Présidence du Conseil Constitutionnel : Alain Juppé sort de son silence au micro RTL de Thomas Sotto.
Regardez L'invité de RTL avec Thomas Sotto du 11 février 2025.
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00:00RTL Matin
00:04L'invité de RTL Matin, Thomas, vous recevez aujourd'hui Alain Juppé,
00:07ancien Premier ministre et membre du Conseil Constitutionnel.
00:10Bonjour et bienvenue sur RTL Alain Juppé.
00:12Bonjour, merci de m'accueillir.
00:13Merci d'avoir accepté notre invitation, d'autant que je sais que l'exercice de l'interview
00:16n'est pas forcément celui que vous préférez dans la vie.
00:19Non, ce n'est pas tout à fait vrai, mais aujourd'hui je suis astrein à devoir de réserve.
00:22Je suis toujours heureux de venir chez RTL.
00:25Vous allez donc avoir un nouveau patron au Conseil Constitutionnel,
00:28ça devrait être Richard Ferrand, choisi par Emmanuel Macron pour succéder à Laurent Fabius,
00:32à la présidence de ce Conseil.
00:34Si on était juste entre nous, Alain Juppé, est-ce que vous me diriez quelle bonne idée ou quelle erreur ?
00:39Il y a un petit problème, c'est qu'on n'est pas entre nous.
00:42Et comme je l'ai dit, je suis astrein à devoir de réserve,
00:45donc n'attendez pas de moi que je porte un jugement sur le choix des personnes
00:48qui a été opérée par le Président de la République,
00:50le Président de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat.
00:57Ils ont cette compétence, ils l'attiennent de la Constitution,
00:59il n'y a pas de conditions posées sauf de faire valider cette nomination
01:03par les commissions des lois de l'Assemblée Nationale et du Sénat,
01:06ça se passera dans quelques jours.
01:08Pour le reste, je sais que les nominations au Conseil Constitutionnel sont toujours critiquées.
01:12Toujours ?
01:13Toujours, j'ai fait l'objet moi aussi de critique. Pourquoi ?
01:15D'abord, on dit qu'il ne faudrait que des juristes au Conseil Constitutionnel.
01:20Qu'est-ce que c'est qu'un juriste ?
01:22Est-ce que c'est exclusivement un professeur de droit constitutionnel ?
01:25Je ne le pense pas.
01:26Dans sa composition actuelle, aujourd'hui, avant le renouvellement,
01:30sur les neuf membres du Conseil Constitutionnel,
01:32trois viennent du Conseil d'État,
01:34deux ont été avocats pendant de très longues années,
01:36et une est magistrate, ça fait 6 sur 9.
01:39Et puis pardon, je ne veux pas être un peu immodeste,
01:42mais j'ai fait l'ENA, donc j'ai fait un peu de droit public,
01:44j'ai été inspecteur des finances, j'ai fait un peu de droit fiscal, voilà.
01:47Oui, mais là, ce qu'on reproche à Emmanuel Macron, c'est de nommer son copain.
01:50C'est la République des copains, dit l'opposition.
01:52Le Conseil Constitutionnel ne peut pas être l'endroit
01:54où l'on recase ses amis, a dit Manuel Bompard.
01:56Est-ce que la grande proximité de Richard Ferrand avec le chef de l'État
01:59le rend suspect ou pose un problème ?
02:01Je vous ai dit que je ne porterais pas de jugement sur les personnes,
02:04donc il faut simplement voir quel est le processus de nomination.
02:08Je pense que tel qu'il est aujourd'hui,
02:10il assure un équilibre du Conseil Constitutionnel,
02:13puisque la plupart du temps, la sensibilité politique du Sénat
02:16et celle de l'Assemblée Nationale ne sont pas exactement la même,
02:19et celle du Président de la République non plus, voilà.
02:22Mais si on laisse les questions de personnes de côté,
02:24le lien de proximité n'est pas un problème ?
02:27Quand nous sommes nommés, nous prêtons serment d'impartialité et de neutralité.
02:32Il faut faire un peu confiance à la déontologie des personnes.
02:35Et il y a un principe que nous respectons,
02:38qui est le devoir d'ingratitude.
02:40Donc nous ne devons rien à la personne qui nous a nommés.
02:43Vous, vous ne devez rien à Richard Ferrand qui vous a nommés au Conseil Constitutionnel ?
02:46Je n'ai jamais reçu, en l'espace de six ans,
02:48un coup de téléphone de Richard Ferrand sur une affaire
02:50que le Conseil Constitutionnel devait traiter.
02:52Donc vous ne serez pas le chouchou ?
02:53Et si nous sommes nommés pour devant,
02:57c'est parce que nous n'attendons plus rien à la sortie, précisément.
02:59Donc voilà, c'est la garantie de notre indépendance.
03:02Alors, je pose simplement une question.
03:04Quel autre processus de nomination ?
03:06On va faire comme aux Etats-Unis,
03:07où c'est le Président qui nomme la totalité des membres ?
03:10Je n'ai pas observé que c'était un cas...
03:11Avec une consuprême très politique ?
03:13D'indépendance politique, au contraire,
03:14puisque là-bas, les juges sont étiquetés.
03:16Il y a les conservateurs et les libéraux,
03:18ce qui n'est pas le cas chez nous.
03:19Ou bien alors, il y a le modèle allemand,
03:21la Cour de Karlsruhe,
03:22où les membres du Conseil, de la Cour suprême, pardon,
03:25sont élus par le Bundestag et le Bundesrat,
03:28les deux chambres du Parlement allemand.
03:30Vous voyez la campagne électorale à l'Assemblée nationale
03:32et au Sénat en France, à l'heure actuelle ?
03:34Vous parliez de nomination politique.
03:36Dans une situation tendue, incertaine, comme nous la connaissons,
03:38est-ce que le Conseil Constitutionnel
03:40est appelé à faire davantage de politique ?
03:43Non, le Conseil Constitutionnel fait du droit.
03:45Cela dit, le droit n'est pas hors-sol, bien entendu.
03:47Le Conseil Constitutionnel a deux missions fondamentales.
03:50Il est le garant des droits et libertés
03:52que la Constitution garantit.
03:54Et c'est donc un rôle fondamental
03:56qu'il a reçu, pas à l'origine,
03:58mais depuis 2008,
04:00depuis qu'on a créé cette fameuse question citoyenne
04:02qui permet à tout citoyen dans un procès
04:04d'invoquer la non-conformité à la Constitution
04:07d'une loi qui va lui être appliquée.
04:09Sauf que ce Conseil Constitutionnel, Alain Juppé, pardon,
04:11il est accusé plus souvent de faire de la politique.
04:13Il y a quelques mois, il y a eu le projet de loi sur l'immigration.
04:15Laurent Wauquiez, de votre famille politique d'origine,
04:18avait parlé de coup d'État de droit.
04:20Éric Ciotti, ancien président des Républicains,
04:22avait parlé de hold-up démocratique.
04:24Il y a un problème ou pas ?
04:25C'est de la polémique politique.
04:27Vous observerez que tous les régimes autoritaires
04:30qui veulent asseoir leur autorité précisément,
04:32ou leur autoritarisme,
04:34commencent par s'attaquer à la Cour suprême.
04:36C'était le cas en Pologne, c'est le cas en Hongrie,
04:38et ainsi de suite.
04:40Le Conseil Constitutionnel joue son rôle
04:42et outre le rôle que je viens d'évoquer,
04:44il y a aussi le fait qu'il doit s'assurer
04:46du bon fonctionnement des pouvoirs publics.
04:48Du bon équilibre entre le pouvoir législatif,
04:51le Parlement, le pouvoir exécutif,
04:53le gouvernement et le président.
04:55Et de ce point de vue, avoir à l'intérieur du Conseil Constitutionnel
04:58des hommes et des femmes qui ont eu l'expérience du gouvernement
05:00ou l'expérience du Parlement,
05:02c'est un gage de compétences et d'expérience.
05:04Donc tout va bien au Conseil Constitutionnel ?
05:06Je ne dirai jamais que tout va bien.
05:08Il n'y a pas de problème, il n'y a pas de crise en vue ?
05:10Il n'y a pas de crise en vue, naturellement.
05:11D'ailleurs, je voudrais insister sur un point.
05:13Le Conseil Constitutionnel, ce n'est pas un président.
05:15C'est neuf membres, qui sont égaux.
05:17Sauf dans le cas parfois improbable
05:19où il y a partage des voix.
05:21Mais comme on est neuf,
05:23c'est difficile d'avoir un partage des voix,
05:25sauf lorsque l'un d'entre nous est malade.
05:27Ça fait huit, et alors le président a voix répondante.
05:29Le reste du temps, nous délibérons,
05:31et c'est le collège qui assume collégialement,
05:33comme son nom l'indique, les décisions que nous prenons.
05:35Que vous inspire cette période tellement instable
05:37dans laquelle nous sommes plongés ?
05:39Est-ce que ça pose un problème par rapport aux institutions ?
05:41Est-ce que nos institutions sont malades ?
05:45Il y a une crise politique en France, c'est clair.
05:47Et là-dessus, pardon de vous décevoir,
05:49mais je n'entrerai pas dans le débat.
05:51Est-ce que c'est en changeant les institutions
05:53que l'on résoudra cette crise politique ?
05:55Je n'en suis pas sûr.
05:57Nous avons célébré l'année dernière,
05:59je ne sais jamais, c'est le 65e anniversaire,
06:01je crois, de la Constitution,
06:03de 1923, de la Constitution de 1958.
06:05Et tout le monde avait célébré
06:07la qualité de cette Constitution,
06:09sa capacité d'adaptation,
06:11puisqu'elle a connu des périodes très différentes,
06:13notamment des périodes de cohabitation.
06:15Donc c'est une Constitution
06:17qui est souple, qui est adaptable.
06:19Qui nous protège encore aujourd'hui ?
06:21Pardon ?
06:22Qui nous protège encore aujourd'hui cette Constitution ?
06:23Oui, encore aujourd'hui, bien entendu.
06:25Alors quel est le problème aujourd'hui ?
06:26Ce n'est pas la Constitution qui pose problème,
06:28c'est le fait que les grandes formations politiques
06:30ne jouent plus le rôle qu'elles étaient appelées à jouer,
06:32et qu'il y a une fragmentation de ce paysage politique.
06:34Et c'est aux responsables politiques,
06:36responsables politiques,
06:38de proposer au pays
06:40un projet politique et une incarnation
06:42de ce projet politique qui permettent
06:44ensuite aux Français de faire des choix clairs.
06:46Aujourd'hui, ce n'est pas tout à fait le cas.
06:48Vous interrogiez en disant quel est le problème.
06:49Certains, y compris à droite dans votre famille politique,
06:51chez les gaullistes, disent qu'Emmanuel Macron
06:53ne pourra pas rester à l'Élysée jusqu'au terme de son mandat.
06:55Est-ce que c'est aujourd'hui le problème ?
06:57Non, le problème, je crois...
06:59D'abord, je ne ferai pas
07:01de prospectif politique.
07:03Non, mais est-ce qu'il a abîmé la Vème République
07:05avec la... Vous avez été victime d'une dissolution,
07:07vous aussi, en quelque sorte, en 97 ?
07:09Victime et auteur en même temps.
07:11Écoutez, il y a un consensus,
07:13c'est général, je ne sortirai pas
07:15de mon devoir de réserve en le disant,
07:17c'est que la dissolution
07:19de juillet dernier n'a pas été une très bonne idée.
07:21Donc à partir de là,
07:23il faut gérer, et notre Constitution
07:25permet d'aller de l'avant.
07:27Elle donne au gouvernement des outils
07:29qui sont parfaitement constitutionnels, comme le 49-3,
07:31qui fait partie de ce qu'on appelait
07:33un parlementarisme rationalisé.
07:35Pourquoi est-ce que le général de Gaulle a voulu la Constitution
07:37en 1958 ? Il faut quand même faire un peu
07:39de retour en arrière. Tout simplement
07:41pour sortir de l'instabilité ministérielle
07:43qui avait conduit la IVème République à la crise.
07:45Là, on a l'impression de replonger dans l'instabilité
07:47ministérielle. On y est, là.
07:49Oui, parce que les forces politiques
07:51ne jouent plus aujourd'hui le rôle qu'elles peuvent jouer.
07:53Qu'est-ce que c'est que la VIème République ?
07:55J'entends beaucoup parler de la VIème République
07:57et je cherche vainement ce que ça peut être.
07:59Il y a deux idées qui circulent.
08:01Renoncer à l'élection du président
08:03de la République au suffrage universel direct
08:05parce que ça lui donne, évidemment,
08:07une primauté. Est-ce que vous pensez
08:09que les Français, aujourd'hui, sont prêts à renoncer
08:11à ce pouvoir de choisir le chef de l'État ?
08:13Je n'en suis pas tout à fait sûr.
08:15Et si on faisait un référendum là-dessus, je suis sûr
08:17qu'on serait surpris. Deuxième
08:19proposition, le scrutin proportionnel.
08:21Il y a une chose qui m'a beaucoup
08:23amusé en relisant l'histoire de la Vème République.
08:25Lorsque la Constitution a été
08:27élaborée en 1958, vous savez
08:29qui a demandé l'abandon
08:31de la proportionnelle et le passage
08:33au scrutin majoritaire à deux tours ?
08:35Les barons de la IVème. Et en tête
08:37Guy Mollet, président à l'époque
08:39de la SFIO, parce qu'il
08:41soulignait que la proportionnelle avait conduit
08:43à la chute de la IVème République.
08:45Il faudrait y réfléchir.
08:47On entend votre attachement à cette Vème République. Est-il important
08:49que le chef de l'État, S. Qualité,
08:51puisse aller au bout de son mandat pour protéger les institutions
08:53aujourd'hui ? Il a été élu pour un mandat
08:55et voilà, du point de vue du Conseil constitutionnel,
08:57il n'y a pas de problème. Il assume son
08:59mandat. J'ai une question qui est une question de
09:01droit à vous poser. Y-a-t-il la possibilité
09:03pour lui de faire un troisième mandat ?
09:05Admettons qu'il démissionne. Est-ce que
09:07Richard Ferrand, en 2023, s'était dit favorable
09:09à la possibilité de faire un troisième mandat pour
09:11Emmanuel Macron ? C'est une question qui serait posée au
09:13Conseil constitutionnel. Vous en êtes membre ? Il la trancherait.
09:15Non, je ne peux pas répondre au nom de mes
09:17huit collègues. Ça ne vous paraît pas complètement exclu ?
09:19Je ne donnerai pas mon sentiment
09:21là-dessus. Mais votre compétence
09:23juridique m'intéresse, votre sentiment m'intéresse peu.
09:25Mais ce sera une décision collégiale du Conseil constitutionnel
09:27si la question devait se poser.
09:29En tout cas, vous ne dites pas non, c'est totalement impossible.
09:31Je n'ai pas dit ça non plus. Mais vous ne dites pas oui non plus.
09:33Je n'y arriverai pas. Ne tirez pas comme ça.
09:35J'essaye, j'essaye.
09:37Ne tirez le fil de la pelote.
09:39Alain Juppé,
09:41vous êtes, comme le disait Jean-Daure Meusson, un catholique
09:43agnostique. Est-ce au politique
09:45de se pencher sur des questions comme la fin de vie ?
09:47Est-ce que vous faites partie de ceux qui disent
09:49il faut une loi sans exclusif, sans tabou,
09:51y compris sur l'euthanasie ? J'ai beaucoup évolué
09:53là-dessus. Je pensais qu'une loi n'était pas nécessaire
09:55et que par le dialogue entre les familles
09:57et le corps médical,
09:59dans des situations extraordinairement douloureuses
10:01que beaucoup d'entre nous ont connues
10:03dans leurs familles, les choses pouvaient
10:05trouver une issue. J'ai
10:07avancé aujourd'hui dans ma réflexion
10:09et je pense qu'aujourd'hui, effectivement,
10:11l'opinion publique,
10:13la démocratie, ça consiste aussi à tenir compte
10:15de l'opinion générale, attend
10:17une législation sur la fin de vie. Vous la voteriez-vous ?
10:19Pardon ? Vous la voteriez-vous si vous étiez
10:21parlementaire ? J'ai dit dans une interview récente
10:23que je la voterais. Peut-être que j'étais un petit peu loin.
10:25J'ai ajouté que si la
10:27question devait se poser devant le Conseil constitutionnel,
10:29je pourrais toujours me déporter,
10:31c'est-à-dire ne pas participer au vote.
10:33Mais je pense
10:35qu'aujourd'hui le problème se pose
10:37et qu'il faut
10:39véritablement en tenir compte. Le Conseil constitutionnel
10:41sur ces questions de société
10:43exerce un contrôle restreint.
10:45Il a une formule qu'il utilise très souvent.
10:47Nous n'avons pas le même pouvoir d'appréciation
10:49et de décision que le Parlement.
10:51C'est au Parlement de décider en la matière.
10:53Nous l'avons montré lorsque l'IVG
10:55est venu devant le Conseil constitutionnel il y a quelques années
10:57où notre contrôle a été effectivement restreint.
10:59Merci beaucoup Alain Juppé.
11:01Vous voulez envoyer un petit texto de félicitations à Richard Ferrand hier ou pas ?
11:03Nous sommes
11:05très heureux d'accueillir les trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel.
11:07Vous voulez envoyer un petit message ou pas ? Vous voulez envoyer un petit mot ou pas ?
11:09Je tweete de moins en moins.
11:11Ah ben tweete ! On ne tweete plus en X maintenant.
11:13Merci Alain Juppé.