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00:00 J'ai changé de prénom d'usage. J'ai choisi un prénom qui passe beaucoup plus facilement que mon prénom initial.
00:06 Grégoire, au lieu de mon prénom qui me renvoie à mes origines, on va dire un peu arabiques,
00:12 il y a un moment où on en a marre qu'on vous renvoie à vos origines, à votre religion.
00:16 Et j'en souffre encore aujourd'hui quand je me présente aux gens, je me présente avec le prénom que j'ai choisi,
00:20 Grégoire, qui me permet de ne pas faire déballage de qui je suis, d'où viennent mes parents,
00:27 l'extrait 2B de mon casier judiciaire, est-ce que je suis musulman, si je suis musulman, est-ce que je suis intégriste,
00:32 est-ce que j'ai des bouteilles de gaz dans mon coffre, c'est horrible.
00:34 En fait, vous vous sentiez discriminé.
00:37 Mais même encore aujourd'hui, quand je passe des entretiens d'embauche, j'ai la chance d'avoir un CD qui pète.
00:42 Un CD avec des expériences parce que j'ai des employeurs à l'étranger qui ont vu mes différences comme rien,
00:49 comme des opportunités.
00:50 Grégoire, moi j'ai une question bête, mais votre nom de famille ?
00:52 Oui.
00:53 Votre nom de famille, il a aussi une consonance arabique ou pas ?
00:57 Oui.
00:59 Et ça, ça vous gêne moins ?
01:00 Bah si, ça me gêne beaucoup parce que vous voyez, quand au bout d'une heure et demie d'entretien, à la toute fin, on vous dit
01:05 "mais du coup, votre nom de famille, c'est de quelle origine ? Ah oui, vous êtes croyant, vous faites le ramadan,
01:09 et si on vous traite de bouignoules, ça vous pose des problèmes au boulot."
01:12 On en est là.
01:12 On vit à une période où nous, les musulmans de France, on a l'impression d'avoir le shida, et on le cache.
01:17 Voilà, si vous voulez évoluer dans le boulot, il ne faut pas être musulman.
01:20 Si vous voulez avoir quelque chose de sympa, si vous voulez être une personne et pas un musulman, il faut le cacher.
01:25 Oui, c'est-à-dire ne pas être réduit à vos origines, à votre religion.
01:30 Mais ce n'est même pas mes origines, c'est celles de mes parents, je suis né en France.
01:33 Je suis né en France, j'aime le bignou, j'aime le chouchienne, je passe mes vacances en Bretagne.
01:38 Je passe un entretien quand j'ai une vingtaine d'années.
01:40 Ça se passe super bien, un jour, je rencontre deux, et finalement, je rencontre le patron de la boîte.
01:45 Avec le patron de la boîte, ça se passe bien.
01:47 Une fois qu'on arrive à la fin, il me demande "Votre nom, c'est de quelle origine ?"
01:52 Et je lui dis, et il lève les yeux et me regarde, il me dit, avec un petit sourire,
01:58 "Ah, mais on ne vous a pas dit ? On est une boîte anti-jeunes, nous. Au revoir, monsieur."
02:03 Et là, ça vous détruit, en fait.
02:05 Parce que vous vous rendez compte que ce n'est ni votre expérience, ce n'est ni rien.
02:09 Parce qu'on a parlé de littérature, on a parlé de tout.
02:12 Et il y a un moment où vous sortez le mot qui tue, "Je suis de telle origine",
02:16 et on vous dit "Oui, mais nous, on est anti-jeunes."
02:18 Comment voulez-vous construire sans la haine de tout ce qui vous entoure ?
02:22 Moi, c'est les livres qui m'ont sauvé.
02:24 C'est le fait d'avoir un père qui était super intelligent et qui m'a dit,
02:28 "T'arrêtes pas ça, mon fils. Continue, et t'inquiète pas, la France, elle est plus grande que ça.
02:33 La France, ce n'est pas que ces gens-là. La France, c'est aussi des gens qui diront que tu es français."
02:38 Et j'ai continué.
02:40 Mais je pense à tous ceux qui n'ont pas eu la chance d'avoir mon père,
02:42 à tous ceux qui n'ont pas eu la chance de lire des livres et qui sont sortis de ces mêmes entretiens
02:46 avec la haine de ce qu'ils étaient et qui ont rejeté la haine de l'autre, du coup.
02:51 C'est super violent.
02:52 J'ai 45 ans et quand je repense encore à ces moments-là, c'est encore difficile pour moi.
02:57 – Je l'entends.
02:58 – Donc je me mets à la place des gamins qui n'ont jamais quitté le béton,
03:04 qui ont grandi queueux là-dedans, à qui on n'offre pas d'avenir
03:07 et qui sentent que leur nom, il pue.
03:09 C'est comme dans une famille où quand vous avez l'impression que vos parents ne vous aiment pas,
03:14 vous lui dites des horreurs, vous le frappez, vous cassez tout, vous vous barrez.
03:19 Au fond, c'est juste pour qu'ils vous disent "non mais on t'aime, arrête tes conneries".
03:22 Nous, nos gamins d'aujourd'hui, c'est ça.
03:25 Nos parents, ils nous ont dit dans les cités "allez à l'école et vous sortirez de ces cités".
03:32 On est allé à l'école, on n'en est pas sortis des cités.
03:35 Il y en a plein qui n'ont pas sorti de ces cités et eux, ils ont eu des gamins.
03:38 Et leur on dit la même chose "allez à l'école et vous sortirez de la cité".
03:42 Mais sauf que les gamins aujourd'hui, ils regardent leurs parents en disant
03:44 "mais vous, vous avez été à l'école, vous n'en êtes jamais sortis, pourquoi nous on va s'en sortir ?".
03:49 Qu'est-ce qu'on leur dit nous ?
03:51 Enfin voilà quoi, c'est le bordel.
03:53 Mon père, il a tenu vraiment à venir en France, plus qu'ailleurs, n'importe où ailleurs,
03:57 il aurait pu aller n'importe où.
03:58 Mais il a voulu venir ici parce qu'il disait toujours "mon fils, France, ça, ça n'a pas un pays".
04:03 Ah France, c'est une belle idée.
04:05 France, c'est une belle idée.
04:07 Et il avait tout dit "mon papa, la France c'est plus qu'un pays".
04:10 La France, c'est le seul pays au monde qui est une idée.
04:13 Une idée de liberté, une idée d'intégration, une idée de chance et d'opportunité.
04:18 La France, elle nous a donné des cahiers, des stylos, des crayons, elle nous a offert des livres,
04:22 elle nous a donné une éducation.
04:23 Mais aujourd'hui, ce qui n'est pas normal, c'est que c'est comme si
04:27 il y en a qui n'ont pas le droit de le prendre ce putain de train.
04:29 Il y a l'escalier, vous savez l'ascenseur social ?
04:32 Eh bien pour certains, il n'existe pas.
04:34 Vous ouvrez la porte, tout ce que vous avez c'est un escalier
04:36 mais qui va vous emmener au deuxième sous-sol
04:38 avec les machines à coudre pour fabriquer des lacostes.
04:42 C'est triste.
04:43 Je ne sais pas où on va, mais il va falloir qu'on commence à s'aimer les uns les autres,
04:47 brevelle de merde.