Frédéric Ploquin : «Grenoble est une terre fertile pour les gangs, pour les règlements de compte et le trafic de stupéfiants»
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Frédéric Ploquin, grand reporter et auteur du livre "Les narcos français brisent l’omerta" aux éditions Albin Michel, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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00:00Il est 7h11 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le grand reporter spécialiste du grand banditisme Frédéric Ploquin.
00:07Son dernier livre, les narcos français, c'est une bible sur les mœurs, sur les circuits de l'argent sale de la drogue en France.
00:12Bonjour Frédéric Ploquin !
00:14Bonjour !
00:15Bienvenue sur Europe 1, il y a des choses qui ne changent pas en un été, malheureusement on va parler du trafic de stups avec vous ce matin Frédéric Ploquin.
00:22On constate qu'il y a des points chauds partout dans le pays, alors Grenoble une quinzaine de fusillades cet été,
00:28mais aussi des tueries en région parisienne au mois de juillet, au mois d'août, Bagnolet un mort, Bobigny deux morts le 19 juillet,
00:34Livry-Gargan un mort le 30 juillet, Fusillade à Nice jeudi dernier, deux blessés hier, Valence, Mulhouse, etc.
00:41On a l'impression que c'est pire qu'avant les opérations Place Net, Frédéric Ploquin, que se passe-t-il ?
00:45Ce n'est pas forcément pire, simplement comme on a été tous très pris par les Jeux Olympiques,
00:52on s'est dit que peut-être que la question du trafic de stupéfiants avait été réglée en France,
00:57ce qui n'est pas le cas, et évidemment l'actualité olympienne a simplement étouffé le bruit des balles
01:05et ce feu qui couvait et qui couvre dans les quartiers autour des points d'île depuis longtemps.
01:11Donc la question qu'on peut se poser concernant Grenoble par exemple, où effectivement il y a eu cette espèce de flambée,
01:17alors qu'à Marseille finalement il ne s'est pas passé grand-chose de ce point de vue-là,
01:21en tout cas, il y a eu des événements, il y a eu quelques règlements de comptes,
01:27mais ce n'est pas l'été qu'on avait connu précédemment à Marseille où ça avait complètement flambé, là c'est Grenoble.
01:31Je te dis une chose, c'est que les conditions à Grenoble, le théâtre des opérations, le décor est connu,
01:42c'est-à-dire que Grenoble est une terre fertile pour les gangs, pour les règlements de comptes et pour le trafic de stupéfiants depuis toujours.
01:49Ce n'est pas un endroit particulièrement paisible qui tout d'un coup bascule.
01:54Comment ça s'explique d'ailleurs ?
01:56Il y a un certain nombre d'éléments d'ordre géographique déjà, il y a la position de cette ville entre le sud de la France, de Lyon de l'autre côté,
02:09c'est une espèce de carrefour déjà géographique, ensuite il y a un bassin très important de consommateurs,
02:15de jeunes, sans compter, ça c'est peut-être un détail anecdotique pour certains,
02:21mais le fait que l'hiver il faut bien approvisionner les stations de sport d'hiver de la région,
02:26donc c'est plus une vraie présence d'un milieu, d'un crime organisé depuis des décennies à Grenoble,
02:35notamment une présence italienne, une présence de la mafia italienne à une époque, même jusqu'à aujourd'hui.
02:42Donc il y a une prégnance, il y a une habitude, il y a des endroits comme ça, il y a des villes où par tradition,
02:47les voyous s'entretuent et d'autres non, et Marseille et Grenoble en font partie,
02:51et si je vous faisais la liste depuis 50 ans des règlements de comptes à Grenoble, vous vous rendriez compte ?
02:56C'est vraiment un terreau, c'est un terreau fertile on va dire.
03:00Donc il y a ça, et il y a, vous le disiez un peu tout à l'heure, il y a l'idée que ces opérations de classe nette,
03:07si elles n'avaient pas eu lieu, on pourrait s'en plaindre, on ne peut pas dire qu'elles sont négatives.
03:14Ce n'est pas que de la mousse médiatique pour les caméras, parce que c'est vrai qu'on a eu ce reproche.
03:20Quel bilan on peut en dresser ? Parce que je vous redisque cette sensation qu'on a d'un paradoxe,
03:26c'est-à-dire qu'on a des opérations censées faire place nette et on a l'impression de quartiers qui ont été déstabilisés
03:33et finalement ces opérations place nette sont peut-être le déclencheur de ces guerres de territoire, Frédéric Ploquin.
03:39C'est assez paradoxal effectivement qu'on en arrive là,
03:44c'est-à-dire qu'on peut considérer que les forces de l'ordre créent du désordre d'une certaine façon.
03:49C'est-à-dire que le crime organisé n'aime rien moins que la stabilité,
03:55c'est-à-dire que si tout est stable, il ne se passe rien, on ne s'entreduit pas,
03:59les choses sont bien réparties, les territoires sont bien sous contrôle, etc.
04:04Mais ce n'est pas parce que justement il y a ce calme apparent,
04:08comme ça a été le cas pendant des années en Seine-Saint-Denis où le crime organisé était très bien implanté
04:13et où ça ne bougeait pas, pas d'un poil, très peu, parce qu'il ne fallait pas justement déranger le commerce.
04:18Et là ces opérations place nette envoient, c'est le cas notamment à Grenoble,
04:22comme si on s'en tient au bilan que faisait le procureur de Grenoble,
04:26un certain nombre de personnes qui ont été envoyées en prison.
04:29À partir du moment où vous envoyez en prison les bons, c'est-à-dire ceux qui contrôlent vraiment le terrain,
04:35parce qu'on est en bas du spectre du crime organisé, on est sur le terrain.
04:40Le point de deal, là où ça tire, c'est le bas de la chaîne,
04:47c'est le maillon faible du circuit de la drogue.
04:49Est-ce que ces opérations place nette, est-ce que l'on sait, Frédéric Ploquin,
04:52si ça affecte les étages au-dessus, là où se trouve le pouvoir finalement ?
04:56A priori, ce qui affecte les étages au-dessus, c'est quand le chiffre d'affaires baisse.
05:02Mais si le chiffre d'affaires ne baisse pas, il n'y a pas de soucis.
05:06Ce qu'on voit, ce qu'on constate, c'est qu'à chaque fois qu'on met une génération de caïds en prison,
05:12il se passe deux choses.
05:14La première, c'est que les plus jeunes, donc la génération d'après qui frappait à la porte et qui disait
05:19« Moi aussi, je vais être chef à la place du chef, je vais être chef. »
05:22Tout d'un coup, ils n'ont même pas besoin de bousculer ou de tuer le chef,
05:25parce que c'est souvent leur rêve, ces petits-là, qui montent et qui grimpent,
05:29mais ils n'ont pas besoin de le faire puisque la police les élimine.
05:31Donc ils prennent la place, naturellement, il y a ce phénomène-là.
05:34Et de l'autre côté, il y a ces caïds qui se retrouvent en prison et qui se disent
05:37« Maintenant, on m'a pris mon gâteau, on m'a confisqué mon bien »
05:42et qui ne se laissent pas faire.
05:44Et comme chacun le sait, depuis la prison, vous pouvez continuer aussi à agir.
05:47Vous avez des petites mains dehors, vous avez vos lieutenants qui sont dehors.
05:50Donc c'est ça qui crée des étincelles et ces étincelles, dans ce milieu-là,
05:55elles se traduisent par des balles.
05:57Frédéric Ploquin, j'ai une autre question pour vous.
05:58Éric Vaillant, le procureur de Grenoble, racontait la semaine dernière dans Le Parisien,
06:02alors on note d'ailleurs qu'il parle beaucoup, ce procureur de Grenoble,
06:05il n'est pas le seul, les voix de la justice se font entendre
06:08sur la question du trafic de drogue.
06:10Il disait, quelque chose d'intéressant, il expliquait s'il menait une stratégie
06:14semblable à celle de la stratégie Al Capone.
06:17Est-ce que vous pouvez expliquer aux auditeurs d'Europe 1
06:19ce que serait une stratégie Al Capone contre le trafic de stupes en France ?
06:25Écoutez, le fait que les procureurs parlent, je trouve que c'est plutôt une bonne chose
06:30parce que longtemps, on a dit que les magistrats ne comprenaient rien
06:37de ce que les policiers racontaient, de ce qu'ils voyaient sur le terrain.
06:40Et tout d'un coup, on voit des policiers et des magistrats en phase
06:43et là, du point de vue du citoyen, comme nous sommes vous et moi,
06:46on se dit que c'est plutôt une bonne chose.
06:48C'est-à-dire que s'ils parlent le même langage,
06:50et s'il n'y a plus cette langue de bois qui consiste à dire
06:53tout va bien les amis, etc., il y a un vrai constat qui est fait.
06:56Et ça, on l'a vu à Marseille, il n'y a pas très longtemps,
07:02lorsque les sénateurs enquêtaient sur la question du trafic de stupéfiants,
07:06on a vu des procureurs de Marseille se dédouaner un peu du carcan
07:12et sortir de l'orgon et dire les choses telles qu'elles sont.
07:15Ça, c'est très bien.
07:16Ensuite, la stratégie Al Capone, c'est le côté...
07:20Il y a deux choses là-dedans.
07:22Il y a le côté, un, systématique, c'est-à-dire des coups de butoirs
07:27tous les jours, vous saisissez tout ce qui passe, etc.
07:30Bon, ça c'est OK.
07:31La suppression des aides de la CAF, comme on l'a vu dans l'Irniser aussi.
07:34L'idée Al Capone, c'est la manière dont on s'en est pris à Al Capone
07:38si on n'arrivait pas à le coincer sur ses...
07:41Sur les crimes, c'est sur le fisc.
07:43Sur les crimes.
07:44C'est par l'impôt qu'on l'a eu.
07:45C'est l'argent.
07:46C'est l'argent, c'est-à-dire d'assécher financièrement.
07:49Donc effectivement, il y a cette idée qui a surgi de s'en prendre...
07:53Bon, la CAF, disons que pour ces trafiquants de stupéfiants,
07:57le fait de toucher de l'argent de l'État, c'est d'abord une couverture.
08:00Bien sûr.
08:01C'est d'abord ça.
08:02Parce que finalement, c'est petit, l'argent qu'ils touchent de cette façon-là,
08:06c'est assez ridicule par rapport à ce qu'ils touchent dans leur commerce, si vous voulez.
08:11Mais simplement, ça leur donne...
08:13Il y a un certain nombre de trafiquants dont on est surpris quand on les arrête
08:16de voir qu'ils sont effectivement...
08:18Merci.
08:19Lequel aurait resté ça...
08:21C'est d'abord une couverture qui tombe.
08:23Merci Frédéric Bloquin.
08:24On poursuivra la découverte de ce milieu des narcos français
08:28dans votre dernier livre, justement, Les narcos français.
08:30Merci à vous Frédéric Bloquin.
08:31Bonne journée.