Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici la captation de la rencontre de Marie Sizun autour de son roman L'absent, paru chez Arléa.
Enregistré le mercredi 26 mars 2025.
Voici la captation de la rencontre de Marie Sizun autour de son roman L'absent, paru chez Arléa.
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00:00Je ne sais pas, c'est les cloches de la renommée qui font que vous êtes accourus de tous les pays,
00:07les Mitrofs, l'Allemagne, la Belgique, les contrées reculées de la France, la Bretagne.
00:14Je trouve ça absolument extraordinaire.
00:17Alors, je vais donner la parole à Monélie Chris, à Anne Bourguignon, qui va me présenter.
00:27Alors, ça va être très difficile de présenter Marie-Sylvain, parce que tout le monde l'aime ici.
00:32Tout le monde la connaît déjà.
00:34Donc, nous, nous avons le même bonheur que vous.
00:37Vous, vous l'aimez pour des tas de raisons affectives.
00:39Nous, ces raisons affectives sont mêlées maintenant à ses textes depuis des années et des années.
00:44C'est le 16e texte, c'est ça ?
00:46Oui.
00:47Donc, c'est un long chemin, un long parcours de vie commune,
00:52plus que présenter un auteur.
00:55En fait, c'est présenter une personnalité, c'est présenter une sensibilité.
01:00Tout est mêlé dans les livres de Marie-Sylvain.
01:03J'ai l'impression que depuis qu'on l'a publié, on a toujours la même tendresse,
01:08on a toujours la même acuité, on a toujours la même élégance de la pensée.
01:13Dès son premier livre, c'est difficile pour nous de dire quels sont nos livres préférés.
01:19Dès le premier, il se passe quelque chose avec un auteur, c'est une voix,
01:23et c'est une voix qui ne se dément jamais.
01:25On a vraiment du plaisir à la suivre.
01:28Il y a une émotion qui se renouvelle de livre en livre,
01:31et par sa vie, et par son regard sur les autres.
01:34Elle sait regarder les silences,
01:36elle sait regarder, là, vous allez voir, les absences.
01:39Elle sait se tourner vers son enfance,
01:42elle sait attendre,
01:44elle ne juge jamais.
01:46Elle a un regard pertinent qui va dans les détails,
01:49elle a un mouvement de l'âme qui donne des grands mouvements à sa pensée,
01:56à la façon dont les livres se déploient.
01:58Et je crois que c'est tout ça qui nous attache à elle profondément.
02:01Ce texte-là, l'absence, est sans doute d'une certaine façon,
02:08alors ce n'est peut-être pas à moi de le dire,
02:10mais quelque chose, on a envie de le dire pour chacun de ses livres, le plus beau.
02:14Mais il y a quelque chose dans l'absence d'une délicatesse,
02:17je crois que dans les derniers, dans Villiagalliardini,
02:20dans l'absence, il y a quelque chose qui vient du très profond du cœur
02:25et auquel on est très, très, très attaché.
02:28Voilà, c'est une présentation bien modeste
02:31quand on pense à toute l'œuvre de Marie,
02:34mais c'est une présentation avec qui,
02:36c'est quelqu'un qu'on aime vraiment beaucoup.
02:38Merci beaucoup, Anne.
02:40Bonjour, je rougis ce que j'ai entendu.
02:43Écoutez, je suis impressionnée de vous voir tous rassemblés
02:52parce que vous représentez par la diversité des lieux d'où vous arrivez
02:58et des endroits où je vous ai connus un peu ma vie.
03:02Ça prend des airs testamentaires, je m'en excuse,
03:06mais c'est vrai, ça m'impressionne.
03:09Et tout d'un coup, une espèce de somme de mon existence.
03:12Et alors, comme par hasard,
03:14c'est à l'occasion de la sortie d'un livre qui est très particulier,
03:20qui vient à la suite de tous les autres
03:24et qui n'est pas simple et qui n'a pas été simple d'écrire.
03:29C'est pour ça que je suis gênée,
03:33d'une certaine façon timide,
03:36de devoir en parler en public.
03:39Ce qu'il y a de merveilleux dans l'écriture,
03:42c'est qu'on dit tout.
03:44Mais dans la vie, vis-à-vis des êtres qui nous côtoient,
03:48c'est bien plus difficile.
03:50Alors, je m'en référerai tout de même beaucoup aux livres.
03:56Alors, de quoi s'agit-il ?
03:58Plusieurs parmi vous ne connaissent que la quatrième de couverture.
04:04Il s'agit, la narratrice le dit elle-même,
04:09d'une histoire d'amour,
04:12mais une histoire scandaleuse,
04:15interdite, défendue.
04:18Une histoire qui, sans le souffre un petit peu,
04:22d'une certaine façon,
04:24et qui pourtant est extraordinairement pure.
04:29Il ne s'agit pas ici de récits érotiques,
04:33loin du monde.
04:35Il s'agit simplement de l'écriture d'un amour
04:38qui a duré très longtemps,
04:41plus de quarante ans,
04:43et que la narratrice réécrit,
04:49en l'analysant,
04:51en essayant de comprendre.
04:53Elle vient d'apprendre la mort de cet homme,
04:56dont elle a été la compagne pendant tellement d'années.
05:01Elle est bouleversée d'apprendre cette mort,
05:04et le récit,
05:07vous voyez j'emploie le mot récit,
05:09et pas le mot roman,
05:11le récit commence par ce bouleversement,
05:15le choc qu'elle a éprouvé en apprenant cette mort,
05:20et dans toutes les premières pages,
05:22on a affaire à une personne
05:25qui n'est presque plus elle-même.
05:28On sait par ailleurs,
05:30on va apprendre très vite qu'elle écrit,
05:33mais là, on ne peut pas le deviner,
05:36elle est un peu égarée dans ses propos.
05:40Alors je me proposais de tâter votre perspicacité
05:44en vous lisant la première page.
05:48Ceux qui ne l'ont pas lu, mon livre,
05:53vont au début être un peu perdus,
05:57or j'ai planté des jalons,
06:00alors que ce n'est pas un jeu,
06:02mais c'est pourtant ça,
06:04j'ai planté des jalons pour qu'on suive à la trace,
06:08et on devine de plus en plus,
06:10on avance de plus en plus.
06:12Ce n'est pas un roman policier,
06:14mais c'est une quête,
06:16et le lecteur est mon complice,
06:18il devient celui qui enquête aussi.
06:21Je vais vous lire, malheureusement,
06:23je ne suis pas une actrice, je le regrette,
06:26mais pour ceux qui ne connaîtraient pas,
06:30je vais quand même vous lire ce que je peux faire.
06:34Tu es arrivé sans faire de bruit,
06:38tu es debout dans l'embrasure de la porte de la cuisine,
06:42là où je t'ai vu si souvent.
06:45Mon amie Hélène, qui prend le thé avec moi,
06:48assise à deux pas, ne te voit pas,
06:50elle ne peut pas puisque tu es mort.
06:54Tu portes autour du cou ce foulard qui était le mien,
06:57que tu aimais à cause du parfum.
07:00Je suis heureuse que tu l'aies gardé,
07:02qu'il ne te l'ait pas pris.
07:05Hélène me parle d'un livre qu'elle vient de lire,
07:09je ne l'écoute pas.
07:13Je te regarde, dans l'émerveillement,
07:16que tu sois là,
07:19que tu sois venue.
07:22Je crois que je tremble un peu.
07:25Tu ne bouges pas, tu as cet air amusé,
07:28que je connais si bien, ce pétillement du regard complice.
07:33Tu n'es pas mort,
07:35il est impossible que tu sois mort.
07:38Il faut absolument que tu lises ça, me crie Hélène,
07:42tu vas adorer.
07:44Je tourne la tête vers elle, j'acquiesce silencieusement.
07:49Alors, je m'aperçois que tu as disparu.
07:53À la place où tu étais, il n'y a plus personne,
07:56il n'y a plus rien.
07:58C'est normal, puisque tu es mort,
08:02depuis presque une semaine.
08:04J'avais presque oublié, presque.
08:08Hélène babille toujours, inconsciente de ce qui s'est passé,
08:13aveugle.
08:15Son regard fixé sur moi, elle ne remarque pas mon émotion,
08:20elle ne sait pas.
08:22Cette fois, je lui souris.
08:24Tu es mort, mais elle l'ignore.
08:28Pour elle, tu n'existes pas.
08:31Ici, à Paris, personne ne sait rien de notre histoire.
08:37Alors, l'enquête policière, si vous voulez,
08:41je crois que tout est là.
08:43On a appris que quelqu'un de très aimé est mort,
08:48que cette mort arrive à peine à la conscience
08:51de celle qui l'a appris.
08:55Et on apprend aussi qu'il s'agit d'une histoire secrète.
09:00Tout est déjà donné.
09:03Et ensuite, les choses vont s'organiser petit à petit,
09:07d'indice en indice, de chapitre en chapitre.
09:11Toute la première partie jusqu'à la page 76
09:16est en effet dédiée au factuel.
09:20Comment cet homme et cette femme se sont connus ?
09:27Qu'est-il arrivé ?
09:30Comment est-il mort ?
09:32Et la dernière séquence de cette série factuelle,
09:36c'est la séance au crématorium
09:39où elle va accompagner de loin son amie
09:46parce qu'il n'est pas correct
09:49qu'elle se présente comme la compagne
09:53de celui qui est mort,
09:55qui a enterré lui-même sa femme moins d'un an avant.
10:00Donc c'est une histoire scandaleuse,
10:03mais une histoire où le scandale n'existe pas
10:08parce que ce sont deux êtres qui s'aiment,
10:11qui sont extrêmement, comment dire,
10:14purs, naïfs même dans leur amour.
10:19Il y a une espèce de parfum d'enfance entre eux
10:24parce que pour des raisons qui sont dites plus loin,
10:28ils ont eu la même enfance,
10:31pauvres, difficiles et révoltés.
10:34Et ils sont étrangers à la société dans laquelle ils vivent.
10:39Bon, tout ce qui est de l'ordre de l'amour,
10:48cette espèce de, j'allais dire d'idéalisation,
10:53mais ce n'est pas vrai, ce ne sont pas des amours idéalisés,
10:57mais il n'y a rien qui rappelle la pornographie
11:02dans laquelle on vit aujourd'hui.
11:05Quand on ouvre un journal,
11:08quand on écoute les procès qui ont lieu,
11:13on est submergé par la médiocrité de tout ça.
11:18Il n'y a pas d'âme, il n'y a rien,
11:21il y a un sexe qui est ravalé au niveau le plus bas.
11:25Et mon livre arrive là comme une espèce de petite étoile
11:30complètement inconsciente et naïve.
11:33Je ne sais pas quelles seront les réactions des uns ou des autres.
11:40Il y a la flamme de l'amour, il y a la constance,
11:45puisqu'au courant de toutes ces années,
11:49ils sont restés étroitement fidèles l'un à l'autre
11:53et fidèles par-delà la mort.
11:57Donc c'est une histoire d'amour et de mort.
12:00Je ne veux pas reprendre Tristan Iseu,
12:03mais il y a de ça.
12:05Un grand amour qui se clôt, qui s'arrête avec la mort.
12:09Or la mort fait revivre cet amour.
12:14C'est-à-dire que c'est la fin la plus glorieuse qui puisse être.
12:22À un moment donné, je cite une expression qui est merveilleuse.
12:36J'aurais dû garder ça pour tout à l'heure, mais ça ne fait rien.
12:47Alors oui, vous voyez, j'ai perdu mon élan ici.
12:51Une histoire d'amour et de mort, mais c'est aussi une histoire d'écriture.
12:55C'est-à-dire que non seulement on va trouver le schéma de l'histoire de cet amour,
13:00on va le vivre avec les personnages,
13:03mais c'est aussi une étrange histoire d'écriture.
13:09Comment, à partir de ce drame, la narratrice va la mettre par écrit ?
13:20Qui parle ? Où cela se passe-t-il ?
13:24Comment va-t-elle raconter ?
13:27Toutes les questions qui peuvent se poser à un romancier,
13:31elles se sont posées spontanément à la narratrice qui a vécu cette histoire.
13:38Après la séance d'incinération assez atroce,
13:42elle va se retrouver non pas seule,
13:46parce que comme elle le dit, quand elle rentre chez elle,
13:49après avoir fait le voyage depuis l'incinération à Bruxelles,
13:55quand elle retrouve Paris, elle n'est pas seule.
13:58Elle le dit, je sais que tu m'attends.
14:01Et va commencer en effet une étrange aventure,
14:07celui de l'accompagnement de l'homme qui est parti dans le livre
14:14et qui va l'aider, qui va être présent avec elle
14:17pour qu'elle arrive à écrire ce livre.
14:20Seulement, ce n'est pas simple.
14:22Elle se réfère à lui constamment en employant la deuxième personne du singulier.
14:29Ce n'est pas une histoire à la troisième personne,
14:33ce n'est pas non plus un jeu, c'est le tu.
14:37Elle vit à travers l'autre.
14:42Elle a besoin de sa présence.
14:45Un petit peu comme une scène où elle raconte une image de bonheur.
14:51Il est à Paris parce qu'ils ont établi un système.
14:55Je ne veux pas défleurer toute l'histoire.
14:57Cette histoire s'est passée en beaucoup de voyages,
15:00puisqu'ils sont séparés, mais continuent à se voir avec passion.
15:05Tantôt l'un va vers la Belgique, tantôt l'autre va vers Paris.
15:11À un moment donné, la narratrice raconte qu'elle est en train de travailler.
15:19Elle est auteure, elle écrit.
15:21Elle est en train de travailler et son ami est dans la même pièce,
15:25mais il est en train de lire.
15:27De temps en temps, il s'interrompt pour lui dire
15:30« Cette phrase-là, tu crois que ça va ? »
15:33Elle lui dit « Oui, ça va, bien sûr. »
15:37« J'avais besoin que tu me le dises parce que j'ai besoin que ta voix me le dise. »
15:43C'est cette espèce de compréhension d'osmose qui fait le climat du livre.
15:50J'espère que certains se reconnaîtront dans cet amour, dans cette confiance,
15:58dans ce jeu naïf encore une fois,
16:01qui est quelquefois proche de l'enfance.
16:04Ça me ferait peut-être rire certains,
16:07mais de temps en temps, ils se rappellent leur enfance.
16:11Ils se rappellent les chansons qui étaient les leurs dans les colonies de vacances.
16:18Et ils sont heureux de cette façon-là.
16:21Ils ont été l'un et l'autre.
16:24Elle, elle sort d'un mariage tout à fait désastreux
16:28et elle découvre une autre manière de vivre dans un véritable amour.
16:33Et lui, il est marié, mais a une femme qui est malade.
16:38Et il a, ce qui bloque évidemment la situation, deux enfants gravement handicapés.
16:44Il n'y a pas d'issue.
16:46Mais il y a leur présence et leur foi et leur confiance.
16:50Alors, cette espèce de retour à l'enfance,
17:01il y a une chose qui me touche encore quand je relis mon propre texte.
17:08C'est que lui, il est malade depuis longtemps.
17:12Il est gravement cardiaque.
17:14Il a été opéré plusieurs fois.
17:16Et il va avoir un accident chez des amis,
17:21chez lesquels il est allé déjeuner.
17:24Il est tombé brusquement par terre.
17:26On l'a emmené aux urgences, de là à un hôpital.
17:30Et il est mort brutalement.
17:32Elle, elle ne l'a su que par un coup de téléphone.
17:43Le téléphone, évidemment, est l'engin le plus cruel pour ce genre de situation.
17:52Et elle apprend qu'au moment où il a été enlevé par des infirmiers pour partir aux urgences,
18:03il chantonnait la chanson qui était la leur, Colchic dans les prés.
18:10Cette ère de l'enfance.
18:12Voilà, il ne pouvait plus parler.
18:15Il a perdu la parole.
18:16Il ne la retrouvera pas.
18:18Mais il chantait ça.
18:20Et pour elle, c'est un signe.
18:24C'est quelque chose qui montre qu'il est là avec elle de toute façon.
18:30Alors, je ne sais pas.
18:32Je pense qu'il y a peut-être des questions.
18:35Nous en parlions tout à l'heure.
18:38Je ne vois pas Audrey.
18:40Où est-elle?
18:41Je suis juste là.
18:42Je suis, j'ai besoin des lunettes, monsieur Zédu.
18:47Bon, je ne sais pas s'il y a une question que vous pouvez poser.
18:50Par exemple, on parlait du téléphone.
18:53La question, c'était?
18:58Que le téléphone traverse toute votre oeuvre, que ce soit le téléphone fixe ou le téléphone portable.
19:05Alors, le téléphone.
19:07Alors, pour ces pauvres amants séparés, le téléphone, évidemment, est capital.
19:13Et ça, je m'étends beaucoup dans ce livre, sur les différents aspects du téléphone.
19:21Dans d'autres livres, dans Ne quittez pas.
19:24Ne quittez pas, c'est la formule téléphoniste.
19:27Je raconte, il y a une trentaine de nouvelles, toutes liées au téléphone.
19:33C'est terrible, c'est une terrible formule.
19:35Ne quittez pas.
19:37Bon, il y a de grands écrivains qui l'ont fait bien mieux que moi.
19:41Les histoires de téléphone de Proust, par exemple, c'est prodigieux, c'est prodigieux.
19:47Et pour eux, le téléphone est tout simplement la survie.
19:53Quand ils ne se voient pas, il y a au moins le téléphone.
19:56Trois ou quatre appels par jour et la nuit, les SMS, les SMS que Malade continuait à envoyer.
20:05Bon, tout ça est évidemment déchirant.
20:07Mais c'est un repère peut-être pour beaucoup d'entre vous.
20:11Je pense toujours, en écrivant un livre, à l'écho.
20:17Est-ce que c'est suffisamment vrai pour que les autres puissent se retrouver ?
20:22Est-ce que chacun peut retrouver un écho de cette émotion ?
20:27Est-ce que nous vivons encore dans un système qui n'est pas encore trop déshumanisé ?
20:35Pour que des paroles vraies touchent les lecteurs.
20:41Je veux l'espérer.
20:43Il y a beaucoup de bons livres, heureusement, qui nous le font croire.
20:50Alors, je ne sais pas s'il y a encore des questions.
20:56Audrey me faisait remarquer qu'il y a en effet beaucoup d'histoires de téléphone dans mon œuvre
21:00parce que c'est un symbole, le téléphone, le lien d'un être à l'autre.
21:06C'est le téléphone, bien sûr.
21:08Ça peut avoir tous les sens possibles, imaginables.
21:12Mais notre relation avec l'autre, évidemment, elle est comme grossie, magnifiée ou terrible avec le téléphone.
21:21Je parlerais des téléphones dramatiques, la voix humaine, Cocteau, etc.
21:26Bon, ça c'est encore autre chose.
21:28Bon, maintenant, je ne sais pas, est-ce qu'il y a une question que personne ne me posera, heureusement,
21:37parce que je n'y aurais pas répondu, c'est est-ce que c'est vrai ?
21:43Alors, en aucun cas, je ne vous répondrai.
21:46Vous avez un livre, il est à vous, vous pouvez en penser ce que vous voulez.
21:52Mais ma propre vie privée, évidemment, je ne suis pas, on n'est pas à Gala ou à je ne sais quel journal de People.
22:03Ça n'intéresse personne.
22:05Ce n'est pas pour ça que j'ai écrit L'Absent.
22:09Alors, maintenant, est-ce que vous avez une question ou l'autre à me poser ?
22:15Est-ce que vous voulez une lecture de quelque chose ?
22:20Alors, il y a peut-être une question qu'Audrey aurait voulu me poser, je ne sais pas.
22:27C'est sur les réflexions.
22:35Non, ça je ne vais pas en parler.
22:38Le rêve.
22:40J'ai l'habitude, dans beaucoup de mes livres, de faire figurer des rêves.
22:46Et dans ce livre, il y a un rêve qui est raconté, qui est peut-être significatif.
23:01Je peux me permettre une lecture encore ?
23:06La narratrice raconte comment elle a été amenée, parce que la situation de Vaudville,
23:14qu'elle vivait malgré elle, était devenue intenable.
23:19Et elle décide de se prendre par la main, de rentrer à Paris et puis de se mettre à écrire.
23:24Bon, ce qu'elle va faire.
23:27Mais la décision de quitter Bruxelles, de quitter l'homme qu'elle aime, c'était très difficile.
23:35Et elle va faire un rêve qui est significatif.
23:42Alors là, elle vient de raconter une dernière promenade qu'ils ont faite ensemble
23:48et où elle a compris que décidément, il faut qu'elle s'en aille.
23:52Et elle fait ce rêve.
23:54En rapport ou non avec ce qui précède, un beau rêve de chagrin et de culpabilité.
24:00Je le note.
24:02La scène se passe dans un endroit que je ne parviens pas à préciser.
24:08Une chambre d'hôtel anonyme où je m'apprête à dormir.
24:12C'est une chambre comme on en voit dans les hôtels Borgne.
24:16Mais pas tout à fait Borgne, mais presque.
24:20J'ai fermé la porte à clés.
24:22Une petite porte grise banale, appoignée de porcelaine blanche, démodée.
24:27On se croirait dans un vieux film en noir et blanc des années 50.
24:32Je porte une longue chemise de nuit blanche, rétro, mais sans grâce, au col orné d'un liseré rouge.
24:39Dehors, il fait déjà nuit et j'ai tiré les rideaux devant les fenêtres sans volet.
24:45Tout d'un coup, il y a eu du bruit dans le couloir.
24:49Un pas qui s'approche.
24:51Une voix.
24:53C'est toi.
24:54Et tu m'appelles.
24:56Je me lève tout de suite pour t'ouvrir, mais je ne sais plus où j'ai mis la clé.
25:00Pas sur la serrure, mais où alors ?
25:02Je cherche partout dans la chambre, sur le marbre gris de la commode, sur l'appui de la fenêtre, sur la table de nuit.
25:09Rien, pas de clé.
25:11Je m'agace, fébrile.
25:13Et si tu allais repartir ?
25:15Je te crie d'attendre, que je cherche la clé.
25:18Est-ce que tu m'entends ?
25:20Tu murmures quelque chose que je ne comprends pas.
25:23Quelque chose comme « Mais pourquoi est-ce que tu t'es enfermée ? »
25:28Je voudrais te répondre, mais aucun son ne sort de ma gorge.
25:32J'étouffe, je ne respire plus.
25:34J'ai l'impression que ma poitrine, que mes membres, que mes mains sont entravées par cette chemise de nuit qui m'emprisonne.
25:44Et toi, de l'autre côté de la porte, qui continues de te plaindre, d'appeler, répétant que j'aurais dû savoir que tu allais venir.
25:52Tu l'avais promis, et que je m'étais pourtant enfermée.
25:58C'est alors que je me suis soudain rappelée que tu étais mort.
26:03Et sous le poids affreux de cette nouvelle et de ma faute, je me suis réveillée.
26:09J'étais en larmes.
26:13La culpabilité dont il est question, c'est le pas assez d'amour.
26:21Pas assez de sacrifice de soi pour aller jusqu'au bout.
26:29La faille, c'est ça, c'est être partie.
26:33Et la mort, c'est le châtiment qui punit cette faille.
26:39Je ne sais pas quelle idée je vous fais de mon livre avec ces quelques réflexions.
26:47Je n'ai pas évoqué tout ce qui est les souvenirs, la poésie des souvenirs.
26:57Cette espèce de transe, en effet, de la mémoire.
27:02Chacun connaît cela, mais je crois que j'ai réussi à le rendre aussi.
27:11Maintenant ce que je n'ai pas dit du tout, ce dont je n'ai pas du tout parlé,
27:17c'est le mystère de la personnalité de cet aimé
27:21qui va être pleinement absent parce qu'il se dérobe par la mort.
27:26Ah si nous pouvions interroger ceux qui sont partis.
27:31C'est-à-dire que le pourquoi de l'attitude de cet homme, le fond de sa personnalité.
27:38Je raconte aussi le personnage apparent qu'il était.
27:44Bohème, en apparent génie, extrêmement doué, professeur remarquable,
27:54mais désordonné, foutraque, il n'y a pas d'autre mot.
28:00Que tout le monde adorait, que l'administration redoutait par ses incartades.
28:07Personnage splendide, mais aussi formidablement et terriblement distrait.
28:13Il lui arrivait les pires aventures, les pires mésaventures,
28:16tout le monde en riait, tout le monde adorait ça.
28:19Mais la narratrice dit, ce personnage de Fantoche, ce n'était pas le vrai.
28:25Le vrai, c'était quelqu'un d'autre.
28:27Pourquoi ? Parce que la véritable personnalité d'un être,
28:34il faut que ce soit l'amour qui le décèle.
28:38Ce personnage de clown, ce personnage de Buster Keaton,
28:42qui se trompait de porte, qui tombait, qui perdait ses affaires, ses clés, sa tête.
28:49Ce n'était pas le vrai.
28:51Le vrai, elle le découvre, c'était un personnage solitaire.
28:57Il n'y a plus d'une histoire.
29:00Il y a une histoire, à un moment donné, il lui dit, tu sais, il y aurait un roman à écrire.
29:06C'est celui d'un homme qui a envie de parler à quelqu'un.
29:10Il prend son agenda, il cherche les noms.
29:15Celui-là est mort, celui-là a changé d'adresse, celui-là est idiot,
29:21celui-là est dur et ne comprendra pas ce que j'ai à lui dire.
29:26Il n'y a personne.
29:28Alors la narratrice lui demande, alors ton bonhomme, qu'est-ce qu'il fait ?
29:32Et il lui répond, ça, ce n'est pas à moi de le dire, c'est à toi.
29:37C'est toi la romancière.
29:40Et ça, c'est vraiment le climat de ce qu'étaient les échanges vrais de cette vie-là.
29:54Alors, je pense qu'il y a toute une série de petites anecdotes qui se recoupent,
30:05mais plus on avance vers la fin, plus le ton est grave.
30:11D'abord, il n'y a plus cette espèce de fébrilité,
30:15en effet, de la proximité de l'accident, de l'horreur et de la séparation.
30:22Elle domine cela et petit à petit, on va vers, au fur et à mesure que le livre s'écrit,
30:29elle le dit elle-même, au début, mais qu'est-ce que c'est ?
30:32Elle prenait des notes, mais des notes désordonnées.
30:35C'était ce qu'elle appelait un fatras.
30:38Et puis, elle va trouver le cheminement, la clé qui mène du chapitre en chapitre
30:47et qui donne un sens à ce livre.
30:50Et elle le trouve dans une série de petits miracles qui sont révélations.
31:02Alors, la grande révélation, c'est tout à fait à la fin du livre.
31:12Elle est découragée, elle n'arrivera jamais à faire ce livre, ce n'est pas possible.
31:16C'est un fouillis et puis ce n'est pas crédible.
31:19Les gens vont rire.
31:21Et puis, il est arrivé quelque chose d'inattendu.
31:25La journée tirait à sa fin.
31:28Je commençais à me préparer un triste dîner quand j'ai machinalement tourné le bouton de la radio.
31:36Et là, magnifique, lumineuse, la musique, notre musique, a surgi dans son impérial douceur.
31:48Tellement familière, tellement vraie, tellement à moi adressée.
31:54Je l'avais dès les premiers accords reconnus.
31:58C'étaient les barricades mystérieuses de Couperin.
32:04Et un bonheur étrange, surnaturel, m'avait envahi comme celui de rentrer dans son pays,
32:13d'être chez soi, de se reconnaître et d'acquiescer à tous les espoirs.
32:19Cette musique, c'était celle que tu m'avais fait connaître il y a si longtemps en Allemagne.
32:25Cette musique qui m'avait éveillée, cette musique que nous aimions tellement
32:30que nous l'écoutions en Bourg dans l'incertitude du bonheur.
32:35Et voilà que j'étais bouleversée, soulevée de joie, sauvée comme par une sainte intercession.
32:43Bien sûr qu'elle était belle, notre histoire, qu'il ne fallait pas l'abandonner, que je devais la dire.
32:50Je pensais à toi, à nous, avec une nouvelle ferveur.
32:57Nous avions été si longtemps dans la merveille, le miracle,
33:02et tout à coup ça s'était arrêté, brutalement, comme ça.
33:08Là était le mystère, la beauté, le sens caché de ce que nous avions vécu.
33:16Le mot terrible et magnifique de Kafka m'est revenu en mémoire.
33:23Le sens de la vie, c'est qu'elle s'arrête.
33:28Il dit bien notre histoire, sa fulgurance, sa force et l'apparente absurdité de sa fin.
33:37Quand c'est justement ta mort qui lui donne tout son prix, son mystère et sa grâce.
33:44La justifie pleinement et m'autorise aujourd'hui à la raconter.
33:49Cette étonnante, scandaleuse et pure histoire d'amour avec fierté et reconnaissance.
33:59Vous m'arrêtez ?
34:08Merci beaucoup de votre attention, de votre présence.
34:13J'étais très impressionnée.
34:16J'ai peut-être été un peu désordonnée dans mon exposé.
34:23Ça me rappelle la manière dont je faisais cours, qui était un peu comme ça.
34:29J'avais très vite compris qu'il ne fallait pas faire de plan.
34:33Quand j'arrivais avec un papier, mon plan, ça ne marchait pas.
34:37Au contraire, quand je parlais et que les élèves suivaient, on était bien.
34:43Là, j'ai quand même été un peu forte parce qu'à un moment ou deux, j'ai perdu le fil.
34:50Heureusement, parce qu'il vous reste maintenant à découvrir des choses qui vous parleront personnellement.
34:59C'est mieux que vous soyez en tête à tête avec le livre.
35:04Je vous remercie infiniment.
35:06Est-ce qu'il y a des questions à poser ?
35:13Je suis un petit peu gênée parce que j'étais dans ces 45 professeurs qui, à Karlsruhe, ont accueilli Marie-Françoise.
35:24Marie, s'ils attendent.
35:27Je connais depuis 53 ans Marie.
35:32On se connaît bien.
35:34Je connais bien ta famille.
35:36J'ai bien connu ta famille.
35:38J'ai lu tous tes livres.
35:40Et rappelle-toi, les premiers, tu me les avais même donnés en priorité, en lecture.
35:46J'ai lu tes premiers livres.
35:48Je dois dire que Serge Castagne était donc un collègue à Karlsruhe.
35:54À ses temps heureux de l'Allemagne, il nous a connus.
35:58Il a connu la narratrice et il a connu son ami parfaitement.
36:03Ils étaient amis.
36:05Evidemment, je suis très gênée parce que tu as dit, je ne veux surtout pas répondre à la question si c'est moi qui suis dans le livre.
36:13Comme moi je te connais parfaitement, j'aurais pu dévoiler certains secrets.
36:19Je ne le ferai pas.
36:21Certainement pas.
36:23Mais combien même tu lui fais, je serai restée de marbre.
36:29En tous les cas, je peux te dire que la justesse de ton...
36:33Par exemple, moi aussi j'ai perdu Jackie que tu connaissais bien il y a 14 ans.
36:41Dans les 6 mois où elle était partie, elle m'est apparue.
36:48Je t'assure qu'elle est rentrée, elle s'est assise à côté de moi dans mon canapé.
36:52Et Geneviève qui avait perdu son mari, elle a revu aussi son mari.
36:57C'est donc quelque chose de tout à fait naturel, je croirais.
37:01Ensuite, tu écris parfaitement, on comprend bien à la fin le cheminement.
37:10Tu fais ton deuil en fin de compte aussi.
37:13Tu fais une grande partie de ton deuil dans les dernières parties.
37:16Je trouve que ce n'est pas la même chose.
37:19Par contre, tu utilises très souvent le terme enfance et innocence.
37:25Votre liaison a été, comme tu dis, pas très... un peu...
37:33Ironique.
37:35Mais elle était pleine d'innocence.
37:38Et ça, tu le réponds souvent.
37:40Et je crois que c'est tout à fait vrai.
37:42Et c'est pourquoi je pense que cette transgression disparaissait complètement.
37:50Tu as connu les protagonistes.
37:53Effectivement, je pense que les gens nous aimaient bien.
38:01Les gens nous aimaient bien.
38:03Vous voyez, Jean-Flau, le nous maintenant.
38:05On se correspondait bien.
38:09On était des gens amusants, gentils.
38:15Et tout le monde espérait que notre histoire s'arrange.
38:20Ça ne s'est pas arrangé.
38:22Enfin, si, ça s'est arrangé d'une certaine façon.
38:25Je trouve que c'est très bien.
38:27Je suis surtout très heureuse de...
38:33C'est un petit peu un devoir de mémoire.
38:37Alors, on a écrit...
38:40Vous savez ce que c'est qu'un tombeau ?
38:42Écrire un tombeau hors de ma pensée.
38:45Écrire le tombeau de l'absent.
38:49Mais lui rendre grâce, le faire vivre.
38:54Lui qui était tellement modeste, tellement humble.
38:59Qui disait à son ami, mais comment est-ce que tu peux, toi, une femme intelligente,
39:05qui est ceci, qui est cela, etc.
39:07T'occuper et t'intéresser à un homme comme moi.
39:11C'était des paroles insupportables à entendre pour la narratrice de l'histoire.
39:19En tous les cas, tu as très bien choisi la citation de Kundera.
39:25La citation de Kundera, qui est en exergue.
39:31En effet, qui explique, qui dit d'une façon magistrale
39:36que le véritable amour est absolument sourd à ce que peut dire le reste du monde.
39:42C'est justement à cela qu'on le reconnaît.
39:45Parce que là, vraiment, la situation était, on ne pouvait pas imaginer pire.
39:52Comme situation qui puisse séparer deux êtres.
39:56Et pourtant, on a réussi à s'en sortir.
40:01Bon, je crois que maintenant, le bibliothécaire...
40:10Moi, je vais finir.
40:13Pardonnez-moi Marie.
40:15Moi, je dirais, parce que j'ai lu le livre,
40:18que c'est quelque part, la narratrice fait une sorte d'offrande d'éternité.
40:30Une offrande d'éternité à ces deux personnages.
40:35Qu'elle trouve une sorte d'éternité.
40:38C'est une offrande d'éternité d'avoir fait ce livre.
40:42C'est une offrande d'éternité...
40:44Oui, c'est un peu solennel, mais il y a quelque chose,
40:52ça semble un peu paradoxal et un petit peu gênant d'envoyer ce terme,
41:02mais il y a quelquefois des accents un peu, sans oser dire le mot, mystiques.
41:09C'est-à-dire qu'il y a quelque chose de religieux.
41:14Par exemple, dans les souvenirs qui remontent,
41:19qui sont quelquefois comme des épiphanies,
41:22des surgissements de vérité dans l'intensité du souvenir,
41:30très innocents, comme par exemple, un matin,
41:35en entendant la petite cloche d'un couvent à côté,
41:40et lui qui dit, écoute, écoute,
41:46et il lui touche le bras pour qu'elle ne dise rien, qu'elle écoute,
41:52comme s'il voulait lui transmettre cette émotion religieuse
41:56dont elle semblait très loin.
42:00Mais il y a une contagion, il y a une grâce qui passe.
42:06Et ça, c'est justement la part spirituelle de cet amour.
42:17Il y a une table au milieu du magasin.
42:22Il y aura aussi un petit verre de l'amitié à côté.
42:26Merci encore.
42:28Il est 8h ?