L'édito de Mathieu Bock-Côté : «Michel Barnier : pourquoi une telle popularité ?» - partie 2

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Dans son édito du 18/09/2024, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]

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00:00Est-ce que vous n'êtes pas un peu mauvais joueur, je vous sens peut-être un peu tristounet.
00:03On peut croire aussi que les Français apprécient vraiment cet homme qui semble incarner des
00:08valeurs tellement négligées, c'est en dernier en politique.
00:11Mais vous avez tout à fait raison.
00:12Il y a un effet, je l'ai dit, de soulagement.
00:15Il y a probablement un effet d'adhésion prudente, d'adhésion réfléchie, d'adhésion modérée
00:21à Michel Barnier.
00:22Ça, je crois que tout le monde peut en convenir dans une bonne partie de l'opinion.
00:25Qui aime Michel Barnier en ce moment ? Quelle est sa base nouvelle ? C'est 57 % d'entre
00:29eux enthousiastes selon les sondages.
00:31Alors évidemment, les LR, ça va de soi, au centre aussi, le personnage est apprécié.
00:36L'ERN le tolère assez bien et les communistes aussi, ne l'oublions pas.
00:41Il est particulièrement rejeté chez les écolos et les insoumis.
00:44De sorte que la gauche radicale des temps présents ne peut pas le tolérer, ne peut
00:49pas l'accepter.
00:50Mais les socialistes, les communistes, le vieux monde en fait reconnaît en lui un des
00:54siens et quelqu'un qui peut peut-être ramener un peu d'ordre.
00:58Donc, moi, ce qui m'intéresse là-dedans, ce n'est pas, encore une fois, la qualité
01:02de l'homme.
01:03C'est les techniques de construction et de manipulation d'opinion et ça nous rappelle
01:06à quel point les sondages dans nos sociétés ont un rôle démocratique ambigu.
01:10Parce que comme on le voit là, on cherche à nous imposer de manière artificielle un
01:15enthousiasme sorti de nulle part.
01:16Ça, je pense qu'on peut le dire.
01:18Les sondages peuvent aussi nous révéler des choses importantes quelques fois.
01:21Je crois que c'était hier sur notre plateau, si je ne me trompe pas, notre plateau qui
01:25est sur notre chaîne, c'était Florian Philippot qui dit, par exemple, rappelait
01:29que 36 % des Français sont favorables au Brexit et dit qu'il y a une absence complète
01:34de ce point de vue dans l'espace public.
01:36C'est intéressant.
01:37C'est intéressant parce qu'effectivement, les sondages nous révèlent quelques fois
01:39que des préférences populaires lourdes sont absentes de l'espace public.
01:44Donc, un décalage entre le discours public et les préférences populaires.
01:48Donc là, les sondages sont utiles.
01:49Autre exemple, j'en donnerai de différentes tendances.
01:52Je vérifiais ce matin, aujourd'hui, 48 % des Français sont favorables à la peine de mort.
01:5748 %, c'est beaucoup.
01:58Ça pourrait être 44.
01:59On parle de la peine de mort aujourd'hui, d'ailleurs.
02:00Très juste.
02:01Ça pourrait être 44, ça pourrait être 42, ça pourrait même être 35, mais il n'y
02:05a pas 5 % de l'opinion construite qui s'exprime dans les médias qui est favorable à cette
02:10option.
02:11Donc, je ne dis pas qu'il faudrait qu'on ait 48 % des commentateurs pour la peine de mort.
02:14Bien sûr que non.
02:15Quelquefois, il y a des préférences populaires invisibilisées dans le discours public et
02:19les sondages peuvent les révéler.
02:22Deux autres exemples pour voir comment ça touche différents segments de l'opinion.
02:25Sur la question de l'immigration, bien évidemment, on en parle souvent, les sondages s'accumulent,
02:29qui montrent d'un côté une préférence populaire massive pour en finir avec l'immigration
02:33massive, et de l'autre côté, le discours de préférence des élites est sur l'euthanasie.
02:37Ça, c'est une autre question.
02:38Là, on voit qu'il y a une adhésion populaire assez forte quand même, quoi qu'on en dise,
02:42pour le souci d'assister à l'euthanasie, et le débat public résiste à la pression
02:47populaire sur tout ça.
02:48Donc, ce n'est pas une question de gauche et de droite ici.
02:50C'est une question de à quoi servent les sondages dans l'espace public.
02:53Est-ce qu'ils ne servent pas quelquefois, plutôt qu'à révéler justement les profondeurs
02:57enfouies d'opinion, est-ce qu'ils ne cherchent pas quelquefois à nous conditionner d'une
03:02manière ou de l'autre?
03:03Ensuite, revenons à Michel Barnier un instant.
03:05Est-ce qu'il s'agira d'un amour durable?
03:08Est-ce que c'est une passion?
03:10Est-ce que c'est le début d'une histoire?
03:11Eh bien, on peut dire qu'il y a la controverse d'hier, la polémique d'hier sur les impôts
03:18laisse croire que le désamour pourrait être rapide parce qu'il faut bien comprendre que
03:23Michel Barnier, qui est plébiscité par le Centre et plus encore par les LR ou ce qui
03:27en reste, il annonce à ceux qui le soutiennent la mesure qui est la plus contradictoire avec
03:33leurs aspirations.
03:34Vous me soutenez, je vais faire exactement le contraire de ce que vous souhaitez.
03:37Vous espériez les baisses d'impôts, vous espériez… Eh bien, le contraire, on va
03:41envisager une hausse d'impôts.
03:42Alors là, il y a quelque chose…
03:44Et d'autant plus, je fais une petite parenthèse si vous permettez, d'autant plus que peu
03:46de temps avant, le R.A. n'avait dit que si jamais Michel Barnier augmentait les impôts,
03:52il ne le soutiendrait pas.
03:53Donc, c'est quand même assez surprenant qu'il soutienne ça.
03:55Ah bien, mais à toujours vouloir plaire à gauche, à moins que ce soit autre chose,
03:57à toujours vouloir plaire à gauche, ça finit par… Il y a un effet boomerang, quoi
04:00qu'on en dise.
04:01Donc, Michel Barnier, est-ce que s'il s'entête dans cette idée d'augmenter, que dis-je,
04:06les impôts, est-ce qu'il y aura un véritable soutien?
04:08On peut en douter.
04:09Par ailleurs, il y a une attente de rupture autour de Michel Barnier, une rupture triple,
04:14je crois, avec le personnel politique.
04:16Est-ce que le nouveau gouvernement ressemblera à l'ancien?
04:18Ou est-ce qu'on aura véritablement des figures nouvelles qui incarnent un changement
04:21de cap?
04:22Une rupture dans le style, avec la technocom des années, on pourrait dire, Macron-Attal,
04:28et ensuite, rupture dans les orientations politiques sur les grandes questions, qu'elles
04:32soient régaliennes, financières ou fiscales.
04:34S'il n'y a pas ces ruptures, s'il n'y a finalement qu'une parole plus apaisante
04:38pour exprimer le centrisme d'antan plutôt que le centrisme dit d'aujourd'hui, pour
04:42prendre la formule d'Alexandre en d'autres circonstances, il est possible que l'enthousiasme
04:46ne dure pas longtemps.
04:48Mais j'y reviens, mais j'y reviens, d'autres crises peuvent venir dans les prochains temps,
04:53et Michel Barnier pourra-t-il les affronter?
04:55Il se peut que la crise soit plus importante que la popularité soudaine dictée par les
04:58sondages.
04:59À travers tout cela, nous ne sommes pas déjà entrés, selon vous, dans la séquence
05:04de la présidentielle 2027?
05:05C'est ce qu'on cherchait à nous dire hier.
05:08Moi, je pense, c'est ce que j'appelle la présidentielle des commentateurs.
05:10Puisque les grandes forces politiques disponibles, on ne sait pas exactement dans lesquelles
05:13elles seront.
05:14Donc là, on parie sur l'un, on parie sur l'autre, on trouve ça amusant.
05:17La vraie donnée pour 2027, soit dit en passant, c'est est-ce que Marine Le Pen sera inéligible
05:22oui ou non?
05:23C'est la seule question à se poser en ce moment, le reste c'est secondaire dans le
05:26récit.
05:27Par ailleurs, il y a une trame nouvelle qui s'est imposée dans l'actualité depuis
05:30hier et plus encore aujourd'hui, la question des finances publiques.
05:34Est-ce que nous sommes devant une crise à venir dans les jours qui viennent, et de ce
05:39point de vue pour les décennies à venir aussi, une crise des finances publiques telle
05:44qui obligerait n'importe quel gouvernement, quel qu'il soit, à faire preuve de la
05:48plus grande rigueur budgétaire.
05:50Parce que la crise des finances publiques, on savait déjà que les finances publiques
05:53étaient en très mauvais état.
05:54On constate qu'elles sont en encore plus mauvais état qu'on ne le croyait.
05:58Quand Marine Le Pen disait au mois de juin qu'elle voulait faire un grand audit des
06:02finances publiques, et on se moquait d'elle en disant c'est pas nécessaire, franchement
06:05la responsabilité fiscale à ce moment, c'était manifestement Marine Le Pen qui
06:09la représentait en disant il faut le grand audit des finances publiques, et on s'en
06:13moquait.
06:14Je note qu'ensuite on accuse souvent la droite nationale d'incompétence financière, d'incompétence
06:18budgétaire.
06:19L'appel à la responsabilité budgétaire venait à ce moment de ce camp.
06:23Je prends la peine de le noter, il peut être dans d'autres camps, d'autres circonstances.
06:26Et là la crise, le problème est le suivant, si le gouvernement Barnier augmente les impôts
06:33pour répondre à la crise des finances publiques, c'est un peu ça le récit qui s'impose en
06:36ce moment, s'il le fait, il suscitera une grogne réelle et plombera l'économie.
06:41Il faut comprendre que quand on augmente les impôts, on plombe l'économie.
06:44Je sais que les économistes de gauche ne le savent pas, mais les économistes de gauche
06:48sont de gauche avant d'être économistes.
06:49Donc on plombe l'économie, on ralentit le moteur de la croissance, et au nom de la justice
06:55fiscale dans les faits, on en vient à punir les forces les plus productives en ce pays.
07:01Je sais que ce vocabulaire peut être choquant, mais c'est quand même ça, les forces productives,
07:04la catégorie de gens qui payent les impôts, ce n'est pas si, ils ne sont pas si nombreux
07:07que ça.
07:08Si on leur tape encore plus sur la tête, l'effet à terme, c'est une baisse de l'activité
07:11économique.
07:12L'autre option évidemment, c'est s'ils décident de couper dans les dépenses.
07:16Plusieurs m'en invitent.
07:17Mais ce qu'on sait, c'est que depuis Mme Thatcher, on le sait en fait, couper dans
07:20les dépenses, c'est plus compliqué qu'on le dit.
07:22C'est-à-dire Mme Thatcher, à l'échelle de l'histoire, elle a ralenti l'augmentation,
07:26on pourrait dire, elle a ralenti l'augmentation des dépenses publiques, donc elle a dépensé
07:30moins que d'autres, mais toujours plus que son prédécesseur.
07:33On est dans le même scénario probablement aujourd'hui.
07:36Une baisse des dépenses publiques aujourd'hui, ça voudrait dire dans les faits, couper non
07:41seulement dans la structure bureaucratique de l'État, mais dans les dépenses nuisibles
07:45pour reprendre une formule qui s'impose de plus en plus.
07:47Mais si Michel Barnier, à la tête de son gouvernement, fait de telles coupes, on est
07:54certain que demain matin et après-demain et après-après-demain, il y a des manifestations
07:58dans la rue, une volonté de paralyser le pays, les forces qui dépendent de la subvention
08:02publique pour être capable de se perpétuer vont se mobiliser.
08:04Est-ce qu'il y aura la force politique pour être capable d'affronter la rue qui s'opposera
08:09à la baisse de telles dépenses ? Rares sont ceux qui croient qu'il sera capable d'engager
08:13un tel programme dans la configuration politique actuelle.
08:16De ce point de vue, je dirais la chose ici, qu'il soit de gauche, de centre, de droite,
08:21tous ceux qui ont de près ou de loin participé au pouvoir depuis 40 ans sont responsables,
08:26je ne dirais pas coupables, mais responsables assurément de la crise des finances publiques
08:29qui nous éclate au visage.
08:31Aujourd'hui, on voyait venir cette crise depuis longtemps, on savait que ça éclaterait
08:35un jour, on ne savait tout simplement pas que ce jour serait aujourd'hui.

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