Les trajets en train deviennent-ils un luxe ? C'est la question posée vendredi 9 mai dans le débat éco avec Thomas Porcher (enseignant à la Paris School of Business et membre des économistes atterrés) et Dominique Seux (éditorialiste à France Inter et aux Échos).
Retrouvez « Le débat éco » présenté par Dominique Seu et Thomas Porcher sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
Retrouvez « Le débat éco » présenté par Dominique Seu et Thomas Porcher sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Et le débat ne portera pas sur la convention citoyenne et sur le principe démocratique d'un conclave, Patrick Cohen, Dominique Seux.
00:09En revanche, nous allons parler de train, ceux qui même prendront le train ou pas, semaine de grève à la SNCF.
00:16Et nous voulions confronter vos points de vue, Thomas Porchet et Dominique Seux.
00:21Comme tous les vendredis, vous allez débattre d'un sujet d'actualité majeure.
00:25La pagaille a pour le moment été évitée dans les gares, la grève a eu un effet limité grâce au recours à des volontaires notamment.
00:33Mais beaucoup de voyageurs font le constat et le disent parfois fort, les trains sont trop chers.
00:40Et on va donc construire votre échange aujourd'hui sur cette question.
00:44On pense, quand on pense train naturellement plutôt au TGV, est-ce que les trains pourraient être moins chers ?
00:50D'abord, on va faire une photo globale.
00:52Comment ont évolué les prix ? Comment est-ce que ça fonctionne ?
00:56Et comment se décomposent les prix des billets, Thomas Porchet ?
00:59Pas facile de répondre, mais on a besoin d'un peu de clarté.
01:02Tout à fait, la tarification a beaucoup évolué.
01:05A l'après-guerre, jusqu'à les années 80, on avait une tarification uniforme au kilomètre.
01:09Donc c'était le nombre de kilomètres que vous parcouriez qui déterminait la tarification de votre billet.
01:13A partir des années 80, les TGV sont arrivés.
01:16Donc on a eu une tarification différenciée entre les TGV et les autres trains.
01:19Puis à partir des années 90, il y a eu la fameuse tarification avec le Yield Management,
01:24qui est un prix qui dépend en fait de la demande au moment où vous achetez votre billet.
01:30Alors, explication pour que les choses soient très claires.
01:32Yield Management, Y-E-L-D Management.
01:36Tout à fait, ça dépend de l'offre et la demande.
01:39C'est-à-dire qu'il y a des périodes où vous allez avoir une très forte demande
01:41et donc les billets vont augmenter très fortement.
01:44Ce week-end par exemple, les billets de train coûtent beaucoup plus cher qu'un pâle.
01:48Les périodes de vacances scolaires, par exemple de Noël, etc.
01:50Où là les prix sont achetés en quantité massive.
01:52Parfois vous avez plus d'un million d'achats en une journée.
01:54Et là vous êtes sûr que les prix vont augmenter.
01:56Mais il ne faut pas être dupe, le Yield Management a un but quand même.
01:59C'est d'augmenter le chiffre d'affaires de l'entreprise.
02:01Il a été pratiqué par les compagnies aériennes.
02:03Il a été repris par la SNCF dans les années 90 dans ce but-là.
02:06Si on regarde la photographie, les prix des TGV et des tarifs de la SNCF
02:12ont été relativement stables entre 2015 et 2021.
02:17Ils ont augmenté avec l'inflation, selon la SNCF, de 8% depuis 2019.
02:228% c'est assez nettement moins que l'inflation.
02:25Précision quand même importante, on parle des prix du TGV.
02:29Les prix des TER sont totalement différents.
02:32Ils sont très largement différenciés.
02:34Comme les tarifs, j'allais dire, en Ile-de-France, en ville.
02:38Qui sont très largement subventionnés par les collectivités territoriales.
02:44Malgré tout Dominique, c'est vrai que l'on peut, et on en a tous fait l'expérience,
02:47s'asseoir dans un train et avoir à côté de soi un voisin chanceux ou malchanceux
02:51qui a payé son billet, beaucoup moins cher ou beaucoup plus cher que soi.
02:56Oui, mais moi je défends...
02:57Ça, ça ne vous chate pas ?
02:58Non, moi je trouve que le yield management qui est appliqué dans les compagnies aériennes,
03:02mais aussi dans les hôtels, mais aussi dans les restaurants,
03:04parce que la tarification n'est pas la même à midi et le soir,
03:07ça dépend de l'offre et de la demande.
03:08Ça permet quoi en fait ?
03:10Alors évidemment, il y a des limites.
03:12Il faut de la transparence, on en reparlera peut-être.
03:14Mais ça permet quoi ?
03:16Ça permet d'abord que les trains soient davantage remplis.
03:21C'est-à-dire que le yield management a permis de remplir des trains
03:24qui n'étaient pas remplis auparavant,
03:25parce que certains tarifs sont beaucoup plus bas.
03:28Ils sont beaucoup, beaucoup plus bas,
03:30mais à d'autres moments que les tarifs de pointe.
03:32Donc dans les périodes freuses, on peut avoir des trains qui sont complets.
03:35Au total, les trains sont plus remplis.
03:37L'année dernière, il y a encore eu 15 millions de voyageurs en plus.
03:40J'ai fait un petit test ce matin avant d'entrer dans le studio.
03:43J'ai regardé, si je veux partir à Lyon, Paris-Lyon,
03:48156 euros si je veux partir à 18 heures.
03:51Mais si je pars à 14 heures, ça va être 45 euros.
03:55Dans le train de 19 heures...
03:5745 euros contre ?
03:59Oui, contre 156 euros.
04:00Mais si je le prends maintenant...
04:02Oui, c'est quand même malgré tout un motif d'étonnement
04:06et parfois de colère chez les usagers.
04:08Mais pas du tout.
04:08Parce que si c'est dans le train de 19 heures à 156 euros,
04:14c'est 56 euros, c'est 156 euros si je le prends maintenant.
04:18Mais dans ce train-là de 19 heures, il n'y aura quasiment personne à 156 euros.
04:23La plupart des gens seront à 50 euros.
04:25Et donc, il faut être malin.
04:27Ça veut dire qu'il faut anticiper.
04:29Mais au total, le consommateur est largement gagnant.
04:33Et la SNCF aussi.
04:34Ce n'est pas porché.
04:35Le consommateur est largement gagnant.
04:36Il faut d'abord qu'il soit prévoyant.
04:38Il y a une forme d'opacité aussi dans la fixation des prix.
04:41Alors, Dominique dit des choses vraies.
04:42Après, il oublie de dire que...
04:43Ah, ouf !
04:45Première fois que ça se produit.
04:47Un bemus veritatum.
04:49Les prix ont été stables à partir de 2015.
04:52Mais avant, entre 2005 et 2015, ils ont fortement augmenté.
04:55Ça, il faut le dire.
04:56Et la deuxième chose qu'il faut dire, c'est que les gens sont contraints par des horaires.
05:00Par exemple, pourquoi le train est plus cher à 18 heures ?
05:02Parce que c'est des gens qui travaillent sur Paris qui doivent rentrer le soir.
05:05Ils ne peuvent pas rentrer à 14 heures.
05:06Pourquoi les gens trouvent que le train est cher ?
05:10Parce qu'ils ne peuvent partir en vacances suivant un calendrier
05:13qui est le calendrier des vacances scolaires.
05:15Donc, entre le 15 juillet et le 15 août, le train est hors de prix.
05:18Entre le 22-23 décembre et le 3 janvier, le train est hors de prix.
05:24Et donc là, il y a un sentiment chez les gens d'être obligés de payer le train cher.
05:29Parce que les contraints sont imposés.
05:30Ça n'est pas qu'un sentiment.
05:31Un sentiment en réalité ?
05:33En fait, ça dépend.
05:33Si vous voyagez seul, le train n'est pas cher.
05:36Si vous voyagez à 4, il devient très cher.
05:38Et donc, la voiture devient plus intéressante.
05:40Parce que c'est le premier concurrent du train.
05:42C'est le transport automobile.
05:44Et puis après, dans certaines périodes, les prix montent très rapidement.
05:46Parce qu'il y a énormément d'achats dès que les offres sont ouvertes.
05:51Donc, c'est assez compliqué.
05:52Un, en termes de lisibilité.
05:54Et deux, parce que des périodes sont contraintes par les vacances scolaires.
05:57Encore une fois, si vous avez réservé à l'avance,
06:01si vous avez anticipé les choses,
06:03les prix ne sont pas du tout les mêmes.
06:04Ce que, selon les calculs, alors, c'est de la SNCF, mais qu'il faut vérifier.
06:09Il y a la formule 7.
06:10Vous avez 6 trains sur 7 qui sont, 6 places sur 7, 6 billets sur 7 qui sont moins chers
06:18que s'il y avait un tarif unique.
06:20Avec un tarif unique, le fameux tarif au kilomètre de l'enfance de notre ami Thomas Porcher.
06:25Avec ce tarif unique, en fait, ce matin à 11h,
06:32la personne qui partirait paierait beaucoup plus cher qu'elle ne va payer en réalité.
06:35Donc, il y avait une forme d'injustice.
06:37Question qui va en scandaliser certains.
06:39Est-ce que la concurrence aujourd'hui est suffisante au sein de la SNCF
06:42avec d'autres opérateurs ?
06:46Est-ce que ça pourrait jouer sur les prix ?
06:47Est-ce que c'est normalement l'effet vertueux espéré par les promoteurs de la concurrence
06:52faire baisser les prix des billets ?
06:55La SNCF fait plus de 90% aujourd'hui des voyages sur rail.
06:59Donc, il n'y a pas une vraie concurrence.
07:02Mais il faut bien comprendre que la concurrence ne fait pas forcément baisser les prix.
07:06Ça, c'est ce qu'on croyait avant.
07:07Même le rapport Spinetta disait en fait que la concurrence...
07:11Alors, le rapport Spinetta pour les moins de 20 ans ?
07:13C'était un rapport qui avait été fait en 2018, commandé par le gouvernement.
07:18Et effectivement, il appelait à l'ouverture de la concurrence.
07:20Mais il disait que dans un premier temps, les prix allaient augmenter.
07:23Et d'ailleurs, on a un exemple très concret.
07:24C'est-à-dire que le bon élève de la libéralisation, ça a été le British Rail au Royaume-Uni.
07:30Et bien, vous avez les prix des billets qui ont augmenté, selon le rapport Rebuilding Rail,
07:37qui ont augmenté de 117% entre 1995 et 2015.
07:41L'investissement a baissé.
07:42Le coût du personnel a fait plus de 44%.
07:45Ça, c'est l'exemple anglais qui était vu comme le bon élève de la libéralisation par l'Union Européenne.
07:50Alors, parlons de la France, Dominique, parce qu'il existe aujourd'hui des concurrents de la SNCF.
07:55Renfé, l'Espagnol, par exemple.
07:56Vous avez Renfé, Trenitalia, notamment sur le Paris-Lyon jusqu'à Milan.
08:02Les prix ont légèrement baissé.
08:04En fait, il y a deux types de concurrence.
08:06Il y a la concurrence par les compagnies internationales.
08:08Il n'y en a pas beaucoup, il n'y en a pas assez.
08:10Il y en aura un petit peu plus.
08:12Mais c'est le début.
08:12C'est bon, c'est le début, c'est très bien.
08:14Il y a la concurrence aussi interne à la SNCF.
08:17La SNCF, en créant les trains Wigo, a créé sa propre concurrence.
08:20Entre les TGV et les TGV, low cost, low service quand même, low qualité.
08:25Et même en ayant la filiale Wibus, elle a créé son propre concurrence sur route.
08:30Donc la SNCF crée sa propre concurrence.
08:32Et d'ailleurs, ça continue puisque maintenant, vous avez des TGV qui vont à vitesse normale et qui sont encore moins chères.
08:39Alors, c'est un concept un petit peu curieux.
08:40Le TGV, il appuie sur le train.
08:42C'est la raison pour laquelle on n'appelle plus un TGV d'ailleurs.
08:44Un train à grande vitesse, c'est tout juste un train.
08:47Donc voilà, c'est tout juste un train.
08:48Donc il y a de la concurrence.
08:49La concurrence est bénéfique dans l'immense majorité des cas.
08:53Et je ne vois pas comment on peut dire autre chose.
08:56Aujourd'hui, reprenez le Paris-Lyon.
08:58Thomas Porchet, sur ce sujet.
08:59Après, les prix dépendent aussi d'autres choses.
09:00Oui, parce qu'on va en parler.
09:02Comment on diminue les coûts ?
09:03Non, parce qu'il y a la question de la concurrence.
09:05Si on veut diminuer les coûts, donc les prix, comment on fait ?
09:06Mais il y a aussi les spécificités sociales de la SNCF qui pèsent sur la fixation des prix, Thomas Porchet.
09:12Ça, c'est ce que va dire le rapport Spinetta.
09:14Et c'est une partie de ce rapport qui ne m'arrange pas.
09:16Mais je n'y crois pas.
09:17C'est vrai qu'il y a deux choses si on veut faire baisser les coûts.
09:19Il y a les dépenses d'entretien.
09:21Les dépenses d'entretien, c'est quand même important.
09:23Et après, vous avez effectivement les salaires.
09:25Aujourd'hui, les cheminots ne sont pas recrutés.
09:28Et les cheminots ne sont pas recrutés sur le statut de cheminots.
09:31Alors, quand on regarde les salaires des cheminots, sur les plus élevés,
09:34on parle des 10% qui conduisent les trains à grande vitesse, les TGV.
09:37Donc vraiment, l'élite des cheminots, on est sur des salaires avec prime à 3 700 euros par mois.
09:43Donc, on n'est pas sur des salaires complètement dingues.
09:46On est très loin du salaire de, par exemple, Madame Parly, qui était ministre des Armées,
09:48qui a gagné 52 000 euros nets par mois en travaillant à la SNCF.
09:51Vous voyez, pour une utilité qu'on pourrait questionner.
09:54Dominique, sur la question des coûts, la question des spécificités sociales de la SNCF,
09:59parce que c'est malgré tout dans la tête de beaucoup de nos auditeurs.
10:02C'est vrai.
10:04Un point d'abord.
10:04La vision globale, quand même, c'est que les tarifs de notre SNCF
10:08ne sont pas sensiblement différents de ce qui se passe à l'étranger.
10:12C'est vrai.
10:13Parce que j'ai regardé aussi, sur mon petit clavier,
10:16j'ai regardé aussi un Washington, New York et un Berlin, Munich.
10:21Les distances ne sont pas exactement les mêmes,
10:22mais au kilomètre, c'est à peu près la même chose, grosso modo.
10:24Et donc, il n'y a pas non plus à hurler,
10:27même si, encore une fois, parce que c'est un service public,
10:30il faudrait avoir davantage accès à la formule,
10:33à la clé de construction du yield management,
10:35sur le bagage social.
10:37Et puis, l'état des infrastructures n'est pas le même entre le train américain,
10:41le train allemand.
10:42Et on pourrait citer, par exemple, le Shinkansen japonais,
10:44qui, pour le coup, est un véritable moyen extrêmement moderne de se déplacer.
10:49Et en Chine aussi.
10:50Et honnêtement, le train américain, en tout cas, sur New York,
10:53Washington, n'est pas si mauvais que ça.
10:54Mais, le bagage social.
10:56Je ne mets pas du tout en cause les salaires.
10:57Ce que je dis, j'ai regardé,
11:01décidément, j'ai beaucoup utilisé mon clavier hier soir,
11:04et j'ai regardé, en open data, c'est formidable,
11:07quel est le pourcentage, ou le nombre même,
11:09de salariés de la SNCF qui travaillent à 61 ans et plus à la SNCF.
11:14Je vais vous dire une chose, il n'y en a pas.
11:15Ou quasiment pas.
11:16Ça se compte quasiment sur les doigts d'une main.
11:18Conclusion ?
11:18La conclusion, c'est quand même qu'il y a un système social
11:22qui est payé par le contribuable.
11:24La question de fond, c'est, qu'est-ce qu'on va faire de la SNCF ?
11:26Est-ce que c'est un service public ?
11:27Ou est-ce que c'est une entreprise qu'on veut ouvrir à la concurrence et privatiser ?
11:30Parce que même si c'est encore une entreprise 100% publique,
11:32qui est majoritaire sur le réseau, très majoritaire,
11:35elle se comporte de plus en plus comme une entreprise...
11:36Quasie monopolistique.
11:37Oui, mais elle se comporte comme une entreprise privée.
11:39On l'a cassée en entité homogène.
11:41Elle a, par exemple, 1000 filiales dans 100 pays à l'étranger.
11:44Le but, c'est toujours de compresser les coûts, compresser les coûts.
11:47Or, rappelons-le, c'est quand même un outil très important
11:50de la transition écologique.
11:51Et son premier concurrent, si on ferme des petites lignes non rentables,
11:55son premier concurrent, c'est quoi ? C'est la route.
11:57Et d'un mot, la grève actuelle, est-ce qu'elle est condamnable ?
11:59Évidemment, il y a une disproportion totale entre...
12:02Évidemment.
12:02Non, mais évidemment, celle-là, il y a une disproportion évidente
12:05entre l'enjeu qui est une organisation des plannings 4 jours par mois
12:11et les dommages qui sont causés à l'ensemble des usagers.
12:15La grève condamnable, Thomas Porchet ?
12:17Non, la grève n'est jamais condamnable.
12:18On a un droit de grève.
12:19Jamais ?
12:20Non, je vais vous dire une chose aussi,
12:21c'est que les cheminots, on leur tape dessus depuis des années et des années
12:24et des années et des années.
12:26Donc, je comprends qu'ils soient un peu plus sensibles aujourd'hui.
12:28En tout cas, votre débat a été passionnant.
12:30Votre barista vous remercie.
12:32Merci, Thomas Porchet.
12:34Merci, Dominique.
12:35Mouche des accords.