 ils peuvent chacun décider que finalement ça ne convient pas.
09:57 Et ce sur quoi insiste ce rabbin Marie Heïe,
10:01 ce sur quoi il insistait quand il est venu présenter son livre
10:04 à son lancement en France, c'est qu'il y a vraiment une résistance presque mentale
10:08 à changer de modèle et à se dire qu'il peut en être autrement.
10:13 Donc une espèce d'ambiance intellectuelle qui fait qu'on n'envisage pas
10:18 de voir les choses comme ça et ça permet effectivement de dérouler tout le programme,
10:22 encore une fois parce que la contestation, rhétoriquement, va avoir un peu de retard.
10:28 – Et pourtant messieurs, ce rabbin Marie nous rappelle que cette tyrannie privée
10:33 fonctionne à rebours de la philosophie des pères fondateurs de l'Amérique
10:37 pour qui le libéralisme c'est l'homme maître de son travail.
10:41 Il n'y a pas d'homme libre qui soit fatalement attaché à vie,
10:45 à sa condition de travailleur.
10:46 Cette citation est d'Abraham Lincoln,
10:49 elle pourrait surprendre l'auditeur qu'on comprendra.
10:53 – Oui, en fait le grand basculement, c'est ce qu'à Marie fait dans le livre,
10:56 il y a une reliquture un petit peu de l'histoire économique américaine notamment.
10:59 La mise en parallèle de cette histoire économique avec l'histoire sociale et légale.
11:04 Et donc en fait cette citation de Lincoln signe la philosophie
11:11 de la première Amérique pré-industriale.
11:13 Et ce qui explique ce rabbin Marie, c'est que les théories libérales
11:16 sur le fait que vous puissiez toujours trouver les meilleurs offres ailleurs
11:18 si vous n'êtes pas content, fonctionnent dans des économies
11:20 avec énormément de petits acteurs.
11:22 Sauf qu'entre deux, il y a eu la révolution industrielle,
11:24 et ce qui explique encore à Marie, c'est que le capitalisme en tant que tel
11:27 favorise la concentration des capitaux et donc la formation de l'oligopole,
11:30 voire de monopole.
11:31 Et que dans cette nouvelle configuration, configuration qui est nouvelle
11:34 et qui n'a pas été connue à ce moment-là évidemment par les pères fondateurs,
11:37 la théorie libérale s'effondre sur les faits, ne passe plus en faits.
11:41 Les faits n'ont plus rien à voir avec ce qui est énoncé en théorie.
11:45 Et donc c'est cette tyrannie qui se déploie, et vous parliez tout à l'heure de cécité.
11:49 La cécité c'est précisément parce qu'on en reste mentalement attaché
11:53 aux a priori principiels du premier libéralisme,
11:56 sauf qu'entre temps la situation concrète a muté.
12:00 Et dès lors en fait, c'est la conclusion un petit peu d'Amarie,
12:03 c'est qu'il nous appelle à changer de lunettes en fait,
12:05 et à sortir des lunettes qui sont quasi idéologiques et mythologiques
12:09 pour voir concrètement ce qui se déroule sous nos yeux.
12:12 – Une opposition a longtemps peut-être permis à cette violence
12:16 de s'exercer de façon plus homéopathique d'une certaine façon.
12:21 C'était la confrontation entre le bloc de l'URSS et le bloc de l'Ouest.
12:26 Diriez-vous par exemple Nicolas Vaudet que la chute de l'URSS
12:30 a contribué un peu à l'ensauvagement du capitalisme
12:34 dès lors que ce modèle-là n'était plus concurrencé ?
12:38 – Je pense que, en tout cas, l'archéologie que fait Sarah Bammari
12:41 des évolutions de cette violence libérale va plutôt dans une autre direction.
12:49 Bon, il y aurait beaucoup à dire sur les développements
12:52 des nouvelles technologies de la communication et de l'information
12:54 qui accélèrent encore aujourd'hui ce qui se passe.
12:57 Mais en fait, pour Sarah Bammari, les choses sont mises en place
13:00 dès les années 80, c'est-à-dire avant l'effondrement du monde communiste,
13:06 en fait, principalement sous l'action des camps qui ont entouré Reagan
13:11 aux États-Unis et Thatcher en Angleterre.
13:15 Et en France, on peut décliner avec le virage néolibéral de Mitterrand, etc.
13:20 Donc, pour lui, c'est plutôt ça qu'il faut voir,
13:24 c'est-à-dire qu'il y avait un modèle qui existait après-guerre,
13:28 qui était un modèle modéré dans lequel on considérait
13:31 que l'État avait vocation à tempérer ce déséquilibre
13:35 entre grands acteurs et petits acteurs,
13:37 et que c'est plutôt non pas un effondrement macro-politique
13:45 à l'échelle globale qui a eu lieu,
13:48 plutôt qu'une vraie volonté politique dans les sociétés occidentales
13:51 de miner et de saper les conditions de cet ordre établi
13:56 pour faire advenir, donc encore une fois,
14:00 les conditions d'un marché parfaitement inempêché
14:03 dans lequel les acteurs, étant réputés libres et parfaitement égaux,
14:07 peuvent faire exactement ce qu'ils veulent,
14:09 ce qui est en fait ce qu'on appelle la liberté du renard d'entrer dans le pouleyer.
14:14 – Oui, et j'ajouterais juste un point,
14:16 en plus cette grande vague néolibérale préparée intellectuellement
14:20 par Hayek, Friedman et mise en place politiquement
14:23 par effectivement le tandem Thatcher-Reagan,
14:26 si vous voulez, est mise en place en instrumentalisant
14:28 l'opposition avec le communisme,
14:30 puisque ce que fait ce rabbin Marie,
14:32 c'est qu'il explique qu'il y avait une sorte d'âge d'or aux États-Unis
14:34 qui a été la période du New Deal,
14:36 et de l'ordre économique qui est sorti du New Deal,
14:38 où il y a eu énormément de droits qui ont été faits en faveur des travailleurs,
14:42 qui ont visé à favoriser la syndicalisation, etc.
14:45 Et ce qu'il explique, c'est que dans les années 70-80,
14:49 avec cette nouvelle vague idéologique,
14:51 toute législation était apparentée idéologiquement
14:55 à du communisme, à la main des soviets, etc.
14:58 Donc si vous voulez, c'est en opposition au modèle communiste
15:00 qu'on a voulu éteindre toute intervention de l'État,
15:05 et que donc s'est fait le désastre économique
15:08 qui donc continue jusque nos jours, en tout cas aux États-Unis.
15:12 – Justement Rémi Carlu, vous et Sorabha Marie,
15:14 reviennent longuement dessus dans l'ouvrage,
15:16 sur la distinction entre le libéralisme et le néolibéralisme,
15:21 avec deux césures, le colloque Littman
15:23 et la création de la société du Mont-Pèlerin.
15:27 Pouvez-vous revenir sur cette différence entre l'idéologie libérale,
15:32 enfin entre le libéralisme tel qu'on le connaît,
15:34 tel qu'on se complaît à croire qu'il est encore vivant,
15:37 et le néolibéralisme ?
15:39 Quelles sont les principales différences entre ces deux cours ?
15:41 – Oui, Sorabha Marie s'appuie notamment là-dessus
15:43 quand il en parle sur les analyses de Michel Foucault
15:45 qui ont été faites en France.
15:46 Il explique qu'en fait le libéralisme au départ
15:48 est une philosophie politique globale
15:50 qui est fondée sur l'autonomie du sujet,
15:54 la raison individuelle qui permet aux individus de se rencontrer
16:00 et ensuite de contracter tel qu'ils souhaitent.
16:03 Mais ce premier libéralisme, évidemment, n'est pas seulement économique,
16:06 il est aussi philosophique, intellectuel, religieux, politique.
16:10 Ça mènera à la fondation, évidemment, de la démocratie.
16:13 Et d'ailleurs, je pense que si ces premiers libéraux,
16:16 si on leur présentait certaines des réalités économiques aujourd'hui,
16:18 ils seraient un petit peu effrayés.
16:19 C'est que le néolibéralisme naît au cours du XXème siècle.
16:24 Alors, ça se bâtit aussi en réaction aux abus du libéralisme
16:27 qui a pu exister en Angleterre, au "laisser faire, laisser passer",
16:30 où vous savez, c'est ce qu'explique Charles Dickens,
16:33 notamment en Grande-Bretagne où on a eu du travail d'enfant,
16:35 payer au jour le jour, etc.
16:37 Et donc, si vous voulez, il y a une énorme crise du libéralisme à ce moment-là.
16:40 Et donc, le néolibéralisme va devoir se repenser
16:44 avec ces fameux "collab" Lipman et la société du Mont-Pèlerin.
16:48 Et puis ensuite, dans le néolibéralisme,
16:50 il y a beaucoup de choses un petit peu différentes.
16:52 Il y a des écoles françaises, allemandes, autrichiennes, américaines.
16:54 Donc, tout ça est un petit peu différent.
16:56 Vous vous en doutez, dans le néolibéralisme français,
16:58 il y a beaucoup plus d'États qu'ailleurs.
17:00 Mais le néolibéralisme dont parle ce soir Abba Marie,
17:02 qui a touché celui, évidemment, de l'Amérique du Nord,
17:06 est un néolibéralisme qui, si vous voulez,
17:09 réorganise la société du point de vue de l'économie.
17:14 Si vous voulez, le politique est réagencé,
17:16 est arraisonné par la raison économique.
17:20 Et donc, dès lors, tout est mis en coupe
17:22 pour que puisse triompher l'individu,
17:27 mais en tant qu'entrepreneur, si vous voulez.
17:29 Donc, la société, disons, est mise en coupe.
17:32 Et c'est l'économie en tant que telle qui devient la valeur
17:34 et la fonction principale à partir duquel tout est agencé.
17:37 – Nicolas Vaudet, quelle place occupe la contrainte
17:40 dans la philosophie néolibérale ?
17:43 – Alors, la première chose, c'est que l'idée de contrainte
17:49 était combattue dans la philosophie libérale
17:52 parce qu'il ne fallait pas de contrainte,
17:54 il ne fallait pas que l'État exerce une contrainte
17:56 sur des acteurs présumés libres.
17:59 D'une certaine manière, le néolibéralisme dépasse complètement ça.
18:04 Alors, bien évidemment, il y a de la contrainte.
18:06 Il n'y en a plus dans le discours parce que la question,
18:08 c'est donc, il faut créer une société
18:10 qui soit entièrement à l'image du marché.
18:13 Et quelle place exerce la contrainte ?
18:14 C'est toutes les contraintes qu'on exerce pour arriver à cet état-là.
18:18 Et donc, contrainte contre les organisations
18:23 qui veulent par exemple regrouper les travailleurs
18:25 ou les consommateurs qui veulent, etc.
18:28 Et puis aussi, on peut dire, contrainte à travers la justice
18:32 où il y a un certain nombre de choses qui ne sont plus accessibles
18:36 encore une fois aux acteurs, aux petits acteurs.
18:40 L'un des exemples qui sont donnés dans le livre,
18:44 c'est les travailleurs de Uber qui signent dans leur contrat
18:48 le fait qu'ils renoncent à toute possibilité d'intenter un procès à Uber.
18:56 Et que tout litige doit être traité,
19:00 doit passer devant une cour d'arbitrage privée
19:02 qui est aux Pays-Bas, à Amsterdam je crois.
19:06 Voilà, ça c'est une contrainte de nature judiciaire,
19:09 c'est-à-dire qu'on dit, vous n'avez pas le droit de passer devant la cour de justice
19:13 qui a traité ce genre de choses depuis des siècles aux États-Unis.
19:17 Il faut maintenant, obligatoirement, renoncer à toute autre forme de justice
19:22 qui ne serait pas ce truc aux Pays-Bas
19:25 pour lequel il faut débourser une somme astronomique
19:27 et en plus il faut payer le voyage.
19:29 C'est le genre de choses qui, encore une fois,
19:31 ne se présentent pas comme contrainte.
19:32 Vous avez signé le contrat, vous étiez d'accord, c'est formidable.
19:35 Et qui en fait en est une puisque ça contraint un travailleur
19:39 à littéralement renoncer à tout droit de contestation face à son employeur.
19:45 Donc la contrainte est partout pour faire advenir cette idée
19:50 d'une société organisée selon les lois du marché.
19:54 – Rémi Carlu, vous observez la vie des idées outre-Atlantique.
19:58 Dans le siège d'intellectuels comme Sora Amari,
20:02 sentez-vous monter en puissance une critique du conservatisme
20:06 dans sa tendance économiquement libérale ?
20:10 Ou bien ce parti pris reste quand même très minoritaire aux États-Unis ?
20:15 – C'est un parti pris qui est minoritaire,
20:17 qui a un petit peu plus d'écho dans les jeunesses républicaines.
20:21 Si vous voulez, l'ouvrage, quand il est sorti aux États-Unis,
20:23 a été encensé par la gauche et notamment les médias proches du Parti démocrate.
20:27 Ils trouvaient que le raisonnement allait plutôt dans leur sens.
20:31 Il a énormément gêné les membres du Parti républicain et affiliés,
20:36 parce qu'évidemment ils s'en prenaient à la doctrine libérale,
20:40 alors que le Parti républicain, qui est effectivement plutôt conservateur,
20:42 sur la question des mœurs, a une vraie tendance libertarienne sur toutes ces questions.
20:46 Et l'objectif de Sora Amari, c'est de renverser le rapport
20:49 de la droite conservatrice américaine à la liberté et à la contrainte
20:52 en expliquant qu'à certains moments, notamment sur les questions économiques et sociales,
20:57 c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère,
20:59 comme le disait le père Henri Lacordaire.
21:02 Et donc, lui c'est vraiment son objectif,
21:05 mais il explique que, si vous voulez, dans le Parti républicain,
21:07 ça reste quand même minoritaire, il travaille plutôt avec certains sénateurs,
21:10 certains députés, mais qu'il n'y a pas encore de conséquences structurelles sur tout le parti.
21:15 Et la présidentielle qui se déroulera cette année aux États-Unis
21:19 sera pour le coup un vrai tournant, puisque le Parti républicain,
21:22 qui a récupéré l'électorat populaire depuis la première élection de Trump,
21:26 va devoir, c'est en tout cas ce qu'espère Sora Amari,
21:29 commencer à présenter un programme qui puisse répondre à leurs attentes.
21:33 Alors pour l'instant, visiblement, ce n'est pas tout à fait le cas.
21:36 Le trumpisme a réussi à les récupérer sur le plan électoral,
21:39 partout et partout dans le rhétorique.
21:40 – Il dénonce une forme d'illusion.
21:41 – C'est ça, et en fait, tout son parti-pris,
21:44 dire "attention, le Parti républicain va devoir répondre à leurs attentes,
21:47 va devoir avoir un programme économique et social très clair
21:50 en poussant le syndicalisme par exemple,
21:53 autrement il va perdre les électeurs qu'il a récupérés cette dernière décennie.
21:57 – C'est-à-dire que le Parti républicain a vraiment récupéré ces électeurs-là,
22:02 mais c'est des électeurs qui n'en étaient pas, ou qui n'en étaient plus.
22:04 Et donc il faut maintenant tenir les promesses.
22:07 Ça a été compliqué, ça n'a pas été fait de manière très convaincante
22:11 sous le mandat de Trump, et toute la question maintenant,
22:14 c'est de bien consolider ces acquis-là en le transformant en politique,
22:20 parce que sinon, Sarah Bamary dit,
22:22 voilà, c'est des électeurs que Trump a récupérés,
22:24 qui ne sortaient plus pour aller voter par le passé,
22:28 et qu'il faut maintenant fidéliser, sans quoi il y aura un vrai…
22:32 ça va se creuser et le Parti républicain
22:34 ne pourra plus du tout compter sur cette perspective-là.
22:37 – Une dernière question à chacun de vous,
22:40 comment la démocratie peut-elle retrouver ses droits
22:43 face à cette tyrannie du privé,
22:47 et à la lumière justement des enseignements de Saurabh Amari ?
22:52 Rémi Carolle peut-être ?
22:53 – Il faut distinguer le contexte, je crois,
22:54 c'est un ouvrage qui est très américain,
22:56 qui est lié à l'état de la vie économique américaine,
22:59 et donc la réponse de Saurabh Amari est très claire,
23:01 c'est que les pouvoirs publics, par le droit, par l'action légale,
23:04 doivent susciter, encourager et permettre l'émergence
23:07 de contre-pouvoirs économiques,
23:08 donc la formation de syndicats, d'associations,
23:12 pour permettre de contrebalancer, de jouer par un jeu de contraintes,
23:14 si vous voulez, à faire un équilibre supérieur,
23:17 qui permette de rétablir une forme d'harmonie,
23:19 et donc de servir le bien commun.
23:21 Aux États-Unis, la question est légale et en même temps éthique,
23:25 puisqu'il faut inviter et susciter chez les citoyens
23:28 l'envie de se regrouper, de former des syndicats,
23:31 et de se défendre, et de ne pas seulement se regarder
23:32 avec son nombril en ne faisant rien.
23:35 Donc ça c'est le cas américain,
23:36 après dans le cas français, on a évidemment une législation sociale
23:38 qui est beaucoup plus protectrice,
23:40 donc je crois que la manière dont ce livre doit être reçu en France,
23:43 c'est une sorte d'alerte,
23:45 une sorte d'alerte à ce qui pourrait nous arriver
23:48 si sur chacune des thématiques économiques
23:51 qui sont sorties dans le débat public,
23:53 on écoute les oiseaux de mauvaise augure libéraux
23:56 qui veulent toujours alléger le code du travail,
24:01 modifier, diminuer les protections des travailleurs,
24:04 et étonnamment, dans leur bouche, c'est toujours unilatéral,
24:07 quand il y a des réglementations à supprimer,
24:08 ça se fait toujours dans ce sens-là,
24:10 et donc à mon avis, ce livre, de ce point de vue-là,
24:12 peut être reçu chez nous comme une alerte sur ces questions,
24:15 et puis aussi sur la question syndicale,
24:17 en France après les syndicats sont un petit peu enquistés,
24:19 il y a énormément de critiques à faire,
24:21 mais ce rabat-marie, par ce livre,
24:22 essaye aussi de réactiver une tradition catholique sociale
24:26 qui a existé chez nous,
24:27 en expliquant qu'il faut jouer le jeu des corps intermédiaires,
24:30 jouer le jeu des associations, que tout ne vient pas de l'État,
24:33 et que donc c'est les individus organisés en communauté
24:38 qui doivent aussi travailler au bien commun.
24:43 – Je modifie un petit peu ma question,
24:45 en Europe, justement, en France,
24:47 ce rabat-marie fait référence à l'encyclique "Re hum novarum"
24:51 du pape Léon XIII,
24:53 est-ce que la doctrine sociale de l'Église, selon vous, Nicolas Vaudet,
24:56 peut servir de modèle à une forme de renouveau
24:59 de l'expression démocratique dans le cadre du marché ?
25:04 – Oui, d'autant plus que la pensée sociale de l'Église catholique
25:10 a déjà servi de modèle,
25:11 puisque c'est notamment sur la base de travaux de penseurs catholiques,
25:18 et même de clercs,
25:19 c'est-à-dire il y avait un prélat qui s'appelait Mgr James Ryan, je crois,
25:22 qui avait été appelé Mgr New Deal aux États-Unis,
25:25 tellement son travail avait servi de base à la réflexion des acteurs
25:30 qui ont mis en place les politiques du New Deal.
25:34 Donc, d'une certaine manière, oui, il y a vraiment une opportunité,
25:41 parce que, comme le dit Sœur Abba Marie,
25:45 la pensée catholique, la doctrine sociale catholique,
25:48 est réaliste au sens où elle ne dit pas, voilà ce qui serait l'idéal,
25:54 par exemple, à Chesterton, à chaque homme,
25:57 trois acres et une vache, ou quelque chose comme ça,
26:00 il dit, enfin, il dit, Léon XIII, dans "Rerum Novarum",
26:05 dit "on a une situation qui est telle, qu'il faut prendre comme elle est,
26:09 et à partir de laquelle il faut construire".
26:11 Donc, avec, dis-moi, il y a une forme de réalisme
26:14 qui permet, en se fondant sur la vie réelle,
26:17 de construire des choses qui sont à la mesure,
26:21 à la portée des sociétés données
26:26 et des individus qui observent les choses.
26:30 Une chose, puisque vous parliez de comment reconstruire
26:33 et comment la démocratie peut-elle permettre de faire,
26:36 comment peut-elle se reconstruire contre ça,
26:38 il faut une presse et il faut que le citoyen soit au courant,
26:44 c'est-à-dire que l'un des avertissements dans le livre,
26:49 c'est comment le néolibéralisme tue la presse,
26:53 en faisant des grands conglomérats qui se vident complètement
26:57 de la réalité, souvent locale, de la vie économique,
27:00 eh bien on affaiblit la conscience qu'ont les gens
27:04 de ce qui se passe chez eux, c'est-à-dire que tout le monde lit
27:07 maintenant la presse nationale, mais la presse locale,
27:10 en tout cas tout le monde lit les informations nationales,
27:12 et les informations sur ce qui se passe au local
27:14 sont complètement perdues.
27:16 C'est notamment un gros, gros enjeu qu'il faut absolument remettre
27:20 sur le devant de la scène, l'information tout simplement.
27:24 Merci Nicolas Vaudet, merci Rémi Carlu.
27:26 Je rappelle le titre de l'ouvrage que vous publiez
27:30 aux éditions Salvatore, "Tyranny and Co",
27:32 dont l'auteur est Saurabh Amhari, un auteur dont on entendra
27:36 assurément beaucoup parler dans les années qui viennent,
27:39 et un ouvrage de très grande qualité,
27:41 disponible sur la boutique TVL.fr.
27:44 Merci de nous avoir suivis, n'hésitez pas à partager,
27:47 à commenter cette vidéo.
27:49 À très bientôt sur TV Liberté.
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