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Droits de douane, politiques culturelles, incertitude économique...le début du mandat de Donald Trump a eu des répercussions directes et indirectes sur le marché de l’art. Bien que les États-Unis restent la première place mondiale du secteur, les orientations peu favorables à la culture adoptées menacent un écosystème de création qui pourrait affecter l’ensemble du marché. L’incertitude économique, quant à elle, incite les collectionneurs à l’attentisme. Cette conjoncture pourrait, à terme, engendrer un nouvel équilibre des pôles de puissance au sein du secteur, une évolution que les années à venir permettront de confirmer ou d'infirmer.

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Transcription
00:00Entre les droits de douane, les incertitudes économiques, le début du mandat de Donald Trump a forcément eu un impact sur le marché de l'art, qu'il soit indirect ou direct.
00:12Et je suis ravie d'être en compagnie de Nathalie Moureau, qui est professeure en sciences économiques à l'université de Montpellier, Paul Valéry, spécialiste de l'économie et de la culture.
00:20Merci beaucoup d'être avec nous.
00:21Merci à vous de m'avoir invitée.
00:23Donc on parlait de conséquences indirectes ou directes, on va commencer par les directs et on parle beaucoup des droits de douane.
00:29Est-ce que c'est ça la principale préoccupation pour l'instant de tous les acteurs du marché de l'art ?
00:36Oui et non. C'est-à-dire que non, dans la mesure où les œuvres d'art ne rentrent pas dans la liste des biens qui sont soumises à ces droits de douane.
00:45Mais oui, parce qu'il y a toujours une zone d'incertitude.
00:50Alors déjà, il y a une différence entre l'art contemporain et les antiquités ou l'art ancien.
00:54C'est-à-dire que tout le mobilier, les bijoux, etc. Là, ça rentre sous la coupe des droits de douane.
01:00Donc il y a cette première chose.
01:02C'est-à-dire que l'art ancien est plus touché, enfin les objets d'art ancien sont plus touchés que les objets contemporains.
01:08Et pour le contemporain se pose cette zone d'incertitude.
01:11Est-ce que c'est une œuvre d'art ?
01:13Ou est-ce que c'est aussi un objet qui, éventuellement, a un usage ?
01:18Donc par exemple, si on prend, c'est Édouard Gouin qui donne l'exemple des sculptures de la lane.
01:23En disant qu'elles peuvent être très bien qualifiées comme des objets usuels et donc être taxées.
01:29Donc se pose cette question-là.
01:30Et puis, autant il paraît assez évident aujourd'hui qu'on sache qu'une œuvre d'art est une œuvre d'art contemporaine, même si elle peut être abstraite.
01:39Il y a toujours cette idée avec le célèbre cas de l'oiseau dans l'espace de Brancusi qui, à la fin des années 1920, avait été considéré et taxé à arrêter à la douane américaine
01:51parce qu'il était considéré comme un objet, une pâle d'hélice ou je ne sais quoi, un objet usuel et non pas une œuvre d'art.
01:58Et donc il y avait eu à l'époque un procès qui a fait énormément de retentissement, qui avait été intenté par Brancusi, qui avait été gagné à l'époque,
02:06où se posait la question, est-ce que c'est une œuvre d'art ou non ?
02:11Et puisque à l'époque c'était un peu l'art moderne contre l'art contemporain, l'art devait être nécessairement quelque chose de beau, d'esthétique, avec un certain savoir-faire.
02:23Et l'oiseau de Brancusi ne correspondait pas à ces critères-là.
02:26Et donc il y avait eu énormément de discussions qui étaient complètement assez, quand on les voit aujourd'hui...
02:32Oui, avec le recul...
02:33Oui, complètement.
02:34C'est un petit peu délirant.
02:35Délirant, où on posait la question, si vous voyez cet objet dans la rue, est-ce que vous l'appelleriez oiseau ?
02:41Donc finalement, il y avait eu ce débat, on s'était mis d'accord sur le fait que c'était une œuvre d'art,
02:46et on peut se dire que ce débat est dépassé aujourd'hui avec ce qu'on connaît de l'art contemporain.
02:50Mais il y a quand même des questions comme ça.
02:54C'est toujours ce doute.
02:54Ce doute, et notamment, par exemple, la communauté européenne et Bruxelles,
02:58il y a eu toute une histoire aussi autour de Dan Flavin et de Bill Viola,
03:04où des œuvres de Dan Flavin sont considérées comme des éclairages.
03:08Et le matériel de Bill Viola est considéré comme un matériel d'enregistrement.
03:13Même s'ils savent que ce sont des artistes, que c'est de l'art contemporain,
03:18comme c'est l'effet qui est diffusé par la lumière, etc.,
03:21eh bien, l'œuvre est axée comme un matériel luminaire.
03:25Donc, il se joue dans la qualification.
03:26Oui.
03:27Donc, du coup, on peut se dire qu'il peut ressurgir tous ces problèmes-là,
03:31et il y a une zone de flou, d'incertitude,
03:33qui va faire que peut-être que les marchands vont plus hésiter à envoyer certaines œuvres plutôt que d'autres.
03:38Et il y a aussi également ces politiques douanières qui touchent beaucoup plus fortement la Chine.
03:45Est-ce que ce genre de politique, c'est assez fort pour repenser un peu l'échiquier du marché de l'art ?
03:54Parce que c'est vrai que c'est très polarisé, Chine, États-Unis, New York aujourd'hui.
03:58Est-ce que ce sont ce genre de politique qui peuvent complètement modifier ces polarités ?
04:05Est-ce que ça peut avoir un impact assez fort par rapport à l'Europe, par rapport aux pôles ?
04:10Justement, par exemple, il y avait à Dubaï, où de plus en plus de personnes vont dans d'autres pays pour participer aux foires, etc.
04:18Est-ce que les politiques de Trump peuvent avoir assez d'impact pour peut-être changer un peu l'échiquier mondial du marché de l'art ?
04:26Alors ça, on n'en sait rien, parce que ça va dépendre des anticipations des agents, de leurs réactions.
04:32Et il peut y avoir plein de choses qui se passent.
04:34Je vais répondre à votre question sur les équilibres.
04:36Mais par exemple, dans cette droite douane, ce qui compte, c'est l'origine.
04:43Où est-ce que ça a été fait ?
04:46Évidemment, peut-être qu'il va y avoir plus de résidences d'artistes qui vont se passer aux États-Unis.
04:50À ce moment-là, les œuvres seront créées aux États-Unis.
04:52Elles ne seront pas soumises à des droits de douane.
04:53Ça peut être des ajustements qui se font comme ça, dont on ne peut pas préjuger au départ.
04:58Après, sur les équilibres mondiaux, par rapport aux foires, il y a plus de foires en Europe qu'aux États-Unis.
05:07Il est clair que participer à une foire aux États-Unis, si on importe du matériel divers et varié, ça va coûter plus cher.
05:14Et déjà, aujourd'hui, les galeries se posaient des questions en disant que participer à des foires, c'est de plus en plus coûteux.
05:19Donc, il peut très bien y avoir un basculement des foires, plus en Europe, plus en Asie, que vers les États-Unis.
05:28De la même façon, on peut très bien avoir des galeries qui choisissent plus de s'implanter en Asie qu'aux États-Unis.
05:35Et dans les galeries françaises, il y a des galeries qui ont déjà, quand elles ont ouvert des antennes à l'étranger, décidé de s'implanter plus en Asie.
05:41Ça a été le cas de Perrotin, de Magda Danis ou en Corée. Il y a beaucoup de galeries qui ont déjà fait ce choix.
05:51Donc, ça peut s'accentuer. Après, sur le marché de l'art, il est clair que parmi les collectionneurs, les collectionneurs américains, sont beaucoup plus nombreux dans les grands collectionneurs américains.
06:01Leur poids est très fort sur le marché international et ça va poser des questions par rapport à l'ensemble du marché.
06:10Mais il peut y avoir aussi les collectionneurs asiatiques.
06:13C'est-à-dire qu'on peut avoir un resserrement du marché vers le marché européen aussi, de toute façon.
06:18Ça peut rebattre les cartes, effectivement.
06:20Mais on ne peut pas le préjuger en amont.
06:24Parce que c'est vrai que, de toute façon, aujourd'hui, le marché américain est très dominant sur la scène internationale.
06:30Et même si on regardait uniquement en imaginant que ça se porte aussi sur les artistes vivants.
06:39Si on regarde sur la scène internationale, les artistes français ont une reconnaissance en termes d'exposition, etc. à ses conséquences.
06:47Mais leur poids en termes économiques est très faible.
06:50Ils sont moins chers que les autres artistes à qualité artistique équivalente.
06:54On pourrait se dire que c'est le jackpot pour les français.
06:57C'est-à-dire que même avec les droits de douane, ils voudront moins cher.
07:01A la limite, le poids des droits de douane sera moins important pour eux que pour un allemand ou pour un britannique.
07:09Donc, finalement, ça peut être favorable aux artistes français, puisqu'ils sont moins chers à l'heure actuelle.
07:14Mais, évidemment, ce n'est pas ce qu'on attend.
07:17Mais il y a tellement d'incertitudes là-dessus qu'on ne peut pas savoir, en fait.
07:20Justement, vous avez prononcé le mot « incertitude ».
07:23Et j'imagine que c'est aussi un des effets indirects des politiques de Trump.
07:28C'est justement cette incertitude.
07:29Est-ce que ça a forcément un impact, que ce soit positif ou négatif, peut-être sur les collectionneurs
07:35qui voudront peut-être acheter maintenant ou alors sont vraiment dans une attitude d'attentisme ?
07:41Alors, aujourd'hui, ils sont plutôt dans l'attentisme.
07:45En fait, d'ailleurs, si on regarde, il y a des chiffres.
07:48Enfin, si on prend les très riches collectionneurs.
07:50Oui, « kind and worse ».
07:51Voilà, toujours les mêmes.
07:53Alors, sur le marché, ce qu'a montré le rapport de McAndrew, c'est que le haut du marché se casse très clairement la figure.
07:58Le rapport Arbazel.
08:00Très clairement, le haut du marché, les chiffres ont chuté sur les enchères très, très, très élevées.
08:06Et cela même, en même temps, le marché des œuvres à moins de 50 000 euros, lui, a augmenté.
08:12Mais le haut du marché a chuté alors même que le nombre de très riches collectionneurs a augmenté dans le monde.
08:20Donc, ce n'est pas parce qu'il y a beau avoir plus de milliardaires et plus de riches collectionneurs,
08:25le fait qu'il y ait une incertitude, ça crée un attentisme et une certaine crainte.
08:30Et cette montée de l'incertitude, c'est vraiment un élément central aujourd'hui dans la politique économique chez Trump
08:37et sur le marché de l'art.
08:40D'un point de vue, le FMI calcule un indice d'incertitude dans le monde.
08:48Et en fait, pour ce faire, il regarde dans les rapports économiques qui sont faits par les différents pays
08:52le nombre de fois où le terme « incertitude » ou des mots un peu similaires sont employés.
08:57Et je crois qu'il était, si je ne veux pas me tromper, cet indice était au niveau 55 000 environ au moment de la crise Covid.
09:04J'ai regardé hier, il était aux alentours de 75 000.
09:08Donc, on voit bien qu'il y a un niveau très très élevé.
09:10Et je me suis même amusée à faire la même chose avec le rapport Arbazol,
09:15en regardant le nombre de pages dans le rapport Arbazol et en faisant une recherche rapide avec « uncertainties », etc.
09:20Et si je ne prends qu'un certain, je suis à un mot comme ceci, toutes les 8 pages.
09:28Sur un rapport de 200 pages ?
09:29Oui, voilà.
09:30Si je rajoute « volatilité », je suis à un tous les 4 pages.
09:34Donc, on voit bien que...
09:35C'est une préoccupation extrême.
09:37Il y a une très forte sur le marché de l'art.
09:40Il peut y avoir de l'attentisme.
09:41Alors après, ce qui se passe aussi, c'est que dans les périodes d'inflation,
09:45si les gens sont sur le marché de l'art aussi pour du placement,
09:49il peut y avoir volonté de diversifier ses placements,
09:52puisque la bourse, il y a de plus en plus d'incertitudes sur la bourse.
09:55On ne va pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.
09:57Donc, on va équilibrer en allant sur des valeurs plus sûres.
10:00Alors, ça peut être l'or.
10:02Et donc, on diversifie son portefeuille.
10:04Et il peut potentiellement avoir aussi des oeuvres d'art,
10:08mais c'est des biens qui sont moins liquides que d'autres biens.
10:11Et donc, du coup, il y a cet attentisme très fort qui joue.
10:15Il y a aussi des politiques culturelles de Donald Trump,
10:21qui a retiré des subventions, etc.
10:23Est-ce que ça, ça peut avoir un impact in fine, indirect,
10:27sur le marché de l'art, peut-être aussi des institutions,
10:29qui ne vont plus acheter de collection,
10:31qui n'ont plus développé leur collection, etc.
10:35Alors, ce que vous dites, je ne sais pas.
10:38Il y a plusieurs choses là.
10:39Il y a à la fois, et vous avez raison de le souligner,
10:42il y a à la fois l'impact direct sur le marché,
10:45c'est-à-dire les oeuvres qui rentrent pour être vendues aux Etats-Unis,
10:47les collectionneurs, etc.
10:49Et au départ, quand Donald Trump a voulu mettre des doigts de douane
10:52sur les autres biens,
10:53c'est pour préserver certains secteurs américains
10:57pour lesquels sa balance commerciale est déficitaire
10:59par rapport aux autres pays.
11:00Pour le marché de l'art, ce n'est pas le cas,
11:02à part pour l'art ancien,
11:03mais pour le marché de l'art contemporain,
11:05c'est largement excédentaire.
11:07Mais le problème qui se pose pour le monde de l'art,
11:10c'est que c'est pour l'écosystème de l'art contemporain,
11:15c'est pour tout ce qui est exposition,
11:16pour toutes ces choses-là.
11:18Et donc, du coup, effectivement,
11:19les oeuvres d'art vont avoir beaucoup plus de mal
11:21à rentrer sur le continent américain,
11:23parce que chaque fois, ça va être taxé,
11:24puisque aux Etats-Unis, il n'y a pas le même système
11:27que ce que nous avons en France,
11:28où il y a un système où les oeuvres à admission temporaire,
11:34c'est-à-dire que les oeuvres qui sont conduites à ressortir,
11:36ne sont pas taxées,
11:37alors qu'aux Etats-Unis, dès lors qu'une oeuvre rentre,
11:39elle est taxée.
11:40Si elle ressort, on reverse le montant.
11:43Mais donc, il peut y avoir toutes ces conséquences-là
11:46par rapport à ce système d'exposition,
11:50et puis, par exemple,
11:51qui peuvent avoir des conséquences très négatives.
11:53Ça, c'est la première chose.
11:55Deuxième chose, ce que vous dites par rapport au secteur culturel,
11:58et on l'a vu hier avec ce qui est ressorti,
12:02on voit tous les films qui sont taxés à plus de 100%,
12:06on ne s'est pas encore fait, mais il en parle,
12:07et là, il s'attaque à un sacro-saint élément
12:11où, depuis la Seconde Guerre mondiale,
12:15avec les accords du GATT,
12:17il y avait le principe d'exception culturelle
12:19où tous les biens culturels en Europe
12:22et dans le commerce n'étaient pas soumis
12:25aux mêmes règles que les autres biens
12:28et il y avait une exception
12:29pour pouvoir avoir des quotas, etc.
12:33Hier, il s'est attaqué au film
12:35et en Europe, c'est vrai que, par exemple,
12:38dans le cinéma français,
12:39il y a le système de subventions croisées
12:43entre la télévision et puis même aussi Netflix
12:45qui finance le cinéma français, etc.
12:48Ça va apporter un coût terrible
12:49et s'il le fait pour ces industries culturelles-là,
12:54il peut très bien le faire après pour le marché de l'art.
12:58C'est-à-dire que ça va avoir des répercussions également.
13:01On va avoir des effets boules de neige.
13:04Super, merci beaucoup Nathalie Moureau.
13:07Je vous rappelle que vous êtes professeure
13:08en sciences économiques à l'Université de Montpellier,
13:11Paul Valéry, spécialiste en économie, la culture.
13:13Merci beaucoup de nous avoir donné tous ces détails
13:15et je crois que vous reviendrez dans quelques mois
13:16si tout cela a évolué.
13:19Merci à vous tous et à tous de nous avoir suivis.
13:20C'était Arrêt Marché.
13:21Merci.

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