• il y a 6 mois
Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:05 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:09 Place à la rencontre.
00:11 Aujourd'hui, notre invité est philosophe, écrivain et commissaire d'exposition.
00:15 Il est désormais réalisateur.
00:17 On a pu découvrir dès novembre dernier sur Arte et depuis hier dans les salles de cinéma son film "Orlando, ma biographie politique".
00:24 Orlando, d'après le personnage imaginé par Virginia Woolf en 1928.
00:29 Orlando, aristocrate britannique né au XVIe siècle, jeune et beau, qui traverse les siècles, les frontières et les genres.
00:35 Et qui, un beau matin, après des heures et des jours de sommeil, se réveille dans le corps d'une femme.
00:40 Orlando, d'après lui, donc, d'après ce personnage, d'après elle, d'après nous aussi.
00:45 Car Orlando n'est pas qu'une fiction enfermée dans les pages d'un livre, mais une fiction que chacun d'entre nous peut écrire.
00:51 Son nom propre, son corps, ses habits, ses amis, ses amours.
00:54 Une vie à imaginer, une vie orlandesque.
00:57 Alors, quand est-ce qu'on commence ?
00:59 Paul Bepreciado, bonjour.
01:00 Bonjour.
01:01 Et bienvenue dans les Midis de Culture.
01:03 Paul Bepreciado, j'ai une chose à vous avouer, je n'ai jamais lu Orlando de Virginia Woolf.
01:08 C'est pas vrai ?
01:09 Si.
01:10 C'est une chance ou une honte ? J'ai la chance de pouvoir encore le découvrir ?
01:15 Oui, vous avez la chance de le redécouvrir.
01:17 Par contre, si vous allez voir mon film avant de lire les livres...
01:21 Ce qui m'est arrivé.
01:23 C'est vrai ?
01:24 Alors, peut-être qu'il y a des choses qui sont dans les livres de Virginia Woolf, que vous n'allez pas retrouver dans mon film, et vice-versa.
01:31 Je ne sais pas, parce qu'évidemment, elle a écrit ce livre en 1928, et beaucoup de choses se sont passées après.
01:37 Donc, j'avais quelque part l'envie aussi de dire à Virginia Woolf...
01:41 En fait, oui, tu as imaginé cette histoire des transitions du genre, mais aujourd'hui, il y a d'autres manières de faire la transition.
01:50 On n'est pas tous des aristocrates anglais, et on ne se réveille pas comme ça, jour lundi, dans les cordes de soit un homme, soit une femme.
01:58 Les choses sont en même temps plus compliquées, mais aussi peut-être plus belles, plus radicales, plus révolutionnaires.
02:05 Et en même temps, ce film, Paul Bepreciado, ce n'est pas une critique de Orlando, au contraire, c'est un hommage.
02:10 Vous mesurez l'écart entre 1928 et 2024, mais avant tout, c'est un amour que vous déclarez à ce texte et à Virginia Woolf.
02:18 Oui, parce que j'ai découvert le texte, en fait, totalement par hasard, quand j'avais 14 ans, à l'école, vraiment.
02:24 Je ne comprends même pas, en fait, pourquoi ce texte serait trouvé dans une liste, en fait.
02:29 Voilà, c'est ce que j'allais vous dire.
02:30 Surtout parce que j'étais dans une école catholique, donc je pense que personne n'avait...
02:33 Non, mixte !
02:34 Voilà, personne ne l'avait lu, peut-être.
02:36 Peut-être, mais par contre, moi, j'ai lu ce livre, en fait, qui s'appelle "Orlando, une biographie", et ce livre, quelque part, a changé ma vie.
02:45 Parce que je me suis dit, en fait, que si ça, c'était une biographie, et si la vie d'Orlando était possible, peut-être la mienne aussi était possible.
02:52 Alors que dans la société où j'habitais, il n'y avait rien, absolument rien, qui permettait d'imaginer ma vie telle que je la vis aujourd'hui.
02:57 Donc, ça veut dire que ce texte, pour vous, et on mesure la puissance du livre, ça a été vraiment un déclic ?
03:03 Je ne sais pas si c'est un déclic, en fait, parce que depuis que j'ai 4 ans, en réalité, je ne me sens ni homme ni femme.
03:11 Je regarde, en fait, de l'extérieur, la théâtralité du genre, et je me dis, bon, apparemment, il y a des gens qui se sentent très bien ici et là, mais moi, franchement, ce n'est pas mon truc.
03:20 Par contre, quand j'ai lu "Orlando", j'étais convaincu aussi que Virginia Woolf avait écrit ma biographie.
03:28 Qu'elle s'adressait à vous ?
03:30 Totalement, totalement à moi. Donc, ce livre est devenu pour moi plus important que la Bible, plus important que n'importe quel autre livre.
03:36 Et c'est peut-être pour ça que, quand Arte est venue me chercher pour faire un film, en principe, peut-être autour de ma vie, autour de ses expériences trans,
03:44 j'ai dit que la seule manière de faire un film sur ma vie, ça serait éventuellement de faire une adaptation documentaire de "L'Orlando" de Virginia Woolf.
03:53 Mais pour moi, en fait, c'était une boutade. C'était vraiment, je l'ai dit en rigolant, en me disant qu'ils allaient me dire, "bon, partez immédiatement".
03:59 Ils ont adoré cette idée et je me suis retrouvé dans une situation inimaginable, en fait, puisque finalement, c'était moi qui allais faire ces films,
04:08 alors que je n'avais aucune expérience du cinéma. Mais par contre, c'est vrai que j'ai travaillé pendant des années avec beaucoup d'artistes.
04:14 Et c'est aussi grâce à la collaboration d'énormément de gens, de mon chef opérateur, Victor Sevo, qui est extraordinaire,
04:22 de Jotam Ben David, qui est mon monteur de cinéma, qui est extraordinaire aussi. Donc je me suis entouré aussi d'une équipe merveilleuse.
04:29 Et aussi d'un casting des "Orlando" des rêves, parce que j'ai fait un casting en me disant peut-être que quelques "Orlando" allaient répondre à la question
04:39 "Où est Orlando aujourd'hui ? Qui est Orlando aujourd'hui ?" Et nous avons reçu en fait une centaine de réponses.
04:45 Donc du coup, dans la prod, on était totalement débordé par la quantité d'Orlando.
04:49 - Et il devrait y en avoir plus en plus ? - Mais bien sûr, il y a des milliers et des milliers d'Orlando.
04:54 Donc des personnes qui ne se sentent pas en accord avec le genre qui leur a été assigné à la naissance,
05:00 et qui souhaitent soit en changer, soit vivre autrement, dans une vie non-binaire, ou bien faire une traversée, une transition du genre.
05:07 Et c'était merveilleux, parce qu'en fait, j'ai compris très rapidement, d'abord que Orlando, oui, peut-être,
05:13 Virginia Woolf a écrit ma biographie et j'étais Orlando, mais je n'étais pas le seul Orlando.
05:18 Je ne suis pas seul, contrairement à l'Orlando de Virginia Woolf, qui vit une vie très solitaire.
05:23 Moi, je ne suis pas seul, je suis entouré de milliers et des milliers d'autres Orlando.
05:28 - C'est pour ça que c'est important de ne pas faire une autobiographie. Ce n'est pas Orlando, une autobiographie politique.
05:33 - Oui, en fait, quelque part, je pense que notre biographie est toujours collective.
05:39 C'est-à-dire que, contrairement à ce qu'on imagine, en fait, par les récits dominants du néolibéralisme,
05:45 qui nous fait croire que nous sommes un individu et que notre vie est totalement...
05:50 - Atomisée, isolée. - Voilà, exactement.
05:52 La société n'existait pas, on connaît cette phrase, en fait, ultra-libérale.
05:57 Par contre, ce qu'on apprend avec l'expérience de la transition, c'est que tout est société.
06:03 C'est que nous sommes construits dans la relation.
06:07 Et donc, ma vie, évidemment, elle commence bien avant ma naissance.
06:11 Elle commence par les récits, y compris par celui-là de Virginia Woolf, qui quelque part m'a permis aussi de me réinventer.
06:18 Mais aussi par des récits de la médecine, par des récits médico-légaux, etc.
06:24 Enfin, des récits psychiatriques, notamment des récits très, très violents, par rapport auxquels il faut se positionner tout au long de sa vie.
06:31 Mais aussi, en fait, par exemple, quelque chose qui a été très important pour moi,
06:34 beaucoup plus, même, je dirais, que la littérature, ou même, surtout, que la psychiatrie,
06:39 qui sont des discours, en fait, assez violents.
06:42 Surtout, la rencontre, en fait, activiste avec d'autres Orlando,
06:46 qui permet d'imaginer que notre expérience n'est pas une expérience de dysphorie du genre,
06:52 n'est pas une maladie mentale, mais c'est juste une dissidence par rapport aux normes sexuelles et du genre d'une société bien précise.
07:00 La nôtre, qui est une société binaire, hétéronormative, patriarcale.
07:05 Mais voilà, donc c'est très différent de penser que vous souffrez d'une maladie mentale
07:10 et penser que vous êtes parmi un grand groupe, en fait, des personnes qui sont dissidents à la norme du genre et sexuel.
07:20 - De toute façon, ça change la vie de savoir qu'on n'est pas seul.
07:22 - Absolument, absolument.
07:24 Mais ce qui est intéressant, c'est que les récits médico-légaux vont vous faire croire que vous souffrez, vous, uniquement vous, d'une maladie.
07:33 - Vous êtes le seul écart à la norme.
07:35 - Voilà, vous êtes l'écart et donc vous devez être l'objet d'une surveillance accrue,
07:39 l'objet d'une thérapie, soit, en fait, des réconversions dans les genres assignés à la naissance.
07:47 En tout cas, d'une surveillance tout au long de la vie.
07:49 Alors, ce que je voulais montrer avec le film, c'est qu'au-delà de ce parcours que la société rend très difficile,
07:56 l'expérience trans est une expérience éminemment poétique, est une expérience de liberté,
08:04 est une expérience de production des pratiques de liberté.
08:07 Et ça, c'est extraordinaire.
08:09 Donc, je voulais partager cette joie politique avec tous les Orlandos,
08:14 mais aussi avec tous ceux et celles qui accompagnent les Orlandos dans leur vie,
08:19 c'est-à-dire les familles des enfants trans, qui sont aujourd'hui objets d'une grande persécution politique,
08:24 les amants et les amis des personnes trans, les personnes qui côtoient les personnes trans dans le cadre du travail,
08:31 et qu'on puisse, presque collectivement, se rendre au cinéma, comme une espèce d'assemblée,
08:37 pour dire, voilà, en fait, nous sommes entrés dans un moment orlandesque de l'histoire,
08:44 et il faut, il est temps peut-être, de mettre en question cette binarité normée,
08:50 et d'imaginer une société qui irait au-delà du binarisme du genre.
08:55 Je suis Cori Angelis Brown, et dans ce film, je serai l'Orlando de Virginia Woolf.
09:02 Quelqu'un m'a demandé un jour, "Pourquoi n'écris-tu pas ta biographie ?"
09:07 J'ai répondu, "Parce que 'Fucking Virginia Woolf' l'a écrite à ma place en 1928."
09:12 La vie ne ressemble pas du tout à une biographie, mais pas à une série d'épisodes, ou d'aventures sentimentales.
09:27 Mais elle consiste en la métamorphose de soi, se laisser transformer par le temps.
09:32 Devenir non pas seulement un autre, mais d'autres.
09:36 La première métamorphose révolutionnaire, c'est la poésie, la possibilité d'échanger les noms de toutes les choses.
09:44 La deuxième, et la plus profonde de métamorphoses, c'est l'amour.
09:48 Je m'appelle Oscar Rosa Miller, et dans ce film, je serai l'Orlando de Virginia Woolf.
09:54 Si tu savais, le monde contemporain est plein d'Orlando.
09:59 Nous sommes en train d'échanger les cours de l'histoire.
10:01 Je suis Joven Riza.
10:02 Je suis Naël Daria.
10:03 Je suis Jenny Belaire.
10:04 Je suis Emma.
10:05 Je suis Amir Baï.
10:06 Et dans ce film...
10:07 Et dans ce film, je serai...
10:08 Je serai l'Orlando de Virginia Woolf.
10:10 Et dans ce film, je serai Orlando de Virginia Woolf.
10:12 De Virginia Woolf.
10:13 Je serai Orlando...
10:15 De Virginia Woolf.
10:17 Virginia Woolf.
10:22 Virginia Woolf.
10:24 Pas qu'un documentaire, pas qu'un biopic, pas une autobiographie, pas une adaptation du roman de Virginia Woolf,
10:36 votre film, Paul Bepreciado, "Orlando, une biographie politique", est un film qui rend vivant Orlando à travers des Orlandos.
10:43 Vous l'avez dit, 26 personnes trans et non-binaires.
10:47 Et je suis contente que dans cette bande-annonce, on a pu prendre un bout de la bande-annonce,
10:52 on ait ce moment où on vous entend dire que la métamorphose était d'abord poétique.
10:58 Ça commence par un changement de nom.
11:01 Parfois, on a l'impression que les mots ne changent rien.
11:03 On a l'impression même qu'ils nous enferment.
11:05 Mais vous, vous avez l'air d'être persuadé que quand même le langage a une puissance.
11:10 Bien sûr.
11:11 Tout d'abord, il faut dire que cette quatre métamorphoses, celle de la poésie, celle de l'amour, celle de la créolisation,
11:18 les voyages, la décolonisation et finalement les changements de sexe, de genre, sont dans les livres de Virginia Woolf.
11:25 Je ne fais que les suivre pour donner une structure à mon film.
11:29 Donc ça, c'est quand même une leçon que Virginia Woolf nous apprend.
11:33 Et c'est vrai que pour moi, les textes de Virginia Woolf étaient vraiment un cadeau.
11:38 Parce qu'il fallait que je trouve un langage pas simplement cinématographique, pas simplement visuel,
11:45 mais aussi un langage textuel qui soit au-delà du langage médico-légal avec lequel nous sommes habitués à parler de parcours trans.
11:54 Donc par exemple, homme, femme, transition ?
11:57 Oui, mais pas uniquement transition.
11:59 C'est-à-dire que dès qu'on parle, surtout dans le cinéma ou dans les médias, de la question trans, justement la question trans,
12:07 je dis toujours que les films ne peinent pas un film sur la question trans,
12:10 puisque pour moi, la question trans ne m'intéresse pas, vu que la question trans, c'est ma vie.
12:15 Pour certains d'entre nous, la question trans, c'est notre vie.
12:19 C'est à peu près comme quand on parle de la question de la migration, on a l'impression que c'est vraiment un problème de la société.
12:28 Et qui serait un objet à part, vous voulez dire, abstrait, qu'on conceptualise.
12:32 Oui, ça installe une différence entre nous, nous sommes normaux, binaires, hétérosexuels, etc.
12:39 Et après, il y a la question, la question trans, la question de la migration.
12:42 Sous-entendu aussi, la question, le problème.
12:44 Les problèmes de la race, les problèmes de la migration, etc.
12:47 Alors que pour certains d'entre nous, c'est juste notre propre vie, en fait.
12:52 Et donc, je voulais en fait trouver une autre manière pour parler de la transition aussi.
12:59 Et je voulais pas exactement faire un film, en fait, même si le film est philosophique, je dirais.
13:05 Je voulais pas non plus utiliser les termes de la philosophie.
13:08 Parce que je voulais en fait que les films soient accessibles à tous, y compris et surtout aux enfants.
13:13 Parce qu'il y a quelque chose en fait de merveilleux qui m'est arrivé en fait à peu près dans les dix dernières années.
13:18 C'est à dire que pendant longtemps, en tant que personne non-binaire, trans, etc.
13:22 Je me sentais aussi très isolé.
13:24 J'ai parcouru en fait la communauté LGBT, mais surtout en fait évidemment queer, lesbienne, etc.
13:31 Et je me sentais assez isolé souvent.
13:33 Et tout d'un coup, en fait, il y a eu une nouvelle génération qui est arrivée.
13:36 Et ce qui était fantastique en fait, c'est que les parents, donc des parents apparemment hétérosexuels, normaux, des enfants,
13:43 ont commencé à rentrer en contact avec moi pour me dire, écoutez, j'ai pas lu vos livres en fait,
13:49 mais je vous ai entendu quelque part à la radio.
13:51 Et tout d'un coup, j'ai entendu mon enfant.
13:53 C'est à dire que j'ai vu que vous parliez exactement comme mon enfant.
13:56 Est-ce que je peux parler avec vous ? Parce que je suis désespéré face à l'institution de l'école, face à l'institution de la psychiatrie, etc.
14:02 Et donc j'ai commencé en fait à travailler beaucoup avec les enfants, les adolescents.
14:07 Et c'est vrai que quand j'ai commencé à faire les films, j'avais plein de doutes en fait.
14:11 Parce qu'il n'y a rien de pire qu'un philosophe en fait qui se lance dans l'aventure du cinéma.
14:15 Ça, je ne vais pas parler des exemples en fait, voilà, assez catastrophiques.
14:19 J'essaye de chercher qui ?
14:21 Ne cherchez pas, ne cherchez pas. Enfin, hormis Pasolini en fait, qui je dirais, c'est une exception heureuse.
14:27 Mais il se présentait comme philosophe d'abord.
14:29 Non, pas exactement, mais il était quand même en tout cas, plus écrivain, enfin aussi, autant écrivain en fait qu'un cinéaste.
14:38 Mais donc j'avais peur en fait, effectivement, de rater cet exercice qui est présenté souvent,
14:44 comme quelque chose de très complexe vers le cinéma, alors qu'en réalité, ce n'est pas le cas.
14:49 En réalité, c'est juste parce que le cinéma, c'est l'industrie hégémonique en fait de notre culture, l'industrie culturelle.
14:56 On a l'impression quand même qu'il y a un langage qui peut nous échapper, celui des images, celui du montage, celui même de l'industrie, de l'organisation économique.
15:04 En réalité, on est totalement entouré en fait, c'est-à-dire qu'on n'est plus du tout pour le coup en 1930, où c'était très rare en fait.
15:11 Il y a un texte de Virginia Woolf merveilleux qui s'appelle "Le cinéma", qui raconte en fait la première fois où elle va au cinéma en fait,
15:18 et tout d'un coup, en fait, elle est émerveillée par la vision des vagues de la mer en fait.
15:23 Et elle s'est dit "mais mon Dieu, je suis face aux vagues de la mer, je ne suis pas mouillée en fait", parce que voilà, elle est rentrée dans l'image.
15:30 Mais aujourd'hui, en fait, bon, n'importe quel enfant, y compris dans les montages,
15:34 parce que les enfants avec TikTok sont en train de monter, en fait, faire leur propre film.
15:38 Donc aujourd'hui, il faut absolument désacraliser, démythifier complètement le cinéma.
15:43 Le cinéma est une aventure des créations collectives extraordinaires, surtout si on essaye de le faire de manière expérimentale.
15:50 C'est ce que j'ai essayé avec le film, c'est-à-dire que je fais un film avec un budget assez réduit en fait,
15:55 parce que c'était un documentaire, et je puis le faire aussi grâce à la générosité, la beauté, l'intelligence, le courage
16:03 des 26 personnes trans et non-binaires qui ont participé et collaboré avec moi pour faire cette adaptation documentaire d'Orlando.
16:11 Vous avez dit, Paul Bepreciado, que vous vous sentiez isolé à un moment donné.
16:15 Vous refusez l'idée d'une question trans parce qu'elle met à distance, parce qu'elle problématise.
16:21 Est-ce qu'il y a aussi un autre type de récits normatifs qui se sont mis en place sur la transidentité, que vous n'aimez pas non plus ?
16:29 C'est-à-dire que la question trans, ça en fait un problème, mais il y a aussi des fictions ou des récits qui vont glamouriser la transidentité
16:37 ou qui vont la rendre spectaculaire. Est-ce que ça aussi c'était autre chose que vous trouvez normative, mais dans un autre sens, et que vous vouliez éviter ?
16:45 En fait, on pourrait dire qu'aujourd'hui il y a beaucoup plus de représentations sur les personnes trans qu'avant.
16:52 Mais quand j'ai commencé à faire les films, par exemple, j'ai regardé de manière presque quasi historique et systématique à peu près tous les films, en fait,
17:00 et documentaires et non-documentaires qui étaient faits sur les personnes trans, sur les processus de transition.
17:05 Bon, il y en a un grand nombre, en fait. Moi, je ne sais pas si j'ai regardé la totalité, mais j'ai regardé beaucoup.
17:10 Je me suis rendu compte, en fait, que finalement, malgré ce qu'on dit aujourd'hui, il y a à peu près les mêmes films, vraiment.
17:18 J'ai l'impression que c'est toujours le même film. Enfin, les acteurs et les actrices sont en train d'échanger, mais c'est à peu près les mêmes films qui sont refaits.
17:25 Avant, c'était tous les 20 ans. Après, tous les 10 ans. Après, tous les 5 ans. Et maintenant, à peu près trois fois par an, on assiste, en fait, à les mêmes récits qui se mettent en place.
17:35 C'est un récit, d'une part, où les corps trans sont exotisés et transformés en objets érotiques de consommation hétérosexuelle, masculine, souvent.
17:48 Donc, les corps trans sont souvent un corps féminin érotisé. Et, en même temps, dans un récit des films d'horreur, aussi, les corps trans sont, en même temps, criminalisés et, souvent, mis à mort à la fin du film.
18:03 Et ça, je ne vous parlerai pas des exemples. Je ne vais pas donner des exemples concrets, y compris très récents de films, en fait, qui sont à l'affiche, y compris à Cannes, etc., et qui continuent à se faire aujourd'hui.
18:15 Donc, moi, je savais, quand j'ai commencé à faire les films, les types de films que je ne voulais pas faire.
18:20 Je savais que je voulais, en fait, aller au-delà et ailleurs, en fait, de ces récits d'érotisation, de consommation sexuelle, de pornification du corps trans, mais aussi, en fait, de ces récits de films d'horreur qui commencent, en fait, avec, par exemple, les films "Psychose", et qui continuent jusqu'à aujourd'hui, dans lesquels la personne trans est punie, en fait, et est, souvent, objet des technologies de violences, y compris de la mort, à la fin du film.
18:48 Donc, je voulais faire un film qui représente le parcours trans autrement, c'est-à-dire notre propre vie, telle qu'elle est, dans la complexité de vivre dans une société binaire, mais aussi avec la joie extraordinaire de faire, collectivement, d'inventer, collectivement, des pratiques de liberté.
19:08 - Ce n'est pas un film triste, mais j'entends même "documentaire", c'est-à-dire que vous n'êtes pas là pour documenter, par exemple, la transition d'une personne en particulier, bien au contraire.
19:19 - Oui, ça ne m'intéresse pas, parce qu'en fait, je me suis rendu compte que dans les documentaires, soit disant, en fait, des récits de réalité, en réalité aussi, ces récits de la transition sont écrits d'avance, en fait, et c'est souvent, en fait, un récit de victimisation qui va vous dire, en réalité, "attendez, c'est très difficile de devenir trans, si vous devenez trans..."
19:40 - "Ça peut être dangereux..."
19:41 - Exactement, c'est très rare, c'est dangereux, ça sera toujours un risque, et souvent, en fait, vous allez être isolé, et vous allez finir soit criminalisé, soit mort. Alors que la vie quotidienne, en fait, des personnes trans, elle est très différente de ça, et souvent aussi, est une vie, en fait, qui est faite dès l'entraide collective, en fait.
20:04 - Mais c'est ça qui est très difficile, pardon, je vous interromps, Paul Previceado, mais de montrer, à la fois, en fait, quand même, cette difficulté, le temps long, lorsque vous ne cessez de rappeler, quand même, que, voilà, notre organisation sociale, politique, économique est sous-tendue par une fiction qui est celle de la binarité, du binarisme de genre entre hommes et femmes, donc il y a ça, quand même, les individus se heurtent à ça, et en même temps, il y a aussi beaucoup de joie qu'il faut montrer, il ne faut ni édulcorer, ni dramatiser.
20:30 - Oui, oui, oui, tout à fait.
20:31 - Ça, c'est un équilibre très difficile à trouver.
20:33 - Je pense qu'il a été trouvé, si c'est ce que j'ai réussi à le faire, en fait, par les récits d'Es Orlando, c'est-à-dire qu'on a travaillé aussi d'une manière assez fascinante, en fait, par ailleurs, en fait, parce qu'on a commencé à mélanger les mots et les langages de Virginia Woolf avec les mots et les paroles, en fait, d'Es Orlando d'aujourd'hui, donc du coup, en fait, par exemple, vous voyez, en fait, un ado des quinze ans, Rouven, en fait, qui va raconter sa première histoire d'amour avec Sacha,
21:01 qui a été effectivement sa première histoire d'amour, mais va la raconter avec les mots et les paroles de Virginia Woolf.
21:08 Ça arrive tout le temps dans les films.
21:10 Et donc, du coup, en fait, on a, évidemment, il y a cette difficulté de vivre dans une société qui nous discrimine, qui exerce de la violence sur nos corps, qui nous exclut des domaines sociaux et politiques.
21:23 Donc, évidemment, il y a cette dimension là. Mais attention, à côté de ça, l'expérience de la transition. L'expérience de la transition est une expérience d'une richesse, je dirais, poétique et spirituelle, politique, collective, affective, amoureuse, extraordinaire.
21:42 Donc, voilà, je voulais surtout souligner ça.
21:45 Et puis, je l'ai dit, cette idée-là, Paul Vepréciado, de cette fiction, c'est-à-dire que ce qui est faux avec votre film, c'est qu'on se rend compte que hommes, femmes ou, par exemple, les frontières ou, je ne sais pas, des étiquettes, en tout cas, sont des fictions.
22:01 On a peu d'occasion de se le dire à ce point-là et qu'écrire le langage, mais aussi des mots, mais aussi des images permet de concurrencer ces fictions-là.
22:11 On peut minoriser, en fait, j'ai commencé par là, quand même, la puissance du langage. On est quand même enfermé dans "il", "elle", même si on dit "iel".
22:18 C'est quand même une avancée considérable. Il y a eu quand même, il y a encore une résistance très, très forte, en fait, à l'écriture de "iel", alors que, il me semble, en fait, une singularité, une rupture extraordinaire qui est arrivée à l'intérieur de la langue française et aussi, par exemple, en anglais, quand on dit aujourd'hui "they" pour parler, en fait, de la personne non-binaire.
22:40 Je pense, en fait, que ça manifeste dans le langage, en fait, une rupture politique mailleure.
22:46 Donc aussi, il me semble, ce qui est important dans les films, en fait, quand on écoute, en fait, cette voix, cet ensemble de voix chorales, en fait, de 26 manières différentes, très hétérogènes, en fait, d'être étranges aujourd'hui, c'est qu'on se rend compte, en fait, que nous vivons une révolution collective.
23:04 En fait, c'est vrai que nous avons aussi en face une contre-révolution.
23:09 C'est ce que j'allais vous dire.
23:10 Qui a un mouvement, évidemment.
23:11 Ce collectif, il n'est pas universel, en fait.
23:13 Non, absolument.
23:14 On ne s'y reconnaît pas tous. Il y a des discours extrêmement virulents aussi.
23:19 Contre les processus trans, oui, mais contre... En fait, ce qui arrive aujourd'hui, c'est qu'il y a une critique, peut-être une des critiques les plus importantes à partir des années 70, en fait, du régime patriarcal, hétéronormatif et binaire.
23:35 Donc, cette critique, évidemment, elle est aussi accompagnée de tout un ensemble, en fait, des pratiques de résistance qui viennent de tous les côtés.
23:43 Mais moi, j'ai tendance à être très optimiste.
23:45 Pour moi, l'optimisme, en fait, moi, parfois, je me dis mais comment c'est possible ?
23:49 Parce que vraiment, surtout parce que, bon, j'ai 53 ans, en fait, donc j'ai vécu quelque part, en fait, ma propre vie, quelque part, en fait, on pourrait dire, elle est presque, en fait, elle pourrait documenter aussi les processus de transformation, en fait, des mouvements culturels et politiques des dernières trois décennies.
24:08 Donc, je sais à peu près la difficulté de ces luttes, en fait.
24:11 Malgré tout, je suis très optimiste parce que je me dis, en fait, que c'est aussi parce que je suis réaliste, profondément réaliste.
24:21 Justement, si vous êtes réaliste, vous pourriez être atterré, dramatique, tragique.
24:27 Non, parce qu'en fait, contrairement au message qui est porté par la droite et l'extrême droite aujourd'hui, en fait, la réalité est multiplicité.
24:36 La réalité est hétérogène, radicalement hétérogène.
24:41 Et aujourd'hui, pour la première fois, en fait, nous savons y compris, et c'est quelque chose, en fait, qui est discuté aujourd'hui, y compris par les scientifiques, par les médecins, par les psychologues, etc. Nous savons que nous ne pouvons pas continuer à assigner uniquement de genre à la naissance.
24:59 Je suis, philosophiquement, convaincu que nous avançons vers la volition de l'inscription de la différence sexuelle dans les documents d'identité.
25:09 Mais il semble, en fait, que ça sera dans 100 ans, dans 150 ans, on regardera en arrière et ça va nous sembler, en fait, d'une évidence absolument brutale.
25:18 C'est-à-dire quelque chose d'aussi brutal qu'a été, par exemple, l'esclavage pendant la période de la plantation.
25:25 C'est-à-dire, on peut se dire, en fait, mais comment c'est possible, en fait, qu'à un moment donné, on a vendu les corps humains, en fait, en tant que marchandises ?
25:32 On dira, en fait, comment c'est possible, en fait, qu'on a pu assigner la différence sexuelle à la naissance, sachant qu'il y en a un, au moins tous les 600 000 bébés qui sont nés aujourd'hui dans les hôpitaux, y compris en France et partout,
25:46 qui ne peuvent pas être assignés dans la différence sexuelle et dont leur corps fait objet d'une réassignation.
25:53 Et donc, on parle aujourd'hui, par exemple, de la droite et de l'extrême droite qui viennent de voter une des lois les plus dures, les plus répressives, en fait, d'Europe,
26:01 à agiter, en fait, les débats publics en parlant des opérations des enfants trans.
26:05 Attention, c'est absolument faux. Il n'y a aucune opération, mais vraiment aucune opération des enfants trans.
26:12 Par contre, en fait, ce qu'il y a aujourd'hui dans les hôpitaux de France et d'Europe, en fait, c'est des opérations routinaires des enfants intersexuels,
26:20 c'est-à-dire des enfants dont les sexes ne peuvent pas être assignés immédiatement à la masculinité ou à la féminité et dont leur corps va faire l'objet, en fait, d'une réassignation.
26:30 C'est ces opérations-là qu'il faut arrêter immédiatement et donc tout simplement par l'arrêt de l'assignation de la différence sexuelle à la naissance.
26:38 Mais vous parlez de la droite et de l'extrême droite, Paul Privatiado, mais on pourrait dire aussi, au-delà même des étiquettes politiques,
26:45 il y a aussi des personnes, certaines générations différentes qui se disent "moi je me sens femme, moi je me sens homme, je ne comprends pas ça".
26:53 Est-ce qu'à ces personnes-là, vous pouvez leur dire par exemple "renonce à ça, c'est pas intéressant de sentir femme ou homme".
27:02 C'est pas "je ne dis pas qu'il faut renoncer aux sentiments que vous avez". Il n'y a aucun problème.
27:08 Par exemple, il y a une multitude de conditions physiques et corporelles et psychologiques qui ne découlent pas, qui ne sont pas transformées en identité politique.
27:19 Par exemple, vous pouvez avoir une artère du cœur qui est bifurquée, par contre personne ne vous inscrit dans vos documents d'identité.
27:30 Attention, artère bifurquée et à partir de cette assignation, votre position dans la société est complètement fixée.
27:39 C'est de ça que je parle. Je parle d'une identité politique, de l'assignation d'une identité politique.
27:44 Après, vous pouvez vous sentir homme, femme, autre, toute autre chose.
27:50 Peu importe, ça ne regarde que nous en fait, que ça ne regarde que nous cette question-là de sentiments vis-à-vis de nous et pas que ça devienne...
27:56 Ce n'est pas une question que ce soit totalement individuel et que ce soit secret. Les corps sont toujours politiques.
28:02 Nous sommes fondamentalement, contrairement à ce que la philosophie a voulu nous faire croire, des corps vivants.
28:11 Ça dépend quel philosophe quand même.
28:13 Ça dépend quel philosophe, mais l'histoire de la philosophie dans son ensemble a été un très grand travail pour nous faire oublier que nous sommes des corps vivants et donc des corps mortels.
28:24 Et c'est la précarité du corps, la vulnérabilité du corps, le fait que nous avons besoin de la collectivité pour survivre et pour nous capaciter, pour aumenter notre puissance d'ailleurs.
28:37 Nous avons besoin d'être toujours en relation.
28:40 C'est ça qu'il faut souligner aujourd'hui.
28:42 Et il faut défendre les droits à la reconnaissance de tout corps vivant en tant que sujet politique.
28:49 Quand je dis tout corps vivant, je vais jusqu'au corps de la Terre, jusqu'au corps de la planète, jusqu'au corps de la rivière, si vous voulez, les corps des arbres,
28:58 ce qu'on a appelé traditionnellement la nature, mais qui n'est absolument pas la nature, mais qui est des corps vivants, des êtres vivants qui doivent être reconnus aujourd'hui en tant que sujets politiques.
29:09 Mais pour ça, on n'a pas besoin d'assigner, par exemple, la différence sexuelle à la naissance.
29:14 L'assignation de la différence sexuelle est liée à la gestion politique de la reproduction sexuelle.
29:22 Le fait que l'État, l'État-nation, est intéressé à savoir si vous avez un utérus potentiellement reproducteur à l'intérieur de vous ou pas.
29:31 Mais bien sûr que vous pouvez avoir ou pas un utérus à l'intérieur de vous.
29:35 Ça ne fait pas de vous une femme.
29:38 Il y a une multitude des femmes qui ne feront jamais usage d'un utérus reproducteur ou pas.
29:46 Ça ne fait pas le fait qu'elles soient femmes ou pas.
29:49 Donc je pense en fait que c'est un processus, on a commencé une multitude de processus d'émancipation corporelle et politique dont le féminisme fait partie.
29:59 Et il faut avancer dans cette décolonisation du corps.
30:03 On va écouter Paul-Louis Preciado, la voix d'une écrivaine qui vous a beaucoup marquée.
30:08 Je crois que c'est un besoin que beaucoup d'écrivains ressentent maintenant, dont quelques modèles très connus en France, Robillet, Marguerite de Rasse, Pasolini en Italie.
30:21 Le passage, je le trouve tout à fait normal parce que c'est un fait que la plupart des gens s'intéressent plus au cinéma que à la littérature.
30:33 Le cinéma peut remplacer la littérature comme une forme plus excitante.
30:39 Et c'est une chose que je n'ai pas fait pour le public.
30:42 C'est une chose que j'ai ressentie personnellement moi-même.
30:46 Il y avait un moment, il y a cinq, six ans, où je me suis rendu compte que j'allais au cinéma pratiquement tous les jours et que j'ai lu de moins en moins de romans.
30:57 J'avais envie de participer, de faire quelque chose dans cette forme qui est devenue pour moi la plus importante.
31:04 Je crois que c'est seulement les écrivains soi-disant modernes qui ressentent honnêtement la crise de l'écriture.
31:14 Si on suit en tant que romancier plus ou moins les modèles du 19e siècle, c'est-à-dire on fait le roman réaliste, psychologique, sociologique,
31:26 comme la plupart des romans, comme la plupart des romans qui ont du succès, qui sont populaires, on pense que le roman est dans une très bonne santé.
31:35 Mais si on a déjà compris que le roman est depuis Proust dans un état de crise, si on s'attache aux problèmes angoissants de la littérature,
31:48 on est exactement au marge, à la frontière où on peut voir de l'autre côté des autres possibilités.
31:56 La voix de Suzanne Sontag dans cet archive du 11 novembre 1972 sur France Inter.
32:02 On entend donc la voix de cette écrivaine qui vous a beaucoup marquée, Paul Bepreciado.
32:06 C'est intéressant la manière dont elle dit que l'écriture est en crise, qu'il faut passer à l'image, au cinéma.
32:11 C'est un petit peu ce qui vous arrive aussi, Paul Bepreciado.
32:14 Mais est-ce qu'avec vous, vous ne prenez pas finalement une manière d'aller même plus loin que ça ?
32:19 C'est-à-dire qu'au-delà de l'écriture, au-delà de l'image, il y a cette idée qui revient de...
32:23 En fait, c'est notre corps, notre œuvre d'art.
32:25 C'est-à-dire qu'il n'y a plus besoin d'écriture, il n'y a plus besoin d'image.
32:28 C'est plutôt ce qu'on se façonne de nous.
32:30 Pour moi, ça serait peut-être un piège.
32:33 Parce qu'en fait, pour moi, les corps ne sont pas du tout les corps physiques.
32:36 Vous voyez ce que je veux dire ?
32:37 Pour moi, les corps sont faits de récits, les corps sont faits d'images.
32:41 C'est-à-dire que les corps sont faits du cinéma.
32:43 Les corps sont faits de littérature.
32:45 De la même manière que je vous disais tout à l'heure que Virginia Woolf a écrit ma biographie avant ma naissance.
32:51 Ou même, par exemple, que j'ai écrit une lettre dans les films à Virginia Woolf qui n'est plus là.
32:56 Les corps, j'appelle les corps une somatheque, une archive politique vivante.
33:00 Aujourd'hui, les corps, par exemple, ils sont faits aussi des technologies qui participent à la construction de ces corps.
33:07 Soit biotechnologies, technologies pharmacologiques, chimiques.
33:11 C'est des choses qu'on a vraiment compris, je pense, pendant la pandémie aussi.
33:14 Comment les corps sont construits collectivement avec tout un ensemble de technologies.
33:19 Donc, pour moi, les corps ne sont pas un objet anatomique.
33:22 Quand je parle de corps, en tout cas, moi je pense, quand vous parlez de ces corps-là,
33:28 ne parlons pas en fait des corps en tant qu'objets physiques.
33:31 Mais les corps en tant que cette archive politique vivante qui n'est pas singulière, qui est collective.
33:38 Et donc, oui, il est construit aussi par des images.
33:41 Et pour moi, c'était fondamental à un moment donné, en fait, quand j'ai eu la possibilité de faire ces films,
33:45 je me suis dit pourquoi pas.
33:46 Mais par exemple, je ne verrais pas comment s'entame cette opposition aussi forte entre l'écrit et l'image.
33:53 Je ne l'ai pas ressenti en fait en travaillant.
33:55 Je me suis dit, pour moi, c'était, je passais de manière assez fluide et organique d'un à l'autre.
34:01 Par contre, ce qui était merveilleux, c'était la possibilité de faire rentrer 26 Orlando dans ces récits
34:09 et aussi créer une forme de visibilité dissidente avec eux.
34:13 Ça, je n'aurais pas pu faire en fait avec la littérature.
34:16 Et aussi pour le dire avec, pour dire quelque chose à Sontag, en fait, qu'elle parlait tout à l'heure.
34:20 Donc voilà, les présences absentes, en fait, pour moi, sont un corps vivant.
34:24 Donc voilà, bonjour, Sousanne Sontag, en fait, qui est là avec nous aujourd'hui.
34:29 En fait, Orlando n'est pas un roman comme les autres.
34:33 Orlando, en fait, Virginia Woolf écrit trois biographies.
34:36 Celle d'un chien, bonjour.
34:38 Elle écrit la biographie de Robert Fried, qui est un ami artiste et donc un dissident aussi à l'intérieur de l'économie de production bourgeoise de l'époque.
34:46 Et la biographie d'Orlando.
34:48 Donc voilà, à l'époque, Orlando, c'est presque en fait une créature de Frankenstein.
34:53 La nouveauté, c'est que Orlando n'est plus du tout la créature de Frankenstein.
34:57 Orlando est parmi nous et partout.
34:59 Une dernière question rapidement, Paul Bepreciado.
35:02 Vous parlez d'espoir, vous parlez de joie.
35:05 Pourquoi vous ne parlez pas d'euphorie ?
35:08 D'euphorie ?
35:09 Oui, d'euphorie.
35:10 Vous parlez beaucoup de dysphorie.
35:12 Le contraire, c'est l'euphorie.
35:13 Vous avez réhabilité la dysphorie comme une perforation mondiale positive.
35:16 Pourquoi pas l'euphorie ?
35:18 Il y a plein d'auteurs qui se sont réclamés de l'euphorie.
35:21 Notamment Della Grace Volcano, qui est une artiste que je connais très bien.
35:25 C'est la première personne d'ailleurs qui m'a parlé de testostérone.
35:28 Et donc, pour moi, reste quand même une figure fondamentale.
35:32 Della parle toujours vraiment, déjà dans les années 80, d'euphoria, de political euphoria.
35:38 L'euphorie politique, l'euphorie du genre, etc.
35:41 Moi, je pense, en fait, si je parle de joie, je pense que c'est mon côté Espinosa.
35:46 Il avait pensé le corps, lui, quand même.
35:49 Voilà, c'est pour ça, effectivement.
35:50 Espinosa, c'est très important.
35:52 Je pense qu'Espinosa, c'était presque un philosophe trans, à sa manière.
35:56 On va s'arrêter là-dessus, c'est parfait.
35:58 Merci beaucoup, Paul Bepreciado.
36:00 De vous, on peut donc voir au cinéma Orlando ma biographie politique.
36:03 C'est aussi en partenariat avec France Culture.
36:05 Et de vous, on peut aussi lire, on n'a pas eu le temps d'en parler, mais Dysphoria Moondi,
36:09 le son du monde qui s'écroule, qui est disponible aux éditions Grasset.
36:12 Pour finir, vous avez le choix entre deux chansons, deux chansons sur des villes dans lesquelles vous avez habité,
36:16 soit Paris, soit Madrid.
36:18 Laquelle choisissez-vous ?
36:20 Bah, Madrid, forcément !
36:22 [Musique]
36:24 [Musique]
36:27 [Musique]
36:30 [Musique]
36:33 [Musique]
36:36 [Musique]
36:38 [Musique]
36:44 [Musique]
36:49 [Musique]
36:53 [Musique]
36:57 [Musique]
37:03 [Musique]
37:05 [Musique]
37:09 [Musique]
37:13 [Musique]
37:17 Encore merci à vous, Paul Bepreciado.
37:22 On se quitte avec Anla Scalles des Madrines de l'Oquio.
37:25 Un grand merci à l'équipe des Midis de Culture, qui sont préparées par Isatou Ndoyene,
37:29 Anaïs Hizbert, Cyril Marchand, Zora Vignes et Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
37:33 Réalisation Louise André, prise de son Grégory Wallon.
37:36 Pour écouter cette émission, rendez-vous sur le site de France Culture et sur l'application Radio France.
37:41 Merci Nicolas, à demain.

Recommandations