Regardez L'invité de RTL avec Amandine Bégot du 15 février 2023
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00:02 RTL matin
00:06 RTL il est 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez.
00:10 Amandine Bégaud, vous recevez ce matin la politologue Chloé Morin.
00:12 Chloé Morin, vous publiez, je le disais, "On aura tout essayé" chez Fayard. Le livre d'ailleurs sort
00:18 aujourd'hui et c'est qui pourrait s'intituler "La France est-elle devenue ingouvernable" car cette question
00:22 vous l'avez posée à une trentaine de personnalités, des hommes et des femmes politiques de tous bords. Ça va de Fabien Roussel à Marine Le Pen
00:28 en passant par Edouard Philippe ou Valérie Pécresse. Des gens qui ont exercé le pouvoir à haut niveau, qui prétendent aussi
00:34 l'exercer au plus haut niveau un jour. Vous avez aussi rencontré des syndicalistes, des grands patrons et alors sincèrement quand on referme le livre
00:42 on se dit on est mal barré si je peux vous permettre. En tout cas ils ne sont pas vraiment très optimistes tous.
00:48 Non, il y a un sentiment de gravité très très fort et en fait moi je me posais la question que de nombreux
00:54 auditeurs se posent aujourd'hui, c'est pourquoi est-ce que on a toujours l'impression de tourner en rond chaque fois qu'on fait une réforme, pourquoi est-ce que ça
01:00 dégénère
01:01 systématiquement et donc j'ai posé la question à des gens qui ont dirigé ou qui aspirent à diriger
01:06 pour savoir pourquoi ça bloque en fait.
01:09 Et en fait il y a deux types de réponses.
01:13 Il y a ceux qui n'ont jamais gouverné
01:16 essentiellement la France Insoumise et le Rassemblement National qui vous expliquent, c'est pas que la France est ingouvernable, c'est que on gouverne
01:23 systématiquement contre le peuple et c'est vrai que là en l'occurrence sur la réforme des retraites, la majorité des français s'opposent à la réforme
01:30 qui est présentée et on pourrait prendre de nombreux exemples. Et puis il y a ceux qui ont déjà gouverné et qui se sont éprouvés
01:38 au pouvoir et qui eux disent
01:40 qu'en réalité la France est quand même de plus en plus difficile à gouverner pour des tas de raisons
01:47 qu'on pourrait
01:49 qu'on pourrait décliner
01:51 mais
01:52 qui sont extrêmement du coup pessimistes
01:55 quant à l'issue politique
01:58 que la frustration montante des français va trouver comme
02:03 comme matérielle. - Comme issue à l'arrivée et on va y revenir. Votre livre il a été écrit avant la réforme des retraites
02:09 mais c'est vrai que cette réforme, cette bataille aussi qui se joue à la fois à l'Assemblée et dans la rue, elle est
02:14 une parfaite illustration de vos propos. Il y a ce sentiment que les français ne sont pas entendus,
02:19 qu'ils ont en tout cas de ne pas être entendus, vous l'évoquiez.
02:22 Il y a aussi la difficulté de trouver un compromis. On ne sait pas faire, pas faire ou plus faire d'ailleurs, Chloé Moin ?
02:27 - On sait de moins en moins faire. Disons qu'on a, faut pas se mentir, une culture politique qui est quand même très conflictuelle.
02:35 On a fait la révolution, on a un rapport aux hommes et aux femmes politiques qui est quand même assez violent.
02:41 Les joutes verbales, voire les violences antropolitiques, ça a existé dans notre pays et c'est pas des nouveautés non plus.
02:47 - Mais si nous on est pour ou contre, c'est blanc ou noir ?
02:50 - C'est ça. On est un pays du tout ou rien et on n'est pas tellement...
02:53 Le compromis ça n'est pas valorisé. Et puis il s'ajoute à cela un travers sans doute
02:58 de plus en plus prononcé qui est lié à nos institutions. C'est-à-dire que nos institutions n'incitent pas le gouvernement,
03:04 l'exécutif à partager le pouvoir avec le législatif,
03:07 n'incitent pas le Parlement, au sein du Parlement, à partager le pouvoir entre les oppositions et la majorité,
03:12 et n'incitent pas non plus le politique à partager le pouvoir avec les syndicalistes.
03:16 Et donc, eh bien, on penche toujours dans le sens du conflit, de la joute verbale
03:24 très très forte, voire violente, et on en a eu encore des exemples ces derniers jours.
03:32 - Il y a Augustin de Romanelle, PDG d'Aéroports de Paris, que vous avez
03:36 interrogé et vous parlez de ces réformes avec lui. "Nous sommes très grec", dit-il. Il fait allusion au philosophe François Julien. "Nous sommes très grec
03:44 et pas du tout chinois. Les grecs sont adeptes des transformations douloureuses,
03:47 à coups de boutoirs, quand ils font la guerre, ils arrivent avec beaucoup de soldats, des trompettes, des chevaux, et commencent à crier
03:53 partout qu'ils vont gagner la guerre. Les chinois, au contraire, ne déclenchent la guerre que le jour où ils l'ont gagnée."
04:00 C'est ça le mal français ? - C'est ça. Ils mettent tout en place pour
04:04 opérer des transformations profondes, et c'est vrai d'ailleurs en matière économique, c'est-à-dire que
04:10 lorsque eux se donnent des objectifs, par exemple la sortie du diesel, ils mettent tout en place pour créer les conditions
04:18 possibles de la sortie du diesel, et ensuite ils le décident. Nous on fait l'inverse,
04:22 on décrète la sortie du diesel, et puis ensuite on se demande "Alors comment on va faire ?" Forcément ça crée beaucoup plus de crispations.
04:28 Alors dans ce livre "Les politiques comprennent pour leur grade", je vais vous citer quelques exemples.
04:32 Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, vous dit que ce n'est pas la France qui est de plus en plus ingouvernable, mais de moins en moins
04:37 bien gouvernée. Laurent Berger, lui, pointe du doigt le manque de travail intellectuel. Il dit "C'est affligeant, beaucoup n'ont même plus de doctrine."
04:44 Aujourd'hui on peut gouverner et faire de la politique, et c'est ça le problème, dit-il, sans avoir d'autre cap que d'accéder au pouvoir ou de le garder.
04:50 Bernard Cazeneuve, l'ancien premier ministre, dénonce lui un abaissement absolu
04:54 du niveau qui s'explique en partie, dit-il, par la numérisation de la société. Faire de la politique,
04:59 vous confie-t-il, c'est être capable d'envoyer des influx sur les réseaux en permanence.
05:04 Vous n'êtes pas obligé de penser, s'est conclut-il le syndrome. Olivier Faure,
05:08 ravi de multiplier les followers insoumis.
05:11 Ça balance.
05:13 Oui, il y a un constat généralisé qui est d'un affaissement
05:17 du débat public et du niveau des responsables politiques. Alors c'est pas entièrement
05:22 de leur faute, parce que, par exemple,
05:25 ils sont effectivement soumis tous les jours à la nécessité de réagir à la dernière polémique,
05:31 de faire un tout. - Oui, les médias ont leur part de responsabilité, sans doute, l'existence des réseaux sociaux. Est-ce que le général de Gaulle ou
05:36 François Mitterrand serait tombé dans le panneau, par exemple ?
05:38 - On peut se poser la question, en tout cas, mais c'est, disons que ça n'aide pas et qu'aujourd'hui, lorsque vous êtes ministre, vous savez que
05:45 le temps que vous consacrez à une réforme qui produira ses fruits dans un an, deux ans, cinq ans,
05:50 est mineur par rapport au temps que vous consacrez à gérer la dernière polémique, tout simplement parce que
05:57 le système est construit comme ça. Donc c'est pas la faute des journalistes, c'est pas la faute non plus uniquement des politiques,
06:03 c'est aussi un peu la faute des citoyens aussi.
06:06 - À plusieurs reprises dans votre livre, un certain nombre de vos interlocuteurs s'inquiètent de voir Marine Le Pen arriver au pouvoir en
06:12 2027. C'est ça le "on aura tout essayé" titre de votre livre ?
06:15 - La question que beaucoup de gens se posent, c'est "est-ce qu'on va dans le mur et est-ce qu'on a tout essayé ?"
06:22 Il y a deux réponses à ça. La première, c'est sur le fond, j'ai quand même interrogé des responsables politiques sur les réformes qu'il faudrait faire,
06:29 et on se rend compte quand même quand on les interroge que non, on n'a pas tout essayé. C'est-à-dire qu'il y a quand même
06:34 énormément de réformes, par exemple la réforme de l'État,
06:38 qui n'ont pas été menées à bien et qui devraient l'être pour...
06:43 - Pourtant c'est des sujets dont on parle régulièrement à chaque campagne présidentielle.
06:47 La réforme de l'État, on en entend parler, la réduction des déficits publics...
06:51 - Mais on ne sait pas si c'est un manque de courage ?
06:53 - Ça vient d'un manque de courage, clairement.
06:56 D'un manque d'intérêt aussi, c'est-à-dire que nous, citoyens, aimons nous plaindre du fait que les services publics sont délabrés,
07:02 mais pour autant on ne vote pas pour les gens qui vraiment ont des plans
07:06 structurés, précis, pour redresser les services publics. Donc quelque part c'est un peu notre faute à nous aussi.
07:14 Mais on aura tout essayé, c'est bien sûr le raisonnement qui consiste, c'est-à-dire on a essayé la gauche, on a essayé la droite,
07:20 demain on va essayer l'extrême droite. Et il y a de plus en plus de gens qui raisonnent comme ça. Et d'ailleurs j'ai fait des sondages
07:26 pour ce livre, 44% aujourd'hui des français considèrent qu'en 2027, le plus probable c'est que Marine Le Pen soit élue.
07:34 Et elle est en tête parmi les différents...
07:37 les candidats qui ont été testés,
07:41 devant Édouard Philippe.
07:42 - Marine Le Pen, vous dites avoir été souvent frappée par sa capacité à saisir très vite ce que pensent les français d'un sujet donné.
07:49 C'est ce qui manque aux autres ?
07:51 - Sans doute un... peut-être un contact avec le terrain qui manque à une partie de la classe politique.
07:55 En partie parce qu'on a supprimé le cumul des mandats et que je pense que l'expérience
07:59 d'un mandat local c'est quand même quelque chose qui est très important lorsqu'on fait de la politique. Donc peut-être qu'elle, elle a ça
08:05 que d'autres ont beaucoup moins.
08:07 Mais...
08:10 Mais globalement vous avez eu un exemple avant-hier. C'est-à-dire que quand un insoumis dérape et traite Olivier Dussopt d'assassin,
08:18 elle est la première à avoir adopté une posture qui finalement est...
08:21 comment dire...
08:23 une posture raisonnable en disant en politique "il n'y a pas d'ennemis, il n'y a que des adversaires".
08:27 - Qui a d'ailleurs été appris par certains membres de la majorité.
08:30 Merci beaucoup
08:32 Chloé Morin. On aura tout essayé. C'est donc le titre de cet essai qui est publié chez Fayard et qui sort aujourd'hui. Je rappelle aussi votre
08:37 précédent livre "On a les politiques qu'on mérite". Lui, il sort en édition de poche toujours.
08:41 !