Le décès, le 9 février 2024, de Robert Badinter, homme politique et avocat français, a donné lieu à de nombreux hommages, dont un hommage national. Cet homme a marqué la vie politique française du XXème siècle. Il a été ministre de la Justice sous la présidence de François Mitterrand entre 1981 et 1984 et a porté la loi d’abolition de la peine de mort. Il a également été président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995 et sénateur de 1995 à 2011. Le 9 décembre, l’Institut François Mitterrand et le groupe socialiste du Sénat organisaient au Palais du Luxembourg un colloque en hommage à cet homme d’Etat. Au programme : allocutions de Gérard Larcher, président du Sénat, Patrick Kanner, président du groupe socialiste, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, François Hollande, ancien président de la République, ainsi que d’Elisabeth Badinter, philosophe, historienne et veuve de Robert Badinter, et de personnes ayant collaboré avec ce dernier. Revivez cet hommage. Année de Production :
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00:00:00Bonjour à tous. Très heureux de vous retrouver sur Public Sénat pour suivre l'hommage organisé par le Sénat à Robert Badinter,
00:00:16l'ancien ministre de la Justice de François Mitterrand et artisan de l'abolition de la peine de mort en 1981.
00:00:22Robert Badinter est décédé en février dernier et les sénateurs ont décidé de lui rendre hommage.
00:00:28Monsieur le président de l'Institut François Mitterrand, Madame et Messieurs les Premiers Ministres, Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
00:00:42Monsieur le Président, cher Jean-Pierre Belle, et puis j'aurais salué les deux présidents de groupe actuel de l'Assemblée Nationale, Boris Vallaud,
00:00:51et naturellement le président Cannaire, président du groupe socialiste au Sénat, saluer particulièrement Madame Elisabeth Badinter qui est à nos côtés,
00:01:01et vous tous. Je suis doublement heureux d'ouvrir cet hommage, plus complice, je reprends les mots du président que j'avais dit, à Robert Badinter.
00:01:14D'abord, parce que ce moment a lieu à l'initiative de l'Institut François Mitterrand, nous connaissons tous ici les liens qui unissaient Robert Badinter à François Mitterrand.
00:01:28Oui, Mère Base, dont je salue la mémoire, avait l'habitude de rappeler qu'il s'était tissé dès la Convention des institutions républicaines, au milieu des années 60, ce lien si particulier.
00:01:42Robert Badinter fut chargé d'élaborer une charte des libertés au sein du Parti Socialiste. Il aide François Mitterrand à élaborer le programme commun,
00:01:52puis ce fut les campagnes présidentielles de 1974 et 1981, où il fut de tous ses combats avec son engagement en faveur de l'abolition de la peine de mort.
00:02:04Cette célèbre émission d'Antenne 2, où François Mitterrand prit courageusement position sur ce sujet, marque alors les esprits.
00:02:16Il ne faut pas oublier le rôle essentiel aussi joué par Robert Badinter lors du débat qui opposa François Mitterrand et Valéry Giscard d'Estaing en 1980.
00:02:28Nous connaissons la suite. Garde des Sceaux, puis président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter marqua non seulement notre vie politique, mais notre histoire tout entière.
00:02:41Lors du Conseil des ministres, qui suivit l'adoption, François Mitterrand, lui, remit le document original de la loi portant à l'abolition de la peine de mort.
00:02:53Robert Badinter dit qu'il s'agissait là, et je cite, « d'une délicatesse d'amitié ». Les liens entre les deux hommes se cultivaient au gré de promenades, de visites, de maisons d'écrivains, de voyages,
00:03:06notamment en Grèce et en Égypte, mais aussi de l'amour des livres anciens. La politique telle qu'il a concevue revêtait une dimension d'un des beaux arts.
00:03:18C'est ce que disait Robert Badinter parlant de François Mitterrand. J'ai relu son magnifique discours lors de l'inauguration du quai François Mitterrand en 2003, évoquant son amour pour ce fleuve.
00:03:35C'est juste là la première raison qui fait que je suis heureux de vous accueillir. La seconde raison, c'est que Robert Badinter aimait profondément le Sénat, et cette Assemblée lui rendait bien.
00:03:49Et bien sûr, je pense à ses collègues du groupe socialiste, Pierre Bell l'a connu comme tel, il l'a même présidé, oui, qu'il l'accompagnait, mais aussi à d'autres collègues.
00:04:05Sans doute, François Mitterrand, qui fut sénateur de la Nièvre de 1959 à 1962, avait eu l'occasion d'évoquer avec lui cette Assemblée, mais Robert Badinter ne pouvait être indifférent au Sénat où Victor Hugo, qui l'admirait tant, avait siégé.
00:04:22Son premier contact avec cette Assemblée, il le vivra en tant que garde des Sceaux le 28 septembre 1981. Il est très exactement 15 heures. En 2016, il avait souhaité remettre aux archives du Sénat l'exemplaire corrigé de sa main du discours qu'il avait prononcé 35 ans auparavant.
00:04:46Lors de cette cérémonie, il souligna que l'essentiel du débat, pardonnez-moi, ne s'était pas déroulé à l'Assemblée nationale, qui était alors de gauche et acquise, mais bien ici au Sénat.
00:05:00Ce discours, qui nous a confiés en dépôt, fut l'un des moments importants de l'histoire parlementaire de la seconde moitié du XXe siècle. En cela, ce fut un moment politique au sens le plus élevé du terme.
00:05:18Plusieurs sénateurs ont exprimé, au cours de ce débat, une véritable émotion et des sentiments personnels, presque intimes. Robert Beninter dit à l'issue de la discussion générale, je le cite, « j'ai entendu des propos qui traduisaient souvent des convictions, parfois aussi des émotions, respectables et même profondes ».
00:05:40Mais l'émotion réelle ne l'a pas emporté sur la réflexion et la détermination des votes. C'est la responsabilité politique qui a primé. Le rapporteur de ce projet de loi, Paul Giraud, invita, après un débat et quelques échanges,
00:05:58où il y avait autant de différents, allant du groupe communique de Michel Dreyfus-Schmidt, allant à Maurice Schumann, à Marcel Roudelhoff. Oui, le rapporteur de ce projet de loi, après ces échanges,
00:06:17invita les sénateurs à se déterminer, et ça n'était pas du tout prévu ainsi, après le débat en commission des lois, comme des jurés d'assises, selon leur intime conviction.
00:06:30J'ai aussi en mémoire l'hommage que rendit Robert Banninter à Philippe Seguin après sa disparition. Il rappela que cet homme d'État, avec lequel, vous savez, je me sentais en grande proximité, déposa une proposition de loi en faveur de l'abolition dès 1978.
00:06:52Robert Banninter devint sénateur des Hauts-de-Seine en septembre 1995. Il rejoignait le groupe socialiste, alors présidé par Claude Estier, et la commission des lois, présidée par Jacques Larcher.
00:07:06Lors d'un débat enflammé, ce dernier, Jacques Larcher, lui avait déclaré avec humour « Quelques années auparavant, ne dites pas de mal du Sénat, monsieur le garde des Sceaux, vous serez sénateur un jour ».
00:07:21Le président de la commission des lois savait combien Robert Banninter appréciait cette assemblée. Chacune de ses interventions était écoutée avec respect.
00:07:31Ses adversaires politiques reconnaissaient non seulement son immense talent oratoire, mais aussi la sincérité de ses convictions, notamment s'agissant de la justice et de la défense des libertés publiques.
00:07:44Robert Banninter disait « Le Sénat a ses avantages. On y est courtois. Les tensions politiques sont moins vives qu'à l'Assemblée. Le mandat est non soumis à dissolution, ce qui garantit l'indépendance de celui qui le détient ».
00:08:00Son indépendance, monsieur le président, sa hauteur de vue ravissaient ses collègues, ceux de gauche, mais aussi ceux de la majorité du centre et de droite au Sénat, attentifs aux libertés qu'il prenait d'ailleurs avec la ligne du groupe socialiste.
00:08:19Ça n'allait pas sans faire quelques commentaires. Pierre Fauchon, je le cite, « Son collègue de la commission des lois analysait alors le mécanisme de son éloquence. J'ai découvert que le moteur de Robert Banninter était en fait la passion.
00:08:36On le devine à la tension de la voix. Outre le développement structuré de l'argumentation, le processus de motivation utilisé est celui de l'avocat d'assise qui s'adresse aux sentiments du jury ».
00:08:51Avec Jocelyne Rouen, Robert Banninter fut à l'origine de notre comité de déontologie parlementaire, qu'il me proposa dès mon élection à l'automne 2008. Il en fut d'ailleurs le premier président de 2009 à 2011.
00:09:08Il a construit l'indépendance et l'impartialité de cet organe pluraliste dans lequel tous les groupes politiques du Sénat sont représentés. Il s'attacha à dégager, je me souviens du rapport qu'il m'avait adressé, les grands principes déontologiques – indépendance, laïcité, assiduité, dignité, probité, intégrité – qui forment le socle de nos valeurs.
00:09:36En 2007, il fut naturellement désigné rapporteur du projet de loi constitutionnel relatif à l'interdiction de la peine de mort. L'inscription sur l'initiative du président Jacques Chirac de cette interdiction dans la Constitution ferma définitivement, j'allais dire, la porte à la peine capitale.
00:09:56Jusqu'à son dernier souffle, Robert Banninter continue à sans relâche de se battre en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort avec la même conviction que dans l'hémicycle de notre Haute Assemblée.
00:10:09Le 9 juin 2022, nous étions ensemble au Sénat, échangeant avec des élèves d'une école élémentaire de Schiltigheim à propos d'un ouvrage que Robert Banninter avait préfacé à leur intention, intitulé « Abécédaire républicain », et qu'ils avaient réalisé avec leurs professeurs des écoles, à la suite du drame de l'assassinat de Samuel Paty.
00:10:36Il rappelait, dans sa préface, que « la laïcité, c'est d'abord l'expression de notre liberté ». Il ne peut y avoir ni vraie liberté, ni vraie justice dans une société si l'égalité n'est pas réelle, disait Condorcet, auquel il consacra ce merveilleux ouvrage à vos côtés, cher Élisabeth Banninter.
00:11:01Tout au long de vos années, vous avez formé avec Robert Banninter un couple fondé sur le respect.
00:11:08Bien sûr, chacun a suivi un chemin bien précis, mais vous êtes restés unis par votre engagement et vos convictions.
00:11:14Comme vous, madame, Robert Banninter défendit les valeurs de la République, ces valeurs auxquelles sa grand-mère Idice était si attachée.
00:11:23Merci donc à Jean Glavani, à l'Institut François Mitterrand, au président Cannaire, qui m'avait fait part, dans les jours qui ont suivi la disparition de Robert Banninter, de son intention d'organiser ce colloque,
00:11:38qui est un colloque à la fois de mémoire, mais de complicité, pour dire que ce que Robert Banninter a défendu et partagé, au-delà de ses choix politiques, c'est un engagement pour la République,
00:11:51et, j'allais dire, pour l'humanité tout entière. Je vous remercie.
00:11:55Applaudissements
00:12:09Merci, monsieur le président Gérard Larcher, pour cet accueil chaleureux, important.
00:12:15Merci de nous avoir mis à disposition pour le groupe socialiste qui est chez lui, entre guillemets, et Jean Glavani, président de l'IFM, cette très belle salle qui est remplie avec,
00:12:29quand je regarde les personnalités présentes, un bout de l'histoire de notre République. Un moment important, et je voudrais les saluer.
00:12:37Merci à vous, donc. Merci au président de la République, François Hollande, ici présent, de nous accompagner. Il s'exprimera tout à l'heure.
00:12:43Monsieur le président du Conseil constitutionnel, cher Laurent Fabius. Je voudrais saluer aussi, mesdames, madames et messieurs les premiers ministres,
00:12:50cher Édith Cresson, cher Lionel Jospin, cher Bernard Cazeneuve, monsieur le président Sauvé, mes chers collègues parlementaires, ici, nombreux, présents à ce stade.
00:13:02Je n'oublie pas les ministres et les anciens ministres présents. Je voudrais avoir un mot particulier pour ma collègue, présidente de groupe, donc, Maryse Carrère.
00:13:11Je n'oublie pas, bien sûr, Boris Ballot. Nous sommes souvent ensemble avec Boris en cette période. Il doit y avoir un événement particulier qui anime la vie politique française.
00:13:25Et bien sûr, saluer toutes les personnalités, les personnes ici présentes qui ont envie de témoigner par leur présence une forme de reconnaissance à l'œuvre de Robert Badinter.
00:13:38Chère madame Elisabeth Badinter, merci, finalement, de nous avoir permis de nous retrouver ici autour de vous et autour de la mémoire de votre époux.
00:13:47Par profonde gratitude, madame Badinter, parce que, effectivement, nous permettre de rendre hommage à votre époux, c'est aussi rendre hommage à notre histoire collective.
00:13:57Je voudrais remercier l'Institut François Mitterrand avec qui nous avons organisé et co-organisé cet événement public Sénat qui nous relaye toute l'après-midi à l'occasion d'une retransmission détaillée de nos travaux.
00:14:11La qualité des invités et des intervenants présents aujourd'hui témoignent de l'importance et de l'impact de l'œuvre de Robert Badinter, dont l'influence dépasse largement les frontières du temps et de l'espace.
00:14:22Son héritage d'une portée exceptionnelle continue de nous guider et d'inspirer les générations futures.
00:14:28Et c'est pour cela, d'ailleurs, mesdames et messieurs, que vous pourrez garder auprès de vous ce modeste ouvrage.
00:14:34Je remercie le président Larcher de nous avoir confié le discours original de Robert Badinter prononcé ici au Sénat pour défendre l'abolition de la peine de mort.
00:14:43Et vous y retrouverez les éléments manuscrits personnels de monsieur Badinter.
00:14:49Je vous assure que c'est un élément qui méritera de rester longtemps dans vos bibliothèques après, bien sûr, la lecture attentive que vous opérerez en la matière.
00:14:59Je me permets de commencer ce propos en évoquant une pensée qui m'est chère, celle de Pierre Moroy, mon maître à penser en politique.
00:15:06Pierre Moroy a nourrissé une admiration profonde pour Robert Badinter.
00:15:08Ils ont siégé ensemble au Sénat, dans la Commission des lois en particulier.
00:15:13Robert Badinter avait été nommé dans le premier gouvernement, Pierre Moroy, par François Mitterrand.
00:15:19Et à l'occasion de la proposition de loi numéro 53, la fameuse proposition, le projet de loi 53, il disait de Robert Badinter.
00:15:29Badinter a incarné l'engagement, la conviction et la justice sociale dans sa forme la plus pure.
00:15:33Son action a marqué à jamais l'histoire de la République.
00:15:37Robert Badinter était un homme qui avait incarné ce que l'humanité a de meilleur.
00:15:41L'engagement, la quête de justice, la capacité rare à transformer les idéaux en réalité.
00:15:48Son nom est aujourd'hui effectivement, vous l'avez dit, président Larcher, indissociable de la cause essentielle qu'il a défendue, l'abolition de la peine de mort.
00:15:56Ce combat que l'on pourrait réduire à une simple question juridique va bien au-delà.
00:16:01Il incarne la quête d'une justice plus humaine, plus républicaine.
00:16:04L'abolition de la peine capitale pour Robert Badinter n'était pas seulement une victoire législative, mais un acte symbolique qui interroge.
00:16:11Notre société sur ses fondamentaux.
00:16:14Une société qui place l'individu au cœur de ses préoccupations, qui cherche la réconciliation plutôt que la vengeance, qui aspire à l'émancipation plutôt qu'à la répression.
00:16:23Pour Robert Badinter, la question de la peine de mort était un miroir tendu.
00:16:26Un État juste peut-il faire de la mort un instrument de justice ?
00:16:31Peut-il revendiquer la dignité de ses concitoyens tout en infligeant la mort de manière irrévocable ?
00:16:36Le combat contre la peine de mort, c'est donc avant tout un combat pour la dignité humaine.
00:16:40C'est la conviction qu'une société résiliente ne peut jamais abaisser un individu au rang de simple matériel que l'on peut effacer.
00:16:48Pour Robert Badinter, la peine de mort nie l'idée même de rédemption.
00:16:51Elle efface la possibilité de transformation, de changement, de réinsertion dans la société.
00:16:57Dans sa vision humaniste, la justice ne peut être que celle qui croit en la possibilité de réhabilitation de l'individu, même après avoir commis une faute irréparable.
00:17:06Mais l'abolition de la peine de mort en 1981 ne fut donc pas seulement une victoire législative, elle fut donc une victoire aussi morale et philosophique.
00:17:13Je n'oublie pas que ce principe de transformation, de réconciliation et de dignité, Robert Badinter l'a également porté au Sénat.
00:17:19Il a siégé sur nos bancs durant 16 ans au sein du groupe socialiste à partir de 1995.
00:17:25Au palais du Luxembourg et notamment à la commission des lois, il a évidemment continué à défendre les valeurs humanistes qui lui étaient chères.
00:17:31Il a porté sa voix au débat sur la justice, les droits de l'homme et les libertés fondamentales, fidèles à cette vision d'une société plus solidaire, basée sur le principe des droits et devoirs de chacun.
00:17:42Mes chers amis, en vos grades et qualités et responsabilités, actuels ou passés, à travers cet hommage, nous célébrons la mémoire de Robert Badinter, son héritage, son combat pour une société plus humaine.
00:17:56Nous nous souvenons également que tout ce qu'il a accompli, il ne l'a pas fait seul, mais avec le soutien et l'énergie de toutes celles et de tous ceux qui l'ont accompagné,
00:18:04notamment son épouse, Élisabeth Badinter, ici présente, qui va bientôt s'exprimer et qui nous fait l'honneur d'être parmi nous aujourd'hui.
00:18:11Cet hommage, mes chers amis, nous oblige, qui nous encourage à poursuivre avec détermination sur le chemin du progrès et de l'humanisme,
00:18:21finalement de l'empathie, de la bienveillance, de l'altérité, des messages forts que, par son action, Robert Badinter a incarné toute sa vie. Je vous remercie.
00:18:30De discours, il n'y aura pas, parce que je n'ai pas de discours à faire. Je voudrais simplement remercier l'Institut François Mitterrand,
00:18:57qui a pris l'initiative, par notre amie Glavanie, qui a pris l'initiative de rendre un hommage à mon mari. Ça a été très rapide et immédiatement chaleureux.
00:19:13Je voulais donc remercier l'Institut de cette initiative amicale et remercier aussi le président du Sénat, les socialistes du Sénat qui ont très vite rejoint le projet.
00:19:32Un hommage, c'est un honneur. Et c'est des mots qu'on n'oublie pas ensuite. Mais je voudrais aussi remercier tous ceux qui ont participé à l'organisation de cette rencontre.
00:19:52En priorité, je dirais les anciens collaborateurs de Robert qui, ensuite, sont restés des amis et qui participent de près aux propos de la journée. Remercier aussi ceux qui ont organisé.
00:20:14C'est un travail minutieux et qui, je crois, l'ont très bien fait. Et pour vous dire que c'est un moment d'émotion fort pour moi et mes enfants qui probablement s'en souviendront toute leur vie. Donc je vous remercie tous.
00:20:44Alors pour continuer notre programme, nous allons sans doute vivre un autre moment d'émotion maintenant puisqu'on va vous projeter un petit film audiovisuel de 5 minutes. C'est un montage rapide qui est une exclusivité puisque personne ne l'a encore jamais vu à part ceux qui ont préparé cette journée.
00:21:04C'est un montage d'une longue interview que Robert Bainter a accordée à l'Institut François Mitterrand. Parce que l'Institut François Mitterrand, depuis 2 ou 3 ans, un peu plus même, recueille des témoignages que nous recueillons par vidéo.
00:21:18Et Robert s'est livré à cet exercice il y a environ 2 ans. Et nous avons voulu faire ce petit montage pour introduire les grands témoignages.
00:21:38J'ai dicté à ma secrétaire uniquement les citations des grands abolitionnistes. Hugo Jouref, maître du Parti Socialiste à leur temps. Et puis Blum, bien sûr.
00:21:58Et citations en faveur de l'abolition de la part, plus ou moins d'ailleurs nette, de la part des grandes autorités religieuses.
00:22:20C'est plus ambigu à mon avis que clairement. Et puis surtout les ligues, les ligues des droits de l'homme, bien entendu depuis le début, les craves.
00:22:40Et puis j'ai mis ça sur cette feuille. Il y avait surtout les belles citations de Hugo. Et puis je l'ai apporté en rue de Pièvre. Là, je l'ai mis, je dis à la secrétaire Marie-Claire Papier, où est le dossier du candidat. Il est là.
00:22:56J'ai défait la sangle. Et puis j'ai mis sur le dossier, puis j'ai refermé la sangle, la feuille de papier. Parce que je connaissais bien la façon de travailler de Mitterrand.
00:23:10Il était toujours en retard à presser. Donc je me disais, il va prendre le dossier et il va le feuilleter à toute vitesse en allant vers le studio. Moi, je n'y allais pas.
00:23:22Je voulais voir ça de chez moi. Mieux me rendre compte de ce que ressentaient les téléspectateurs, les Français, devant cette émission essentielle.
00:23:33Et quand j'ai entendu la déclaration, j'ai eu le sentiment que ça n'avait pas été inutile, la précaution, parce qu'il l'évoque d'un trait, mais c'était peut-être l'excellence de sa mémoire,
00:23:54l'attitude des grands penseurs, Jean-Alexe Hugo, etc., et des autorités spirituelles. Mais peu importe. Ce qui compte, c'est qu'il a été là un quart de seconde, il a réfléchi.
00:24:15Et je me suis dit, il va y avoir une formule à la Mitterrand dans laquelle chacun trouvera ce qu'il veut, mais il se réserve la liberté. Pas du tout.
00:24:30Ça a été aussi clair et net que possible, je suis, pour le moment, s'il vous plaît. Et je n'ai pas besoin de dire combien j'ai été heureux de cette déclaration très nette.
00:24:42En y réfléchissant longtemps après, j'y avais vu, sur le moment déjà, l'expression d'un véritable courage politique. Il savait que ma ligne était claire,
00:25:01et que la seule façon de faire grandir et de renforcer l'autorité du Conseil constitutionnel, ce qui était à la fois mon but et mon devoir, c'était de se tenir à l'écart de toute vie politique.
00:25:19Mais la période a été pour moi et pour le Conseil essentielle, parce que nous avons eu pour la première fois une majorité de droite suivie d'une majorité de gauche, suivie d'une majorité de droite.
00:25:39Et à travers ces changements politiques, la jurisprudence du Conseil est demeurée la même. Je le dis très clairement, moi j'ai beaucoup aimé Mitterrand comme ami.
00:25:55Il était gai, drôle, toujours disponible. Rien de ce qui était officiel ne transparaissait dans ses rapports-là avec ses amis.
00:26:12J'appelle maintenant Laurent Fabius à la tribune.
00:26:22Cher Elisabeth, chers amis, mesdames et messieurs, j'ai été l'ami et l'ami proche de Robert Badinter pendant 49 ans.
00:26:40On m'a demandé, comme d'autres à témoignage, d'essayer de ne pas redoubler par rapport à ce qui a été dit ou ce qui sera dit, et d'apporter peut-être quelques éléments là où l'amitié personnelle a recoupé la vie publique.
00:27:02C'est par Robert Badinter que j'ai rencontré François Mitterrand. C'était en 1975, et Robert avait été chargé par François Mitterrand de réunir un comité pour rédiger une charte des libertés.
00:27:24Ça s'appelle « Liberté, Liberté ». Le livre n'a pas eu le succès du Prix Goncourt. Mais voilà, il y avait un petit comité de rédaction très sélect au sein duquel il y avait Michel Serres, Régis Debré et quelques autres personnages.
00:27:46Et ils cherchaient les uns et les autres, selon la formule bien connue, un agrégé sachant écrire. Et il se trouve que moi, j'étais un militant, de base, et en même temps auditeur au Conseil d'État.
00:28:06Et voilà que par je ne sais quel hasard, mais probablement orienté, Robert prend contact avec moi et me demande si je veux rejoindre leur petit groupe de rédaction. Évidemment, je suis très flashé, j'accepte.
00:28:20Et nous voilà partis pour plusieurs week-ends, en particulier chez Élisabeth et Robert, où on a un peu travaillé sur le livre et beaucoup discuté rugby, voyages et autres éléments. Et nous sommes tous devenus amis.
00:28:40Et vient le moment où il faut remettre le livre à François Mitterrand. À l'époque, le siège du Parti Socialiste était Place du Palais-Bourbon, montée par, j'allais dire un ascenseur, non, un monte-charge.
00:28:56Nous arrivons dans le Saint-Dessin, nous nous asseyons autour de la table, moi-même, j'étais très impressionné, et la séance dure quelques minutes. Il fallait que François Mitterrand rédige une préface. Je l'ai relue, il prend quelques distances, d'ailleurs, avec le livre.
00:29:16Et les choses ne se passent pas mal, et le lendemain, je reçois un coup de téléphone de la secrétaire de François Mitterrand, qui me demande de passer voir le Président. Il n'est pas Président de rien du tout, mais on l'appelait Président.
00:29:27Et c'est la première conversation que j'ai eue avec Mitterrand, évidemment très séduisante, très convaincante, et qui termine son propos en disant, je m'en souviendrai toute ma vie,
00:29:43voulez-vous être mon directeur de cabinet ? Silence. Je dois vous préciser que je n'ai pas de cabinet. C'était déjà la subtilité et la puissance de la synthèse mitterrandienne. Alors j'accepte.
00:29:59Et quelques épisodes plus tard, nous retrouvons avec Robert, le chemin de l'amitié avait été emprunté, pour préparer, et dans une place extrêmement modeste, la campagne de 1981.
00:30:15À l'époque, nous nous réunissions fréquemment, cette fois chez moi, et nous préparions ce qu'on appelle aujourd'hui des punchlines pour les débats et pour les meetings. Et nous étions extrêmement fiers lorsque François Mitterrand...
00:30:33Lorsque Robert parlait de Mitterrand, Mitterrand n'étant pas là, il l'appelait toujours le chef. Et donc nous étions très fiers lorsque le chef reprenait telle ou telle de nos formules.
00:30:49Ce n'est pas nous qui avons été déterminants, mais voilà, le succès arrive, et moi-même, j'entre au gouvernement. Robert, un petit peu plus tard, parce que le premier garde des Sceaux a été Maurice Faure, et c'est seulement quelques semaines plus tard que Maurice Faure, un peu lassé de la charge de travail que représentait le ministère de la Justice,
00:31:13c'est Robert qui prend les commandes et qui bâtit une œuvre que les uns et les autres vous avez rappelée et que nous avons en mémoire, d'où le fait évidemment déterminant et l'abolition de la peine de mort, mais qui comporte beaucoup, beaucoup, beaucoup d'autres aspects, comme l'a fort bien dit Jean-Marc.
00:31:35Ce qui fait que Robert a été pas simplement le ministre de la Justice, mais le ministre du Droit. Alors on dit Robert Manaterre, et il le disait lui-même, je ne sais pas s'il le croyait, il n'avait pas de sens politique. Pop, pop, pop, pop, pop.
00:31:51François Mitton a été convaincu en ce qui concerne la nécessité de l'abolition de la peine de mort. Mais je puis témoigner que la raison pour laquelle cette réforme puissante a été mise à l'ordre du jour très rapidement, on le doit très largement à Robert Manaterre.
00:32:13À partir d'un argument extrêmement puissant et politique qui était le suivant, que j'ai vécu à ses côtés, les cours d'assises, elles vont continuer à se réunir et elles vont prononcer des peines de mort. Et elles avaient commencé à prononcer des peines de mort.
00:32:33Et si le président de la République, qui disposait du droit de grâce, ne voulait pas être placé dans une situation intenable, il fallait que cette réforme puissante intervienne extrêmement vite. Et c'est ce qui a été fait.
00:32:49Avec une leçon à tirer beaucoup plus large, que partageait absolument Robert et même qu'il professait, les réformes les plus importantes doivent être déterminées et adoptées tout de suite. Après, ça devient beaucoup plus difficile.
00:33:03Alors voilà, son ministère, l'œuvre très puissante qu'il accomplit dans tous les domaines. Bien évidemment, l'abolition, mais la dépénalisation de l'homosexualité, mais des mesures en faveur des victimes, mais toute une série de réformes juridiques dans tout autre domaine, du droit, le droit de la faillite, etc.
00:33:29Et puis arrive l'approche de l'élection. Et on sait que nous ne pourrons pas l'emporter, même si le score fut important. Et Robert, sur la demande de François Mitterrand, accepte d'aller au Conseil constitutionnel.
00:33:57Il y avait un président du Conseil constitutionnel qui était Daniel Maillard. Et Daniel Maillard, d'une façon très élégante, qui ne nous surprend pas, s'agissant de lui, cède la place, ce qui n'empêche pas une polémique.
00:34:11C'est peut-être la seule notation un peu différente que j'apporterai par rapport aux orateurs précédents. En permanence, Robert Badinter a été combattu et combattu salement pendant qu'il était au ministère de la Justice.
00:34:29Vous avez encore en mémoire, pour les plus anciens d'entre vous, Badinter assassin, Badinter à Moscou. Et lorsqu'il est nommé président du Conseil constitutionnel par François Mitterrand, l'une des phrases qu'il reprend dans un de ses livres,
00:34:53de la part d'un haut dignitaire politique, vous allez à peine le croire, c'est la nomination de Robert Badinter à la présidence du Conseil constitutionnel signifie l'abaissement de la France. Fin de citation.
00:35:15C'est pourquoi, avec le recul, maintenant qu'avant d'être physiquement panthéonisé, Robert est déjà panthéonisé dans nos esprits et pas seulement les nôtres, dans l'esprit des Français et bien au-delà, je pense qu'il faut sans cesse garder en mémoire que ce combat a été en permanence un combat, avec une opinion largement hostile.
00:35:43Il s'en expliquait lui-même, et Michel Perrault l'a dit à propos de la prison, mais c'est la même chose à propos de l'abolition de la peine de mort, et j'en ai souvent parlé avec Robert.
00:35:55Il y avait probablement derrière tout cela un fond d'antisémitisme, mais au-delà. Il y avait le fait que, par définition, si l'on était pour l'abolition de la peine de mort, c'est qu'on était laxistes, et franchissons un degré, c'est qu'on était complaisants à l'égard des assassins, et franchissons encore un degré, c'est qu'on était probablement complices.
00:36:19Et c'est tout ça qui explique que pendant ces années, ça n'a pas été vraiment du tout, du tout, du tout un chemin de rose. Alors voilà, Robert, président du Conseil constitutionnel, il a marqué profondément cette institution,
00:36:39au point que, juste après son décès, nous avons décidé, tous, tous les membres, le Collège, de donner son nom à la seule salle d'audience dont nous disposions. Alors, les décisions principales, elles sont entrées dans la culture du droit.
00:37:03C'est une décision qui est parfois contestée, mais qui est fondamentale, à propos du peuple corse. Oui, l'unité de la République, voilà, l'unité de la République, il y a un peuple français, alors il y a des singularités corses, mais voilà, le peuple corse, non, ça c'est contraire à la Constitution.
00:37:25Et puis, la définition du droit de l'asile, comme un principe fondamental. Et puis, l'affirmation de la dignité de la personne humaine. Ce sont des éléments qui, vraiment, sont consubstantiels à ce qu'a apporté le Conseil constitutionnel, dans cette période.
00:37:41Avec une déception, qui est due, je ne voudrais pas être indélicat, à la maison où nous siégeons. Robert avait, avec d'autres, mais au premier chef, eu l'idée de ce qu'il s'appelait à l'époque l'exception d'unconstitutionnalité, et qu'on appelle aujourd'hui la question prioritaire de constitutionnalité.
00:38:04La possibilité pour tout citoyen, tout justiciable, devant n'importe quel tribunal, de lever la main lorsqu'on veut lui appliquer telle ou telle loi, et de dire, Madame la Présidente, Monsieur le Président, vous voulez m'appliquer telle ou telle loi, et moi je pense que cette loi est contraire à la Constitution.
00:38:18C'est donc l'ouverture du pétroire et un droit nouveau. Et Robert a milité très activement pour que, dès la fin des années 80, cette réforme très puissante, qui fut aujourd'hui l'essentiel de l'activité du Conseil, puisse s'être adoptée.
00:38:34Mais voilà que par deux fois, le Sénat n'a pas pensé qu'on pouvait l'adopter, et donc ce sera simplement en 2008, c'est-à-dire beaucoup d'années plus tard, que cette réforme a pu être adoptée.
00:38:49Il demeure que Robert a marqué, non seulement le Conseil, mais le droit, d'une façon extrêmement puissante, et c'est la raison pour laquelle, lorsque moi-même j'ai eu l'honneur d'accéder à la présidence de cette institution,
00:39:05le premier visiteur que j'ai tenu à recevoir avec une mention officielle dans l'agenda du Conseil constitutionnel, c'est Robert Manater. Parce que je voulais, même si c'est molestement, montrer qu'il y avait une filiation dans l'esprit qui nous animait.
00:39:24Et Robert m'a rappelé à cette occasion, il m'a dit deux choses. D'une part, tu devrais changer l'endroit de ton bureau, parce que le bureau était au fond de la pièce, et il m'a dit, mets-le près de la lumière, tu verras, le matin, la lumière est belle.
00:39:37Et puis, il m'a dit, moi, quand j'étais à ta place, j'avais un petit carton sur mon bureau, où il y avait marqué, et ceci est essentiel, mais malheureusement souvent mal compris,
00:39:51toute loi inconstitutionnelle est mauvaise, mais toute loi mauvaise n'est pas nécessairement inconstitutionnelle. Et c'est parce que nous ne sommes pas suffisamment actifs ou convaincants pour faire partager cette sagesse,
00:40:13et cette définition de notre rôle à l'ensemble de la population, que parfois, m'a-t-il semblé, telle ou telle critique s'élève, avant que quelques mois plus tard, elle s'estompe.
00:40:27Je termine en disant que ce qui m'a frappé, puisque nous nous voyons à peu près chaque mois avec Robert, plus il avançait en âge, c'est le lien qu'il établissait en permanence entre le national et l'international.
00:40:42Non seulement parce que c'était un Européen très convaincu, mais parce qu'il sentait, et pas seulement comprenait, qu'il n'y a pas d'approche efficace et intelligente dans le monde nouveau dans lequel nous sommes de la situation nationale s'il n'y a pas une prise en compte de la dimension internationale.
00:41:03Et c'est pourquoi l'un de ses derniers ouvrages est consacré à un sujet malheureusement aussi actuel que le délicieux Vladimir Poutine.
00:41:18Avant de dire mon dernier mot, un conseil. Robert n'a pas eu beaucoup de regrets dans sa vie, puisqu'il a eu mille vies, mais il regrettait, et il me l'a dit dans une de nos dernières conversations, de ne pas avoir pu plus souvent faire jouer ses pièces de théâtre.
00:41:40Alors je vous conseille de lire, par exemple, une pièce que je trouve magnifique et très instructive qui s'appelle Cellule 107. Vous connaissez le thème.
00:41:53C'est un jour avant l'exécution de Laval, et c'est une conversation, a-t-elle existé, je ne sais pas, entre Laval et Bousquet. Et l'analyse que fait Robert, l'auteur de la période et des deux personnalités, nous en apprend plus sur l'âme humaine que beaucoup, beaucoup de longs discours.
00:42:21Alors je termine le mien. Tout ce qui a été dit de positif sur Robert par les uns et par les autres est juste. Je voudrais en particulier insister sur la dimension du courage, parce que rien de ce qu'il a fait ne lui a été donné facilement.
00:42:41Dans le petit film que nous avons vu, il est fait mention de Jaurès. Compte tenu de celles et ceux qui sont là, vous avez tous en tête, en tout cas beaucoup, le fameux discours de Jaurès en 1903, à la jeunesse, quand il termine.
00:42:58Le courage, c'est de se donner aux grandes causes sans savoir quelles récompenses réservent à notre effort l'univers profond. Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire. C'était Robert Ballinter.
00:43:28Je demande au président Hollande de bien vouloir conclure cette séquence des grands témoignages.
00:43:42Cher Élisabeth Ballinter, mesdames, messieurs, chers amis, je voudrais remercier à mon tour l'Institut François Mitterrand et le groupe socialiste du Sénat, parce que voyant ici toutes les personnalités qui sont présentes, il faut que nous nous convainquions, s'il en était besoin, que nous sommes les produits d'une grande force et d'une grande histoire.
00:44:09Je le dis aux plus jeunes, parce que parfois, ils pourraient l'oublier. Nous ne venons jamais de nulle part. Nous sommes toujours le produit des générations qui nous ont précédées, qui ont agi.
00:44:22Et si le socialisme a toujours rassemblé des personnalités diverses, Ballinter n'était pas forcément le socialiste le plus enragé. Mais il était une figure socialiste et il donnait un sens à ce combat pour la justice.
00:44:42Et si nous sommes aujourd'hui réunis dans un moment un peu particulier, il faut quand même bien l'avouer, c'est aussi pour nous convaincre qu'il y a aussi une capacité pour ce mouvement-là, pour cette force-là, pour cette idée-là, de peser sur le destin de notre pays.
00:45:04Pour aujourd'hui, s'il était nécessaire. Pour demain, sûrement. Et que ce que nous avons en héritage n'est pas un fardeau que nous portons, ou une nostalgie que nous évoquons, ou des souvenirs que nous avons en partage.
00:45:20Ce que nous avons reçu de celles et ceux qui ont gouverné la France, de celles et ceux qui ont participé à l'alternance, de celles et ceux qui ont voulu qu'il y ait un changement, nous devons être à la hauteur. C'est ça le message.
00:45:40Et autour de la figure de Robert Bannater reviennent forcément des souvenirs et des évocations, et si beaucoup les ont rappelés, comment il a été possible, avec François Mitterrand, quelques personnes autour de lui, de produire l'alternance, de faire en sorte qu'après, avec un grand parti, il soit possible de donner une perspective à notre pays.
00:46:08Et Robert Bannater, il aurait pu être une personnalité à part. Il aurait pu être le grand avocat qui avait à la fois de grandes causes et aussi des affaires qui devaient être menées, de rester lui-même spectateur de ce qui se produisait. Or, il ne l'a jamais été.
00:46:30Il a même été candidat plusieurs fois, malheureux, aux élections législatives, pour la FGDS. Les plus jeunes, mais ils ne sont pas si nombreux ici, mais les plus anciens sauront de quoi il s'agit. Oui, parce que l'élection, ça fait partie aussi du combat politique.
00:46:48Il aurait pu donc faire son travail d'avocat, donner sa signature pour des livres ou pour des causes. Non, il s'est engagé. Il s'est engagé avec François Mitterrand, il s'est engagé dans le parti socialiste, il s'est engagé dans les campagnes électorales, y compris présidentielles, pour devenir quoi ?
00:47:12Savait-il lui-même ce que serait le destin qui lui serait réservé par François Mitterrand ? La preuve, c'est qu'en mai 1981, François Mitterrand ne l'avait pas choisi comme ministre de la Justice. C'était Maurice Faure. Les plus subtils seront convaincus que François Mitterrand savait que Maurice Faure ne durerait pas un mois.
00:47:38La légende veut que même prenant le train pour le Lot, il faisait en sorte de prévenir les chefs de gare de surtout ne pas l'alerter s'il était appelé par le président de la République pour siéger dans le gouvernement. Il y en a très peu qui font ce calcul-là et qui demandent aux chefs de gare de ne pas les alerter.
00:48:00Donc Robert Bannater se trouve être ministre de la Justice. Et c'est là que son combat non pas change d'âme, mais change de dimension. Il y retiendra sans doute ce qui fait l'histoire que c'est Robert Bannater qui a, avec le Parlement, ne l'oublions pas, aboli la peine de mort.
00:48:24C'était le combat sûrement de sa vie, de sa vie d'avocat. Il me souvient en fait qu'étant présent à Troyes lorsqu'il y a eu le procès Patrick Henry, sa plaidoirie était encore dans tous les esprits.
00:48:40C'était le combat de sa vie d'avocat, ce fut son combat de ministre, ce fut son combat de président du Conseil constitutionnel et son combat de parlementaire. Pas simplement d'ailleurs à l'échelle nationale, mais aussi à l'échelle internationale.
00:48:58Il s'est battu pour qu'il y ait l'abolition de la peine de mort partout dans le monde. Il y a encore beaucoup à faire. Mais si l'histoire et la mémoire collective retiendront que Robert Bannater sait l'abolition de la peine de mort, ce serait finalement, pardon de le dire, une dimension insuffisante.
00:49:20Non pas que ce combat-là ne justifie pas une vie, mais il fut ce qu'on appelle un grand républicain, sans doute. Est-ce le panthéon qui s'ouvre aujourd'hui ? Mais être un grand républicain, qu'est-ce que ça signifie aujourd'hui ?
00:49:36Un grand républicain, c'est d'abord une femme ou un homme qui défend la liberté, qui considère que la République, ça a été l'affirmation des libertés, des libertés publiques comme des libertés privées.
00:49:52Et c'est ce qu'il a voulu marquer à travers d'abord les choix qui ont été les siens, qui n'étaient pas les plus évidents, après l'élection de François Mitterrand, d'abolir les tribunaux d'exception, la Cour de sûreté de l'État et tant d'autres dérogations à notre droit fondamental.
00:50:11La liberté, c'était aussi de vouloir, ça a été rappelé, que les citoyens puissent accéder à des instances de juridiction qui pouvaient ne pas être forcément à la portée de tous. La Cour européenne des droits de l'homme, le Conseil constitutionnel par la question prioritaire.
00:50:33Un grand républicain, c'est aussi une femme, un homme qui défend l'égalité. La dépénalisation de l'homosexualité dans les années 80 était un choix extrêmement courageux. Et l'égalité, c'était aussi de faire qu'il puisse y avoir pour les droits des plus faibles et des plus fragiles la reconnaissance de leur dignité.
00:50:56Être un grand républicain, c'est vouloir la dignité. Et pour Robert Banater, la dignité, c'était la condition carcérale. Michel Perrault y est revenu. Faire qu'il puisse y avoir dans nos prisons, non pas simplement l'obligation, la peine et d'une certaine façon la punition, mais qu'il puisse y avoir le respect de l'individu.
00:51:20Mais il a voulu aussi, parce qu'être un grand républicain, c'est de se préoccuper des victimes. C'est la première fois dans l'histoire de la République qu'il y ait eu une législation sur les victimes. Et puis, être un grand républicain, c'est de lutter contre le racisme et contre l'antisémitisme.
00:51:38Et si je garde des souvenirs, moi aussi, de conversations avec Robert Banater, c'est sur ce sujet-là. Il était imprégné de ce qu'avait été le combat à propos de l'affaire Dreyfus. Il était fier d'habiter, cher Élisabeth, dans un immeuble où Léon Blum avait pu être à un moment résident.
00:52:06Léon Blum a eu plusieurs maisons, donc c'était facile de dire qu'on habitait forcément dans la maison de Léon Blum quand on était à Paris ou à Narbonne. Mais il se trouve que Léon Blum était présent dans cet immeuble lorsqu'il a appris que Dreyfus était finalement innocent. Il le savait, mais était enfin reconnu comme tel.
00:52:32Et pour Robert Banater, ce combat-là contre le racisme et l'antisémitisme, il était d'une actualité, on le sait aujourd'hui, d'une actualité brûlante. Et toute sa vie, il n'a cessé de nous mettre en garde, de nous dire que l'antisémitisme, qui était rampant, qui était sûrement présent dans un certain nombre de groupes, pouvait se répandre dans la société tout entière.
00:52:57Ce message-là, dans les circonstances que nous connaissons, n'a hélas rien perdu de sa force et de son actualité.
00:53:05Je veux terminer sur ce qu'est aussi un grand républicain. C'est celui ou celle qui fait confiance au droit, qui veut le droit, qui aime le droit et qui considère qu'une société ne progresse que par le droit, ce qui d'ailleurs l'a conduit à faire cette réforme du Code pénal.
00:53:26Et il aurait voulu faire aussi la grande réforme du Code du Travail. On aurait dû le mettre en garde. C'est un sujet dangereux, le Code du Travail. Et donc imprudemment, sans doute, le Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, avait confié à Robert Banater et avec quelques conseillers qui l'accompagnaient ici présents, de réfléchir sur ce que pouvait être une grande réforme du Code du Travail.
00:53:55Vous savez, celle qui simplifie, celle qui allège, celle qui donne de grands principes. Et ce travail-là a été mené par Robert Banater. A-t-il été traduit comme il convenait ? Je laisse aux historiens, dans un prochain colloque, qui sera consacré à je ne sais qui, de faire en sorte de donner la lumière sur ce sujet. Il est toujours lui-même présent.
00:54:19Comme président de la République, j'ai eu plusieurs occasions de voir et d'entendre surtout Robert Banater. Il avait plusieurs requêtes, toujours allant dans le sens du droit, de la liberté, de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Aussi, il m'appuyait sur les choix que j'avais à faire en politique étrangère, notamment par rapport à la situation en Ukraine et en Syrie.
00:54:48Syrie, dont on vient de voir qu'il y a eu le renversement du régime, quand en 2013, il eût été possible de le renverser si Barack Obama nous avait suivis et frappés. Ce qui veut dire qu'il y a des interventions qu'il ne faut pas faire, parce qu'elles peuvent avoir des conséquences graves.
00:55:13C'est ce qui s'est produit en Irak. Et il y a des interventions qu'il faut faire, malgré toute la réticence que nous avons à utiliser la force quand nous défendons le droit. Mais il faut parfois utiliser la force si on veut que le droit l'emporte.
00:55:30Et donc, dans les conversations que nous avions, il me parlait de la figure de Léon Blum, qu'il aurait voulu voir entrer au Panthéon, et de ce que Jean Hess pouvait apprendre encore aux dirigeants du monde.
00:55:47Mais il se trouve qu'il parlait aussi de sa vie et de sa vie personnelle. Et sans qu'il m'en ait confié l'existence et la réalité, il se trouve qu'à la fin de mon mandat, j'ai fait un déplacement à Chambéry.
00:56:04A Chambéry, où Robert Bannater avait, si je puis dire, séjourné, avait été accueilli et protégé en 1943, alors même que son père était déporté. Je vais donc visiter la maison Jean-Jacques Rousseau, à Chambéry.
00:56:22Charmette. Et à Chambéry, on me donne le livre d'or, mais là où les jeunes gens qui viennent visiter le site posent leur signature. Et en 1943, le lycéen Robert Bannater a voulu figurer sur le livre à la mémoire de Jean-Jacques Rousseau, au risque même d'être signalé, identifié et déporté.
00:56:51Laurent Fabius disait le courage. Oui, c'est finalement peut-être la leçon qu'il faut tirer. Des talents, il y en a beaucoup. Des compétences, il y en a plein. Du courage, des courageux, c'est peut-être ce qui fait défaut. Mais avec Robert Bannater, si je puis dire, nous avons eu le plein.
00:57:11Dans quelles conditions vous avez travaillé et quel est le premier souvenir que vous avez de Robert Bannater ?
00:57:42Je le vois surtout extrêmement véloce. Il courait d'un endroit à l'autre. C'était un homme extrêmement occupé, souriant, très sportif.
00:58:00Et je passe cette sorte d'examen en deux minutes parce qu'il doit me recruter ou me rejeter comme avocat collaborateur. Et il me dit en me regardant, j'ai envie de vous confier un dossier.
00:58:27Et donc j'ai commencé avec un dossier qui m'a pris au moins trois mois sans que j'avoue le travail que j'ai dû accomplir. Il m'avait confié un dossier extrêmement difficile. Et toute ma vie, j'ai eu ce rapport avec lui entre bienveillance et exigence.
00:58:54Et vous étiez impressionné par lui ?
00:58:57A l'époque, j'étais impressionné par pas grand-chose, je dois dire. Mais non, mais c'est l'âge où on pense qu'on peut tout faire.
00:59:06Donc ensuite je l'ai retrouvé, après dix ans de travail, je l'ai retrouvé à la chancellerie où il m'a demandé de venir le rejoindre. Donc j'ai appartenu à cette équipe qu'évoquait Jean-Marc Sauvé, dont le directeur de cabinet était Alain Baquet.
00:59:30Et ce qui était autre chose, pas seulement la bienveillance contre l'exigence, c'était un homme engagé. C'est-à-dire que quand on entrait dans son bureau de garde des Sceaux, on sentait son engagement.
00:59:49Il avait une sorte de dynamisme personnel tout à fait exceptionnel. Et il arrivait à faire partager son engagement en quelques minutes à tous ceux qui venaient travailler avec lui.
01:00:04Donc son engagement devenait l'engagement de tous les autres. Alors ça, c'est une période où j'ai aperçu cette sorte d'irradiation, si vous voulez, de diffusion de son engagement.
01:00:22Et puis une troisième partie de ma vie, j'ai écrit avec lui. Alors ça, j'ai le souvenir. Je l'avais déjà senti comme avocat. Il aimait la contradiction, contrairement à ce qu'on pense.
01:00:44Il aimait être contredit, soit parce que ça le poussait dans ses retranchements, soit parce qu'il n'aimait pas donner en public peut-être le sens de ses hésitations ou de ses faiblesses.
01:01:08Mais dans le rapport avec ceux qui ont travaillé avec lui, il aimait aussi montrer ses limites, ses faiblesses, cette capacité de dépasser la contradiction qui lui était apportée.
01:01:28Mais alors concrètement, quand il s'agissait d'écrire ensemble, comment on écrit ensemble, à deux, avec Robert Badinter ?
01:01:36Je dois dire que c'est très simple. Chacun fait un essai. En général, il écrivait de sa plume bleue, de son encre bleue. J'ai eu la chance d'avoir ses textes originaux, non dactylographiés.
01:02:00Et moi, de mon côté, j'essayais d'être plus rapide que lui, d'essayer de lui soumettre un premier projet. Mais il était toujours le premier.
01:02:11Ensuite, nous essayions de rapprocher. C'était la même chose à la chancellerie. Pour tous ceux qui ont travaillé avec lui sur ses discours, il rayait, il ratureait et il écrivait finalement la plupart de ses discours.
01:02:33Est-ce que vous avez l'impression qu'il écrivait facilement ou que c'était un travail qui lui était quand même assez lent à faire, où il revenait sans arrêt sur des phrases, sur des mots ?
01:02:43Non, je ne pense pas que je puisse dire, mais mon expérience n'est pas la rapidité de l'écriture. Non. Il pesait ses mots. Il écrivait pratiquement en ayant la conviction qu'il allait de toute façon revenir sur ce qu'il disait.
01:03:05Donc il ratureait beaucoup. Et lorsque le texte était parfait, il ne le prononçait pas. C'était ça, le propre... Il disait autre chose. J'ai souvenir d'un discours de lui à Vienne devant les ministres de la Justice de l'Union européenne, plutôt du Conseil de l'Europe.
01:03:31Il avait préparé un discours magnifique qui a été publié dans Le Débat en 1985 et il a prononcé un autre discours. Donc la préparation lui permettait d'improviser. Il avait cette préparation excellente qui lui permettait au fond d'être très spontané.
01:03:56Qu'est-ce qu'il vous a appris, Robert Danater ?
01:04:26Il avait sa position de sage ambassadeur des droits de l'homme. En réalité, entre 1995 et 2010, il a été l'ambassadeur des droits de l'homme en Europe.
01:04:42Donc les adversaires, il les connaissait. Il était certainement courageux et surtout se sent froid, c'est-à-dire cette lucidité tout à fait exceptionnelle qui n'allait de pair avec l'humour.
01:05:06Quand il racontait une histoire, son histoire, il terminait toujours, quand il évoquait un grand combat, avec cette phrase. Il aimait beaucoup cette phrase. Et puis d'ailleurs, on s'est bien amusé.
01:05:24Comme s'il ne fallait pas le prendre trop au sérieux. Il avait ce sens de la dérision qui était une petite poivre sur cette vie dangereuse dans laquelle il devait s'affirmer.
01:05:47Merci beaucoup. Alain Baquet, vous avez été son directeur de cabinet. Vous avez connu des moments difficiles. On a le souvenir de la manifestation devant le ministère de la Justice par des policiers qui insultaient Robert Danater. Comment vous viviez avec lui en tant que directeur de cabinet ?
01:06:11D'abord, je ne sais pas très bien pourquoi il m'a recruté, si je puis dire. J'étais le quatrième directeur de cabinet. Le premier était le président Braunschweig, qui était un grand magistrat, qui a ensuite été président de la Chambre criminelle.
01:06:28Un peu plus près encore, s'il vous plaît.
01:06:29Encore plus près. Ensuite, un très grand magistrat que j'ai un peu connu, Georges Bellejean, assez engagé à gauche, qui avait dit ce qu'il pensait à l'époque de la loi Sécurité et Liberté de M. Perfit. Le troisième, je l'ai peu connu.
01:06:42Et alors, il s'est tombé sur moi. Il voulait quelqu'un, non pas qu'il n'ait pas marre des magistrats, mais peut-être qu'il voulait quelqu'un qui connaissait mieux l'administration, qui serait plus à l'aise dans les relations interministérielles.
01:06:52Il avait une bonne opinion du Conseil d'État, ce qui n'est pas le cas de tous les hommes politiques, d'ailleurs. Et je ne sais pas pourquoi... Peut-être que Jean-Marc Sauvé, qui était déjà à son cabinet, me le dira un jour. Je ne sais pas très bien.
01:07:04– Et vous pensez qu'il se méfiait de l'administration, justement ?
01:07:07– Ah non, pas du tout. Mais je pense que la fonction du directeur de cabinet comporte en particulier des petits problèmes d'organisation et est un petit peu, en effet, le porte-parole.
01:07:16Enfin, l'homme qui représente le cabinet, dont les liaisons interministérielles avec Matignon et peut-être que les magistrats, qui sont des hommes remarquables, ont moins l'habitude, peut-être, que les membres du Conseil d'État,
01:07:28qui ont certains détachements, pour avoir une bonne connaissance de l'administration et d'en être plus à l'aise dans ce travail-là. Voilà.
01:07:36Écoutez, mes rapports avec lui étaient... Oui, j'étais très intimidé. J'étais impressionné, naturellement. Pas d'intérêt.
01:07:43Il était déjà un illustre et prestigieux garde des Sceaux. J'avais une sensibilité de gauche. Je pense qu'il l'avait su. Il l'avait su.
01:07:51Et je suis tombé sur un cabinet qui existait déjà, qui n'a pas tellement changé, d'ailleurs, après, et qui était déjà, donc, autour de lui, très soudé, très cohérent, comme il a toujours été.
01:08:04Donc c'est assez impressionnant. J'ai pris ma place comme j'ai pu, si je puis dire, d'autant plus que je n'avais jamais été membre d'un cabinet ministériel et encore moins directeur d'un cabinet.
01:08:14— Là, comment ça se passait au jour le jour, vos réunions ? Racontez-moi un petit peu les rapports du direct que vous aviez en tête-à-tête avec lui ou en équipe. Comment il dirigeait tout ça ?
01:08:25— Les réunions collectives, il y avait une réunion du cabinet tous les lundis matins. Quelquefois, il la manquait parce qu'il avait d'autres obligations.
01:08:32Sinon, c'est lui qui la dirigeait. Donc on évoquait les problèmes courants, l'actualité, les événements, les projets en cours.
01:08:40Et généralement, donc, chacun intervenait. Il consultait les membres du cabinet. Il tenait compte de leur avis. Et voilà. Parfois, il était très exigeant.
01:08:49On le savait. Mais enfin, en même temps, extrêmement gentil, j'allais dire, extrêmement attentionné, délicat, attentif.
01:08:56— Mais il était exigeant sur quoi, par exemple ?
01:08:59— Exigeant, bien sûr, le degré d'avancement d'une affaire, le degré d'avancement d'un texte, l'attention à telle ou telle situation qui pouvait nous échapper,
01:09:08mais toujours pas du tout d'une manière brutale, toujours avec attention. Il avait parfois des moments de colère qui sont légendaires, mais pas tellement à l'occasion de ces réunions.
01:09:19Un jour, en effet, j'étais pas là depuis très longtemps. J'avais le bureau voisin du sien. Il est entré dans le mien furieux, très en colère. Je n'ai jamais su pourquoi.
01:09:28Il a vu que je suis resté interdit devant cette situation. Il est reparti sans me dire pourquoi. Ça ne s'est jamais reproduit, je peux dire.
01:09:35Non, il était extrêmement aimable. — Mais il pouvait être impatient ?
01:09:41— Impatient... Il était toujours un peu impatient. Un ministre occupé comme lui, en plus, était toujours pressé. Non, mais jamais...
01:09:49Non, mais il était très patient, mais en même temps extrêmement sérieux dans la discussion, savoir parfois tout ce qu'il voulait.
01:09:55Non, non, il était très agréable de rapport. J'ai eu avec lui pendant un certain temps des rapports – je ne dirais pas froids ou distants –,
01:10:03mais forcément un peu moins proches que ceux que d'autres membres du cabinet avaient avec lui.
01:10:08Mais petit à petit, petit à petit, au contraire, nos rapports sont devenus très confiants et très sympathiques.
01:10:14— Vous avez été son directeur de cabinet de 1983 à 1986. Quel est l'événement marquant dont vous vous souvenez ?
01:10:20— L'événement marquant... Vous avez cité en effet l'affaire de juin 1983. Je venais d'arriver. On s'en rappelle.
01:10:27Deux truands, deux braqueurs avaient tué deux policiers à Venue Trudène. Et j'étais là depuis 2 mois.
01:10:33Et c'était mon baptême du feu. Et Robert Bonaterre m'a demandé d'aller sur place. J'ai trouvé les corps allongés de ces policiers.
01:10:41Il y avait déjà le préfet de police ou un représentant, du procureur également. J'ai été extrêmement impressionné.
01:10:46Je n'avais pas l'habitude de ce genre de situation. J'ai bafouillé ce que j'ai pu. Et dans l'après-midi, en effet,
01:10:51une énorme manifestation de policiers dans la cour de Place Vendôme, très violente, extrêmement violente,
01:10:59puisque déjà Bonaterre était conspué et détesté pour soi-disant laxisme. Et voilà. Et parmi eux, un béret vert,
01:11:08M. Le Pen, qui était présent là. Et en même temps, ce qui était assez impressionnant, les policiers de garde en faction,
01:11:14comme d'habitude, devant la porte de la chancellerie, ont enlevé leur képi en signe en quelque sorte d'adhésion au mouvement.
01:11:21Voilà. À un moment donné, la question s'est posée de recevoir une délégation. Alors on a accepté pour détendre l'atmosphère.
01:11:29Je les ai reçus non pas dans mon bureau, qui était voisin immédiat de celui du ministre, mais dans la salle d'attente.
01:11:35Ils s'en sont aperçus. Ça ne leur a pas plu. Mais enfin, on en est restés là. Voilà. Je dois dire qu'une autre circonstance,
01:11:42pas très lointaine, qui s'est passée ailleurs, c'est l'horrible affaire du Sovitel d'Avignon, où quelqu'un qui était en permission de sortie,
01:11:50c'était là l'affaire, a tué 6 ou 7 personnes, je crois, dans l'hôtel d'Avignon, ce qui a soulevé également une tempête énorme dans l'opinion
01:12:00et qui a valu au ministre des éditoriaux d'une cruauté et d'une méchanceté terrible, notamment du Figaro, je dois dire.
01:12:08Ça a été un des points culminants de son impopularité, dont il se moquait. Enfin, dont il se moquait. À laquelle il résistait, comme l'a très bien dit Antoine Yoncan,
01:12:17avec le sang-froid, son courage habituel. Oui, ça a été des moments extrêmement chauds. Voilà. Je pourrais en citer quelques autres.
01:12:24Mais bon, l'affaire des Basques, aussi, qui ont fait la griffe de la fin. La griffe de la fin, quand l'extradition s'approchait.
01:12:32Enfin, après tout ce qu'on a appelé la mise au point de la doctrine de l'extradition française, qui était mise en place en 1992 avec le président Mitterrand,
01:12:42où il était admis que, contrairement... Parce que le président Mitterrand défendait très fort l'asile politique, mais les relations avec l'Espagne et l'Italie devenaient difficiles,
01:12:51puisque c'est deux pays où il y avait terrorisme très fort. Et donc la position a été prise de ne pas refuser l'extradition vers des démocraties uniquement,
01:13:00comme il l'a mis lorsque les crimes commis étaient tels qu'ils se détachaient, en quelque sorte, de leur origine politique. Voilà.
01:13:07Donc ça a été un moment très chaud, la griffe de la fin. Voilà.
01:13:11– Alors, vous avez évoqué des faits d'actualité, très fort. Est-ce qu'il y avait, de temps en temps, notamment le soir, des moments de pause,
01:13:19où tout d'un coup, il se mettait à parler plus directement avec vous ? Pas d'une manière forcément intime, il était pudique, mais...
01:13:26– Oui, cela arrivait. Il avait l'habitude, d'ailleurs, c'était dans mon bureau qu'était le poste de télévision, pas dans le sien.
01:13:33Et assez souvent, quand il était là en fin de journée, il arrivait à 20 heures pour écouter, je crois que c'était Antenne 2, à l'époque.
01:13:41Oui, alors à ce moment-là, on conversait. Enfin, dans la journée, on se voyait aussi. La porte s'ouvrait fréquemment entre nous deux bureaux.
01:13:48Parfois, il m'invitait aussi à assister à une conversation avec un visiteur. Et alors, le soir, en effet, on bavardait très souvent à propos du jour-moins de téléviser,
01:13:59des faits du jour et du travail en cours, effectivement.
01:14:03– Merci beaucoup. Je me tourne maintenant vers François Binet et Joël Dupoe. Vous êtes, pour l'un, avocat en 73, quand je me souviens, François ?
01:14:15– 72. – 72. 76 pour le jury. Et tous les deux, vous allez vivre 3, 1976, le procès de Patrick Henry.
01:14:27– 77. – 77, oui. François, témoignage.
01:14:34– Alors, de 3, je garde un souvenir très étonnant. Pardon. Je garde un souvenir très, très étonnant parce qu'il termine sa plaidoirie, il se tourne vers moi et il me dit « je ne les ai pas convaincus ».
01:14:56Nous descendons donc voir Patrick Henry. Il lui apporte des propos très rassurants, malgré tout. Et il revient en disant « non, le temps passe ».
01:15:16Le temps passe, tu t'en souviens, le jury revient et il m'avait dit deux choses, ou une en tout cas très, très, très étonnante.
01:15:34Il m'avait dit « regardez bien, si les jurés reviennent et regardent Patrick Henry, on lui a sauvé la tête ». Je lui ai sauvé la tête.
01:15:48Le temps repasse encore et je m'aperçois, je me promenais dans les couloirs du palais de Troyes et je m'aperçois qu'il est soudain envahi par les CRS.
01:16:00Je vais le voir et je lui dis « écoutez, messieurs, il se passe quand même quelque chose de bizarre parce que le palais est envahi de CRS.
01:16:09Donc si la décision est défavorable, pour pas l'intérêt, on nous laissera sortir comme il fallait. Mais là, il y a un vrai problème ».
01:16:23Et il reprend « mais non, je ne les ai pas convaincus ». Et ce qui m'arrivait comme d'habitude, j'étais assis à côté de lui et je me prends un nouveau coup de pied dans les chevilles pour me dire « je ne me suis pas trompé ».
01:16:34Et on appelle la cour. Ils entrent tous et ils regardent tous Patrick Henry. Et je lui dis « monsieur, regardez, ils le regardent tous ».
01:16:56Et tu t'en souviens aussi la longueur que le président de la cour d'assises a prise avant d'expliquer qu'aux circonstances atténuantes, Patrick Henry sauvait sa vie.
01:17:08Mais c'est ça, ce souvenir que je garde de lui. Vous savez, j'ai entendu tous les témoignages qui sont venus les uns après les autres et qui sont tous extraordinairement méritants.
01:17:20Il y a une dimension qui n'apparaît jamais. Je veux dire, j'ai participé à un certain nombre d'émissions de télévision où on parlait de Robert Badinter, où on expliquait la manière dont on travaillait avec lui.
01:17:34Mais tout le monde a toujours oublié un fait qui, moi, va au-delà. Je veux dire, c'est un seigneur. C'est un seigneur et comme tous les seigneurs, si vous voulez, il a la timidité.
01:17:50Mais de quoi ? Mais de sa générosité. On oublie que tous ces procès, il y en a eu six. C'est du pro bono. Ça, je ne l'ai jamais entendu et ça m'a toujours stupéfié.
01:18:06Robert Badinter a défendu toutes ces personnes. Gratuitement. J'aimerais bien qu'aujourd'hui, je veux dire, on commence à repenser à tout ça. Parce que c'est, dans mon regard en tout cas, quelque chose qui me rapproche de cet homme qui a été, comme tu le sais, quasiment mon second père.
01:18:32Je voudrais terminer sur cette proximité que je pouvais avoir avec lui sur quelque chose qui m'est tout à fait personnel. L'un des associés... Je veux dire, attention, j'allais oublier quelque chose.
01:18:50C'est qu'il a fait tout ça gratuitement mais que ça lui a coûté aussi, parce que ça, on oublie de le dire, son retour au cabinet. On n'acceptait plus, dans le cabinet Bredin-Pratt, que ce soit l'avocat des criminels qui revienne prendre sa place dans ce cabinet.
01:19:08Je veux dire, j'ai vécu à ce moment-là cette souffrance, mais qui était une souffrance très sentimentale, très émotive de Robert pour ce refus qu'on lui impliquait là. Mais j'en reviens. Je voudrais en terminer là à ce qui m'est tout à fait personnel.
01:19:22J'étais jeune avocat chez lui et je devais aller plaider un dossier à la cour d'appel de Dijon pour lequel, malheureusement, l'associé de Robert Badinter ne m'avait pas donné toutes les informations qu'il fallait et une particulièrement importante qui changeait tout.
01:19:48Le vrai problème que j'ai eu à cet instant-là, c'est que mon père était présent à la cour d'appel de Dijon. J'ai été extraordinairement mauvais puisque je me suis fait prendre d'entrée par le président qui m'a dit « mais attendez, vous oubliez quand même quelque chose qui est essentiel dans ce dossier ».
01:20:10Complètement désemparé. Et j'ai su par ma mère que mon père était rentré le soir à la maison et qu'il avait pleuré. Et là, c'est un des gestes qui pour moi restera toute ma vie.
01:20:32Robert Badinter devait plaider quelques temps plus tard à Besançon où habitaient mes parents. Il avait su ce qui s'était passé. Et très extraordinairement, plutôt que d'aller dans un hôtel, il a demandé à savoir si mes parents pourraient le recevoir.
01:20:53Bien évidemment, vous pensez que c'était un honneur absolu de recevoir Robert Badinter, qui était aussi le doyen de la faculté, c'est-à-dire mon professeur, de recevoir Robert Badinter à cet instant-là.
01:21:06Il s'est déplacé, ils ont dîné et il leur a dit « ne vous en faites pas, ce sera un bon avocat ». Moi, c'est ça le souvenir que je garde de Robert Badinter, c'est cette fabuleuse générosité.
01:21:26On a parlé de bienveillance, mais il faut aller très au-delà. Je veux dire, parler de Robert Badinter, de la manière dont on a travaillé avec lui, de la manière dont on s'est comporté avec lui, ça prendrait des heures.
01:21:35Mais voilà, en tout cas, moi, ce que j'ai retenu et que je retiendrai toujours de ce second père qu'il a été, c'est cette générosité totale, absolue et discrète.
01:21:49Jean-Yves, témoignage.
01:21:53Il y a beaucoup de choses à dire. On a entendu déjà beaucoup de monde. Moi, je retiens deux images. La première image, ça n'étendra personne, c'est celle de 1977 à la cour d'assises de Troyes, dont François vient de beaucoup parler, et laquelle, je crois, Claude, vous assistiez.
01:22:14Nous étions d'ailleurs quatre ici, puisqu'il y avait Élisabeth Badinter qui était là, qui avait conquis de hautes luttes son fauteuil, parce que les policiers occupaient toute la cour d'assises.
01:22:23François était à la barre, puisque c'était un dossier qu'il connaissait particulièrement bien. Et moi, qui étais le plus récent parmi les collaborateurs, ça faisait un an que j'étais au cabinet, j'étais assis par terre, mais j'avais l'avantage de voir Robert Badinter de profil.
01:22:43Et c'est cette image-là que je retiens. Je le vois, je le verrai toute ma vie, la bave aux lèvres, hors de lui, crachant sa haine de la peine de mort, son amertume de l'exécution de bon temps.
01:23:02Il était la taille, appuyé contre la barre. Comme on dit dans notre métier, il mettait ses tripes sur la barre. Ce moment-là était un moment extraordinaire, inouï, que jamais aucun avocat n'a pu atteindre et n'atteindra.
01:23:23Tous ceux qui étaient là ce jour-là – vous y étiez, Claude – s'en souviennent et s'en souviendront toute leur vie. Ça, c'est la première image.
01:23:31La deuxième, elle est très différente, mais c'est aussi une plaidoirie. C'est la plaidoirie, alors très argumentée, très juridique, intervenue dans l'affaire dite du talc-morange,
01:23:45qui était une affaire dans laquelle il défendait le président de la filiale Doffman-Laroche France. Le talc-morange avait été infecté et de nombreux nourrissons – une trentaine, je crois – étaient morts.
01:23:59Il y avait une atmosphère épouvantable dans cette salle du tribunal. Il y avait la mémoire, le souvenir de ces 30 enfants, qui était triste et lourde.
01:24:12Eh bien Robert Badinter, avec une délicatesse infinie, avec une maîtrise parfaite de l'alliance entre les faits et le droit, avec une grande précision,
01:24:27en n'étant jamais ennuyeux dans une plaidoirie qui a duré – je crois – 3 heures, avec quelquefois des traits d'humour, d'ailleurs, quelquefois des critiques un peu acerbes
01:24:39sur des personnages qui avaient témoigné à charge. Il y avait dans cette plaidoirie toute la rigueur, toute la réflexion d'un professeur de droit de très haut niveau et d'un avocat de très grande qualité.
01:24:54Ça, c'est la deuxième image que je garde de lui. Pour le reste, il y a eu tellement de choses. Je dis souvent que j'ai été 4 ans son collaborateur et 45 ans son ami.
01:25:06J'aurais tellement de choses à dire, mais tous ceux qui sont intervenus déjà l'ont dit. Ce que je peux dire, c'est qu'il y avait d'abord une très grande chance de savoir qu'on travaillait avec lui.
01:25:18Pour nous, les jeunes avocats, tu te souviens, c'était quelque chose de formidable. On était formés par le plus grand avocat du moment. C'était extraordinaire.
01:25:28Et il y avait chez lui – ça a déjà été dit – un goût formidable de la convivialité. Ceux qui ont été avocats ou qui sont avocats ici savent ce que c'est qu'un bon cabinet d'avocats
01:25:44après 19 heures le soir. On se parle d'autre chose que des dossiers. On est fatigués par la journée, mais on se décharge. Et là, le personnage de Robert Baninter était formidable.
01:25:58Il était formidable parce que quand vous passiez devant le couloir, il avait toujours sa porte ouverte. Il disait « Jean-Yves, tiens, venez là ».
01:26:06C'était le prétexte de parler d'un dossier 5 minutes. Et puis après, on s'ouvrait sur la littérature, le cinéma, le théâtre, et puis des sujets un peu primesautiers quelquefois.
01:26:18Et ça, c'était des moments extraordinaires.
01:26:21Voilà pour cet hommage organisé par le Sénat à Robert Baninter, l'ancien ministre de la Justice de François Mitterrand, artisan de l'abolition de la peine de mort en 1980.
01:26:31C'est la fin de cette émission. Merci de l'avoir suivie. Continuez à suivre l'actualité politique et parlementaire sur notre site internet publicsenat.fr.
01:26:37Je vous souhaite une très bonne suite des programmes sur Public Sénat.