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Général François Lecointre, ancien chef d'état-major des armées et auteur de l'ouvrage "Entre guerres" publié aux éditions Gallimard, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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Général François Lecointre, ancien chef d'état-major des armées et auteur de l'ouvrage "Entre guerres" publié aux éditions Gallimard, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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00:00 7h-9h, Europe 1 Matin.
00:03 Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'ancien chef d'état-major des armées, le général François Lecointre.
00:10 Bonjour François Lecointre.
00:11 Bonjour monsieur.
00:12 Bienvenue sur Europe 1, vous avez pendant 4 ans, de 2017 à 2021, été le SEMA, le militaire le plus haut gradé des forces armées françaises,
00:19 commandant des opérations sous l'autorité du président de la République, ça fonctionne comme ça dans les armées françaises sous la 5ème République,
00:25 vous êtes fils, petit-fils, neveu de militaires et depuis un an, grand chancelier de la Légion d'honneur.
00:31 Merci d'être avec nous ce matin François Lecointre, vous venez de publier un livre "Entre-guerre" qui vient de paraître chez Gallimard,
00:38 donc dans la collection NRF, alors peut-être pour commencer tout simplement, entre quelle guerre général François Lecointre ?
00:45 C'est un "Entre-guerre", c'est un titre qui aurait, si on en faisait l'anagramme, pourrait être très en guerre.
00:52 C'est joli, je ne sais pas moi qui l'ai trouvé, c'est un de mes amis qui me l'a dit.
00:58 En fait, c'est un "Entre-guerre" pour nous les français, pour nous les occidentaux et pour nous les européens,
01:05 qui ignorions complètement que la guerre continuait à se passer partout et qu'on vécu une sorte de période tout à fait étrange,
01:14 une parenthèse dans l'histoire du monde, que nous avons cru définitive et qui était entre la fin de la guerre froide et ce qui se passe aujourd'hui.
01:21 Une période où personne ne renonçait en réalité à la violence,
01:25 mais une période pendant laquelle les européens avaient pensé pouvoir accéder à un stade ultime du progrès.
01:33 - La paix perpétuelle. - La paix perpétuelle.
01:35 Et pendant toute cette période, en réalité nos armées, qui étaient devenues des armées professionnelles,
01:41 par la volonté du président Chirac avec la suspension du service national, ont été engagées, comme jamais, sur tous les théâtres d'opération,
01:49 et ont été confrontées à la réalité de la violence des hommes.
01:53 Et c'est de ça dont je témoigne.
01:55 - Oui, parce que vous vous livrez très peu sur le summum de votre carrière, notamment votre passage en tant que chef d'état-major des armées,
02:03 c'est plutôt votre expérience d'homme de guerre dans une société qui la rejette, ça très clairement, mais qui la voit aussi revenir.
02:08 On le voit à Gaza, l'Ukraine, une société qui a aussi l'impression que des formes dégradées de la guerre envahissent le quotidien de monsieur, madame, tout le monde,
02:17 que ce soit la tuerie au péage d'un quart-ville ou ce sont des armes de guerre qui sont engagées,
02:21 ou bien, et là je me permets de vous poser une petite question sur l'actualité, l'insurrection en cours en Nouvelle-Calédonie.
02:27 Quel regard, vous, en tant que militaire, François Lecointre, vous jetez sur ces événements qui happent notre attention ?
02:35 - D'abord je pense qu'il faut faire attention aux définitions qu'on donne de la guerre.
02:39 Ce qui se passe sur le territoire national, ça n'est pas la guerre, même si c'est parfois avec des armes de guerre, ça n'est pas la guerre, et Dieu merci.
02:46 Et voilà, je crois qu'il faut éviter une sorte d'émotion trop systématique et de peur et d'effroi,
02:55 qui nous ferait considérer, comme ça l'a été, mais pour d'autres raisons, la guerre comme définitivement sonnette,
03:00 encore une fois parce qu'on considérait qu'on était arrivé au sommet du progrès et de la civilisation,
03:06 et qui nous ferait d'ailleurs refuser toute forme de perspective de guerre.
03:12 Et ça c'est une faiblesse qui n'est pas acceptable parce qu'il y a des raisons pour lesquelles il faut faire la guerre.
03:18 Et que je pense qu'il faut être capable de s'y préparer, au moins moralement.
03:23 J'aime citer cette phrase de Yann Patochka qui dit "Une vie qui n'est pas disposée à se sacrifier est une vie amputée, et dont la mort s'est déjà emparée dans son dos."
03:36 Mais pour revenir à la question que vous posez, je suis aujourd'hui, en regardant ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie,
03:45 frappé par le fait que, comme nous l'avons toujours dit, nous soldats et nous militaires,
03:51 il faut faire un distinguo absolu entre des forces de l'ordre et des forces de maintien de l'ordre et les armées.
03:57 - C'est un contresens, vous pensez, de ces appels qu'on entend dans toute crise de sécurité publique,
04:01 de crise d'ordre public, à "faites intervenir l'armée". On l'a entendu pour l'an dernier, par exemple, pendant les émeutes en banlieue,
04:07 pas tellement pour la Nouvelle-Calédonie, je le remarque, mais c'est vrai que c'est toujours quelqu'un pour lever le doigt et dire "sollicitons les militaires".
04:14 - Oui, parce que ce dont je témoigne dans ce livre, c'est la difficulté à laquelle est confronté un soldat qui doit,
04:19 dans des opérations dont la légitimité peut être parfois brouillée, ou dont l'objectif politique peut être parfois insuffisamment défini,
04:28 qu'un soldat de faire sa mission et de remplir son rôle qui est de donner la mort de manière délibérée.
04:33 Et c'est ça l'extrême de la vie de soldat, et c'est ça qui fait sa singularité absolue, qui rend cet usage de la force irréductible à tout autre usage de la force.
04:43 - Vous écrivez "être soldat c'est tuer pour la France et ne tuer que pour elle".
04:48 - Oui, et c'est tuer au risque de sa propre vie, mais c'est accepter de transgresser ce tabou absolu qui est le fait de donner la mort.
04:56 Et je pense que c'est quelque chose d'extrêmement précieux dans nos démocraties et en République,
05:02 d'avoir réussi à atteindre précisément un stade de civilisation et d'état de droit qui permet de distinguer absolument
05:09 cette obligation qui est faite aux armées sur ordre, s'il le faut, de donner la mort au risque de sa vie.
05:15 - Ce qui n'est pas la mission des forces de l'ordre. - Et cette mission des forces de l'ordre qui est, en plaçant la vie au-dessus de tout,
05:20 de s'exposer éventuellement et de ne recourir à la force qu'en situation de légitime défense.
05:25 Ce qui est admirable aussi, mais on voit bien le distinguo qui est essentiel entre ces deux formes de recours à la force.
05:31 - Et alors dans votre livre, il y a une introspection sur le fait d'être un homme, le fait d'avoir en soi aussi un animal sauvage
05:40 qui ne demande qu'à jaillir. Je vais lire une phrase qui d'ailleurs je crois est en couverture de votre livre.
05:47 C'est une phrase, ce genre de phrase qu'on n'a plus l'habitude d'entendre.
05:50 "J'en sais désormais suffisamment pour ne pas me croire préservé par ma simple qualité d'homme du surgissement de l'animal qui gît en moi."
05:57 Et cet animal, vous en témoignez François Lecoin dans votre livre, vous l'avez vu au Rwanda, notamment face à un bourreau d'enfants.
06:04 Il s'en est failli de peu que vos hommes et vous-même le massacriez pour des raisons, justement, sentiments d'une injustice qu'il fallait réparer,
06:14 mais aussi de pure animalité, François Lecoin.
06:17 Oui, c'est là. En fait, ce que je trouve terrible dans ce que je raconte sur le Rwanda, c'est d'abord que...
06:25 Ce sont des pages terribles, il n'y en a que sept dans le livre, c'est très très bref, mais c'est d'une intensité.
06:29 Moi je les ai relus deux fois, je vous avoue que j'étais vraiment secoué par la violence de ces pages.
06:33 En fait, ce qui est terrible surtout, c'est que vous pouvez considérer finalement que vous avez toutes les bonnes raisons de devenir vous-même un bourreau.
06:42 Et que votre opinion publique et la société au nom de laquelle vous conduisez vos missions va vous encourager dans cette voie-là.
06:50 Et va vous donner la bonne conscience nécessaire pour commettre quelque chose qui est irréparable, c'est-à-dire abattre quelqu'un de sang-froid,
06:59 alors que votre métier de soldat vous fait obligation de le considérer comme un prisonnier de guerre, et de le traiter en respectant sa dignité.
07:06 Ce qui me frappe le plus, et c'est ce que je raconte dans le livre, c'est que quand j'ai raconté cette anecdote,
07:11 plusieurs années après, devant un amphithéâtre, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, rempli d'étudiants et de professeurs,
07:18 j'ai senti que le public regrettait presque que nous n'ayons pas été jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à abattre ce qui, pour eux, et pour nous à l'époque aussi,
07:28 et dans l'esprit collectif aujourd'hui, était l'incarnation du mal. Comme d'ailleurs les nazis. Les nazis sont l'incarnation du mal.
07:38 Et dans les nazis, l'incarnation du mal, ce sont les SS. Et comme si, parce qu'on a découvert une incarnation, et que c'est le mal extrême,
07:48 ça nous autorise tout excès, toute forme d'excès sur ce mal extrême. Et ça c'est absolument terrible, et je pense que ça doit nous faire réfléchir tous,
07:57 parce que c'est la tentation d'un soldat, mais comme vous le disiez, le soldat est un homme comme un autre, et donc ça peut être la tentation de n'importe lequel d'entre nous.
08:05 - Dernière question, François Lecomte. Dans un autre livre, Michel Goya, son livre intitulé "La guerre mondiale de la France",
08:12 il montre qu'à rebours de ce que l'on disait sur cette impression que nous étions entrés dans une ère de paix perpétuelle,
08:17 la guerre en fait c'est un état permanent de la France sous la Vème République. 20 guerres sur 3 continents, 13 grandes opérations militaires de police internationale,
08:25 le Tchad, le Mali, le Liban, l'Oruanda, l'Afghanistan, etc. Les soldats français sont parmi les plus sollicités au monde depuis les 70 dernières années.
08:33 Mais ça se fait, et vous en témoignez toujours dans une indifférence générale. Avez-vous le sentiment que les choses sont en train de changer
08:40 à la lumière de ce climat martial qui revient aux portes de l'Europe, et je pense aux guerres à Gaza ou en Ukraine ?
08:47 Est-ce que les armées retrouvent une place qui n'était plus d'ailleurs dans la société française ?
08:52 Le paradoxe c'est que les armées ont toujours été admirées par la société française et considérées comme une station fiable, en laquelle ils avaient confiance.
09:00 L'ultime recours aussi.
09:01 L'ultime recours aussi. Mais, et c'est vrai, vous avez raison, les gens ne s'intéressaient pas à ce que faisaient les armées, ils ne se sentaient pas concernés.
09:08 Je pense qu'aujourd'hui, le retour de la guerre crée une forme d'ambiance qui permet aux gens de se poser des questions, les inquiète, et c'est vrai,
09:18 les rend plus ouverts à un certain nombre de messages qu'on peut leur passer. Mais encore une fois, je pense que d'abord on en est très loin,
09:26 que la guerre ne va pas s'arrêter demain, même si la guerre en Ukraine s'arrête demain, ce que nous souhaitons tous,
09:32 le réarmement du monde, l'état des équilibres et des forces en puissance entre l'Occident, entre l'Europe et le reste du monde
09:42 qui ne renonce pas à ce possible recours à la guerre, fait que de toute manière, nous rentrons à nouveau dans une forme de normalité,
09:50 vous l'évoquiez, c'est ce que dit Michel Goya, qui est en réalité que les relations internationales sont régies par des rapports de force.
09:58 Et que refuser ces rapports de force, vouloir faire l'ange, c'est d'une certaine façon faire la bête, c'est soit une très grande naïveté,
10:05 soit une très grande hypocrisie, parce qu'on pense pouvoir être préservé de cette obligation du recours à la force,
10:10 notamment par notre allié américain qui lui n'a jamais renoncé à cette perspective du recours à la puissance, à la force.
10:16 Mais je pense que c'est quelque chose auquel il faut que nous arrêtions de croire, et nous devons nous réveiller.
10:22 - Entre guerre, donc, votre livre chez Gallimard, Général François Lecointre, merci d'être venu au micro d'Europe, bonne journée à vous.