Avec Cyrille Bret, géopoliticien, spécialiste de la Russie, chercheur à l’institut Delors
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00:00Le deuxième fait du jour se déroule en Russie. Malgré les sanctions occidentales, l'économie russe semble en très très bonne santé.
00:05On attend une croissance de 4% pour l'année 2024, le taux de chômage est au plus bas, le PIB devrait augmenter de 3%, bref, tous les indicateurs semblent au vert.
00:14Bonjour Cyril Brett.
00:15Bonjour.
00:16Vous êtes géopoliticien, spécialiste de la Russie et chercheur à l'Institut Delors.
00:20Peut-on regarder, c'est la première question qui me vient, elle semble naturelle, est-ce qu'on peut regarder tous ces chiffres avec sérieux ou tout cela n'est qu'incertitude de propagande ?
00:30Ces chiffres sont confirmés aussi par des instituts occidentaux, mais il faut toujours prendre les chiffres russes avec deux réserves.
00:37La première, c'est qu'effectivement, l'indépendance des instituts de statistiques n'est pas garantie.
00:42Il y a certaines données qui sont particulièrement sensibles, comme par exemple le niveau des réserves fédérales.
00:48Les deux font des grandes réserves sans doute pas exactes.
00:54La troisième réserve, c'est que toute l'économie russe est déformée par l'effort de guerre qui dure maintenant depuis deux ans et demi,
01:00et qu'une économie de guerre ne fonctionne absolument pas, ni en Russie, ni en France, ni aux États-Unis, comme une économie normale.
01:07Donc ces chiffres peuvent être exacts, peuvent être déformés pour certains quand ils sont sensibles,
01:11mais ils reflètent aussi une réalité qui, économiquement, est très déformée par la guerre.
01:16Mais vous venez de nous l'expliquer, c'est comment essayer de comprendre cette aussi bonne forme économique, si ce n'est par l'économie de guerre ?
01:26Vous nous dites que ça ne marche pas, pourquoi ?
01:29Oui, d'abord parce que c'est provisoire.
01:32Vous imaginez bien, par exemple, que le secteur des munitions et de la production des munitions,
01:37engagée dans un élément de monde, suscite beaucoup d'investissements, d'investissements publics, mais enfin c'est provisoire.
01:43La guerre n'est pas le régime normal d'une économie.
01:46Et puis, vous avez raison de souligner d'excellents chiffres, normalement, de la croissance du PIB,
01:52d'autres chiffres sont beaucoup plus inquiétants, comme le trait au niveau des taux d'intérêt,
01:56qui sont supérieurs à 18%.
02:00Exactement, et il faut bien voir que les taux d'intérêt, ça détermine aussi les investissements à long terme.
02:06C'est-à-dire que si je veux créer une entreprise en Russie, il faut que j'emprunte.
02:09Si j'emprunte à 18%, c'est quasiment prohibitif.
02:13Certains indicateurs sont très positifs, la croissance, le chômage,
02:17d'autres indicateurs sont beaucoup plus inquiétants,
02:21les taux d'intérêt, comme on vient de le dire,
02:25et puis, certains indicateurs qui sont moins mis en évidence, c'est notamment le taux de consommation
02:29de ces fameux deux fonds de réserve, le fonds de bien-être et le fonds de prospérité,
02:34qui sont des espèces de badlane, en fait, de l'économie russe.
02:37Donc, vous vous dites que, mine de rien, l'économie repose, ou en tout cas, il faut être prudent,
02:41parce qu'il y a des zones d'instabilité ou des zones de turbulence qui peuvent provoquer,
02:44on va dire, une sacrée tempête dans les mois, années à venir.
02:47Mais quels sont, en fait, si on essaye de voir ça et de faire un peu de prévision,
02:51les prochains risques pour Vladimir Poutine ?
02:52Est-ce que c'est, par exemple, se retrouver face à une pénurie de main-d'oeuvre
02:55pour l'économie et l'effort de guerre ?
02:57Ou, justement, de ne plus avoir de ressources potentiellement financières
03:01pour, justement, mettre de l'argent sur la mobilisation, les primes des soldats,
03:05la construction de certaines structures à certaines frontières ?
03:09Oui, alors, sur la main-d'oeuvre et sur le taux de chômage,
03:12là, ce ne sera pas une donnée qui sera critique ou qui sera difficile.
03:16Premièrement, tout simplement, puisqu'il y a un taux de chômage très bas,
03:19ça pousse les salaires à la hausse.
03:21La hausse du salaire est de près de 15 % par an.
03:23Donc, ça satisfait la population.
03:25Donc, ça renforce la consommation.
03:26Donc, le sentiment de bien-être, une espèce de bulle d'euphorie sociale
03:30qui est organisée par le gouvernement, effectivement,
03:33pour faire que la guerre soit supportable.
03:35Et, d'autre façon, il y a des réserves de main-d'oeuvre pour la Russie,
03:38notamment en Asie centrale,
03:40qui permettront de pallier ce genre de difficultés.
03:44En revanche, effectivement, à moyen terme,
03:46c'est la consommation des réserves de chômage.
03:49Ça, c'est extrêmement préoccupant.
03:51Puis, il y a une immense fragilité qui est structurelle à l'économie russe
03:55depuis qu'elle existe, depuis les années 90.
03:58C'est la dépendance au prix des hydrocarbures.
04:03Et la dépendance au prix des...
04:05Là, pour le moment, les hydrocarbures se sont maintenus.
04:08Le prix des hydrocarbures se sont maintenus.
04:10Et le jour où ça décrochera, ça entraînera tout un pays.
04:13En fait, c'est pas grave.
04:15On pourrait dire que toutes les économies libérales ou illibérales
04:17sont exposées à ce risque-là.
04:19Le gros problème, c'est que la Russie n'a pas la main
04:21sur le prix des hydrocarbures
04:24et qu'elle est exposée du jour au lendemain.
04:28Et d'une façon qui est considérable,
04:30au sens où c'est quasiment la moitié des ressources de l'État fédéral,
04:34donc la moitié des ressources de l'effort de guerre,
04:37qui sont exposées aux cours des hydrocarbures.
04:40Et il en va de même aussi pour les cours d'enraies alimentaires
04:43parce qu'on le voit mal, mais l'agrobusiness russe
04:46s'est rétabli en 10 ans et est devenu fortement exportateur.
04:50Si une surproduction est constatée en Australie, au Canada,
04:54là aussi, ça aura un effet dépressif sur les cours.
04:58Les exportations russes et donc les rentrées de devises
05:01seront beaucoup plus difficiles.
05:03Cyril Brete, vous êtes géopoliticien, spécialiste de la Russie
05:06et chercheur à l'Institut de l'Or.
05:07Vous évoquiez la consommation et c'est vrai que
05:09quand on se plonge en détail dans certains chiffres,
05:11c'est tout bonnement hallucinant.
05:13La consommation a augmenté de 20% sur l'année,
05:1680% de consommation en plus par exemple sur les mousseux champagne,
05:20sur les cognacs c'est près de 20%,
05:22plus d'investissement sur les automobiles ou les meubles,
05:24c'est-à-dire de gros achats.
05:26Qu'est-ce qui fait que ces chiffres nous donnent franchement l'impression,
05:28avec notre point de vue extérieur, que Moscou est une fête ?
05:31Si c'est la consommation à court terme,
05:33donc toutes les droits alimentaires, l'alcool, etc.,
05:36c'est évidemment un surcroît de revenus.
05:39C'est-à-dire les pensions, les subventions
05:43qui sont distribuées aux ménages
05:45et notamment aux ménages des combattants, aux blessés.
05:48Et là encore une fois, c'est tout à fait louable
05:50de rémunérer les familles.
05:53Ça a un effet de bulle très important sur les familles
05:57et qui n'est pas soutenable,
05:59surtout si on voit quelles sont les capacités de production
06:01de l'industrie russe elle-même
06:03pour la consommation de masse.
06:05L'industrie de guerre russe tourne à plein régime,
06:08mais pas l'industrie des biens de consommation.
06:11À long terme, les biens d'équipement,
06:13l'automobile, l'électroménager,
06:15là encore, ce qui augmente le pouvoir d'achat des ménages,
06:19c'est la distribution de très fortes subventions
06:22aux familles, mais qui, encore une fois,
06:24ne peut être que provisoire
06:27et qui est exposée à des chocs exogènes.
06:30La chute des hydrocarbures,
06:32une attaque contre le rouble
06:36et le renchérissement éventuel des importations,
06:38parce que tous ces biens qui sont consommés
06:41sont en très grande partie des biens importés.
06:44Et les fournisseurs de la Russie,
06:46notamment la Chine,
06:48ne sont pas forcément enclins
06:50à maintenir un niveau de prix
06:52qui soit supportable pour les ménages.
06:54Vous parliez de la Chine, en effet.
06:56Rien que sur l'année 2023, les échanges commerciaux
06:58ont atteint des records, près de 240 milliards de dollars.
07:01Et ce sera ensuite ma dernière question, Cyril Bret.
07:03Cette économie russe ne se maintient-elle pas aussi
07:05à cause des errements des Occidentaux ?
07:07Parce qu'après deux ans de guerre,
07:08l'Union européenne n'arrive pas encore
07:10à se détourner des énergies fossiles russes.
07:12Si on a calmé les importations de gaz,
07:14on est passé de 40% à 15%.
07:16Seulement, on a appris il y a quelques jours
07:18que le GNL,
07:20le gaz naturel liquéfié,
07:22par bateau, avait augmenté de près de 10%.
07:24Donc est-ce que c'est bien beau
07:26de donner des leçons de morale sur les plateaux,
07:28de faire des tweets, de faire des communiqués,
07:30mais les pays de l'Union européenne,
07:32France y compris, on aide encore
07:34Vladimir Poutine à maintenir
07:36son économie
07:38dans une certaine tranquillité ?
07:40Oui, il y a plusieurs questions très intéressantes
07:42dans votre réflexion.
07:44La première, c'est la dépendance aux hydrocarbures
07:46mais aussi aux minerais de l'Europe
07:48à l'égard de la Russie.
07:50C'est une dépendance qui a plusieurs décennies
07:52d'existence, qui date de l'URSS,
07:54et ça ne se débranche pas en trois années de guerre.
07:56Donc c'est un peu normal qu'on n'ait pas
07:58trouvé de source alternative.
08:00Pour ce qui est du GNL, vous avez parfaitement raison.
08:02En revanche,
08:04les approvisionnements en GNL
08:06bénéficient essentiellement à trois États,
08:08les États-Unis,
08:10le Qatar et l'Algérie.
08:12Pas du tout à la Russie,
08:14c'est marginal.
08:16J'en reviens à votre première question,
08:18qui est effectivement
08:20où va l'économie russe dans ses rapports
08:22avec la Chine ?
08:24C'est très simple, la balance commerciale
08:26entre la Russie et la Chine.
08:28La Russie importe massivement des biens de grande consommation,
08:30machines-outils, automobiles,
08:32électroménagers de Chine,
08:34et en échange, elle vend à des prix
08:36qui ne sont pas très avantageux,
08:38ses minerais et son pétrole.
08:40Les termes de l'échange sont extrêmement désavantageux
08:42pour la Russie,
08:44pas forcément aujourd'hui, mais en tout cas
08:46à long terme, la Russie se positionne
08:48comme un fournisseur de matières premières
08:50exposé à des variations
08:52de courses internationales de la plus grande
08:54économie mondiale. En gros, comment va
08:56ça l'économique ?
08:58Merci beaucoup.
09:00Chercheur à l'Institut Delors,
09:02d'avoir parlé vrai sur Sud Radio,
09:04et de nous avoir permis de comprendre
09:06comment l'économie russe
09:08avait une si bonne santé,
09:10ces derniers mois, on le rappelle,
09:12plus 3% de croissance en 2024.
09:14Dans quelques instants, il sera 10h30,
09:16ce sera l'heure des grands débats de l'été.
09:18Nous mousquetaires entrons en studio et on se posera cette question
09:20un mois sans Premier ministre. Est-ce qu'il n'est pas temps d'arrêter
09:22la blague ? Il faut bosser. Les Français attendent des réponses.
09:24A tout de suite sur Sud Radio.