Repentance, commémorite, révisionnisme : comment raconter notre roman national ?

  • il y a 4 mois
Avec Arthur Chevallier, écrivain, auteur "L’histoire à l’épreuve des l’émotions" - Ed . Cerf / Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine, auteur "Le noir et le brun : Une histoire illustrée du fascisme et du nazisme 1919-1946" - Ed. Perrin

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##EN_TOUTE_VERITE-2024-05-12##

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00:00 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
00:05 En toute vérité, chaque dimanche, entre 11h et midi, sur Sud Radio,
00:08 sécurité, économie numérique, immigration, écologie, pendant une heure chaque semaine,
00:12 nous débattons sans tabou des grands enjeux pour la France d'aujourd'hui et de demain.
00:16 Et ce dimanche, nous avons le plaisir de recevoir Jean-Christophe Buisson
00:19 et Arthur Chevalier. Jean-Christophe Buisson est rédacteur en chef adjoint
00:22 du Figaro Magazine, spécialiste d'histoire.
00:25 Il a écrit nombre d'essais historiques et anime l'émission "Historiquement chaud"
00:29 sur la chaîne Histoire. Arthur Chevalier est éditeur et écrivain, spécialiste de Napoléon.
00:34 Il vient de publier aux éditions du CERN un essai intitulé "L'histoire à l'épreuve
00:38 des émotions d'Histoire". Il en sera question tout au long de cette émission.
00:42 Comment raconter l'histoire à l'heure de l'archipel français,
00:45 de la concurrence mémorielle et de la déconstruction woke ?
00:48 La culture de l'effacement va-t-elle priver les nouvelles générations d'histoire et de mémoire ?
00:53 L'histoire est-elle une affaire de raison ou de passion et d'émotion ?
00:56 Faut-il réenchanter l'histoire et réinventer le roman national ?
01:00 Tout de suite les réponses de Jean-Christophe Buisson et Arthur Chevalier en toute vérité.
01:04 Arthur Chevalier, Jean-Christophe Buisson, bonjour.
01:14 Bonjour Alexandre.
01:16 Ravi d'être avec vous ce dimanche pour parler d'histoire.
01:23 Comment la raconter dans notre époque où l'on déboulonne les statuts ?
01:28 Ce sera notre fil rouge dans cette émission.
01:33 Arthur Chevalier, commençons avec vous.
01:38 Vous publiez aux éditions du CR un essai intitulé "L'histoire à l'épreuve des émotions"
01:45 avant de parler de votre livre.
01:48 Mais c'est en lien en fait avec votre livre.
01:50 Peut-être un mot sur l'actualité, notamment sur ce qui se passe à Sciences Po.
01:57 On a des comparaisons entre Gaza et Treblinka, des accusations de génocide,
02:05 des étudiants qui manifestement ne savent pas situer la Palestine sur une carte.
02:12 Alors là c'est plutôt un problème de géographie si vous voulez.
02:16 Mais qu'est-ce que vous pensez de ces analogies historiques ?
02:19 Et dans votre livre, vous inquiétez de la dissolution de la mémoire chez les jeunes générations.
02:27 Est-ce que tout cela en est un exemple ?
02:30 Et un exemple d'autant plus inquiétant que ça se passe dans une école qui est censée fabriquer les élites françaises.
02:36 Alors sur ce qui se passe à Sciences Po et dans certaines universités françaises,
02:40 mais pas que d'ailleurs, puisque c'est un mouvement étudiant qui traverse la planète.
02:43 Bon, cela dit, ces étudiants, des mouvements étudiants, on ne les a pas inventés aujourd'hui.
02:47 Ils ont existé pendant la guerre du Vietnam, il y en a eu beaucoup.
02:50 Si on essaie de comprendre ce qui se passe là relativement au monde dans lequel on vit
02:57 qui serait plutôt émotif que raisonnable ou rationnel, puisque c'est un peu mon idée,
03:02 je dirais que ce qui me frappe c'est dans les prises de parole.
03:06 Je n'essentialise pas tous les étudiants, je parle de ceux qu'on entend et qu'on voit.
03:10 C'est typiquement le raccourcissement du temps, le rétrécissement du temps.
03:14 C'est-à-dire que, par exemple, depuis deux semaines, on entend parler de l'opération de représailles israéliennes à Gaza.
03:19 Je leur laisse le mot de génocide que moi je n'employerai pas, surtout à l'encontre des Juifs.
03:23 Je pense qu'on voit quand même la délicatesse évidente, si ce n'est l'outrance qu'il y a dans l'emploi de ce mot.
03:28 Mais si on part de ce qu'ils racontent, je trouve ça dingue que plus personne ne parle du 7 octobre, par exemple.
03:34 C'est-à-dire qu'on analyse ce qui est en train de se passer relativement à trois semaines d'exercice, entre guillemets.
03:40 Donc là, le 7 octobre n'existe plus. De même, d'ailleurs, que n'existe plus le très long conflit entre les populations israéliennes et palestiniennes,
03:46 qui court depuis la moitié du 19e siècle.
03:48 Ce que je veux dire par là, c'est que, sans même vouloir faire état de ce qui se passe en ce moment,
03:52 c'est une histoire, nous le savons tous, très longue, très complexe, très nuancée.
03:54 Il y a d'ailleurs des historiens très qualifiés sur ce sujet. On en parle beaucoup.
03:58 Depuis le début de l'année, ils défilent sur les plateaux de télévision, dans les studios de radio.
04:02 Donc je veux dire, c'est pas comme si on n'était pas dans le jus en ce moment.
04:04 Eh bien non, là, vous avez des individus, et d'ailleurs, je ne leur prête pas les pires intentions du monde, car je pense qu'ils sont sincères.
04:09 Ce qui ne veut pas dire qu'ils ont raison, mais je pense qu'ils sont sincères.
04:12 C'est-à-dire que se forme une opinion sur quelque chose, à partir d'images très frappantes,
04:17 qui ont l'air d'être sincères, si vous voulez.
04:21 Il y a quelque chose qui se cristallise, mais personne ne prend le temps, entre guillemets,
04:25 de lire cette histoire dans le temps long.
04:29 Et je trouve ça très frappant, quand même, que dans ces prises de parole,
04:32 que nous n'entendions pas de débat.
04:36 À une époque, il y avait une vie étudiante et intellectuelle au sein de ces mouvements,
04:40 qui était quand même plus intense, vous voyez ce que je veux dire ?
04:42 Là, on a juste des insultes à l'endroit d'Israël, voire même des Juifs,
04:46 parce qu'on le sait, il y a des étudiants refusés à l'entrée des facultés,
04:49 puisque c'est aussi un mouvement qui suscite un antisémitisme, c'est réel.
04:52 Des indignations relativement à ce que des individus à Gaza sont en train d'être des victimes,
04:58 ce qu'ils sont objectivement, ce n'est pas la question.
05:00 Mais enfin, on s'arrête là.
05:01 Donc là, vous voyez bien que tout à coup, l'émotion vaut raison,
05:04 et au nom de l'émotion, tout est permis.
05:06 - Jean-Christophe Buisson, Arthur Chevalier, nous disait
05:10 à la fois, il y a quelque chose de nouveau, le côté émotionnel, le manque de structure,
05:17 et en même temps, c'est vrai que ce type de mouvement a toujours existé.
05:21 Vous avez écrit un livre qui s'appelle "Le siècle rouge",
05:25 l'extrême gauche a toujours instrumentalisé l'histoire ?
05:29 - Oui, mais alors, d'abord, ce qu'a dit Arthur est très juste,
05:34 il n'y a plus de débat possible.
05:36 Quand on parle des mouvements d'extrême gauche des années 70, 70,
05:38 c'était autrement plus prégnant dans l'université qu'aujourd'hui.
05:42 On a quand même des toutes petites minorités qui agitent tout ça,
05:46 mais il y a une masse informe qui ne bouge pas, qui ne réagit pas,
05:50 et ces minorités sont fortes de la faiblesse du troupeau.
05:53 Dans les années 70, vous aviez des étudiants, par exemple des étudiants royalistes,
05:57 des étudiants maoïstes, qui avaient fait un débat,
05:59 comme a pu faire Bellamy quand il est allé faire un débat chez Libération,
06:04 qui a donné un livre qui s'appelle "Mao ou Maurras".
06:06 Est-ce que vous imaginez aujourd'hui ce type de débat possible
06:09 et qui donne la publication d'un livre ?
06:11 - On ne pourrait pas mettre "Maurras" dans un titre, vous le disiez facilement,
06:13 même si vous l'avez fait, mais...
06:15 - En tout cas, le débat était insensé, mais ce qui est plus important,
06:18 et ce que dit très bien Arthur Chevalier dans son livre,
06:20 le problème aujourd'hui, c'est l'inculture de ces gens-là.
06:23 Vous l'avez dit, ils ne savent même pas ce qu'est la déclaration Balfour,
06:26 ils ne savent même pas la date de l'indépendance d'Israël,
06:28 ils ne réagissent qu'en fonction d'une inculture.
06:31 Dans les années 70, lorsque vous aviez des débats,
06:33 et ce que vous dites également dans votre livre,
06:36 sur les déconstructeurs, sur Bourdieu,
06:38 quand Bourdieu déconstruit, il ne déconstruit pas gratuitement,
06:41 il déconstruit un système pour en proposer un autre,
06:44 qu'on peut discuter lui-même, qu'on peut déconstruire lui-même.
06:47 Aujourd'hui, ces gens-là ne pensent qu'à détruire une culture
06:50 par leur ignorance, par leur inculture,
06:53 par leur médiocrité historique, sociologique.
06:56 Ils répètent des slogans qu'ils ont vus, entendus à la télévision et à la radio,
06:59 mais ils sont incapables de raisonner, encore moins de débattre.
07:02 C'est ça qui me frappe dans ce mouvement wokeiste,
07:05 auquel on accorde trop d'importance à mon sens,
07:07 parce qu'en grande fois c'est une ultra-minorité,
07:09 et une minorité qui ne discute pas.
07:11 Vous voyez bien, quand on vient les filmer sur les autres campus américains,
07:13 ils disent "non, non, pas vous, pas les médias, on a nos propres médias,
07:16 donc vous adressez à nos médias".
07:18 C'est la communautarisation à un point extrême.
07:21 L'absence de débat et l'absence de culture.
07:24 Voilà pour moi ce qu'est ce mouvement wokeiste à Sciences Po
07:27 et dans les autres universités.
07:28 Mais justement, c'est intéressant, pardon,
07:30 je complète juste ce que disait Jean-Christophe,
07:32 c'est-à-dire qu'effectivement ce qui est très frappant,
07:34 c'est l'absence de récits alternatifs.
07:35 Il y a vraiment des récits qui s'affrontaient.
07:37 Il n'y a rien de très choquant à ce que des gens de sensibilité de droite
07:40 aient une idée de ce qu'est le récit,
07:42 et l'autre une idée de ce qu'est leur récit.
07:44 Ça, c'est pas choquant, c'est normal,
07:46 on est des individus différents, avec des cultures différentes.
07:48 Mais là, effectivement, il n'y a pas de contre-récit,
07:50 il n'y a pas de récit alternatif structuré,
07:52 de sorte d'ailleurs qu'on est assez désarmé face à tout ça,
07:54 parce qu'on ne sait même pas quoi dire.
07:56 Il y a quand même le récit, la légende noire,
07:58 c'est un récit de repentance absolue,
08:01 puisque là, Israël est visé,
08:03 mais c'est très souvent l'Occident.
08:06 Oui, effectivement, on voit bien.
08:08 Ils sont wokeistes, mais ils sont décolonialistes,
08:10 comme il l'explique.
08:11 Oui, mais sur ce sujet-là, ils disent, grosso modo,
08:14 la Palestine de la rivière, la mer,
08:16 c'est un détruison Israël.
08:18 Au moins, les Israéliens, ils proposent,
08:20 certains en tout cas, proposent deux États.
08:22 Mais ils ne proposent même pas deux États.
08:24 Il n'y a plus de Juifs, plus d'Israéliens, plus d'Israël.
08:27 Donc, pour le coup, on est dans l'absence totale
08:30 de récit alternatif.
08:32 Dans une forme de néant que dénonce très bien
08:34 Arthur Chevalier dans son livre,
08:36 est-ce que ce néant, malgré tout,
08:38 il ne vient pas de loin ?
08:40 Est-ce qu'il y a un problème d'éducation,
08:43 d'enseignement de l'histoire à l'école ?
08:45 Parce qu'on parle quand même d'individus
08:47 qui sont à Sciences Po.
08:49 Comment ont-ils pu arriver à Sciences Po
08:52 sans avoir un minimum de notions historiques ?
08:55 Par ailleurs, ça vient après des décennies
08:58 où on a des décennies de concurrence mémorielle
09:03 d'antiracisme victimaire.
09:05 Est-ce que ce n'est pas l'aboutissement,
09:07 finalement, de ce processus-là ?
09:09 Je ne sais pas, Jean-Christophe Busson ?
09:11 - Moi, je suis entièrement d'accord avec cette idée-là.
09:13 Pendant des siècles et des siècles,
09:16 y compris au XIXe siècle,
09:18 dans l'enseignement républicain,
09:20 du récit national républicain,
09:22 on a mis en avant des héros.
09:24 Les héros, ça date de l'Antiquité,
09:26 même si le terme "héros" vient du XIVe siècle.
09:28 Dans la langue française, ça arrive seulement en 1370,
09:30 mais avant, vous avez les héros grecs,
09:32 qui sont des demi-dieux,
09:33 vous avez les chevaliers,
09:34 les héros laïcs,
09:35 qui sont les pro-chevaliers,
09:37 et les saints, qui sont des héros religieux.
09:40 À partir du XVIIe siècle,
09:42 vous avez un héroïsme militaire, aristocratique,
09:47 qui commence à converger avec un héroïsme culturel.
09:52 C'est l'héroïsme culturel,
09:54 c'est le Cid, c'est des figures comme ça,
09:56 et en face, vous avez des héros d'opéra,
09:58 des héros de théâtre, des héros de littérature.
10:00 Et ça se croise,
10:01 et on commence à dire que le vrai héros,
10:03 c'est celui, c'est pas celui qui va faire la bataille,
10:05 c'est celui qui a un grand cœur,
10:06 qui est humaniste, qui est généreux.
10:08 Tout ça arrive à son apogée, à la Révolution,
10:10 où on considère que le héros n'est,
10:13 il y a une présentation non plus essentialiste,
10:17 c'est-à-dire on est héros parce qu'on est un seigneur,
10:19 un grand, un aristocrate,
10:20 mais existentialiste, c'est le petit Joseph Barra,
10:23 qui combat les armées royales,
10:25 et qui meurt sous le feu en criant "Vive la République",
10:27 alors qu'on lui fait crier "Vive le Roi".
10:29 Et au XIXe siècle, l'enseignement républicain
10:32 reprend cette idée de héros,
10:34 avec Jeanne d'Arc qui est d'ailleurs laïcisé,
10:36 on dit "Attendez, Jeanne d'Arc, le roi de France l'a abandonné,
10:38 l'Église l'a martyrisée,
10:40 donc c'est presque une héroïne républicaine,
10:42 c'est de là que date le culte de Jeanne d'Arc,
10:44 qui n'est pas un culte d'extrême droite à l'origine,
10:46 et puis on met en avant, on rassemble tout le monde,
10:48 Vercingétorix, Charlemagne, etc.
10:50 Et à partir de 1418,
10:53 on commence à désindividualiser les héros,
10:55 on dit "les poilus",
10:58 citez-moi un héros de 1418, là, tout de suite,
11:00 vous n'avez pas de nom qui vient...
11:02 - Le soldat inconnu.
11:03 - Exactement, le soldat inconnu.
11:05 Mouvement qui s'amplifie avec 39-45,
11:07 qui est très irrésistant.
11:09 Bon, alors, de temps en temps, vous avez un Brosselet
11:11 ou un Jean Moulin qui apparaît.
11:13 Le Parti communiste essaye de construire ces héros
11:15 comme un Manouchian, qui, à mon sens,
11:17 était beaucoup moins héroïque, on a pu le dire,
11:19 mais on est dans la collectivité.
11:21 Et dans cette collectivité, aujourd'hui,
11:23 n'émerge même plus de héros,
11:25 émerge la notion de victime.
11:27 Aujourd'hui, le héros, c'est un homme ou une femme
11:29 qui a été victime.
11:31 Victime d'un génocide, victime d'un massacre,
11:33 victime d'un accident, victime de la fatalité,
11:35 on n'est pas dans l'héroïsation,
11:37 ni individuelle, comme pendant longtemps,
11:39 ni collective, on est dans le culte
11:41 de la victime qui a remplacé
11:43 le culte du héros,
11:45 avec quelques exceptions,
11:47 comme Arnaud Beltrame, qui d'ailleurs
11:49 est honoré par le président de la République,
11:51 comme s'il sentait qu'il fallait
11:53 des héros qui incarnent
11:55 ce qu'est...
11:57 - La nation !
11:59 - Ce qu'est la France aussi, ce panache, ce courage
12:01 qui peut émerger de temps en temps.
12:03 Et c'est pourquoi on a besoin pour écrire le roman national,
12:05 ou le récit national, aujourd'hui,
12:07 parce que, comme l'écrit très bien Arthur Chevalier,
12:09 on a besoin de réconcilier
12:11 toutes ces communautés
12:13 dont vous parliez tout à l'heure, de l'archipel français.
12:15 Et c'est vrai que sortir un héros
12:17 est quand même plus pratique que dire
12:19 "nous sommes formidables, nous autres Français".
12:21 - Arthur Chevalier, c'est intéressant,
12:23 parce que justement, vous vous défendez
12:25 plutôt l'émotion dans l'histoire.
12:27 Vous nous avez dit tout à l'heure
12:29 qu'on cédait au tout émotionnel,
12:31 mais que l'émotion a toujours fait partie de l'histoire.
12:33 D'ailleurs, vous parlez de la 3ème République,
12:35 comment elle s'est servie aussi des émotions,
12:37 comme la monarchie,
12:39 ça a été dit par Jean-Christophe Buisson,
12:41 pour construire un récit national.
12:43 Est-ce qu'on n'est pas passé, justement,
12:45 de l'émotion aux victimaires ?
12:47 C'est ça, la question.
12:49 - En fait, disons que je pense que c'est une idée européenne
12:51 enfin, comment dirais-je,
12:53 c'est une idée européenne qui a dégénéré, tout ça.
12:55 C'est-à-dire qu'en fait, vraiment.
12:57 D'ailleurs, quand je parle de...
12:59 quand je remarque que l'émotion a une importance
13:01 dans l'écriture de l'histoire
13:03 et dans la façon dont nous ressentons l'histoire,
13:05 c'est un fait.
13:07 C'est pas forcément mon idée, c'est comme ça.
13:09 C'est réel. C'est-à-dire que l'Europe a inventé,
13:11 si vous voulez, l'intelligence de la vulnérabilité.
13:13 Parce que quand elle a connu
13:15 l'effondrement de l'Ancien Régime à la fin du XVIIIe siècle,
13:17 il y a eu la Révolution française,
13:19 mais il n'y a pas eu que la Révolution française.
13:21 C'est un système de classe qui s'est effondré
13:23 sur une période de 40 à 50 ans.
13:25 Il y a d'ailleurs des livres très célèbres
13:27 qui sont très trépidudes. Je parle beaucoup dans ce livre
13:29 des "Mémoires du Prince de Ligne"
13:31 parce qu'ils sont, de mon point de vue, très frappants.
13:33 Mais en fait, avec l'effondrement
13:35 de son système de classe, l'Europe qui dominait
13:37 le monde, évidemment, a vécu du coup
13:39 le sentiment de l'effondrement.
13:41 Et c'est dit, en fait, l'idée qu'on avait
13:43 de la puissance et de la raison pour laquelle
13:45 on dominait, en fait, tout ça n'a pas existé.
13:47 Tout ça n'existait pas. Tout ça n'avait pas de raison d'être
13:49 puisque ça s'effondre en 10 ans, si vous voulez.
13:51 Donc, la littérature l'avait pressenti.
13:53 Le "Don Quixote" de Cervantes,
13:55 le "Sissimplicimus" de von Kriegelfausen,
13:57 le "Tristram Shandy"
13:59 de Laurence Ternes, en France,
14:01 "Jacques le fataliste" de Diderot,
14:03 c'est-à-dire l'individu ridicule parce qu'il a
14:05 trop cru en sa puissance et qu'il finalement
14:07 s'effondre, finalement, il n'existe.
14:09 Tout ça a été poétique. Puisque l'Europe
14:11 a dominé, et la dernière civilisation
14:13 a avoir dominé très fortement,
14:15 il y en a eu d'autres avant, et là, ce n'est pas du tout un cas d'exception,
14:17 du coup, forcément, aujourd'hui,
14:19 on s'en prend à elle, si vous voulez,
14:21 et on se rêve,
14:23 en tirant, depuis
14:25 trois ou quatre siècles, comme si on avait été particulièrement
14:27 tyrannique par rapport à d'autres civilisations,
14:29 qui, quand elles ont été en situation de domination,
14:31 ont fait exactement la même chose, c'est inévitable,
14:33 mais ce qu'on oublie de dire, dans cette histoire,
14:35 c'est que si
14:37 l'Europe a inventé l'intelligence de la vulnérabilité,
14:39 comme je viens de le dire,
14:41 ce que ça permet
14:43 aujourd'hui, c'est justement,
14:45 c'est elle qui a créé les voies de recours
14:47 pour les personnes qui ont souffert.
14:49 C'est elle qui a créé le fait que
14:51 on pouvait demander "réparation"
14:53 quand on avait subi une domination injuste
14:55 ou inhumaine.
14:57 Elle n'invente pas l'esclavage, elle l'aboli, d'ailleurs.
14:59 Elle a fait le pire, mais en attendant,
15:01 elle a aussi créé tous les outils
15:03 pour, non pas présenter ses excuses,
15:05 mais pour qu'il y ait des réparations
15:07 et pour donner des droits aux gens qui sont objectivement
15:09 des victimes. Toutes ces personnes qui insultent
15:11 aujourd'hui l'Europe et qui ont des voies de recours,
15:13 qui sont entendues dans la presse, qui ont une société qui est prête
15:15 à accueillir leurs demandes, tout ça
15:17 ne serait pas possible si l'Europe n'avait pas existé,
15:19 car ça, pour le coup, il n'y a pas une autre
15:21 civilisation qui a dominé, qui a inventé une chose pareille.
15:23 Donc, c'est pour ça que je dis que c'est une idée européenne
15:25 qui a dégénéré. C'est-à-dire que
15:27 ce que vous appelez "victime", en fait,
15:29 c'est une idée
15:31 qui est, pour le dire très simplement,
15:33 on pense que l'Europe est la seule civilisation
15:35 à avoir dominé et commis des choses horribles.
15:37 Merci Arthur Chevalier, merci Jean-Christophe Buisson.
15:39 On se retrouve toujours sur Sud Radio
15:41 en toute vérité, après une courte pause.
15:43 On continue à parler
15:45 d'histoire, l'histoire qui passionne les Français.
15:47 A tout de suite sur Sud Radio.
15:49 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio.
15:51 Alexandre Desvecquiaux.
15:53 Nous sommes de retour sur Sud Radio.
15:55 En toute vérité, avec Arthur Chevalier,
15:57 éditeur, écrivain,
15:59 spécialiste de Napoléon. Il vient de publier
16:01 aux éditions du CERN un essai intitulé
16:03 "L'histoire, les preuves des émotions".
16:05 Et nous sommes également avec
16:07 Jean-Christophe Buisson,
16:09 rédacteur en chef adjoint du
16:11 Figaro... directeur adjoint,
16:13 pardon, du Figaro Magazine.
16:15 Il anime l'émission
16:17 historiquement chaud.
16:19 Vous avez écrit beaucoup d'essais
16:21 historiques, notamment
16:23 l'un de vos derniers livres
16:25 est un livre sur le fascisme,
16:27 le noir
16:29 et le bras. Et c'est intéressant
16:31 puisque Arthur Chevalier
16:33 fait plutôt dans son livre l'éloge
16:35 si ce n'est du roman national, du récit
16:37 national, nous explique que l'histoire est
16:39 une construction. Donc il faut
16:41 arrêter de tout déconstruire
16:43 et peut-être continuer justement
16:45 à créer, à réenchanter
16:47 l'histoire. Mais quelle est
16:49 la limite si vous voulez, c'est pour ça que
16:51 je vous parlais de vos livres sur le fascisme,
16:53 vous en avez écrit également sur le communisme,
16:55 on le rappelle, le siècle rouge, entre
16:57 la propagande justement et la construction
16:59 d'un récit historique.
17:01 - Ah ah !
17:03 Très subtile question,
17:05 parce que
17:07 construire un
17:09 récit historique sur le moment
17:11 est à mon avis de la propagande.
17:13 En revanche, raconter
17:15 l'histoire d'une nation, d'un pays
17:17 en laissant le temps nécessaire
17:19 à l'étude approfondie
17:21 des tenants et des aboutissants
17:23 relève de l'enseignement
17:25 tout à fait légitime.
17:27 Donc on peut toujours
17:29 effectivement parler d'instrumentalisation
17:31 non de propagande lorsque
17:33 Emmanuel Macron décide de commémorer
17:35 à son avantage
17:37 politique des
17:39 personnalités ou des événements
17:41 comme le débarquement ou la
17:43 libération de Paris. Mais là, il ne fait
17:45 que rebondir sur des faits historiques
17:47 qui sont avérés.
17:49 Donc c'est un geste de toute façon politique.
17:51 Moi, je ne considère pas ça
17:53 comme de la propagande, parce que je considère effectivement
17:55 comme Arthur Chevalier qu'on a besoin
17:57 de se rappeler des moments communs,
17:59 des moments de joie, des moments
18:01 de partage collectif,
18:03 historique,
18:05 pour refaire...
18:07 Je déteste cette expression,
18:09 je vais l'employer pour refaire nation.
18:11 Parce que, pardon,
18:13 Arthur Chevalier mentionne
18:15 un auteur, un immense auteur
18:17 que j'adore aussi, qui s'appelle Claudio Magris,
18:19 et qui fait une distinction
18:21 parfaite entre
18:23 la notion d'identité et d'identitarisme.
18:25 L'identité, c'est très bien.
18:27 C'est l'identitarisme qui relève de l'idéologie
18:29 qui peut être effectivement, qui est un dévoiement
18:31 de l'identité, du respect,
18:33 du culte de l'identité.
18:35 Et l'identité, ce n'est pas forcément l'identité nationale.
18:37 C'est aussi l'identité locale, c'est aussi l'identité régionale.
18:39 Et Magris, qui est un grand
18:41 européen, qui renvoie d'ailleurs
18:43 dos à dos aussi bien les
18:45 nationalistes purs et durs que les européistes
18:47 BA, et qui raconte dans ce
18:49 livre merveilleux d'Anub, publié
18:51 juste avant la chute du mur,
18:53 une histoire, une géographie de l'Europe
18:55 racontée de façon admirable,
18:57 eh bien que oui,
18:59 on doit cultiver notre identité, on doit être fiers
19:01 de notre identité, parce que c'est ça qui nous a construits.
19:03 En revanche, si cette identité
19:05 devient un absolu et une fait en soi,
19:07 là, on se prépare à des
19:09 mauvais sentiments
19:11 et à un avenir
19:13 sombre. Donc la propagande,
19:15 c'est justement ce qui relève de l'identitarisme,
19:17 à mon avis. En revanche,
19:19 le respect et le culte de
19:21 l'identité à travers des événements et des figures
19:23 majeures de notre identité, ça, je trouve ça
19:25 très sain. Après, on peut parler de récupération
19:27 politique, mais je crois que c'est nécessaire
19:29 aujourd'hui. - Justement, vous parliez de...
19:31 Je vous donne la parole, bien sûr,
19:33 tout de suite, Arthur, mais vous parliez
19:35 de récupération politique
19:37 et de commémoration.
19:39 La commémoration
19:41 fait partie de la politique,
19:43 mais c'est vrai qu'on n'a peut-être
19:45 jamais autant commémoré
19:47 qu'aujourd'hui, jamais autant
19:49 panthéonisé, vous évoquiez
19:51 le cas Manouchion
19:53 tout à l'heure.
19:55 Est-ce que, paradoxalement, le fait de
19:57 commémorer
19:59 n'est-ce pas révélateur,
20:01 peut-être du fait qu'on fait de moins en moins
20:03 d'histoires, et si on met en parallèle
20:05 l'ignorance des étudiants de Sciences Po
20:07 ou la malhonnêteté, je sais pas,
20:09 mais il y a quand même une part d'ignorance là-dedans,
20:11 et le fait qu'on commémore
20:13 de plus en plus, est-ce que la commémoration
20:15 vient finalement pallier un manque d'histoire ?
20:17 - Disons, est-ce que ce rituel
20:19 remplace l'absence de rituel
20:21 aujourd'hui ?
20:23 Pas tant que ça, parce que, d'ailleurs,
20:25 quand on fait le procès de Macron en disant
20:27 "il a plus commémoré que tous les autres",
20:29 que Sarkozy,
20:31 que Chirac, etc.,
20:33 en fait, on mélange, dans ces commémorations,
20:35 les commémorations et les hommages.
20:37 Et les commémorations,
20:39 c'est de l'histoire, très bien,
20:41 encore une fois, c'est manouchéant
20:43 ou c'est des grandes figures
20:45 de l'histoire. Mais il a fait
20:47 des hommages à qui ? À Gisèle Halimi,
20:49 à, je crois, Robert Bannater, si je ne m'abuse,
20:51 aux victimes du 7 octobre.
20:53 Ça, c'est de l'histoire au présent.
20:55 Ça, c'est envoyer des signaux pour dire
20:57 "nous sommes avec les victimes
20:59 du 7 octobre, nous sommes
21:01 fiers de ce qu'a fait Gisèle Halimi".
21:03 Là, ils disent "l'histoire présente".
21:05 Arnaud Beltrame,
21:07 François Zradewski, vous savez,
21:09 le SOS attentat, les victimes d'attentat.
21:11 Donc là, il est quand même dans une construction
21:13 politique
21:15 en disant "ben voilà, ces figures-là
21:17 sont révélatrices de ce que doit être
21:19 l'identité française". Donc, il fait vraiment
21:21 je pense les deux, et il ne fait pas que de la
21:23 commémoration passéiste,
21:25 si je puis dire, mais il fait aussi de
21:27 l'hommage du temps présent pour dire "voilà
21:29 quels sont mes repères
21:31 aujourd'hui". Et, objectivement,
21:33 ces repères, après, on peut en discuter
21:35 politiquement, mais au moins, il donne les marqueurs
21:37 de ce qu'est son action et sa pensée
21:39 de ce que doit être la France.
21:41 Arthur Chevalier, justement, sur ces deux questions,
21:43 est-ce qu'Emmanuel Macron
21:45 commémore trop, est-ce que ça révèle
21:47 finalement un manque d'histoire ? Et
21:49 vous qui défendez le récit
21:51 national, où est-ce que vous placez le curseur entre
21:53 propagande et récit national ?
21:55 Je suis d'accord avec Jean-Costas, c'est-à-dire que
21:57 la mémoire, d'accord, Emmanuel Macron, il n'agit
21:59 pas sur l'histoire, il agit sur la mémoire.
22:01 La mémoire, elle ne peut pas être autre chose
22:03 qu'un outil politique, elle l'est par définition. Dans
22:05 le cadre républicain, c'est très vertueux.
22:07 Par exemple, on va assister aux commémorations
22:09 du 6 juin, débarquer en 6 juin,
22:11 bon, fort heureusement, Emmanuel Macron ne va pas
22:13 avoir un mot pour les soldats de la Wehrmacht
22:15 qui ont souffert le jour du 6 juin, vous voyez ce que je veux dire ?
22:17 C'est normal qu'il y ait un cadre. On sert un pays,
22:19 on sert un régime, et notre mémoire à nous
22:21 avec ses souffrances et ses triomphes. Jusqu'ici,
22:23 je ne crois pas que le récit national,
22:25 qui est en fin de compte une suite
22:27 d'actualisation de la définition de la France,
22:29 si on veut le dire différemment, je ne crois pas que ce soit
22:31 un sujet qui intellectuellement soit si intéressant
22:33 que ça, politiquement c'est essentiel, parce que s'il
22:35 s'effondre, il n'y a plus de société, et ça c'est pas possible,
22:37 mais intellectuellement, c'est pas...
22:39 On passe beaucoup de temps là-dessus,
22:41 mais c'est pas si intéressant parce que
22:43 rien de nouveau sous le soleil, j'ai envie de vous dire.
22:45 Un récit national, depuis tout temps, même
22:47 sous les rois de France, il y avait un récit national.
22:49 Ce qui est beaucoup plus inquiétant, et ça
22:51 concerne aussi l'histoire, c'est effectivement,
22:53 on en parlait au début, mais vous voyez,
22:55 tout est dans le tout, si je puis dire,
22:57 c'est l'effondrement complet
22:59 de l'état de la connaissance
23:01 relativement à notre propre histoire.
23:03 Le récit national, c'est l'histoire qu'on enseigne aux enfants,
23:05 c'est l'histoire qu'on enseigne à la société, c'est pas très intéressant.
23:07 En revanche, l'histoire telle qu'on la parle,
23:09 comme un sujet de discussion,
23:11 si je puis dire, ce qui est inquiétant,
23:13 c'est qu'il n'y a plus de connaissance des choses.
23:15 C'est-à-dire qu'on ne peut plus avoir de débats
23:17 nuancés, complexes et un peu
23:19 sophistiqués sur les choses, parce que
23:21 on vit dans l'ignorance, et précisément, on vit dans l'ignorance
23:23 parce qu'on préfère à ça l'émotion
23:25 qui permet d'être beaucoup plus brève
23:27 et de tout résumer à des moments
23:29 très précis qui nous ont touchés particulièrement
23:31 au nom, justement, de notre identité.
23:33 Et du coup, forcément, quand vous faites ça,
23:35 vous détruisez toute forme de discours, et donc vous détruisez
23:37 l'effort qu'il faut faire pour se tourner
23:39 vers la connaissance. C'est-à-dire que ça nécessite
23:41 aussi un effort, ça nécessite aussi
23:43 un temps mental disponible, et ça nécessite
23:45 aussi une organisation de la société.
23:47 Donc je pense que Macron, il démultiplie
23:49 les commémorations, parce qu'il vit dans un pays qui est politiquement
23:51 fragmenté, et donc du coup, il veut le rassembler par l'histoire.
23:53 Il se dit que c'est un outil qui peut être
23:55 un peu plus rassembleur que la politique.
23:57 Au moyen de l'encroise, j'ai tendance à penser qu'en fait
23:59 on pense qu'on peut faire faire beaucoup de choses à une société,
24:01 quand en réalité, elle est beaucoup plus autonome que ce qu'on pense.
24:03 Et elle a finalement assez peu de...
24:05 Elle réagit finalement assez peu à ce qui se passe en haut.
24:07 Une statistique assez intéressante qui est sortie
24:09 en début d'année, d'après un laboratoire
24:11 de Yale, si je ne m'abuse en tout cas, une grande université
24:13 de la heavy league, qui démontrait que
24:15 la mobilité sociale de la Révolution française
24:17 était quasiment nulle. Je le dis différemment,
24:19 en gros, la Révolution française n'a enrichi
24:21 personne. Donc en fait, ça a été un grand
24:23 moment politique, ça ne veut pas dire que c'était mal, ni rien,
24:25 mais en termes de promotion sociale, ça n'a pas eu
24:27 un effet considérable du tout. Vous voyez, pourtant,
24:29 vous voyez typiquement, un moment
24:31 qui reste dans l'histoire et qui a eu assez peu d'effet.
24:33 Donc c'est pour ça que, à mon avis, ce qu'on a encore...
24:35 - À court terme, en tout cas. - Non, non, mais ça a
24:37 changé une structure d'une société, mais je veux dire,
24:39 économiquement parlant, les gens qui se sont
24:41 enrichis grâce à ça, si on
24:43 étudie la Révolution de 1789,
24:45 l'étude remonte jusqu'aux années 2010, je crois,
24:47 donc c'est très long. En fait, c'est très peu de personnes
24:49 qui, en état d'indigence totale
24:51 sous la Révolution, sont devenues riches
24:53 ou ont créé des grandes dynasties, si vous voulez. En fin de compte,
24:55 les gens qui ont acheté les biens nationaux étaient déjà des gens qui avaient
24:57 de l'argent, c'était des propriétaires terriens, ça a permis de se
24:59 débarrasser de l'aristocratie, entre guillemets, si vous voulez,
25:01 et de donner à la bourgeoisie plus de pouvoir,
25:03 enfin, en réalité, elles étaient déjà en situation de domination. Passons là-dessus.
25:05 Juste pour dire que
25:07 l'émotion, ça renvoie, entre guillemets,
25:09 aujourd'hui, et Emmanuel Macron
25:11 essaye d'insister là-dessus, ça renvoie
25:13 à un moment d'une société qui ne
25:15 réagit plus qu'à ça, et qui, en fait,
25:17 ne veut plus prendre le temps du discours,
25:19 n'a plus le temps pour les arguments, et
25:21 effectivement, une commémoration, l'avantage d'une commémoration
25:23 sur un livre, c'est que c'est une heure,
25:25 ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas, je veux dire,
25:27 ça touche les gens ou ça ne les touche pas,
25:29 et c'est pour ça qu'Emmanuel Macron les démultiplie aussi,
25:31 c'est parce qu'il sait, là-dessus, il n'est quand même pas mauvais,
25:33 il sait très bien que le monde dans lequel on vit,
25:35 c'est celui-ci, lui-même d'ailleurs, est un homme
25:37 qui fait le premier président de la République à se mettre en scène
25:39 sur les réseaux sociaux, enfin, vous voyez bien que c'est quelque chose
25:41 qu'il a totalement intégré dans sa façon de faire de la
25:43 communication politique, et donc, naturellement,
25:45 il le décline à l'histoire. Ça peut être une solution,
25:47 peut-être que ça peut ramener des gens vers la nation française,
25:49 pourquoi pas, mais d'un autre côté,
25:51 il y a des destructions là-dedans,
25:53 c'est qu'on abandonne complètement la nuance, la complexité
25:55 et la connaissance, et surtout, l'effort
25:57 qui est requis pour aller vers l'histoire.
25:59 – Merci Arthur Chevalier, merci Jean-Christophe Buisson,
26:02 on se retrouve sur Sud Radio, en toute vérité,
26:04 après une courte pause, on continue
26:06 à parler de l'histoire,
26:09 histoire, sujet constant de polémiques
26:11 dans la société française, à tout de suite sur Sud Radio.
26:13 [Générique]
26:18 – Nous sommes de retour en toute vérité sur Sud Radio,
26:20 avec Arthur Chevalier, éditeur, spécialiste de Napoléon,
26:26 il vient de publier aux éditions du CR un essai intitulé
26:29 "L'histoire a les preuves des émotions",
26:31 et avec Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro magazine,
26:36 auteur de nombreux essais historiques,
26:38 il anime également l'émission "Historiquement chaud"
26:41 sur la chaîne Histoire.
26:43 Et Jean-Christophe Buisson, vous vouliez réagir
26:46 aux propos d'Arthur Chevalier avant la pause,
26:51 sur cette dictature de l'émotion,
26:54 sur le fait qu'il n'était plus dans une société
26:57 qui ne voulait plus faire d'efforts, je crois aussi.
26:59 – Oui, surtout l'absence de culture plus la dictature de l'émotion,
27:03 et l'émotion, égale, quand j'ai sorti mon livre "Le noir et le brun"
27:06 sur l'histoire des fascismes au XXème siècle,
27:09 Giorgia Melloni venait d'accéder à la présidence du conseil italien.
27:12 Toutes les questions auxquelles j'avais droit, c'était
27:14 "En quoi est-elle fasciste, post-fasciste, etc. ?"
27:17 et toutes mes réponses consistaient à dire
27:19 "Elle n'est pas post-fasciste,
27:21 elle ne va pas faire un régime totalitaire mussolinien
27:25 une fois qu'elle sera au pouvoir."
27:27 Et vous voyez le résultat un an et demi après,
27:29 on peut tout à fait contester certaines de ses décisions politiquement,
27:32 mais elle a continué à laisser venir les migrants,
27:35 elle est anti-russe, enfin, contre le gouvernement de Poutine,
27:38 elle est totalement intégrée à l'Union Européenne,
27:40 elle n'a pas fait une politique économique de guerre
27:45 comme pouvaient le faire les régimes fascistes,
27:48 les libertés publiques n'ont pas été écrasées.
27:51 Et c'est frappant parce qu'il fallait absolument à l'époque
27:54 que l'émotion unitalienne, qui est classée à droite,
27:58 donc elle est forcément fasciste,
28:00 l'absence de culture qui fait qu'on ne sait même pas définir le fascisme
28:03 parce que tout est devenu fasciste
28:05 à partir du moment où tout anticommuniste est un chien,
28:08 tout anticommuniste est un fasciste.
28:10 On reste sur cette idée-là de Sartre il y a 50 ans.
28:13 Donc elle est italienne, elle est droite,
28:15 donc elle est fasciste, donc on va avoir droit au fascisme.
28:17 Et ça c'est l'émotion plus l'absence de culture
28:19 parce que si on a un tout petit peu de culture,
28:21 on voit très bien son programme avant qu'elle ait accès au pouvoir,
28:24 ce n'est pas un programme fasciste.
28:25 On peut le considérer comme populiste,
28:27 vous connaissez bien le sujet Alexandre,
28:29 mais ni comme fasciste ni comme post-fasciste.
28:32 Et ça c'est un des désastres je trouve
28:35 de cette absence de culture historique de base,
28:39 des fondamentaux, plus l'émotion qui fait qu'on a peur,
28:43 peut-être légitimement, que la droite arrive au pouvoir, très bien,
28:46 mais droite n'égale pas fascisme.
28:48 La preuve c'est que le fascisme est né à gauche.
28:50 - Oui, c'est bien de...
28:52 - Mais parfois il est mort aussi de ce côté-là.
28:55 - C'est bien de le rappeler.
28:57 Arthur Chevalier, oui, je vous ai posé la question tout à l'heure
29:01 sur la différence entre propagande, récit historique.
29:04 Jean-Christophe Buisson a parlé de Georgia Meloni,
29:07 ce qui me permet de rebondir sur Vladimir Poutine
29:10 qui pour le coup fait des discours où il...
29:14 historique, où il se sert beaucoup de l'histoire
29:18 justement pour légitimer la guerre actuelle
29:23 qu'il mène à l'Ukraine.
29:26 Comment faire pour le coup ?
29:29 Est-ce qu'il faudrait déconstruire intelligemment
29:32 les discours de Vladimir Poutine
29:34 et pourquoi ça fonctionne aussi bien ?
29:37 - Oui, c'est-à-dire que...
29:39 Moi Vladimir Poutine, même dans sa version light,
29:41 c'est-à-dire avant qu'il fasse la guerre,
29:42 j'ai jamais été fan précisément parce que je fais pas confiance.
29:45 Parce que je... historiquement...
29:47 Je suis d'accord avec Jean-Christophe,
29:48 l'histoire ne se répète jamais.
29:49 Donc ça, c'est une erreur qu'on commet au quotidien,
29:51 y compris nous-mêmes d'ailleurs.
29:52 - C'est vrai que beaucoup, moi y compris,
29:54 j'avais un peu du mal avec la critique de Vladimir Poutine
29:57 parce qu'on est tellement biberonné à l'antifasciste
29:59 que parfois on a des vrais fascistes qu'on ne voit plus.
30:02 C'est aussi le danger.
30:04 - C'est-à-dire que bon, moi un régime qui...
30:07 qui érige l'absence de tolérance,
30:09 qui nie l'altérité au sens large du terme,
30:12 je pense que ça finit toujours par dégénérer.
30:14 C'est pourquoi j'ai jamais été fan de ça,
30:15 de même que j'ai un peu de mal à relativiser
30:17 le régime politique chinois.
30:19 En fait, je pense que oui, la démocratie libérale,
30:21 c'est mieux que ces régimes autoritaires,
30:23 je le pense fondamentalement,
30:24 pour quelque chose qui moi m'intéresse
30:25 qui est la vie intellectuelle d'un pays.
30:26 Vous voyez ce que je veux dire ?
30:27 Parce qu'on peut survivre socialement dans une dictature,
30:29 mais intellectuellement, il est assez rare
30:31 qu'on puisse survivre, ça c'est clair.
30:33 C'est le seul point commun de tous ces régimes autoritaires,
30:35 même de ces nouveaux régimes en fait,
30:36 c'est que la liberté intellectuelle en général,
30:38 elle y passe pour le coup.
30:39 Bon, passons là-dessus.
30:41 L'histoire ne se répète pas.
30:43 Relativement à Vladimir Poutine,
30:45 c'est intéressant, c'est que ce n'est pas tant
30:46 la guerre en Ukraine qu'il essaie de légitimer,
30:48 que lui-même.
30:49 C'est-à-dire que l'histoire est souvent employée
30:51 pour être détournée,
30:52 parce qu'elle permet de créer une légitimité.
30:55 Vous savez, un pouvoir, son premier objectif,
30:57 c'est de se maintenir,
30:58 quel qu'il soit, quel que soit le régime politique.
31:00 Et en la matière, les moyens sont plutôt secondaires.
31:02 Et il est assez rare que les gens aiment les usurpatrices,
31:05 que les gens aiment les usurpateurs,
31:07 et encore moins ceux qui ont l'air de l'être, si vous voulez.
31:09 Donc l'histoire permet de créer du lien,
31:12 de créer de la continuité, même de façon artificielle.
31:15 Vous savez, la France, sous l'Ancien Régime,
31:17 elle a connu des transitions de dynasties.
31:19 Par exemple, quand les Valois sont arrivés,
31:21 qui étaient une branche des Capétiens, si vous voulez,
31:23 quand les Valois sont arrivés,
31:24 ils se sont empressés de construire un récit historique
31:26 pour essayer de montrer
31:27 qu'ils étaient bien la continuité de la chose.
31:29 Il est très rare qu'un régime politique
31:31 qui arrive par la voie des urnes,
31:32 ou par la voie révolutionnaire,
31:34 s'affiche comme une véritable rupture.
31:36 Par exemple, même la Révolution Française
31:38 avait créé un passé idéalisé.
31:39 Il y a toujours dans l'idée de révolution
31:41 l'idée d'un retour à un âge d'or.
31:43 La Révolution Française elle-même parlait beaucoup d'histoire.
31:45 Un passé d'un passé ?
31:46 Oui, bien sûr que oui.
31:47 Le passé du passé, c'est à l'antiquité, c'est formidable,
31:48 parce que c'était avant la monarchie française.
31:50 Ce que je veux dire, c'est que la modernité totale
31:53 et la projection totale vers le futur,
31:55 c'est jamais un argument politique suffisant
31:57 pour aucun nouveau régime qui apparaît.
31:59 C'est pas vrai.
32:00 C'est la vision de l'avenir, ça va aller mieux.
32:01 Sauf le bolchevisme.
32:02 Sauf le bolchevisme, absolument.
32:04 D'ailleurs, il y a la version dégénérée
32:05 de la Révolution Française entre guillemets.
32:07 Encore une bonne idée qui a dégénéré.
32:09 Ce que je veux dire par là,
32:11 c'est que dans le cas de Vladimir Poutine,
32:13 évidemment comme c'est une dictature,
32:15 c'est un régime autoritaire,
32:17 évidemment il raconte positivement n'importe quoi.
32:20 On sait très bien comment il a détruit
32:22 tous les lieux de mémoire des atrocités bolcheviques.
32:25 Et comment il veut renouer avec un impérialisme
32:27 très rudimentaire.
32:28 Et rien de plus simple pour nouer
32:30 qu'un impérialisme rudimentaire
32:31 que de ramener un peuple
32:33 à des idées idiotes et simplistes
32:35 comme c'était la Russie d'Étzart,
32:37 c'était la Russie communiste.
32:39 En gros, on était puissant, globalement.
32:41 Donc de ce point de vue,
32:43 c'est aussi ça le problème des sociétés autoritaires
32:47 où il y a un contrôle sur la liberté d'expression.
32:49 C'est qu'en fait, au bout d'un moment,
32:51 les idées passent plus.
32:52 Les idées ne s'expriment plus.
32:53 Les gens ne lisent plus de livres.
32:54 Pas parce qu'ils sont méchants ou qu'ils sont idiots.
32:56 Mais parce que l'écosystème de la société
32:58 fait que ça ne les porte plus vers ça.
33:00 Et dans le cas de la Russie, c'est particulièrement intéressant
33:01 car c'est un grand peuple de littérature.
33:03 C'est sûrement une des trois ou quatre
33:05 plus grandes littératures du monde.
33:06 Sûrement un des deux ou trois
33:07 plus grands cinémas du monde.
33:08 - Est-ce que c'est vrai ça ?
33:09 Est-ce qu'aujourd'hui, les Russes lisent moins que nous ?
33:12 J'ai un peu de mal à le croire.
33:14 - Je ne dis pas.
33:15 En revanche, il y a une chose qui est réelle,
33:17 c'est que si vous passez du temps à Moscou,
33:18 ce qui a été mon cas,
33:19 il y a moins de librairies à Moscou
33:20 qu'il y en a à Paris.
33:21 Vous me direz qu'il y en a aussi très peu à Londres.
33:23 - Ils n'ont pas de manga.
33:25 - Non, bien sûr.
33:26 Ça ne veut pas dire que la littérature ne les habite plus.
33:29 Vous voyez ce que je veux dire ?
33:30 Mais simplement, je pense que dans le cadre d'histoire,
33:32 elle permet de créer une légitimité artificielle.
33:35 C'est le chemin le plus court
33:36 vers ce processus indispensable
33:38 pour un pouvoir de se maintenir.
33:39 Et ça recoupe exactement dans le cadre d'une démocratie
33:41 ce que fait Emmanuel Macron.
33:42 Sans comparer, mais en tant que...
33:43 Je veux dire, le récit national, c'est ça aussi.
33:45 Sauf que dans le cas de Poutine, évidemment,
33:47 comme il n'y a pas d'opposition intellectuelle
33:48 et qu'elle ne peut pas s'exprimer,
33:49 il peut raconter n'importe quoi à longueur de journée.
33:51 Vous n'avez pas des historiens interrogés
33:53 sur des chaînes de radio ou des chaînes de télé très écoutées
33:55 qui peuvent dire "mais non, il raconte positivement n'importe quoi
33:57 sur tel ou tel fait".
33:58 - Moi, je veux bien vous suivre sur le fait
34:00 qu'il y avait des prémices de ce qu'allait faire Poutine
34:03 intellectuellement après février 2022.
34:06 Mais moi, j'ai toujours en mémoire
34:08 ce qu'il disait sur l'Union soviétique.
34:10 Il le pensait sincèrement
34:12 et tout s'est accéléré quand même après février 2022.
34:15 Il disait "Celui en Russie,
34:17 celui qui regrette l'URSS n'a pas de mémoire,
34:20 celui qui ne la regrette pas n'a pas de cœur".
34:23 Et je pense que c'est un espèce d'en même temps local
34:27 et ça résumait très bien ce qu'était Poutine.
34:29 C'était effectivement, il ne faut pas cultiver l'Union soviétique,
34:32 les goulags, etc.
34:34 mais il ne faut pas non plus tout jeter à la poubelle.
34:36 Moi, je vais souvent dans les Balkans,
34:38 je vous assure que les Serbes,
34:39 ils ont la même espèce de "yougo nostalgie" de ça.
34:42 Ils savent très bien que le régime de Tito
34:44 était un régime autoritaire, voire dictatorial.
34:47 Qu'il y avait des gens qui adhérentaient
34:49 que tous les opposants étaient soit en exil,
34:51 soit en prison, soit morts.
34:52 Et pour autant, aujourd'hui,
34:54 ils se disent qu'il y avait une façon de vivre,
34:57 un art de vivre,
34:58 d'exister diplomatiquement sur la scène internationale
35:01 qui n'était pas si désagréable.
35:02 Je pense que c'est l'ambiguïté de toutes les nations
35:05 d'avoir quand même une sorte de nostalgie
35:07 pour un passé qui est bien sûr idéalisé,
35:09 bien sûr fantasmé.
35:10 Et quand Poutine dit ça,
35:12 il dit que l'URSS a commis des atrocités,
35:16 mais en même temps,
35:17 on était une grande puissance mondiale,
35:19 on rivalisait avec les Etats-Unis,
35:21 ce qui est factuellement vrai.
35:22 Et donc ça, on peut le regretter qu'on n'en soit plus là.
35:25 Mais si il faut une dictature
35:28 qui met des millions de gens dans les goulags
35:30 pour en arriver là,
35:31 est-ce que le jeu en vaut la chute ?
35:33 C'est ça la question qu'il fallait poser à Poutine.
35:35 Et ce qu'il dit depuis 2022, c'est que "ben oui".
35:37 Oui, bien sûr.
35:38 Mais avant, je reste persuadé
35:40 qu'il n'était pas dans cet état-là.
35:42 Il y a sans doute eu un basculement.
35:44 On continue à parler de Poutine,
35:48 mais aussi d'histoire de France,
35:50 notamment après la pause,
35:52 en toute vérité, sur Sud Radio,
35:53 toujours avec Arthur Chevalier et Jean-Christophe Buisson.
35:55 À tout de suite.
35:56 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio,
35:59 Alexandre Devecchio.
36:00 Nous sommes de retour sur Sud Radio,
36:02 en toute vérité, pour parler d'histoire
36:04 avec Jean-Christophe Buisson,
36:07 directeur adjoint du Figaro Magazine.
36:09 Qui présente aussi l'émission
36:11 "Historiquement Chaud" sur la chaîne Histoire.
36:13 Il est auteur de nombreux essais historiques
36:16 comme "Le Noir et le Brun",
36:18 sur "Le fasciste",
36:19 "Le Cercle Rouge",
36:20 sur "Le Siècle Rouge".
36:22 Non, vous n'êtes pas cinéaste encore.
36:25 [Rires]
36:27 Et "Le Siècle Rouge",
36:29 qui sont des éditions Perrin, d'ailleurs.
36:32 Alia et Arthur Chevalier,
36:35 qui viennent de publier aux éditions du Cerf,
36:38 cette fois, l'histoire à l'épreuve des émotions.
36:43 Je voudrais qu'on parle aussi de votre passion
36:46 pour l'histoire, d'où elle vient,
36:49 puisque vous parlez de l'histoire
36:51 comme vecteur d'émotion.
36:53 Mais peut-être une dernière question
36:55 sur les polémiques autour de l'histoire aujourd'hui.
36:59 On a parlé tout à l'heure de propagande,
37:02 de construction historique.
37:04 On a vu le danger que cela pouvait représenter,
37:07 notamment à travers l'exemple de Vladimir Poutine.
37:09 Mais ce que vous dénoncez, vous, dans votre livre,
37:12 c'est peut-être autre chose.
37:14 C'est une logique de la table rase,
37:16 un révisionnisme radical,
37:17 auquel vous avez peut-être été confronté
37:19 quand vous avez été commissaire
37:21 de l'exposition Napoléon,
37:24 au moment du bicentenaire.
37:26 C'était au Grand Palais.
37:28 Vous racontez cette expérience qui était difficile.
37:31 Il y a plusieurs questions dans ma question.
37:34 Je ne dis pas que vous avez été victime de révisionnisme radical.
37:37 Mais expliquez-nous tout ça.
37:39 Si on parle de cette expérience,
37:42 c'est une expérience qui m'a beaucoup marqué,
37:44 pas tant dans la façon de faire l'exposition
37:47 que depuis ce poste d'observation où j'ai été,
37:50 qui s'inscrivait dans le bicentenaire de la mort de Napoléon,
37:54 qui a été un moment d'actualité forte
37:57 avec beaucoup d'articles, de numéros.
37:59 Cela a occupé la France entière.
38:01 Ce qui était rigolo, c'est de voir
38:04 que beaucoup de droites,
38:07 pas du tout que des hommes politiques de gauche,
38:10 ne voulaient pas entendre parler de cette exposition
38:13 parce qu'elle était un des fers de lance de ce bicentenaire,
38:16 mais du bicentenaire tout court.
38:18 Le président de la République aura finalement fait un discours bonapartiste
38:21 sous la coupole de l'Institut.
38:23 - En parenthèse, le bicentenaire du sac,
38:25 c'est un gouvernement de droite qui a refusé de le promouvoir.
38:28 - Il a refusé de le promouvoir, il a refusé de célébrer Austerlitz
38:31 tout en célébrant Waterloo.
38:33 Ce qui m'a beaucoup frappé,
38:37 c'est des pudores incompréhensibles
38:40 au regard de ce qu'a été l'histoire du Premier Empire et du Consulat.
38:43 Bien sûr, il y a eu des choses atroces de fait,
38:46 mais il y a aussi eu des choses extravagantes et extraordinaires
38:49 qui, aujourd'hui encore, en tirent des bénéfices,
38:52 si je puis dire, le monde dans lequel nous vivons et le monde de Napoléon.
38:55 Il a été en danger depuis qu'il a été créé sous le Consulat.
38:58 On n'a pas le choix d'aimer ou pas aimer Napoléon, c'est nous.
39:01 Il est au cœur de nous, ça ne veut pas dire qu'on doit l'aimer,
39:04 ça veut dire qu'il fait partie de nous.
39:06 Justement, on doit le diagnostiquer, en rejeter.
39:08 Ce qu'on veut en rejeter, ce n'est pas la question,
39:10 mais ça fait partie de nous.
39:12 J'ai été très frappé par l'enthousiasme général,
39:14 je veux dire populaire, au sens simple du mot,
39:16 pour ce bicentenaire,
39:18 et les pudeurs insensées de la part d'hommes politiques de premier plan
39:21 qui pensaient qu'on allait créer des polémiques à n'en plus finir.
39:24 Je me suis dit à ce moment-là,
39:26 c'est dingue, en fait, on peut avoir une classe,
39:28 encore une fois, pas tous, puisque le président de la République s'est très bien tenu,
39:31 donc ce n'est pas la question, on a fait le boulot,
39:33 mais je me suis dit qu'on a une classe politique qui a à ce point peur de notre passé.
39:36 Et là, ça rejoint vraiment ce que je veux dire dans mon livre,
39:40 c'est-à-dire que le problème,
39:42 ce n'est pas d'idéaliser le passé de la France.
39:44 Personne ne demande de faire ça.
39:46 Personne n'a dit que la France était un pays vertueux par nature,
39:49 qui n'avait fait que des choses bien.
39:50 Pas du tout, ce n'est pas ça.
39:51 Mais simplement, qu'est-ce que c'est que cette logique ridicule,
39:54 qu'on appelle "cancel", j'aime pas trop les...
39:56 "Cancel culture", oui.
39:57 Les barbarismes d'origine américaine,
39:59 mais enfin bon, c'est ça qu'on voit très bien.
40:01 Culture de l'effacement, oui.
40:02 Pourquoi est-ce qu'on devrait interdire une chose ?
40:03 Parce qu'en son sein, elle enferme une part d'impureté
40:06 et de choses qui, en tout cas, devraient nous faire honte.
40:09 Mais c'est idiot, on devrait pouvoir se confronter.
40:11 Mais est-ce que c'est une politique où on peur du passé
40:13 ou on peur de la réaction supposée des gens
40:16 si on célèbre ce passé et qu'il y a des zones d'ombre ?
40:19 Mais justement, je pense que vous faites beaucoup de crédit, Jean-Christophe.
40:22 Vous dites vous-même que tous les gens qui sont venus sur l'exposition
40:25 étaient enthousiastes.
40:26 C'était très très familial.
40:28 Et si on poursuit, un an après, il y avait la sortie du film de Ridley Scott
40:32 dont on peut penser ce qu'on veut.
40:33 Et dont tout le monde a parlé.
40:34 Et dont tout le monde a parlé.
40:35 Et il n'y a eu aucune polémique, quasiment.
40:37 Donc c'est bien la preuve que...
40:38 Là, les hommes politiques ont dit
40:40 "oui, effectivement, ça n'a pas fait de polémique sur le bicentenaire
40:42 donc on va se taire", et ils ont bien fait.
40:44 Après, on pouvait polémiquer sur la nature du film,
40:46 sur son crédit historique, etc.
40:48 Donc c'est bien la preuve que les hommes politiques
40:50 ont moins peur du passé que de la réaction de leurs électeurs potentiels
40:55 que ce passé peut choquer.
40:58 Je suis partiellement d'accord parce que moi, je pense
41:00 que les hommes politiques, je veux dire, pas tous encore une fois,
41:04 je suis moi aussi frappé par le niveau d'inculture, d'ignorance des hommes politiques.
41:08 En fait, c'est pas parce que quelqu'un est ministre
41:09 qu'il lit des livres et il est au courant de l'histoire de France.
41:11 C'est plutôt même le contraire.
41:13 C'est la garantie de rien.
41:15 Vous êtes dur avec vous-même.
41:16 J'attaque personne.
41:18 Et ça, pour le coup, c'est très représentatif du monde dans lequel on vit.
41:22 Encore une fois, c'est pas nouveau, c'est pas une invention de la modernité.
41:25 Ça arrive parfois, ça passe, mais là, on est dans un moment
41:28 où la sophistication intellectuelle, ça n'intéresse plus personne
41:30 et donc ça pénètre beaucoup moins dans la société,
41:32 y compris d'ailleurs au sein des élites.
41:34 Mais vous voyez bien ce moment émotionnel.
41:36 Les passations de pouvoir des gouvernements depuis une quinzaine d'années me fascinent.
41:39 Vous voyez des ministres qui arrivent et qui disent
41:41 "je pense à ma grand-mère, mon papa et ma maman".
41:43 Mais t'es ministre de la République française.
41:45 C'est pas du tout le moment de se faire plaisir.
41:48 C'est une passation de pouvoir, c'est pas la propriété.
41:50 C'est pas "on t'offre pas une maison, on va te tenir un bureau".
41:53 Tu occupes une fonction publique, enfin, vous voyez ce que je veux dire.
41:55 Et on voit bien que pour eux, c'est un moment émotionnel.
41:58 Ils ont besoin aussi de mettre en avant de façon excessive
42:01 leur identité, leur individualité, leur vie personnelle.
42:04 Ils en sentent le besoin et leur communiquant leur dit que c'est nécessaire.
42:07 Plutôt que de faire, et d'ailleurs personne ne le fait,
42:09 un discours de 35 minutes sur André Malraux quand on devient ministre de la Culture.
42:13 - Il le "desistoricise". - Exactement !
42:16 C'est simple, la disparition de la culture, c'est juste qu'on ne le voit plus dans notre entourage.
42:20 On en parle moins, on en parle moins à la télé.
42:22 C'est juste ça, c'est pas autre chose.
42:25 Et ça c'est un fait, encore une fois, c'est pas une nouveauté.
42:28 On l'a déjà vécu, on préfère des grands moments de sincérité,
42:31 des moments d'émotion, des moments où quelqu'un pleure,
42:34 des moments où quelqu'un crie, des moments où quelqu'un s'indigne.
42:36 Je pense que ce livre "Indignez-vous" de Stéphane Essel
42:39 a été le juste cri d'une génération.
42:41 Maintenant, on peut publier un nouveau livre qui s'appelle "Mettez-vous à réfléchir".
42:45 Alors, Arthur Chevalier dénote finalement une forme de téléréalité
42:51 qui aurait remplacé l'histoire.
42:53 Jean-Christophe Busson, vous parlez quand même des politiques qui étaient terrorisées,
42:56 pas par les Français sans doute, parce qu'il faut rappeler le succès de votre émission,
43:00 le succès de l'histoire en général, le succès qu'a été cette exposition sur Napoléon,
43:04 le film, malgré ses défauts, a été bien...
43:07 Les gens se sont précipités la première semaine parce qu'ils étaient intéressés par Napoléon.
43:11 Donc, il y a des hommes politiques qui sont quand même terrorisés
43:14 par des minorités bruyantes.
43:16 Vous parliez, vous disiez tout à l'heure, on leur accorde trop d'importance.
43:19 Est-ce que ce n'est pas le cas ?
43:21 Oui, justement.
43:22 On peut peut-être moins en parler, se moquer d'eux peut-être.
43:25 Oui, j'ai ce sentiment, mais se moquer d'eux devient aussi difficile.
43:29 Et dangereux.
43:30 Mais moi, je suis vraiment frappé par, effectivement, la passion
43:33 que les gens continuent à avoir pour l'histoire.
43:35 On a beau traîner dans la boule les émissions de Stéphane Bern ou de Franck Ferrand,
43:39 ils font de l'audience.
43:40 Et c'est ça.
43:41 Le problème aussi, c'est que l'enseignement de l'histoire
43:44 a été confisqué à un moment donné par une caste d'universitaires
43:47 qui considéraient qu'il fallait raconter l'histoire par des tout petits détails,
43:51 la raconter dans une gang marxisante
43:55 qui est que c'est des grands mouvements collectifs,
44:00 que l'histoire est dépendante du climat, de l'économie, des finances
44:04 et pas tellement des hommes qui font l'histoire.
44:06 Même si, comme disait Raymond Armand,
44:08 on ne sait pas quelle histoire ils font, mais ce sont les hommes qui font l'histoire.
44:10 On a négligé ça.
44:12 Et qu'est-ce que les gens adorent, moi, je vois dans les réactions sur les livres
44:15 ou sur mes émissions, ils adorent qu'on leur raconte des histoires d'hommes et de femmes
44:19 qui ont fait l'histoire, qui ont participé à l'histoire,
44:21 qui ont dirigé des armées, des mouvements,
44:25 et aussi bien, encore une fois, de gauche ou de droite.
44:27 Là, il n'y a plus de gauche ou de droite, c'est l'histoire globalement.
44:29 Et ça contraste effectivement avec l'inculture ou la crainte de certains hommes politiques
44:35 que cette histoire soit récupérée par l'émotion, par la notion.
44:40 Où est la victime dans cette histoire ?
44:41 Il n'y en a pas forcément.
44:42 Si, il y en a, mais peu importe.
44:44 Chacun son tour.
44:45 Oui, c'est ça, chacun son tour.
44:46 L'histoire est une roue rouge, comme disait Solzhenitsyn, pour reprendre cette expression.
44:51 Et ça, ça me frappe beaucoup, ce décalage que Arthur Chevalier a ressenti
44:56 lorsqu'il était commissaire de cette exposition,
44:59 entre une certaine élite et le peuple qui vient voir Napoléon sans penser mal,
45:04 qui vit le moment d'histoire qu'a été Napoléon, qui l'apprécie.
45:07 Et puis, les autres sujets, c'est fait pour les spécialistes, les historiens,
45:10 qui vont se disputer sur le rétablissement de l'esclavage,
45:13 est-ce que c'est nécessaire, est-ce que c'était par rapport à l'économie,
45:17 par rapport aux Anglais, par rapport à sa femme, etc.
45:19 Mais ce sont des détails.
45:20 Globalement, on retient de Napoléon une histoire épique
45:23 qui fait la fierté des Français.
45:25 L'émission touche presque à sa fin, Arthur Chevalier, je voudrais...
45:29 Alors, on remontit, c'est un mot.
45:31 Ce que vient de dire Jean-Christophe est très important,
45:33 et ça, bien sûr que c'est l'histoire collective,
45:35 tous les hommes font l'histoire, évidemment, c'est l'histoire de l'humanité.
45:37 Mais quand on dit que ce n'est pas les grands hommes qui font l'histoire,
45:39 je veux dire qu'on a tendance à les invisibiliser.
45:41 Demandez-vous simplement ce qu'aurait donné la Seconde Guerre mondiale
45:44 si ça n'avait pas été Roosevelt, le président des États-Unis,
45:46 et Winston Churchill, le Premier ministre.
45:47 D'ailleurs, avant Winston Churchill, ce n'était pas lui le Premier ministre.
45:49 Et quand ce n'était pas De Gaulle, le chef de la France,
45:51 on ne sait pas très bien ce que ça a donné.
45:52 Donc, ce n'est pas les grands hommes qui font l'histoire.
45:54 - Et bien, justement, il nous reste une minute.
45:56 Vous êtes tous les deux passionnés de l'histoire.
45:58 Je voulais savoir comment était née votre passion,
46:00 quelle figure vous avez inspirée, Arthur Chevalier ?
46:02 Je suppose que c'est Napoléon, mais peut-être que je me trompe,
46:06 il y en a peut-être d'autres.
46:07 - Napoléon, Louis XIV, Gérard Taudelaloire,
46:09 enfin, c'était vraiment du folklore de l'histoire de France qu'on adore.
46:12 Les trois mousquetaires, l'histoire de la culture populaire, très simplement.
46:15 - Jean-Christophe Buisson ?
46:16 - Moi, c'est vraiment Napoléon, Louis XIV, mais par Jacques Bainville.
46:19 C'est en lisant les livres de Jacques Bainville
46:21 que je me suis mis à aimer les grandes figures de l'histoire
46:23 et par des professeurs.
46:25 Ce qu'il faut dire avant tout, c'est que souvent,
46:27 la passion de l'histoire, chez les historiens, naît
46:29 parce qu'il y a quelqu'un qui vous a enseigné, à un moment donné,
46:31 l'histoire d'une telle manière que vous avez décidé d'aller plus loin.
46:35 Moi, c'est vraiment mon cas.
46:37 - Bien sûr, et il faut vraiment se détendre par rapport à l'histoire.
46:39 - Il faut vraiment se décontracter par rapport à ça.
46:42 C'est cool, l'histoire.
46:43 - Et bien, voilà, on termine là-dessus.
46:46 C'est cool, l'histoire.
46:47 Ce sera le mot de la fin d'Arthur Chevalier.
46:50 Mais en tout cas, lisez, inscrivez-vous, dévorez des romans historiques.
46:55 Et on se retrouve surtout la semaine prochaine
46:57 pour un nouveau numéro d'En Toute Vérité.
46:59 En attendant, je vous laisse avec les informations.

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