SMART SPACE - Emission du vendredi 28 avril

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Vendredi 28 avril 2023, SMART SPACE reçoit Maxime Puteaux (spécialiste des lanceurs, Euroconsult) , Marie-Laure Gouzy (Directrice France, Pangea Aerospace) et Pierre Henriquet (Médiateur scientifique et conférencier)
Transcript
00:00 [Musique]
00:04 Bonjour à tous et bienvenue dans Smart Space.
00:06 Au programme de l'actualité, Ariane Group qui remporte en tant que mandataire l'appel d'offre du CNES
00:12 dans le cadre de France 2030 pour la surveillance de l'activité spatiale.
00:18 On parlera aussi de Thomas Pesquet qui lance sa propre entreprise pour gérer son image et ses activités.
00:25 Airbus qui dévoile son module orbital Loop destiné à l'orbite terrestre.
00:30 Lunaire voie même martienne, on en parlera un peu plus tard.
00:34 Et puis la start-up franco-espagnole Pangea Aerospace qui signe un contrat à hauteur de 50 millions d'euros.
00:42 Et puis dans votre talk, on a choisi de revenir ensemble sur le lancement de la méga-fusée Starship.
00:47 Car passé l'émotion de voir décoller un tel mastodonte,
00:51 on ne peut que s'interroger sur les circonstances de l'explosion ou sur l'état assez désastreux du pas de tir
00:58 juste après le lancement dont les images ont fait le tour du web.
01:02 Alors nous reviendrons ensemble sur les coulisses de cet événement avec nos invités.
01:07 Voilà pour le programme, on démarre avec le col actu sur Bismarck.
01:15 Ariane Group, Telsat et Magellan ont remporté un contrat porté par le CNES dans le cadre du volet spatial de France 2030.
01:23 L'objectif de ce contrat, améliorer les performances de surveillance de l'espace
01:28 et garantir la sécurité des opérations spatiales.
01:32 Le consortium fournira au CNES un service de données de surveillance de l'espace,
01:37 appelé aussi SSA pour Space Situational Awareness.
01:41 Ce service comprend le déploiement de capteurs optiques multi-orbites
01:45 et le développement d'un segment spatial optique en orbite de transfert géostationnaire.
01:50 Le consortium est piloté par Ariane Group qui est le mandataire du projet.
01:55 Alors pour rappel, cet appel d'offre catalogue de données pour la surveillance de l'espace a été présenté il y a tout juste un an.
02:02 Il a été confié au CNES par le gouvernement français en tant qu'opérateur du volet spatial de France 2030.
02:09 Le temps de ce contrat n'a pas encore été dévoilé.
02:13 Autre actualité, celle de Thomas Pesquet qui lance sa propre entreprise.
02:19 C'est en tout cas ce qu'affirme le magazine l'informé.
02:21 En réalité, il s'agit principalement de gérer la monétisation de son image
02:26 mais aussi de ses droits en matière de production audiovisuelle, d'intervention publique
02:32 ou encore quand il s'agira d'éditer ses propres livres.
02:35 L'entreprise gérera également les prestations de services réalisés par Thomas Pesquet dans le secteur spatial et l'aéronautique.
02:43 Une démarche pas si surprenante que ça mais plutôt rare en réalité pour un astronaute encore en activité
02:49 et sous contrat avec l'agence spatiale européenne.
02:52 L'entreprise porte le nom d'Acturus comme l'étoile la plus brillante de la constellation du Bouvier.
02:59 Depuis l'annonce, l'ESA a réagi évidemment auprès du journal l'informé
03:03 assurant que Thomas Pesquet reste, je cite, "un employé de notre agence pleinement engagé dans la réalisation de ses tâches techniques
03:11 en vue des missions habitées vers toutes les destinations présentes et futures"
03:16 et ajoute que cette entreprise est totalement indépendante.
03:20 Autre actualité, Airbus qui promet un module orbital à l'occasion du Space Symposium à Colorado Springs.
03:27 Airbus a dévoilé son ambitieux projet de module orbital.
03:31 Le projet nommé Loop affiche 8 mètres de diamètre, 8 mètres de longueur et propose trois niveaux modulables.
03:39 L'Airbus Loop est un cylindre géant qui est doté d'une coque extérieure rigide
03:43 et conçu comme une entité à part entière immédiatement exploitable par les astronautes
03:49 adaptée aux dimensions de la prochaine génération de lanceurs super lourds comme le SLS ou encore le Starship.
03:57 La position d'Airbus est de se proposer comme une station confortable de manière à faciliter les séjours longue durée.
04:06 Le cahier des charges prévoit d'ailleurs qu'elle soit adaptée à une exploitation en orbite terrestre basse,
04:12 une orbite lunaire mais aussi à des missions vers Mars.
04:16 Airbus estime que Loop pourrait être prêt au début des années 2030.
04:21 Encore faudra-t-il financer un tel projet.
04:25 Enfin, une dernière actualité.
04:27 Pangaea Aerospace officialise un premier contrat à 50 millions d'euros pour son moteur fusée Aerospike.
04:34 C'est une première pour la start-up franco-espagnole.
04:37 La société du New Space vient d'officialiser la signature du premier contrat pour la vente de ce moteur fusée.
04:44 Cette collaboration avec le micro lanceur américain Tairu Space pourrait générer, je cite,
04:50 50 millions d'euros de revenus pour les cinq prochaines années, selon la start-up tout récemment installée à Toulouse.
04:57 Alors justement, c'est notre call actu.
04:59 Nous avons en ligne avec nous la directrice France de Pangaea Aerospace, Marie-Laure Gouzy.
05:04 Bonjour, bienvenue dans cette émission et merci d'avoir répondu au call actu.
05:09 Qu'est-ce qui distingue votre offre sur le marché aujourd'hui ?
05:12 Oui, bonjour, merci pour votre appel.
05:15 Donc notre offre, Pangaea Aerospace, en fait, a choisi d'avoir un positionnement un petit peu disruptif de motoriste au sein de l'industrie spatiale.
05:26 Et c'est possible grâce à notre maîtrise, comme vous l'avez dit, de la technologie Aerospike.
05:31 La technologie Aerospike, c'est un peu, on va dire, le graal de la propulsion spatiale,
05:36 vu qu'elle permet de ne pas perdre de performance en fonction de l'altitude,
05:41 ce qui va se traduire immédiatement par un gain d'efficacité de l'ordre de 15%.
05:48 Si on parle en termes d'économie d'air gold et de carburant,
05:53 ça veut dire qu'on va pouvoir augmenter peut-être jusqu'à 40% la profitabilité.
05:58 Donc on voit de suite l'intérêt d'utiliser cette technologie.
06:02 Elle n'est pas nouvelle technologie, elle a été étudiée depuis les années 60 par la NASA.
06:06 Mais par contre, c'est Pangea Aerospike qui, fin novembre 2021, a été capable de lever le principal verrou
06:13 qui était lié au refroidissement du moteur, et donc qui a réussi à allumer ce moteur Aerospike
06:19 qui fonctionne avec des air gold méthane et oxygène liquide,
06:23 donc des air gold verts qui peuvent être biosourcés, ça c'est très très important à l'heure actuelle,
06:30 et qui ont fait un moteur totalement disruptif et réutilisable.
06:36 D'autre part, il faut vraiment insister sur le fait, et c'est ce qui nous distingue,
06:40 c'est qu'il y a une capacité de mise à l'échelle de ce moteur,
06:44 qui est en partie liée à sa géométrie bien sûr,
06:47 mais également qui va être liée à tout ce qui est utilisation des nouvelles technologies
06:51 de type fabrication additive, pour nous permettre d'avoir toujours, toujours,
06:56 toujours une meilleure ratio en fait, coût/performance, pour délivrer les meilleurs moteurs au meilleur prix.
07:02 Alors cette collaboration avec l'américain Tehirou Space, comment elle est née,
07:07 pourquoi cet acteur en particulier ?
07:10 Alors, Tehirou est une jeune compagnie disruptive,
07:15 donc ça a vraiment créé le rapprochement avec Pangea,
07:19 puisqu'on s'est reconnus chacun dans nos façons de faire,
07:23 et ça a vraiment facilité le rapprochement.
07:25 Et Tehirou fait le même constat que Pangea en fait,
07:28 vis-à-vis de l'organisation de l'industrie spatiale et de la chaîne de valeurs associées.
07:33 On est dans un modèle, soit qui est complètement verticalisé,
07:36 et on sait que ça nécessite des capitaux très, très importants,
07:41 qu'on n'est pas capable de fournir ici en Europe, c'est clair.
07:46 Et au-delà de ce problème de capitaux, on va avoir un manque de spécialisation,
07:53 notamment concernant la propulsion, qui est la partie toujours la plus complexe
07:57 et la plus onéreuse du lanceur.
07:59 Et si on se retourne vers, on va dire, les fabricants historiques de moteurs
08:04 qui fournissaient les institutions il y a quelques années,
08:08 on se retrouve avec des coûts de développement qui ne sont pas du tout adaptés
08:12 à l'évolution de l'écosystème actuellement et l'apparition de ces nouveaux acteurs privés.
08:18 Donc en fait, on partage vraiment cette vision de nécessiter de segmenter,
08:22 finalement, cette industrie spatiale et de pouvoir chacun venir apporter
08:27 toute sa compétence sur chaque segment et sous-segment.
08:31 Donc, oui, cet accord va porter sur la fourniture de moteurs pour le lanceur de TIRU.
08:41 Et comme c'est le premier accord qui a pu être rendu public par les deux parties,
08:48 ça va permettre dans un premier temps de garantir l'accès de TIRU
08:52 aux premiers moteurs de Pangea qui sortiront des lignes de fabrication.
08:57 Et selon les prévisions de TIRU, les premiers échanges financiers sont prévus dès 2024.
09:07 Les volumes de vols qui sont envisagés, et ça c'est encore à confirmer à PQ bien sûr,
09:11 mais seraient de l'ordre d'une cinquantaine de vols d'ici 2030.
09:15 Donc ça ne veut pas dire 50 moteurs, car je vous rappelle que nos moteurs sont réutilisables,
09:19 mais je parle bien de 50 vols d'ici 2030.
09:23 Quand vos moteurs sortiront-ils de la chaîne de production ?
09:27 Les premiers moteurs sont prévus pour 2025.
09:30 Alors dernière question avant de conclure ce call actu.
09:33 Chez Pangea, vous visez 300 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2030,
09:37 avec seulement pour cible les start-up ?
09:41 Alors pas exactement.
09:44 L'idée pour Pangea Aerospace c'est de vendre des moteurs,
09:49 on ne s'interdit pas de faire de la vente directe,
09:53 mais par contre le modèle qu'on veut pousser c'est celui du pay per flight,
09:58 c'est du leasing à l'heure de vol, un petit peu comme dans le modèle aéronautique
10:02 comme actuellement Safran fournit ses moteurs à Airbus.
10:05 Nous on va fournir finalement des moteurs au vol,
10:09 en offrant également les services associés au développement préalable,
10:14 mais également tous les services de maintenance et de remise en état
10:17 qui seront nécessaires entre deux utilisations.
10:20 Les clients qu'on vise sont bien évidemment institutionnels et gouvernementaux,
10:26 puisqu'il y a des pays hors Europe qui souhaitent avoir un accès à l'espace,
10:32 mais qui n'ont pas les institutions associées et qui ont besoin d'acteurs privés
10:37 comme Pangea Aerospace ou TIRU pour pouvoir s'approvisionner en termes d'accès à l'espace.
10:42 Et on a également un certain nombre d'acteurs privés qui sont intéressés par cette approche-là.
10:50 Donc l'accord avec TIRU a bien sûr été rendu public,
10:53 et nous c'est très important de communiquer sur cette actualité.
10:56 Tant que d'autres vont venir !
10:58 Voilà, mais on a déjà d'autres discussions en parallèle sur des volumes qui seraient bien plus importants.
11:05 Merci beaucoup Marie-Laure Gouzy, directrice France de Pangea Aerospace,
11:08 d'avoir répondu au Collectu dans Smart Space.
11:11 On enchaîne avec le Space Talk.
11:17 Vous n'avez pas pu rater le lancement de Starship, ni sa spectaculaire explosion.
11:24 Et on peut dire que l'incandescence de cette explosion n'a pas manqué de nous éclairer sur les coulisses de ce lancement.
11:31 Coulisses qui soulèvent aujourd'hui de nombreuses questions.
11:33 Alors pour en parler, nous avons avec nous en plateau Maxime Putot, spécialiste des lanceurs chez Euroconsult.
11:39 Bonjour !
11:40 Bonjour Cécile !
11:41 Bienvenue sur le plateau de Smart Space.
11:43 Avec nous, nous avons aussi à distance Pierre Henriquet, médiateur scientifique et conférencier.
11:48 Bienvenue Pierre sur le plateau de Smart Space.
11:51 Bonjour Cécile !
11:52 Alors d'abord, qu'est-ce qui s'est précisément passé lors de ce lancement ?
11:56 Est-ce qu'on peut dire peut-être plus simplement, qu'est-ce qui a capoté ?
12:00 Ce qui a capoté, c'est une succession de différentes petites anomalies, dès le décollage,
12:06 parce qu'on a vu que certains moteurs ne se sont pas allumés,
12:08 et ce qui a mené à une destruction commandée du lanceur à 39 km d'altitude.
12:13 Destruction commandée, alors ça c'est important parce qu'on l'entend assez peu, Pierre, sur les réseaux sociaux notamment,
12:18 mais même dans les discours des médias.
12:22 Oui, effectivement, le décollage était prévu de la base de SpaceX,
12:27 l'une des bases situées à Boca Chica au Texas.
12:31 A l'origine, le plan de vol était de monter jusqu'à 60 km d'altitude,
12:37 avec le spaceship qui est monté sur un méga booster qu'on appelle le Super Heavy,
12:43 qui lui est équipé de 33 moteurs.
12:46 Donc là on a le spaceship, le spaceship devait se séparer de son booster,
12:50 et continuer l'aventure, faire les trois quarts du tour de la Terre,
12:54 et aller se poser à plat près de...
12:57 Ça devait se poser près d'Hawaï, et finalement ce n'est pas du tout ce qui s'est passé,
13:00 je crois que c'est à peu près à 30 km que ça a explosé, donc une explosion commandée.
13:05 C'est ça, tout à fait, une explosion qui a été commandée après plusieurs rotations du lanceur,
13:12 a priori volontaire, l'objectif était certainement justement de récupérer un maximum de données,
13:18 même dans des conditions qui sont en dehors des conditions nominales.
13:21 On a vu ces loopings, c'était assez impressionnant sur les images,
13:24 et alors pour le public, qui n'est pas forcément habitué à la culture de l'échec par exemple,
13:31 donc tout le grand public a vu ces applaudissements, et donc c'était assez surprenant de se dire,
13:36 est-ce que c'est une réussite, est-ce que c'est un échec, comment s'est positionné SpaceEek sur le sujet ?
13:41 Je pense qu'il y a deux aspects, il y a l'aspect "tester des lanceurs c'est compliqué, risqué, et des fois on échoue",
13:48 et il y a plusieurs approches, la NASA et les agences publiques, parce que c'est de l'argent du contribuable,
13:55 sont extrêmement précautionneuses, font attention, et ont minimisé au minimum l'échec,
13:59 quitte à prendre énormément de temps pour tester, là où SpaceEek préfère tester, crasher et redémarrer.
14:06 C'est vraiment une logique Silicon Valley, donc c'est deux approches différentes selon les personnes qui conduisent ces projets-là,
14:10 et après il y a deux réactions, il y a le verre à moitié plein, c'est ce que fait SpaceEek,
14:14 et l'an demain on se dit que c'était un mission success, comme l'a dit Pierre, le profil de mission n'a pas été rempli,
14:19 et puis il y a le verre à moitié vide, où il y a beaucoup de choses qui se sont mal passées dès le début.
14:24 Oui, effectivement, alors on va revenir sur ces coulisses-là, aujourd'hui on voit un peu le verre à moitié vide,
14:29 mais parce qu'il n'y a pas que cette explosion qui pose question, il y a tout ce qu'il y a à côté,
14:34 par exemple la question des moteurs, la préparation des moteurs, alors c'était très attendu,
14:39 33 moteurs qui doivent propulser un engin de 120 mètres dans l'espace, ce n'est pas anodin,
14:45 on en parlait beaucoup de ces moteurs, est-ce qu'il y a un problème de ce côté-là ?
14:50 Est-ce qu'on a vraiment connaissance du processus de test de ces moteurs ?
14:55 Est-ce qu'on pouvait s'attendre à ce qu'il y en ait autant de défaillants ?
14:58 Je crois qu'au total, à la fin, c'était 6 moteurs défaillants, Pierre ?
15:01 Oui, l'évaluation est encore en cours, on parle de 6, on parle de 8,
15:05 les moteurs en soi ne sont pas défaillants, les tests qui ont été faits sur ces moteurs individuellement ont été tous réussis,
15:13 le problème c'est qu'on est sur un système qui est totalement un prototype,
15:18 quasiment aucun autre lanceur n'a jamais essayé de s'élever vers l'espace avec autant de moteurs,
15:25 le plus proche c'est la fusée soviétique N1, il y a déjà plus de 50 ans maintenant,
15:32 qui avait essayé de concurrencer la célèbre Saturn V avec 30 moteurs,
15:36 mais qui à l'époque, avec la technologie de l'époque, n'avait jamais réussi à faire un vol correct,
15:43 donc même si on se trouve avec une technologie qui est beaucoup plus avancée aujourd'hui,
15:47 il s'agit d'un véritable tour de force d'arriver à synchroniser ces 33 moteurs,
15:52 et c'est en ça qu'il s'agit vraiment d'un vol prototypal.
15:55 Est-ce qu'on aurait pu s'attendre à une performance peut-être réussie davantage que celle-là ?
16:02 Oui, parce qu'il y a certains éléments qui ont été négligés par SpaceX, et volontairement, il faut deux temps.
16:06 Comme l'a dit Pierre, les moteurs ont fonctionné, et tous les éléments testés séparément de Super Heavy et de Starship,
16:11 jusqu'à présent, avaient fonctionné à durée limitée.
16:14 Ce qui n'a pas marché, c'est dans les conditions réelles, l'intégration de tous ces éléments-là,
16:18 et là où SpaceX a notamment pêché, c'est sur le pas de tir, ce que Elon Musk appelle l'élément zéro du lanceur.
16:25 D'habitude, on protège le lanceur en installant un système de déluge,
16:30 où on largue de grosses quantités d'eau pour atténuer le bruit et les vibrations qui peuvent être destructrices sur le lanceur,
16:36 mais aussi pour éviter que des morceaux du pas de tir endommagent le lanceur.
16:40 Il n'y avait pas de carneaux, donc il n'y avait pas de ces grands tunnels d'évacuation des gaz, il n'y avait pas de déluge,
16:44 et donc il y a eu les dégâts à quels on pouvait s'attendre.
16:47 C'est assez impressionnant en fait, de découvrir ces images du pas de tir après le lancement,
16:52 et de se rendre compte de la zone, ça ressemble presque à un champ de guerre.
16:56 Presque lunaire, oui.
16:57 Oui, c'est presque lunaire, sauf qu'on n'est pas censé transformer la Terre en sol lunaire,
17:02 à moins de créer des expériences scientifiques, mais encore.
17:07 Comment c'est possible de laisser un pas de tir dans cet état ?
17:13 Ça veut dire qu'on a le choix entre créer une fosse, mettre des jets d'eau, et ne pas le faire ?
17:19 Je pense que la physique s'applique à tout le monde, et même si Elon Musk tord la réalité autour de lui,
17:23 vis-à-vis des investisseurs, vis-à-vis de ses fans,
17:26 la physique s'applique à tout le monde, et encore plus pour cette catégorie de lanceurs.
17:29 Et la vraie leçon tirée de ce lancement, c'est les négligences autour de l'impact environnemental des lanceurs.
17:37 On n'a jamais lancé un lanceur aussi gros, et forcément il fait des dégâts, et les dégâts ont été sous-estimés.
17:42 Parce que Boca Chica s'est entouré d'une zone protégée, Pierre.
17:46 Oui, tout à fait. La base de Boca Chica se trouve à quelques centaines de mètres seulement,
17:52 de réserve écologique, avec une biodiversité particulière, avec des espèces qui sont protégées,
17:58 certaines qui sont en danger. Alors pourquoi est-ce qu'on est allé poser une base spatiale expérimentale là-bas ?
18:06 Il y a des raisons techniques d'abord, parce que cette base est juste à côté de l'océan,
18:11 qui se trouve à l'est, et ça c'est très important pour pouvoir lancer les fusées correctement, dans le bon sens.
18:17 Il y a aussi un sous-sol qui est très riche en méthane, et les moteurs utilisent un mélange de méthane et d'oxygène.
18:24 Donc l'idée c'était aussi d'aller pouvoir le récupérer sur place.
18:28 Mais il y a aussi des raisons politiques et économiques, puisque justement au Texas,
18:32 il y a de gros avantages fiscaux, avec des exonérations d'impôts au niveau des entreprises,
18:38 et puis des subventions de plusieurs millions qui ont été accordées à SpaceX.
18:41 Et face à ça, il est vrai que la question écologique est une question qui parfois peut être un peu auxiliaire,
18:50 ce qui est pour le coup très problématique.
18:52 Mais on pensait que c'était réglementé une question pareille ?
18:55 En fait le vrai problème c'est qu'à la base, Boca Chica ne devait pas héberger le Starship.
19:00 Historiquement, SpaceX a choisi Boca Chica parce qu'à Cap Canaveral, il y a quelques années,
19:05 il y avait un maximum de lancements qu'on pouvait faire, qui était une trentaine,
19:08 et qui allait bloquer les développements de SpaceX.
19:10 SpaceX a donc mis à chercher un deuxième site de lancement pour Falcon 9 et Falcon Heavy.
19:14 Et puis le Cap Canaveral a été capable d'offrir beaucoup plus d'opportunités de lancement,
19:18 et Starship a su rendre compte que c'était un projet largement expérimental,
19:22 et qu'il valait mieux le tester très très loin des pas de tir opérationnels existants,
19:26 puisque à Cap Canaveral, les pas de tir sont en général distants de 3 km en moyenne.
19:30 Donc on peut dire qu'un échec à Cap Canaveral aurait pu avoir des conséquences désastreuses.
19:34 C'est pour ça que Boca Chica était bien pratique, et un peu le bac à sable d'Elon Musk.
19:37 Il fallait souligner un petit peu des regards aussi oppressants.
19:42 Quand on doit lancer une fusée, on doit avoir l'accord de la FAA.
19:47 La FAA n'a pas eu son mot à dire sur les infrastructures du pas de tir ?
19:53 La FAA a complètement eu son mot à dire sur les infrastructures.
19:56 Et pour reprendre ce que tu disais sur les regards et l'observation,
20:02 Starship c'est le lanceur en développement qui est le plus observé par des observateurs,
20:07 par des Youtubers, des blogueurs qui sont en permanence à surveiller ce que fait SpaceX,
20:11 à essayer de deviner ce que va faire SpaceX dans les prochaines semaines.
20:14 La FAA a été complètement impliquée là-dessus.
20:16 La FAA avait donné son autorisation pour lancer Falcon 9 et Falcon Heavy.
20:19 Quand SpaceX a annoncé qu'il voulait lancer Starship depuis Boca Chica,
20:23 la FAA leur a demandé de faire une petite mise à jour de leur autorisation de lancement.
20:27 Et dans les dernières semaines, le dernier jalon qui manquait à SpaceX,
20:30 c'était l'autorisation de la FAA.
20:32 Donc la FAA a été complètement impliquée dans le processus.
20:34 Elle a également consulté l'agence de l'environnement.
20:36 Le vrai souci, c'est que les règles n'ont pas été complètement appliquées
20:40 ou elles ont été interprétées de manière relativement souple.
20:43 C'est quand même une interprétation assez surprenante quand on parle de lancer une fusée pareille,
20:48 quand on parle d'une entreprise pareille, sous tous les regards, les regards de la Terre entière.
20:54 Il y a une raison pour laquelle les sites de lancement, comme l'a évoqué Pierre,
20:57 sont à des endroits spécifiques en raison de l'orbite qu'on veut atteindre,
21:01 mais aussi de la distance et de la sécurité.
21:03 Boca Chica, c'est vraiment très très proche de la frontière mexicaine,
21:06 très très proche de la ville de Port Isabelle,
21:08 qui à 10 km a reçu des retombées, des poussières de béton liées au décollage.
21:14 Oui, parce qu'on cherche encore les débris, par exemple, Pierre.
21:17 Oui, ces débris, en fait, on les a vus, même sur les vidéos officielles.
21:23 Ces débris ont été éparpillés sur des distances très très importantes.
21:28 On a justement cette dalle de béton qui a été pulvérisée.
21:33 Ces débris qui se sont étendus sur 156 hectares,
21:37 avec des grosses dalles de béton qui ont été projetées à plus d'un kilomètre dans l'océan.
21:41 Effectivement, Port Isabelle, qui est à 10 km, a encore été recouvert de poussières.
21:46 Donc, l'évaluation des dégâts qui ont été causés est encore actuellement en cours.
21:54 Mais il est certain que les choses sont allées beaucoup beaucoup plus loin
21:58 que ce qui avait été officiellement déclaré.
22:00 Et c'est effectivement ça le problème, entre les déclarations officielles et puis la réalité du terrain.
22:06 Là, on a vraiment une grande différence.
22:07 Est-ce qu'on peut s'attendre à des conséquences, d'abord peut-être financières,
22:12 par rapport à cette explosion contrôlée, peut-être politiques ?
22:16 On va en parler juste après, mais ça engage aussi la pérennité du programme Artemis,
22:22 la réussite de ce vol.
22:24 Mais d'abord, concernant l'AF1 et peut-être ses conditions de lancement.
22:28 Il faudra déterminer si l'AF1 était plus ou moins complice ou naïve
22:32 dans l'autorisation qu'elle a donnée à SpaceX pour le lancement de Starship,
22:35 qui est encore une fois un des plus gros lanceurs, encore plus puissant que pour l'SLS.
22:38 Donc, peut-être qu'on ne maîtrisait pas toutes ses conséquences,
22:40 mais probablement que certaines choses ont été sous-estimées.
22:43 Il va y avoir une enquête de l'AFA.
22:46 Le système américain est fait de manière à ce que...
22:49 C'est en fait SpaceX qui est en train d'enquêter sur ses propres défaillances
22:52 et qui va devoir notifier à l'AFA ce qui s'est mal passé par rapport à l'autorisation.
22:56 On est un peu dans un système similaire à Boeing et l'autocertification du Boeing 737 Max.
23:02 Et on peut se poser aussi la question des limites de ce système-là.
23:05 L'AFA, c'est le gouvernement américain.
23:07 Le gouvernement américain a besoin de SpaceX pour dans les années à venir.
23:11 Donc, il va falloir retrouver un équilibre entre la sécurité publique
23:14 et les objectifs du programme spatial américain.
23:17 Il va peut-être y avoir des procès de la part des agences environnementales.
23:20 Comme l'a dit Pierre, la communauté sur place,
23:23 compte tenu des emplois, jusqu'à présent soutient SpaceX.
23:27 Mais il n'est pas impossible qu'il y ait quelques procès contre SpaceX.
23:30 Pierre en parle d'Artemis là, puisque ce lanceur doit à un moment donné,
23:35 en tout cas Starship, transporter des hommes sur la Lune pour la mission Artemis III.
23:41 Ce sera donc la troisième étape du programme Artemis de retour sur la Lune des hommes et des femmes.
23:47 C'est quoi les conséquences pour la suite du programme ?
23:50 Normalement, la date officielle c'est 2025, pour le retour des hommes sur la Lune.
23:55 Est-ce que déjà, compte tenu de ce qui s'est passé la semaine dernière, on peut oublier cette date ?
23:59 Disons que c'est une projection optimiste des choses.
24:05 2025, c'est ce qui avait été prévu.
24:08 Effectivement, Starship, pour l'instant, c'est le seul engin qui est prévu pour atterrir sur la Lune.
24:14 Mais évidemment, c'est l'engin qui est prévu à condition qu'il soit prêt.
24:18 Et force est de constater qu'avec cet échec, avec aussi le temps qu'il va falloir pour faire des corrections,
24:25 et comme on vient de le dire, avoir de nouveau la certification, l'autorisation de faire les prochains tests,
24:32 il est certain que du retard va être pris.
24:35 Et ça, c'est effectivement un problème, un problème à la fois pour SpaceX, mais aussi pour la NASA.
24:40 Fin 2022, la NASA avait publié un appel à proposition pour un deuxième atterrisseur lunaire,
24:47 qui ne soit pas SpaceX, mais le temps passe.
24:50 Et la question est de savoir à quelle année, à quel moment, est-ce qu'on pourra retourner sur la Lune ?
24:57 En fait, Artemis III, c'est le profil de mission le plus compliqué pour Starship.
25:02 Ça nécessite d'un côté le lancement d'astronautes à bord du SLS dans la capsule Orion,
25:06 mais du côté spécifique, ça nécessite de démontrer que Starship fonctionne,
25:09 ça nécessite de lancer entre 8 et 10 Starships remplis de carburant,
25:14 qui iront faire un rendez-vous et remplir le réservoir d'une version lunaire du Starship,
25:19 qui, elle, devra d'abord se poser à la surface de la Lune sans équipage, pour montrer que tout fonctionne,
25:24 puis ensuite rebelote 8 à 12 lancements, ravitaillements du même Starship,
25:29 pour le reposer sur la Lune, cette fois-ci, avec l'équipage qui aura fait un rendez-vous avec la capsule Orion.
25:34 Donc c'est vraiment le profil de mission le plus compliqué.
25:36 Il est clair qu'il y a certaines briques technologiques, notamment le transfert de carburant cryogénique,
25:40 qui n'ont même pas encore été démontrées.
25:42 Donc 2025 n'est plus du tout sur le garderier.
25:45 2028 est une date, à mon avis, optimiste.
25:47 Optimiste ?
25:49 Dans un contexte de compétition où la Chine aimerait bien aussi te les promener sur la Lune.
25:52 Oui, effectivement.
25:53 Est-ce qu'il y aura des conséquences politiques ?
25:55 Vous parliez peut-être d'aller laisser la place à un concurrent.
25:59 Est-ce que c'est encore envisageable ?
26:01 On a bien conscience quand même qu'on ne veut pas sortir de terre un concurrent au Starship demain.
26:07 Mais un atterrisseur lunaire pourrait prendre facilement la position d'un concurrent.
26:12 On avait éliminé Jeff Bezos.
26:16 Est-ce qu'il y a un retour dans la course possible ?
26:18 Bien sûr.
26:20 De toute façon, la NASA, sa logique d'externalisation, de sous-traiter au privé,
26:25 s'est toujours faite en choisissant deux contractants.
26:28 C'est vrai pour SpaceX, qui était un des contractants.
26:30 Son concurrent initial pour le transport de cargo avec la capsule Dragon a été éliminé.
26:34 Il a été remplacé par Orbital Etiquette.
26:36 C'est vrai pour le transport d'astronaute vers l'ISS, SpaceX-Boeing.
26:40 C'est vrai pour les stations spatiales privées en orbite basse.
26:42 C'est un autre sujet.
26:43 Le sujet des atterrisseurs lunaires, la NASA a été prise à son propre jeu.
26:47 L'offre de SpaceX était tellement bonne, à la fois en qualité,
26:50 parce que le Starship lunaire est bien plus gros,
26:52 il permet de rester bien plus longtemps et de transporter plus d'astronaute que le cahier des chars de la NASA.
26:56 Il était bien moins cher que la concurrence.
26:58 La NASA a dit qu'elle n'avait qu'à choisir une seule offre.
27:00 Évidemment, cette solution de redondance était un peu mise à mal.
27:05 Le congrès américain a incité la NASA à mettre un deuxième appel d'offres, comme l'a dit Pierre.
27:10 Probablement que Blue Origin de Jeff Bezos,
27:13 mais aussi d'autres concurrents écartés dans le premier appel d'offres, ont soumis des offres.
27:17 Prochaine tentative du Starship, est-ce que d'abord elle aura lieu à Boca Chica et quand ?
27:23 Pierre ?
27:25 C'est une très bonne question.
27:28 Là encore, le problème c'est est-ce que vous êtes optimiste ou pas ?
27:32 Et surtout, est-ce que la FAA décidera de faire de nouveau confiance à SpaceX
27:39 et faire confiance dans les nouveaux systèmes ?
27:42 SpaceX prétend qu'un nouveau système de protection à base de plaques d'acier refroidies à l'eau
27:48 serait presque terminé et pourrait être installé bientôt.
27:52 Même dans ce cas-là, si la FAA décide de faire confiance à ce nouveau système,
27:57 qui pour le coup n'est toujours pas les systèmes classiques de carneaux, de déluge,
28:02 dans ce cas-là, personnellement, je ne vois pas un nouveau tir avant 6 à 12 mois,
28:08 au minimum, le temps de l'installation des nouvelles certifications.
28:12 Si par contre la FAA se montre beaucoup plus dure et exige d'avoir des déluges, des carneaux,
28:19 et bien là ce seront des travaux qui seront beaucoup plus coûteux, beaucoup plus chers,
28:22 beaucoup plus importants, beaucoup plus longs, et dans ce cas, ça peut aller jusqu'à des délais de 2 à 3 ans facilement.
28:28 Merci à tous les deux d'avoir pris le temps de nous éclairer sur les coulisses de ce lancement du Starship.
28:34 On continuera d'en parler dans cette émission Smartspace.
28:37 Merci à vous Pierre-Henrique et merci Maxime Putot.
28:40 On se retrouve quant à nous dès la semaine prochaine sur Bsmart.
28:44 [Musique]