Code de la défense
Cinquième alinéa de l'article L. 4137-1
Cinquième alinéa de l'article L. 4137-1
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00:00Nous terminons cette audience avec la question prioritaire de constitutionnalité, numéro 2025 1137 QPC, portant sur la conformité aux droits et libertés qu'a la Constitution garantie de certaines dispositions de l'article L4137-1 du Code de la Défense.
00:22Madame la Greffière va d'abord retracer les étapes de la procédure d'instruction pour cette question, instruction qui précède cette audience de plaidoirie. Madame la Greffière.
00:31Merci Monsieur le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 février 2025 par une décision du Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité,
00:42posée par Monsieur Christophe Joly, portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 5e alinéa de l'article L4137-1 du Code de la Défense,
00:53dans sa rédaction, résultant de la loi numéro 2016-483 du 20 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
01:04Cette question relative à l'information du militaire du droit qu'il a de se taire dans le cadre d'une procédure de sanction disciplinaire a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel,
01:14sous le numéro 2025-1137 QPC. Maître Elodie Maumont a produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante le 25 février 2025.
01:25Le Premier ministre a produit des observations le 26 février 2025. Seront entendus ce jour l'avocat de la partie requérante et le représentant du Premier ministre.
01:35Merci. Maître Edith Wulschläger, vous êtes avocate au barreau de Paris et vous représentez Monsieur Christophe Joly, partie requérante.
01:44Maître, nous vous écoutons.
01:49Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
01:54la question prioritaire de constitutionnalité que j'ai l'honneur de soutenir devant vous, au nom du requérant et de mon cabinet MDMH avocat,
02:02s'inscrit dans la série des questions prioritaires de constitutionnalité relative à la reconnaissance d'un droit de se taire dans le cadre des procédures disciplinaires.
02:10Par votre jurisprudence, vous avez affirmé qu'un professionnel poursuivi disciplinairement ne peut être entendu sur les faits qui lui sont reprochés
02:19sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire.
02:23Cette exigence, qui découle des droits de la défense, s'impose dès lors que la sanction en cause présente un caractère punitif.
02:33Or, à ce jour, le militaire ne bénéficie pas de cette garantie, y compris lorsqu'il encourt des sanctions pouvant aller jusqu'à la radiation.
02:41Ce constat constitue une rupture d'égalité et une atteinte directe aux droits constitutionnellement protégés.
02:49Il est opposé par le Premier ministre que si cette garantie devait être reconnue, elle devrait l'être dans les mêmes limites que pour le fonctionnaire.
02:57En effet, dans votre décision QPC numéro 2024-1105, il a été précisé que le fonctionnaire ne devait être informé de son droit de se taire que devant le conseil de discipline.
03:08Or, la procédure appliquée aux militaires pour les sanctions du premier groupe est tout autre.
03:15S'il est précisé en défense que les sanctions du premier groupe sont prises sans intervention d'une instance disciplinaire collégiale,
03:22il n'en demeure pas moins que le militaire est susceptible de s'auto-incriminer.
03:27A chaque étape de la procédure pour les sanctions du premier groupe, le militaire est amené à s'expliquer oralement ou par écrit.
03:34Il est amené à répondre aux questions qui lui sont posées et peut formuler des propos qui l'auto-incriminent,
03:40sans jamais avoir été informé de son droit de se taire.
03:44En effet, le militaire est entendu par l'autorité militaire de premier niveau sur les faits qui lui sont reprochés.
03:51Lors de cette audition, le militaire a le droit de s'expliquer oralement ou par écrit.
03:55Ce n'est donc qu'à l'issue de cette audition qu'il appartient à l'autorité militaire de premier niveau
04:01de déterminer la sanction à prononcer ou de transmettre la procédure à l'autorité militaire de deuxième niveau
04:08si la sanction envisagée dépasse son champ de compétences.
04:11De la même manière, lorsque la demande de sanction est transmise par l'autorité militaire de premier niveau
04:18à l'autorité militaire de deuxième niveau, le militaire en cause peut également s'expliquer par écrit sur ses faits
04:24auprès de cette autorité supérieure.
04:28Il en résulte donc qu'à tout stade de la procédure pour les sanctions du premier groupe,
04:33le militaire poursuivi peut s'accuser, de sorte que la garantie du droit au silence doit s'appliquer aux sanctions du premier groupe.
04:39Quant aux sanctions disciplinaires relevant des deuxième et troisième groupe,
04:45elles ne poseront guère de difficultés puisque dans les deux cas, une instance collégiale est réunie,
04:50à savoir un conseil de discipline pour celle du deuxième groupe et un conseil d'enquête pour celle du troisième groupe.
04:56A cet égard, le militaire est nécessairement conduit à répondre aux interrogations posées
05:01et peut donc effectuer des déclarations contraires à ses intérêts.
05:04Cette garantie fondamentale qu'est le droit au silence est d'autant plus requise
05:09car le Code de la Défense ne prévoit pas l'assistance d'un défenseur avocat dans le cadre d'un conseil de discipline.
05:16Seule l'assistance d'un militaire est prévue.
05:19Enfin, au regard de la portée statutaire qu'ont les sanctions du troisième groupe,
05:23et même si l'assistance d'un défenseur de son choix est prévue,
05:25ce sont les sanctions les plus sévères que l'institution militaire peut infliger
05:30qui peuvent aller jusqu'à la radiation des cadres ou la résiliation de contrats.
05:35La mise en œuvre d'un régime protecteur est donc absolument indispensable
05:39et la notification d'un droit au silence constitue un nécessaire rempart protégeant le militaire contre lui-même.
05:46En réalité, le droit de ne pas s'auto-incriminer a vocation à s'appliquer à l'ensemble des sanctions
05:52et donc des trois groupes pour les militaires.
05:55Pour renforcer cette démonstration, votre attention doit être attirée sur la formulation de l'article L4137-1 du Code de la Défense.
06:05Les dispositions de cet article ont une portée générique
06:08et s'appliquent à toutes les procédures disciplinaires diligentées à l'encontre du militaire,
06:13peu importe la sanction qui sera finalement décidée ensuite.
06:17Cette formulation générique englobe ainsi toutes les sanctions existantes,
06:21de telle sorte que l'obligation d'une notification du droit de ce terme
06:25doit être reconnue pour toutes les sanctions pouvant être prononcée à l'encontre du militaire et des trois groupes.
06:31Par ailleurs, il est et il sera également soutenu que le statut de militaire serait un obstacle à la mise en place du droit de se taire.
06:40Il n'en est rien.
06:41Bien que le principe de nécessaire libre disposition de la force armée gouverne et qu'il soit un argument avancé par le Premier ministre,
06:50cela ne peut être une circonstance de nature à s'opposer à la progression des droits de la défense
06:55et à rendre le Code de la Défense hermétique à toute évolution.
06:58Le droit au silence ne peut, en réalité, affaiblir les obligations spécifiques auxquelles sont soumis les militaires de par leur statut.
07:07En effet, il est sciemment opéré une confusion,
07:11consistant à entremêler l'obligation de rendre compte et ce faisant le devoir de loyauté,
07:17et la notification d'un droit de se taire.
07:19Il a été rappelé que le statut de militaire se singularisait notamment par son obligation renforcée de rendre compte
07:27qui serait indispensable à la force de relations de commandement.
07:31Toutefois, cette circonstance ne peut être de nature à dénier l'application d'une garantie supplémentaire aux militaires,
07:38surtout une garantie constitutionnelle.
07:41Le militaire ne refusera pas de rendre compte au motif qu'un droit de se taire lui serait reconnu,
07:47et ce, pour une double raison.
07:49D'une part, ce droit n'a vocation à s'appliquer qu'à l'occasion d'une procédure disciplinaire diligentée,
07:55et d'autre part, le champ d'application de l'obligation de rendre compte dépasse celui de la procédure disciplinaire.
08:03En droit des militaires, le compte-rendu est un outil de transmission de faits
08:07qui sert à relater un fait ou une situation pour signaler à l'autorité hiérarchique
08:12l'exécution d'un service ou un fait qu'elle doit connaître sans délai.
08:15De manière générale, les missions qui sont confiées aux militaires dans le cadre de ses fonctions,
08:21ainsi que sa capacité opérationnelle ne seront pas compromises.
08:25En refusant de notifier le droit au silence, le Code de la Défense crée une zone d'ombre juridique
08:32dans laquelle le militaire est susceptible de s'auto-incriminer, sans défense, parfois sans avocat,
08:38et sans même en avoir conscience.
08:39Il ne peut donc y avoir de discipline sans justice, et il ne peut y avoir de justice sans garantie.
08:47C'est pourquoi, au nom des droits de la défense, de l'égalité devant la procédure disciplinaire
08:52et de votre propre jurisprudence, je vous invite à déclarer contraire à la Constitution
08:57les dispositions du 5e alinéa de l'article L41-37-1 du Code de la Défense.
09:03Je vous remercie.
09:04Merci, Maître.
09:08Monsieur Canguilhem, pour le Premier ministre, nous vous écoutons.
09:11Merci, Monsieur le Président.
09:12Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
09:15après le régime disciplinaire des magistrats du siège,
09:18après celui des fonctionnaires et après celui des magistrats financiers,
09:20vous voilà confrontés à la question du droit de se taire
09:23dans la procédure disciplinaire applicable aux militaires.
09:26Il n'est sans doute pas nécessaire de rappeler que l'exigence de notification du droit de se taire
09:30découle de l'article 9 de la déclaration de 1789
09:32fait que vous avez récemment étendu son champ à toute sanction
09:35ayant le caractère d'une punition parmi lesquelles les sanctions disciplinaires
09:39qui ont donné lieu à une jurisprudence déjà abondante.
09:44La jurisprudence en la matière s'est donc progressivement et rapidement construite.
09:48Il est aujourd'hui établi tant au terme de la jurisprudence du Conseil d'État
09:51que de la vôtre que l'obligation de notifier le droit de se taire
09:55est strictement circonstruite à la procédure disciplinaire stricto sensu
09:59et qu'elle ne s'étend pas aux enquêtes administratives antérieures
10:03au déclenchement de la procédure disciplinaire.
10:06Il sera rappelé également par ailleurs que le statut militaire se singularise pour partie
10:12par son régime disciplinaire et notamment effectivement au niveau des sanctions du premier groupe.
10:18Les sanctions applicables militaires sont reparties en trois groupes contre quatre
10:22comme vous le savez pour la fonction publique.
10:24Et il existe six sanctions du premier groupe contre trois pour celles applicables aux fonctionnaires.
10:29Sanctions du premier groupe qui sont de très loin les plus nombreuses
10:32et qui représentent 95% du total des sanctions appliquées dans la sphère militaire.
10:37Sanctions du premier groupe qui se déroulent exclusivement devant l'autorité militaire
10:41sans intervention d'une instance disciplinaire collégiale.
10:44C'est donc au regard de ces éléments et de la jurisprudence brièvement évoquée
10:48que vous devrez vous prononcer sur la conformité des dispositions contestées
10:52au droit de ne pas s'auto-accuser.
10:55Si vous deviez censurer les dispositions contestées,
10:57il vous serait demandé d'encadrer les effets de votre décision
11:00en faisant usage des pouvoirs que vous détenez de l'article 62 de la Constitution.
11:04En effet, une abrogation immédiate des dispositions de l'article L41-27.1 du Code de la Défense
11:10aurait des conséquences manifestement excessives.
11:13D'une part, car cela priverait les militaires des garanties qui y sont déjà prévues,
11:21c'est-à-dire la communication du dossier, la préparation de la défense.
11:24D'autre part, car cela aurait pour effet de remettre en cause
11:26de très nombreuses sanctions disciplinaires, dont le nombre annuel est d'environ 11 000.
11:34Il vous est donc demandé, en cas de censure, de reporter la date d'abrogation
11:3811 000, oui, 11 000, de reporter la date d'abrogation
11:44et d'accorder au législateur un délai lui permettant de remédier
11:47à l'inconstitutionnalité constatée, comme vous l'avez fait
11:49dans votre décision 1105 QPC du 4 octobre dernier,
11:53qui portait sur l'article L532-4 du Code général de la fonction publique.
11:57Merci.
12:02Merci, monsieur.
12:03Nous avons donc entendu les observations des parties prenantes.
12:07Oui, vous avez une question, cher cher M. Pili.
12:11Oui, une question qui est un peu dans le même ordre d'idée
12:14que celle qui vous a été posée dans l'affaire précédente
12:18et qui fait suite à ce que vous nous indiquez,
12:2111 000 sanctions disciplinaires par an.
12:24Oui, mais combien actuellement, pendant, devant les juridictions administratives ?
12:33Alors, il est difficile de...
12:36Enfin, il n'est même pas possible, au vu des outils statistiques
12:38de la juridiction administrative, d'avoir ce chiffre exact.
12:42Si on estime que le délai moyen de jugement
12:45dans une juridiction administrative est de 2 ans,
12:49on peut penser qu'on doit être sur un chiffre multiplié par 2,
12:53donc d'environ 20 000, je pourrais essayer...
12:56Enfin, si, pardon, ça dépend des contentieux, bien sûr.
12:59Combien de recours ?
13:01J'essaierais de... Enfin, potentiellement, 20 000,
13:03ça dépend des recours.
13:04Après, il faut...
13:06Le chiffre ne sera pas disponible, je pense.
13:09Mais, oui, tout le monde ne fait pas de recours, j'imagine.
13:12Non, non, bien sûr, excusez-moi.
13:13C'est potentiellement...
13:15Oui, le vivier.
13:15Oui, le vivier, voilà, et de 20 000.
13:18Combien de ces sanctions ont fait l'objet d'un recours ?
13:21Je pense que le chiffre ne sera pas disponible,
13:23même si je vais vérifier.
13:26Merci.
13:28Y a-t-il d'autres questions ?
13:31Il n'y a pas d'autres questions.
13:33Donc, cette question prioritaire de constitutionnalité
13:35est mise en délibéré.
13:38La décision sera publique le 30 avril 2025,
13:41et vous pourrez en prendre connaissance
13:42en vous connectant sur notre site Internet.
13:46L'audience est levée.
13:47Merci.