L'Hebdo de l'Éco : Vincent de Rivaz (ancien dirigeant d’EDF)

  • l’année dernière
Eric de Riedmatten reçoit chaque week-end un invité dans #LHebdoDeLEco pour approfondir un sujet économique.

Transcript
00:00 L'énergie nucléaire revient en force avec de nouveaux projets pour la France,
00:04 notamment les SMR qui sont des futures petites centrales qui vont s'installer
00:09 progressivement dans le pays. Alors on en parle avec Vincent Deriva, un expert
00:13 mais aussi un ancien patron d'EDF. Vous avez dirigé la filiale britannique d'EDF
00:17 pendant 16 ans. Alors vous avez rédigé un ouvrage, je le montre, "We need power",
00:22 ça veut dire qu'on a besoin d'énergie, on a besoin aussi du pouvoir pour
00:25 exister, pour dire oui en fait à ce nucléaire qui a été longtemps décrié.
00:30 Mais est-ce que la France a les moyens aujourd'hui de se relancer dans un grand
00:33 programme ? Est-ce qu'on a l'argent ?
00:35 La réponse est oui. Il faut trois conditions.
00:38 Une volonté politique, une volonté politique stable, durable, pérenne, fondée sur un
00:45 consensus le plus large possible. Il faut une filière industrielle bien
00:51 organisée, bien armée, bien professionnelle, qui soit mobilisée.
00:56 On l'a vraiment ? On l'a ?
00:57 Elle est là bien sûr.
00:59 Les compétences existent pour le futur ?
01:01 Oui, il faut de la visibilité pour que justement ces compétences se renouvellent,
01:05 les investissements soient faits. Donc la filière industrielle est un acteur
01:10 majeur évidemment de toute politique nucléaire. Et puis il faut un troisième
01:15 facteur qui est des autorités de régulation. Alors il y a évidemment la
01:19 régulation de la sûreté nucléaire, extrêmement importante, des autorités
01:22 fortes, indépendantes, crédibles, qui ont aussi le pouvoir de dire oui, "to make it
01:28 happen" comme on dit en anglais, et évidemment une régulation du marché.
01:32 D'accord, je comprends bien. Pour que les investisseurs investissent.
01:36 Mais vous qui avez vécu justement cette hésitation en fait au sommet, puisque
01:41 Emmanuel Macron n'était pas sûr de se lancer dans ce programme, comment
01:45 réagissait chez EDF à ce moment-là ?
01:49 J'étais en Angleterre, effectivement ce qui s'est passé, tout le monde l'a en tête,
01:56 en 2011, émotions planétaires, Fukushima, et les pays ont réagi différemment.
02:03 L'Allemagne a réagi brutalement en disant, quelques jours après, on arrête tout en
02:08 2022, donc le programme de fermeture est extrêmement accéléré. La France y a eu
02:14 un peu de flottement, et la Grande-Bretagne a tenu bon. Westminster a tenu bon, le
02:19 pays a tenu bon, parce que, je dirais, le pragmatisme a prévalu, c'est le pragmatisme
02:26 uni, l'idéologie divise.
02:29 Donc la France revient de loin, on aurait pu rater le coche.
02:31 La France, elle n'est pas... il y a un parc nucléaire, il y a...
02:38 C'est un projet en Grande-Bretagne dont je parle dans mon livre, dont on reparlera peut-être,
02:42 c'est un projet français. - On a failli céder aux écologistes.
02:44 - La Grande-Bretagne a fait confiance à la France, à EDF et à l'EPR pour construire,
02:48 c'est l'EPR, pour relancer son propre nucléaire.
02:50 Voilà, donc je pense qu'aujourd'hui, il faut du consensus.
02:54 Moi, je dis simplement, regarde le monde, le monde, il va y avoir une augmentation
02:59 très importante des besoins en électricité à cause de la mobilité électrique,
03:03 à cause de l'hydrogène, besoin dans l'industrie, besoin numérique.
03:07 Il y aura des réacteurs de grande puissance comme l'EPR, 3ème génération,
03:11 le plus avancé en termes de sûreté, en termes d'impact sur l'environnement.
03:15 Il y aura des réacteurs de moyenne puissance et puis il y aura des réacteurs de petite puissance.
03:20 On ne peut pas se payer le luxe de se priver, de jouer sur une gamme variée
03:25 pour te donner tes besoins, dont le nucléaire. - Et l'avenir, c'est plus d'électricité.
03:29 L'avenir avec l'automobile, vous le disiez. - Plus d'électricité et moins de CO2.
03:32 Voilà. Et je pense que ce que je crois profondément, c'est comme ça qu'en Grande-Bretagne,
03:37 je le raconte dans mon livre, j'ai contribué au renouveau du nucléaire.
03:42 Je n'ai pas dit le nucléaire est la solution unique.
03:45 J'ai dit il n'y a pas de solution sans nucléaire. Et je pense que c'est important.
03:48 Il faut cesser les combats idéologiques. On est pour le renouvelable, on devrait être contre le nucléaire.
03:54 Pour le nucléaire, on devrait être contre le renouvelable.
03:56 Je ne le pense pas. Il faut un mixte équilibré. - Et 50% de nucléaire, c'est tenable ?
04:01 Franchement, avec solaire et éolien, ça peut remplacer ?
04:04 - 50% c'est pas... Quand on parle de 75%, 70%, on se demanderait, compte tenu de l'importance de la décarbonation,
04:15 qui est quand même un objectif majeur, compte tenu du fait qu'il y aura plus de besoin d'électricité,
04:20 qui est une réalité économique, il faut donc plus d'électricité, moins de CO2.
04:25 Le nucléaire est un puissant contributeur à cette... - Le solaire c'est gentil mais il faut...
04:30 - Non, non, c'est pas que ça soit gentil, il ne faut pas être péjoratif. Le solaire a sa place, le renouvelable et l'éolien a sa place.
04:37 Comme je vous le dis, moi je pense qu'il faut créer du consensus et stopper les guerres de religion entre les énergies.
04:43 On a besoin du nucléaire. En France, on a une grande chance d'avoir un parc de... - Bien sûr.
04:50 Mais alors je vais vous poser une question embarrassante. - Encore plus ?
04:53 Comment se fait-il qu'on paie l'énergie si chère aujourd'hui ? Je crois 250€ le mégawatt,
04:57 alors que l'énergie nucléaire ne vaut que 42€. - Bon, alors il faut... - Et le marché bien sûr.
05:02 - Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut réformer le marché de l'électricité européen.
05:07 - Ça prend mal de temps. - Moi je dis, attention, ne faisons pas de l'interconnexion européenne
05:12 le bouc émissaire de nos difficultés actuelles. C'est un formidable atout pour l'équilibre offre-demande,
05:17 ça crée de la solidarité entre pays européens. - Et on revend aussi.
05:20 - C'est une bonne chose, on exporte, on importe selon les circonstances.
05:23 En 1946, quand on a créé l'interconnexion française, on a relié toutes les sociétés déchirées,
05:28 on a créé EDF, personne ne remet en cause cet avantage considérable qu'est l'interconnexion en France.
05:33 - Mais on aimerait payer pas cher notre énergie, puisqu'elle vaut pas cher.
05:36 - Premièrement, l'interconnexion européenne est un atout.
05:40 Deuxièmement, la façon dont ça fonctionne doit être améliorée, doit être réformée.
05:46 Et il y a un travail à faire qui ne va pas se faire en claquant dans les doigts.
05:49 - Mais dites-nous à quand le retour à l'électricité pas chère ?
05:51 - Non mais le retour à l'électricité pas chère, le problème actuel, la crise actuelle va quand même s'estomper.
05:58 Il y a eu une conjonction de facteurs, disponibilité du parc,
06:03 les problèmes de corrosion sur certaines des centrales,
06:07 au moment où il y a eu un renchérissement du prix du gaz.
06:09 Moi, je pense qu'une des voies dans lesquelles il faut que les Européens travaillent,
06:12 et la France en particulier avec ses partenaires,
06:15 c'est de désintoxiquer en quelque sorte le marché d'électricité du prix du gaz.
06:21 Il n'y a pas de raison que ce soit le prix du gaz qui détermine le prix de l'électricité,
06:24 comme c'est le cas aujourd'hui.
06:25 Et cette réforme, elle est possible, elle est nécessaire.
06:29 - Mais quand on aura le retour à la normale ?
06:32 - Je ne veux pas faire de prévision au moins après.
06:37 - Non, non, bien sûr, mais cette année ou l'année prochaine ?
06:39 - Cette réforme va prendre du temps, mais elle est urgente.
06:42 Voilà, elle est à fois importante et urgente.
06:45 Il faut la prendre très sérieusement.
06:49 Les solutions simplistes, ça n'existe pas.
06:51 Il faut créer à nouveau au niveau européen des règles nouvelles.
06:56 Elles sont possibles.
06:57 - Donc donner du temps au temps.
06:59 - Mais ce qui est important aussi, c'est de garder en tête nos objectifs décarbonaires.
07:05 - Eh bien, merci beaucoup, Vincent Deriva.
07:07 Je rappelle votre ouvrage, ancien patron d'EDF en Grande-Bretagne.
07:11 Merci de nous avoir éclairé, si je puis dire,
07:13 sur l'avenir du nucléaire et les besoins en électricité demain pour la France.
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