À 9h20, Christian Louboutin, le pape du soulier français, est l'invité de Léa Salamé. Il célèbre les 30 ans de son iconique semelle de cuir rouge. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-jeudi-21-novembre-2024-8100697
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Et Léa, ce matin, vous recevez un couturier et designer.
00:04Le pape du soulier, vous voulez dire ! Bonjour Christian Louboutin.
00:07Bonjour Léa Salamé.
00:08Merci d'être avec nous ce matin.
00:10Si vous étiez un écrivain, un tableau, un vêtement et un pays, vous seriez qui ?
00:16Vous seriez quoi un écrivain d'abord ?
00:18Un écrivain, alors il a un nom un peu difficile en prononçable, il s'appelle Roussiar Kapuscinski.
00:27Alors, il a écrit des livres formidables et surtout, c'est un formidable conteur.
00:31Et quelle nationalité ?
00:32Polonais.
00:34Tu le savais ça ?
00:35Oui, formidable, journaliste.
00:37Journaliste, exactement, journaliste et écrivain.
00:39Sur l'Iran, incroyable, sur le Négus.
00:43Le Négus, Alice et l'Acier aussi.
00:45Voilà, il sert à ça Nicolas Demorand, c'est Wikipédia.
00:50Si vous étiez un tableau ?
00:51Alors, ça serait un tableau, c'est pratiquement le premier tableau dont je me rappelle.
00:55C'est le sculpteur de Bronzino qui est au Louvre.
00:59Je ne sais plus où il est parce qu'ils ont bougé les tableaux, mais c'est mon tableau préféré.
01:02Un vêtement ?
01:05Bon là, je vais être un tout petit peu impersonnel, je dirais les souliers, ça m'arrange bien.
01:10Et un pays ?
01:12Un pays, alors j'hésite entre la France et l'Egypte quand même.
01:17J'ai un peu un pied dans les deux.
01:20Et une histoire dans les deux parce que votre histoire est incroyable.
01:22Moi j'ai découvert votre histoire, on va la raconter dans un instant.
01:25Elle est incroyable, entre la France et l'Egypte.
01:28« Je ne suis capable de fantaisie que dans l'ordre », écrivait Colette.
01:32Vous aussi ?
01:35Moi c'est plutôt dans le désordre.
01:36Mais j'ai un désordre organisé.
01:38Donc je comprends ce mot de Colette, mais non, moi je ne suis pas tellement ordonné.
01:43De Lady Di à Lady Gaga, de Catherine Deneuve à Rihanna.
01:46Depuis 30 ans, les plus grandes stars arpentent le globe accroché.
01:50Soulevées, surélevées par vos stilettos, vos escarpins à semelles en cuir rouge.
01:55En fait, ce serait beaucoup plus rapide de faire la liste des stars qui ne mettent pas des Louboutins.
01:59Ces semelles rouges qui sont votre signature, qui ont fait votre succès, faites-leur 30 ans.
02:03Comment expliquez-vous, Christian Louboutin, que c'est resté à travers les temps ?
02:07Que ça ne s'est pas démodé au bout de 30 ans ?
02:09Là où dans la mode, tout se démode.
02:11Et pourtant, des concurrents, vous en avez eu.
02:14Mais vous restez en haut.
02:16Je pense que parce que numéro un, j'adore ce que je fais, j'adore mon travail et que je suis vivant.
02:23Si vous pensez à d'autres marques, il y a beaucoup de morts quand même.
02:26Alors quand on les revend, ce n'est pas la même chose.
02:30Je pense qu'être vivant, c'est quand même un atout dans la vie.
02:33Vous aviez créé les souliers du dernier défilé d'Yves Saint Laurent.
02:36Aujourd'hui encore, vous avez créé les chaussures du défilé le plus mémorable de l'année.
02:39Celui dont on dit qu'il a...
02:41Celui de John Galliano pour Margiela.
02:43De John Galliano pour Margiela.
02:45Oui, magnifique moment d'ailleurs.
02:47Pourquoi particulièrement ? Parce que Galliano ?
02:50Parce que Galliano, parce que sa signature, parce qu'il y a un moment très émouvant.
02:56Et la mode, ça a plein de qualités, mais on ne peut pas dire que ce soit forcément émouvant.
03:00Et là, pour le coup, c'était...
03:01Moi, je n'ai vraiment pas l'habitude de pleurer.
03:03Je pleure, mais je ne pleure pas vraiment pour aller voir un défilé.
03:05Ni pour aller le voir, ni en étant dans un défilé.
03:09Mais là, peut-être un quart des gens étaient en larmes.
03:13Et pourquoi ?
03:15Parce que c'était tout sur l'émotion.
03:18Tout sur l'émotion.
03:19Il n'y avait pas juste les vêtements.
03:21Il y avait tout.
03:22La lumière, la manière dont les gens défilaient, les personnages qu'ils incarnaient.
03:27C'était un tout.
03:28C'était vraiment un moment de grâce, quand même.
03:30Très, très beau.
03:31Et puis, je pense que c'était un moment important pour lui.
03:33Parce que c'est quelqu'un qui a eu une histoire compliquée, complexe.
03:37Et dans le fond, là, peut-être qu'il a décidé, il a raison, que le prix qu'il a payé,
03:43c'était bon.
03:44Et maintenant, il pouvait à nouveau se réexprimer par lui-même, avec ses sentiments.
03:50Elle vient d'où, cette semelle rouge ?
03:51Il y a plein de fantasmagories autour.
03:53Moi, j'ai lu que c'était votre assistante qui se mettait du vernis rouge à un moment.
03:57Et vous avez dit, hop, on va le mettre sur la semelle.
03:59Non, ce n'est pas exactement ça.
04:00Mais c'est ça aussi.
04:01Moi, je pars toujours d'un dessin.
04:03Je dessine.
04:04Et puis, les dessins, je les fais en couleurs.
04:06En 30 ans, je ne fais pas tous les dessins en couleurs.
04:08Maintenant, je suis un peu plus flémard.
04:10Mais j'ai beaucoup, beaucoup fait toutes les couleurs.
04:12La semelle rouge, elle est née de ça.
04:14C'est que je regarde toujours mon dessin original.
04:16Et quand les prototypes arrivent, je regarde si le dessin, si c'est très proche du dessin.
04:21Et donc là, en regardant le soulier, qui était tout en couleurs,
04:24c'était l'inspiration de Warhol, tout le côté lithographique, pop art, comme ça.
04:28Donc, tout était en couleurs, dont les semelles.
04:30Pas rouges, mais les semelles étaient en couleurs de différents dessins.
04:33Et en retournant, j'ai vu le prototype, c'était moins bien que le dessin.
04:38C'est parce qu'il y avait une grosse marque noire qui n'était pas dans mon dessin.
04:41Il n'y avait pas de noirs, il n'y avait pas de...
04:43Voilà.
04:44Et donc, la personne qui avait essayé les souliers, mon assistante,
04:48elle finissait la journée, donc elle était en train de se peindre les ongles.
04:51Donc, je lui ai dit, écoute, je vais t'emprunter ton vernis
04:54parce que je voudrais effacer ce noir pour voir.
04:57Donc, il y a eu une petite bataille.
04:59Comme ça, je lui ai piqué son vernis parce qu'elle avait que deux doigts de fer.
05:01Elle n'était pas contente.
05:02Et puis, voilà.
05:03Et j'ai recouvert la semelle noire d'un vernis rouge.
05:07Et ça fait vraiment l'effet d'un révélateur.
05:09Je me suis dit, ça ressemble à mon dessin.
05:11Je suis très proche de mon dessin.
05:12Oui, mais au début, vous vouliez faire la semelle rouge uniquement une saison.
05:16Voilà.
05:17Et vous n'avez jamais osé changer, en fait.
05:20Finalement, je me suis dit que si je devais rester à une couleur,
05:24le rouge était la couleur.
05:25Et c'est quoi le rouge pour vous ?
05:27C'est beaucoup de choses.
05:29C'est beaucoup de choses, mais c'est quand même la couleur de l'amour.
05:32C'est la couleur de la passion.
05:35Mais aussi, c'est une couleur qui s'adresse aussi aux gens qui n'aiment pas la couleur.
05:41Si on n'aime pas la couleur, on n'aime pas l'orange.
05:43On n'aime pas le vert.
05:44On n'aime pas le violet.
05:45On peut ne pas aimer les couleurs et toujours aimer le rouge.
05:48Les gens qui sont habillés en noir, ils vont avoir des lèvres rouges.
05:51Donc, le rouge est entre les couleurs et les non-couleurs.
05:55S'il reste une couleur, pour moi, c'est le rouge.
05:57Vous auriez imaginé, jeune, que cette semelle ferait le tour du monde,
06:00que les États-Unis, aujourd'hui, c'est votre premier marché
06:02et que les Américaines plébisciteraient les Louboutins ?
06:06Non, pas du tout.
06:08Moi, je ne me suis jamais imaginé autrement que le jour d'après, d'une certaine manière.
06:14Je ne me suis jamais imaginé, je n'ai jamais pensé que j'allais faire une semaine rouge, de toute manière.
06:18Donc, je ne pouvais rien imaginer.
06:21D'ailleurs, vous dites, parce que je vais venir à votre histoire,
06:25mais dans les années Palace, où vous sortiez et vous faisiez la fête,
06:28imaginer faire une carrière était obscène.
06:31Ah oui, non, ça, ce n'était pas possible.
06:33L'idée de travailler, déjà, c'était presque la honte.
06:37Oui, c'était la honte.
06:38Mais je comprends, d'ailleurs.
06:39Oui, vous avez travaillé et vous êtes même devenu un businessman.
06:43Puisque, aujourd'hui, la maison Louboutin, c'est 1 800 personnes.
06:46C'est 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
06:48C'est colossal.
06:51Je ne me fais toujours pas l'idée, de temps en temps, on me dit l'Empire.
06:55Moi, l'Empire, ce sont des guerres,
06:59c'est beaucoup de concurrence, de gens qui se tapent dessus, etc.
07:03L'idée que le mot Empire correspond à quelque chose qui me touche
07:09me fait toujours un peu peur, quand même.
07:11Oui, quand on est valorisé à 3 milliards, c'est quand même vertigineux, non ?
07:16Quand, au départ, on dansait au Palace en disant, l'argent, c'est rien,
07:19la carrière, surtout pas.
07:21Et quand on devient un businessman...
07:23Oui, absolument.
07:25Je vais de surprise en surprise.
07:27Jennifer Lopez a carrément fait une chanson titrée Louboutins.
07:43Elle est bien, la chanson.
07:45Vaut mieux qu'elle soit bien.
07:47Qu'est-ce qu'elles disent, vos chaussures, de la France,
07:49du chic français, de l'esprit français au monde ?
07:53Je pense que l'esprit français, en tout cas pour ce qui concerne la mode,
07:59vraiment, c'est le premier pays.
08:03Et ça le reste.
08:05Et ça le reste.
08:07Il y a ce fantasme français.
08:09On voit bien, d'ailleurs, quand les Américaines arrivent,
08:11on voit bien le succès d'Emily in Paris.
08:13Il y a l'idée de, qu'est-ce que c'est qu'être une Française ?
08:16Qu'est-ce que c'est qu'être une Française à Paris ?
08:18Qu'est-ce que c'est d'être à Paris ?
08:20Donc on reste cette nation
08:22qui a pratiquement inventé, pour le reste du monde,
08:25inventé la mode.
08:27On parle souvent d'une mélancolie française,
08:29d'un pays qui craint pour son déclassement.
08:31On est trop pessimiste sur nous-mêmes ?
08:33Vous qui voyagez tout le temps,
08:35vous pensez qu'on ne s'aime pas assez ?
08:37Ou que si, il y a un déclassement français
08:39que vous avez observé ?
08:41Moi, je pense que les Français n'aiment pas les Français.
08:43C'est surtout ça.
08:45Je vois par rapport à moi,
08:47le succès est arrivé d'une certaine manière
08:49ailleurs qu'en France.
08:51Et on est toujours suspect
08:53quand on a du succès, qu'on est Français.
08:55Les Français n'aiment pas le succès
08:57des autres Français.
08:59C'est dommage, c'est triste, mais c'est comme ça.
09:01Et vous l'avez ressenti, ça, vous ?
09:03Oui, et j'en fais pas une affaire, c'est comme ça.
09:05A la fin, je m'en fous.
09:07Je trouve ça dommage.
09:09Mais je ne peux rien y faire, de toute manière.
09:11Votre question n'était pas là-dessus, pardon.
09:13Est-ce qu'on est trop pessimiste
09:15sur nous-mêmes ?
09:17Qu'imaginez-vous, en voyageant
09:19et dans le métier que vous faites,
09:21le déclassement français ?
09:23On a toujours peur du décrochage de la France,
09:25du décrochage économique.
09:27Moi, je pense que la France
09:29à l'étranger est très, très, très
09:31bien vue.
09:33Je pense que le problème
09:35est français.
09:37C'est dans la tête, vous dites.
09:39Il y a un homme qui a beaucoup compté pour vous,
09:41qui a été votre mentor, votre modèle, c'est Roger Vivier,
09:43qui créa les souliers pour les collections de Christian Dior
09:45à l'époque, pour Marlène Dietrich, pour Catherine Deneuve
09:47dans Belle de Jour, c'est Roger Vivier.
09:49Les bottes de Bardot sur sa Harley-Davidson,
09:51c'est lui également. Écoutez-le
09:53parler de son métier, c'était au Cercle de Minuit.
09:55Ce qui m'intéressait surtout,
09:57je vais vous dire, dans les souliers,
09:59c'est surtout le côté sculptural
10:01des souliers. C'est la seule chose qui m'intéresse.
10:03Je voulais être sculpteur étant jeune
10:05et puis, la vie a changé.
10:07Mais j'aime bien un soulier
10:09parce que c'est à trois dimensions
10:11et son côté
10:13est tellement utilitaire aussi
10:15car en somme, vous savez, une robe
10:17elle est portée par une femme
10:19mais un soulier porte une femme.
10:21C'est toute la différence.
10:23Toute la scie du corps
10:25est sur le soulier, sur le talon.
10:27Le talon, c'est ce qui m'intéressait le plus
10:29car c'est vraiment l'expression
10:31d'un soulier
10:33qui donne le plus pour la silhouette,
10:35son caractère.
10:37Le talon donne
10:39à la silhouette de la femme son caractère.
10:41Il a raison ?
10:43Il a raison, oui. Il a toujours eu raison.
10:45Ça a été mon mentor
10:47absolument et c'est drôle
10:49parce que je ne connaissais pas
10:51là
10:53ce qu'il dit
10:55et comme d'habitude, il a toujours raison.
10:57C'est un homme formidable.
10:59La puissance du talon chez la femme.
11:01Yves Saint Laurent disait que Chanel a donné
11:03la liberté aux femmes, moi je leur ai donné le pouvoir.
11:05Avez-vous le sentiment
11:07aussi d'avoir contribué à donner aux femmes
11:09juger sur ces talons
11:11de 12, de 15, de 16 centimètres
11:13du pouvoir ?
11:15Diriez-vous que ce talon aussi leur donne de l'assurance
11:17quand elles sortent ?
11:19Oui, je trouve que moi je fais des souliers
11:21de toutes les hauteurs.
11:23Je fais des souliers complètement
11:25pleins, des petits talons
11:27et des talons très hauts.
11:29Il y a eu ce fantasme autour de moi
11:31du talon très très haut et uniquement ça
11:33ce qui n'est pas la réalité. Mais pour reprendre
11:35le talon, oui, je pense.
11:37Parfois, on ne peut pas parler pour toutes les femmes.
11:39On ne peut pas avoir un seul point de vue.
11:41Mon point de vue ne peut pas être le point de vue
11:43de toutes les femmes. Toutes les femmes sont différentes.
11:45Mais c'est sûr que
11:47beaucoup de femmes reviennent vers moi en disant
11:49que des souliers, certains
11:51souliers, certains talons leur ont donné
11:53de l'assurance. Je me rappelle de cette femme qui me disait
11:55que la complication
11:57pour elle c'est qu'elle était toujours obligée
11:59de porter des talons parce que la première fois qu'elle
12:01a eu un entretien avec l'homme qui l'a
12:03engagé, elle avait des talons hauts
12:05et elle le voyait au niveau de ses yeux.
12:07C'est-à-dire que la conversation était
12:09au niveau égal des yeux.
12:11Et donc elle voulait garder ça parce que
12:13ça avait façonné
12:15leur relation de travail.
12:17Oui, ça donc donne une assurance.
12:19Donc ça donne de l'assurance, absolument.
12:21Vos influences, c'est
12:23Helmut Newton, le photographe, et ces femmes
12:25nues, non ? Je crois, j'avais lu ça.
12:27Par exemple, oui. J'ai beaucoup aimé.
12:29David Lynch. Lynch, absolument.
12:31Ce sont des gens, je n'ai pas travaillé
12:33avec Newton, mais j'ai fait des choses
12:35avec Newton,
12:37mais je n'ai pas travaillé avec lui, alors qu'en revanche
12:39j'ai travaillé avec David Lynch, mais
12:41c'est plus que des influences. Enfin, oui.
12:43Lynch, c'est
12:45un travail extraordinaire,
12:47des films extraordinaires,
12:49une coloration extraordinaire.
12:51C'est un grand esthète, Lynch.
12:53C'est un immense cinéaste, mais aussi un grand esthète.
12:55Et c'est la sensualité de la femme aussi.
12:57Ça aussi, c'est la
12:59puissance de la sensualité. Tout vous inspire,
13:01vous dites absolument tout,
13:03sauf le confort.
13:05Si je pensais au confort
13:07en dessinant, je ferais des pantoufles.
13:09Donc, on doit souffrir
13:11sur vos chaussures. Non, non, non.
13:13Mais le confort est une chose
13:15qui n'est pas, créativement,
13:17ça ne me fait pas rêver.
13:19Mais en revanche, c'est important.
13:21Là, par exemple, le dernier escarpin,
13:23l'Opus 3, je l'appelle,
13:25qui s'appelle Missy,
13:27il est vraiment, techniquement,
13:29il est confortable.
13:31Donc, c'est important, mais
13:33d'en parler, c'est comme
13:35une relation confortable. Si on dit à quelqu'un
13:37qu'on est dans une relation confortable, ce n'est pas la
13:39chose la plus excitante, disons.
13:41Et même si,
13:43les relations confortables peuvent avoir
13:45une existence. Vous avez toujours préféré,
13:47Christian Loboutin, montrer, parler de vos souliers
13:49que de vous-même.
13:51Vous n'êtes jamais trop exhibé,
13:53vous acceptez les interviews au compte-gouttes.
13:55Et pourtant, étonnante histoire que
13:57la vôtre, vous êtes né à Paris en 1963,
13:59famille d'origine bretonne, vous grandissez
14:01dans le douzième arrondissement de Paris,
14:03avec un père ébéniste, trois soeurs,
14:05blondes aux yeux bleus, les trois.
14:07Il y en a une brune.
14:09En tout cas, elle a les yeux bleus.
14:11Oui, les yeux clairs.
14:13Voilà, à la maison, vous surnomme
14:15Bora Bora, parce que vous, vous êtes très brun
14:17et avec des yeux foncés.
14:19Vous vous posez des questions, à l'école, on vous traite de
14:21sale beurre. Et pour faire
14:23taire les moqueries et les critiques,
14:25vous leur dites, non mais vous leur
14:27inventez, vous dites, j'ai des origines
14:29égyptiennes.
14:31Vous dites ça aux mômes
14:33qui se moquaient de vous et vous traitez
14:35de sale beurre, des origines égyptiennes.
14:37Allez savoir comment vous avez l'idée de dire
14:39origines égyptiennes.
14:41Non, c'est pas tellement difficile
14:43parce que quand on est en France
14:45et qu'on est scolarisé en France,
14:47il y a un peu trois grandes civilisations.
14:49Alors il y a la Grèce,
14:51l'Égypte et Rome.
14:53Et je pense qu'on se définit pas à 100%,
14:55mais on aime ou
14:57la Grèce, ça veut dire quelque chose.
14:59Ou on préfère l'Égypte, ça veut dire autre chose.
15:01Et Rome, c'est encore autre chose.
15:03Donc moi, l'Égypte, pour moi,
15:05c'est très tôt.
15:07Mais c'est l'univers du dessin,
15:09c'est des choses très importantes.
15:11Oui, mais ce qui est fou, c'est que c'est vrai.
15:13C'est que 50 ans plus tard,
15:15à 50 ans,
15:17votre sœur, un jour, vous dit quoi ?
15:19Ma sœur aînée me dit que
15:21elle veut me parler, donc elle habite en Bretagne
15:23parce que nous, on est bretons.
15:25Donc elle est restée en Bretagne,
15:27enfin, elle est revenue en Bretagne. Et elle m'explique
15:29qu'elle me demande si je vais toujours en Égypte
15:31parce que je vais très souvent en Égypte. Je lui dis
15:33oui, cette année, je ne suis pas allé, mais
15:35juste par manque de temps, pas du tout par peur
15:37ou quoi que ce soit, pas les attentats,
15:39le truc.
15:41Elle me dit, mais tu ne t'es jamais posé la question,
15:43pourquoi tu aimes tellement l'Égypte ? Je lui dis, mais il y a
15:45200 raisons d'aimer l'Égypte.
15:47Voilà, la musique, le pays, l'architecture.
15:49Elle me dit, mais une raison plus personnelle ?
15:51Je lui dis, genre quoi ?
15:53Elle me dit, tu pourrais chercher ton père.
15:55Alors là, la première chose
15:57que j'ai fait, c'est que j'ai regardé le nombre de verres
15:59d'alcool qu'elle avait bu. Un verre de vin blanc,
16:01ça ne me paraissait pas énorme, quand même,
16:03pour me sortir ça,
16:05comme une blague. Et donc, voilà, elle m'a expliqué
16:07que mon vrai père... N'était pas votre père.
16:09Exactement, mon vrai père
16:11était Égyptien, donc.
16:13Et c'était l'amant de votre mère.
16:15Voilà, exactement. Il était couvreur
16:17et rentré par le toit.
16:19Et vous n'avez jamais voulu
16:21chercher qui c'était ?
16:23Non,
16:25parce que c'est l'histoire de ma mère. Bon, déjà,
16:27mes parents sont morts, donc c'est l'histoire
16:29de ma mère. Elle n'a pas voulu m'en parler.
16:31Vous lui en avez voulu ?
16:33Pas du tout. Non, moi, j'ai adoré mon père.
16:35Je considère que mon père,
16:37qui n'est pas mon père biologique, a été mon père.
16:39Numéro un, je n'ai jamais senti que je n'étais pas son fils.
16:41Donc, déjà, c'est la preuve qu'il m'aimait.
16:43Et j'ai adoré mon père.
16:45Donc, je n'ai pas senti du tout le besoin.
16:47Si, un jour,
16:49je ressens le besoin, peut-être que je
16:51ferai cette recherche, mais je n'en ai pas du tout le nom.
16:53Je n'ai pas du tout besoin de ça.
16:55Je pense qu'on a besoin de ça.
16:57S'il vous manque des choses, mais je peux dire que j'ai quand même
16:59beaucoup de chance. Donc, il ne me manque pas grand-chose.
17:01En tout cas, pas au niveau affectif.
17:03Et vous, vous êtes père. Quel père êtes-vous ?
17:05Dur ?
17:07Je suis un père,
17:09oui, exigeant.
17:11Exigeant. Mais pas dur, mais exigeant.
17:13Et puis, surtout, avec leur mère,
17:15on s'est donné chacun des missions.
17:17Alors, moi, la mission, c'est
17:19la nourriture.
17:21Alors, voilà. Là-dessus, il y a du boulot.
17:23C'est-à-dire ?
17:25Parce qu'elles ont 10 ans, c'est ça, vos filles ?
17:27Oui, elles ont 10 ans, exactement.
17:29Et donc, elles n'ont pas le droit de...
17:31C'est-à-dire qu'elles ne peuvent pas manger que des cochonneries.
17:33Elles doivent manger des fruits. Elles doivent goûter.
17:35Elles ne doivent pas dire que c'est dégueulasse avant de savoir
17:37ce que c'est. Enfin, de faire un peu attention.
17:39Et puis, surtout,
17:41elles ont quand même de la chance.
17:43Elles vont dans différents pays.
17:45On a beaucoup voyagé ensemble.
17:47Elles doivent goûter les choses, pas dire que, voilà,
17:49on peut toujours manger les mêmes choses.
17:51Et ne pas changer de pays, c'est rester soi-même,
17:53dans une bulle, etc.
17:55Je suis très casse-pieds.
17:57Vous avez toujours une maison à Alep.
17:59Vous aviez acheté une maison à Alep, en Syrie.
18:01Je n'y suis pas retourné depuis 2012, évidemment.
18:03Depuis la guerre.
18:05Mais j'ai toujours cette maison.
18:07Elle n'a pas été bombardée ?
18:09Une partie qui est tombée.
18:11Les impromptus, vous répondez très rapidement.
18:13Farida Kelfa ou Ariel Dombal ?
18:15Ouh là !
18:17Farida Dombal.
18:19Marilyn Monroe ou Marlène Dietrich ?
18:21Dietrich.
18:23Cocteau ou Rimbaud ?
18:25Rimbaud.
18:27Lagerfeld ou Saint-Laurent ? Saint-Laurent.
18:29Vous faites toujours du trapèze ?
18:31Oui, j'ai toujours mon endroit pour le trapèze.
18:33Mais j'ai eu un problème.
18:35J'ai une petite tendinite.
18:37En attendant la tendinite.
18:39Alcool, sexe, drogue, quels sont vos vices ?
18:45Ils sont tous modérés.
18:47Ils sont tous bien là, sympathiques, mais sans vices.
18:49Liberté, égalité, fraternité, vous préférez quoi ?
18:51Liberté.
18:53Et Dieu dans tout ça ?
18:55S'il existe, peut-être qu'il a un cousin.
18:57Parce que je trouve qu'il ne fait pas grand-chose.
18:59Il est resté en vacances pendant très longtemps.
19:01Je trouve qu'il devrait se remettre au travail.
19:03Notamment en ce moment.
19:05Merci beaucoup Christian Louboutin d'avoir été notre invité.
19:07Très belle journée à vous.
19:09Merci, à vous aussi.