Charles Millon, ancien ministre de la Défense, était l’invité de #LaGrandeInterview de Sonia Mabrouk dans #LaMatinale sur CNEWS, en partenariat avec Europe 1.
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00:00Bonjour Charles Millon.
00:01Bonjour.
00:02Et bienvenue à la grande interview sur CNews Europe 1.
00:04Vous avez été, monsieur Millon, ministre de la Défense au Jacques Chirac.
00:08Vous êtes également le fondateur du Think Tank, l'institut Thomas More.
00:12Et vous êtes également, peut-être que nos auditeurs et téléspectateurs ne le savent pas,
00:16en tous les cas les plus jeunes, vous êtes également à l'origine, avec le président Chirac,
00:20de la suspension du service militaire obligatoire.
00:22Démarrons, si vous le voulez bien, par ce sujet qui est revenu au centre du débat politique
00:27alors que nous sommes engagés dans un effort de réarmement.
00:30Aujourd'hui, monsieur Millon, avec le recul, la situation géopolitique, ne faudrait-il
00:34pas revenir à une forme de service militaire obligatoire ? Est-ce que c'est souhaitable ?
00:39Est-ce que c'est possible ?
00:40Alors d'une part, c'est très difficile parce que toute l'organisation de nos armées
00:46actuellement est faite sans les casernes, sans les outils d'un service militaire obligatoire
00:54pour tous.
00:55Donc c'est la première difficulté, c'est une difficulté financière et matérielle.
01:00Et puis ce n'est pas souhaitable parce qu'on a une armée professionnelle et tout le monde
01:05constate aujourd'hui que l'armée française est la grande armée européenne parce que
01:09c'est elle qui a d'abord l'habitude des interventions, elle l'a démontré les années
01:14passées.
01:15Et deuxièmement, elle est complète, c'est-à-dire qu'elle a les trois armes qui sont là et
01:20qui sont bien portées par nos militaires et nos officiers.
01:25Et enfin, aujourd'hui, le problème de l'armée, c'est la réserve, c'est-à-dire que quand
01:35vous prenez les armées professionnelles dans le monde, vous apercevez que les armées qui
01:40sont bien organisées ont des réserves extrêmement importantes, c'est le cas par exemple de
01:45l'armée américaine.
01:46Il était prévu dans la loi de programmation que j'ai fait voter, qu'il était prévu
01:53en fait la montée en puissance d'une réserve française très importante, ça n'a pas été
01:58fait.
01:59C'est ça qui nous manque aujourd'hui.
02:00Exactement.
02:01Et je pense qu'il serait de bon ton et il serait de bonne manière aujourd'hui de prévoir
02:06un plan qui mette en place une véritable réserve, réserve qui serait utile aussi
02:12bien sous l'angle extérieur que sous l'angle intérieur, parce qu'à partir de ce moment-là,
02:18par exemple, tout le système de vigile pirate serait porté par des réservistes et permettrait
02:23en fait à l'armée professionnelle de se consacrer à sa tâche.
02:26Et nous en avons besoin ô combien besoin.
02:28Charles Millon, nous sommes passés en fait d'une armée de circonscription à une armée
02:31professionnelle, ça veut donc dire, si je vous ai bien écouté, qu'une armée de circonscription
02:36serait vraiment inutile.
02:37De conscription.
02:38Oui, de conscription, pardonnez-moi.
02:39Ce serait vraiment inutile en France.
02:42Non, ce n'est plus possible.
02:44Ce n'est plus possible.
02:46D'ailleurs, si elle a été suspendue cette conscription, c'est parce qu'elle ne correspondait
02:52plus aux objectifs fixés.
02:53On parle de brassage social, il n'y avait plus de brassage social.
02:57Le recrutement du service national, à l'époque, était composé de trois catégories.
03:06Une première catégorie qui était en fait exemptée parce que lors du passage devant
03:14les officiers ou les recruteurs, on considérait qu'ils n'avaient ni la pratique de la langue
03:24ni les capacités pour pouvoir faire leur service national, c'était à peu près 20
03:29à 25%.
03:30Il y avait 25% qui étaient, j'allais dire, qui avaient une planquée, pour prendre des
03:39expressions assez rapides, et puis il restait les 50% qui, du fait d'une loi qui avait
03:45fait voter Michel Debré, profitaient de ce qu'on appelle l'affectation rapprochée.
03:51Et à partir de ce moment-là, vous aviez en fait le garçon qui faisait son service
03:58national, qui était à proximité de son domicile, et très franchement, ça changeait
04:03tout.
04:04Il n'y avait pas en fait ce brassage tel qu'on l'espérait ou tel qu'on l'avait
04:08vécu dans les années qui précédaient.
04:10– Tous ceux qui voient une solution justement, un brassage social, tous ceux qui voient aussi
04:14une solution à l'assimilation et un creusier républicain, se trompent aujourd'hui ?
04:18– Ils se trompent, oui, ils se trompent totalement.
04:19C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle on était parvenus, Jacques Chirac et moi-même,
04:26lorsqu'on avait fait les études préalables à la suspension du service national.
04:29Donc je crois qu'il faut développer d'autres choses, il faut développer la réserve, il
04:34faut développer les mouvements éducatifs populaires, il faut développer un certain
04:41nombre de lieux où il y aura le brassage social.
04:43Mais ce n'est plus le service national tel qu'il existait à l'époque qui pouvait
04:47remplir cette fonction.
04:48– Plus largement, Charles Millon, alors que des réunions cruciales pour la paix se
04:53tiennent en ce moment en Arabie Saoudite, au moment où les Américains parlent également
04:56de paix et Zelensky, d'un cessez-le-feu, sans doute serait-ce une paix imparfaite sur
05:02le dos de l'Ukraine, les Européens et la France en tête réactivent un peu une rhétorique
05:07de la guerre.
05:08Est-ce que ça vous choque ou est-ce que vous estimez que c'est normal et que c'est
05:11une forme de motivation des populations ?
05:13– Non, je pense qu'on fait de la diplomatie spectacle maintenant et je me tourne vers
05:19le Président de la République pour lui dire d'arrêter puisque la diplomatie spectacle
05:23ce n'est pas de la diplomatie, la diplomatie c'est discret, c'est secret et ça permet
05:29en fait d'arriver à des solutions.
05:30Là on est en train en fait d'utiliser des événements qui sont des événements
05:34graves pour pouvoir poursuivre d'autres objectifs et en particulier, j'allais dire,
05:40remettre en selle un Président de la République qui avait été très abîmé par la dissolution
05:46et par son passage à la tête de l'État depuis la dissolution.
05:52Je crois en fait qu'aujourd'hui il faudrait rappeler au Président de la République qu'il
06:01y a des dossiers qui sont plus importants que de faire du spectacle diplomatique.
06:05– C'est-à-dire ?
06:06– Le premier dossier c'est, j'allais dire, c'est le dossier de Boalem-Sensal,
06:11c'est le problème de nos rapports avec l'Algérie.
06:14Et là ça mériterait en fait une diplomatie discrète, secrète, qui aboutisse.
06:19Je fais partie de ceux qui pensent que si cela est possible, que l'on nomme ambassadeur
06:25Boalem-Sensal, on peut le nommer ambassadeur auprès de l'UNESCO et à partir de ce moment-là
06:31il aura l'immunité diplomatique et on aura une négociation de force avec l'Algérie
06:36en lui disant, libérez notre concitoyen qui vient d'être nommé ambassadeur auprès
06:43de l'UNESCO et il a toutes les capacités pour l'être, il est un équilibre à reconnue.
06:50Donc c'est d'une part sa reconnaissance et deuxièmement ça permettrait à la France
06:56d'exiger la libération de Boalem-Sensal.
06:58– Donc agir sur ce dossier-là, être plus discret et moins dans le spectacle par rapport
07:01à la Russie sur le dossier ukrainien, d'ailleurs que ce soit l'ancien ministre de la Défense
07:05Hervé Morin, l'ancien Premier ministre François Fillon ou Henri Guainoyère à cette place,
07:10ils disent la même chose et vous l'entendez Charles Millian, il y a ces critiques d'être
07:15défaitiste, d'être même poutinophile, que répondez-vous à cela ?
07:19– Ça n'a strictement rien à voir, on est aujourd'hui dans une situation où on
07:26a un conflit, on a effectivement un pays qui a agressé un autre pays, la Russie a
07:32agressé l'Ukraine mais on cherche maintenant les chemins de la paix, on ne va pas continuellement
07:39alimenter un climat de peur et de guerre, donc pour aller sur les chemins de la paix
07:45il faut le faire avec intelligence, avec discrétion, avec finesse, avec modestie et un peu d'enthousiasme
07:52parce qu'en fait on voudrait voir un avenir plus serein, c'est pour ça que je crois
07:58qu'il faudrait que le Président de la République revienne à une pratique qui soit une pratique
08:05classique de la diplomatie et non pas en fait un spectacle qui est continuel, on est
08:11quand même étonnés par ces réunions qui sont répétées tous les jours aujourd'hui
08:16pour pouvoir faire comme si on était à la veille d'une conflagration demain dans le
08:24continent européen.
08:25– C'est ma question, parce que le Président de la République et son entourage parlent
08:28d'une menace existentielle à nos frontières de l'Europe et donc singulièrement de la France,
08:33vous ne le pensez pas Monsieur…
08:35– Si il veut mettre un terme à cette menace, il faut qu'il prenne des moyens et les moyens
08:41c'est des moyens de diplomate, il faut qu'il voit avec les autres pays, avec nos alliés
08:48et même avec l'allié américain, comment faire face à cela, mais ce n'est pas en
08:52public, devant, sur des estrades qu'on va y arriver.
08:56– Alors justement, comment y arriver, votre expérience nous est précieuse Charles Millon,
09:00on poursuit notre entretien sur ces news européens, tandis que le parapluie américain se dérobe,
09:05le sursaut européen est vanté par nos leaders européens dont Emmanuel Macron,
09:09est-ce qu'un tel sursaut passe à vos yeux par une défense européenne, est-ce que c'est possible ?
09:14– D'abord, qu'est-ce que c'est qu'une défense européenne ?
09:16Si une défense européenne c'est la construction d'une armée européenne, je n'y crois pas,
09:21ça signifierait qu'il y ait en fait un transfert de souveraineté,
09:25on passerait de la souveraineté nationale à la souveraineté européenne,
09:29ce n'est pas aujourd'hui possible et je ne pense pas que les peuples européens le souhaitent.
09:34Deuxièmement, si construire une défense européenne c'est de faire face à une difficulté
09:42ou à une menace et y répondre, là oui, mais dans ce cas-là c'est du cas par cas,
09:48c'est d'une opération par opération et j'ai eu l'honneur de servir mon pays avec Jacques Chirac
09:57et en Bosnie on a mis en place une défense européenne,
10:02il y avait un problème qui était posé puisque la mission des Nations Unies échouait,
10:08nous étions en fait même un peu ridiculisés par les serbes qui avaient pris en otage
10:16des soldats français et des officiers français et c'est à ce moment-là où nous avons réagi
10:20en construisant une force de réaction rapide avec les néerlandais, avec les anglais,
10:25soutenus par les allemands et soutenus par les italiens et ça a marché.
10:30Le général Lecointre le dit dans son livre et il le rappelle que nous avons repris le pont de Verbagna
10:36et que le climat a changé et que nous sommes allés ensuite vers les accords de Leyton
10:43qui ont mis fin à la guerre de Bosnie.
10:44Donc ça peut marcher, mais vous dites à une condition, si je vous comprends bien monsieur Millon,
10:48oui à l'Europe des nations mais non à l'Europe de la défense en gommant les nations.
10:53Je crois à moi, la défense européenne c'est un accord entre les nations qui constitue
11:01soit des forces spécialisées ensemble pour pouvoir faire face à une menace
11:07et pour pouvoir participer à un combat, soit qui réfléchissent à une programmation militaire conjointe
11:17en ayant en fait des armements qui sont tous compatibles et on en arrive à l'industrie de la défense
11:22avec une préférence communautaire, je trouverais ça tout à fait excellent
11:26mais que c'est en fait, j'allais dire, des initiatives nationales coordonnées.
11:31Mais alors est-ce que certains pourraient tenter de vous dire autre temps, autre période
11:35parce que comment on peut imaginer une telle coordination quand certains pays européens,
11:39Charles Millon, préfèrent acheter des avions et du matériel américain ?
11:43Mais ça c'était avant, ça ne sera plus comme ça, surtout que maintenant on est en train de s'apercevoir
11:48que les américains mettent des systèmes qui permettent de déconnecter en fait l'armement
11:54donc je pense que la réflexion sur l'armement elle est arrivée à son terme aujourd'hui
11:59et qu'il me paraît très intéressant que les nations se réunissent entre elles
12:02et mettent en oeuvre une politique coordonnée de l'armement,
12:06ça serait en fait une étape importante dans la défense de nos pays.
12:12Mais je voudrais qu'on arrête ce mythe en réalité d'une Europe fédérale
12:18qui mettra en place une armée européenne après l'utopie de la mondialisation
12:24et de la suppression des frontières, on ne va pas aller vers le rêve ou même le cauchemar
12:28d'une Europe qui serait fédérale avec des pays qui seraient complètement absorbés
12:36dans une nation européenne.
12:38Non je n'y crois pas, je pense qu'on pourrait même aller vers des lendemains qui déchantent.
12:43On entend votre avertissant ce matin sur CNews et Europe 1,
12:46Charles Millon, je l'ai rappelé, vous avez été ministre de la Défense sous Jacques Chirac
12:50et combien de fois justement nos dépenses militaires ont été des variables d'ajustement ?
12:55Aujourd'hui on parle de réarmement, est-ce que vous aussi vous dites que de temps perdu par rapport à cela ?
13:02Oui, il y a eu du temps perdu parce que ça a toujours été des variables d'ajustement,
13:07la facilité c'était les dividendes de la paix qu'on se partageait,
13:12ça a été en fait une période, j'allais dire, trompeuse.
13:16Je pense que là ça mérite d'ailleurs une réflexion,
13:20c'est qu'il y a des décisions qui sont prises dans la précipitation
13:25et là aussi je m'adresse au président de la République,
13:28je lui dis que la précipitation n'est pas une bonne politique,
13:32il suffit de se retourner et de regarder ce qu'on a fait par exemple en Libye
13:37où on est intervenu à mon avis d'une manière précipitée, non réfléchie,
13:40avec des conséquences qui ont provoqué le djihadisme révolutionnaire et radical dans tout le Sahel.
13:51Dont profite aujourd'hui paradoxalement la Russie par rapport aux intérêts français.
13:55Exactement, donc je pense qu'il faut en fait agir avec modestie, avec prudence,
14:05que ce sont en fait des qualités très importantes dans la vie politique.
14:08Pourquoi on ne les retrouve pas ces qualités ?
14:09C'est un petit peu ce matin, permettez-moi de vous le dire, Charles Millon, le calme des vieilles troupes.
14:14C'est le calme des vieilles troupes.
14:15Il est important dans cette période aujourd'hui paroxystique de tensions exacerbées ?
14:19Vous savez, je crois que l'une des maladies de la politique,
14:24et le président de la République en est un peu aujourd'hui un des acteurs, c'est l'instantané.
14:31On voudrait être en haut des sondages constamment, on voudrait être en scène constamment, etc.
14:38Mais on ferait mieux de se préoccuper de problèmes qui, eux, durent.
14:42Et je voudrais en donner quelques-uns.
14:44Aujourd'hui, il y a le feu à l'Afrique, avec le Soudan d'un côté et la République démocratique du Congo de l'autre.
14:51On n'entend absolument personne parler.
14:54Or, ce n'est pas le nombre de morts qui devrait les éloigner du dossier,
14:58parce qu'il y a eu plus d'un million de morts dans la République démocratique du Congo.
15:02Il y a eu des femmes qui ont été abîmées à vie.
15:05On parle de 500 000 femmes abîmées par les viols et la bagarre entre les...
15:13– Les exactions, bien sûr.
15:15– Les exactions.
15:16Et aujourd'hui, on ignore tout ce qui se passe et qui dure.
15:22Donc, on devrait se poser et voir comment résoudre les problèmes les uns après les autres,
15:28je veux dire, avec raison, avec calme, avec modestie.
15:34Et je pense qu'on arrivera beaucoup mieux à résoudre les problèmes de notre pays.
15:38– Et avec notamment une armée professionnelle.
15:40Permettez-moi à travers vous, M. le ministre de la Défense,
15:42de saluer tous ceux qui sont engagés aujourd'hui dans cette armée professionnelle
15:47et qui étaient autrefois, c'est vrai, il y avait l'armée de conscription,
15:50mais pas de circonscription.
15:51On l'a tellement oublié que j'ai confondu le mot.
15:53Merci, M. Charmin.
15:54On retiendra donc la modestie, la sagesse, le calme en cette période.
15:58C'est ce qui devrait nous guider.
15:59Merci à vous et bonne journée.
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